Digitized by the Internet Archive in 2010 witin funding from University of Ottawa Iittp://www.arcliive.org/details/liistoireancienn07gsel STÉPHANE GSELL MEMIiKE DE l'iNSTITUT PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE HISTOIRE ANCIENNE DE L'AFRIQUE DU NORD TOME VII LA RÉPUBLIQUE ROMAINE ET LES ROIS INDIGÈNES LIBRAIRIE HACHETTE 79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS 1928 Tous droits de irariuctioii. (le rcproiluction et d'adapliilion réajervés pour tous pays. Copyrifihl by lAbiairif Hachette. I9i9. HISTOIRE ANCIENNE DE L'AFRIQUE DU NORD — VII — LIVRE PREMIER LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE CHAPITRE PREMIER LA PROVINCE ET LE GOUVERN EIYI ENT DE ROME I Au printemps de l'année 146 avant J.-C, Carthage ayant succombé, dix commissaires, désignés par le Sénat de Rome en vertu d'une loi votée par le peuple, se rendirent en Afrique, pour prendre avec le vainqueur, Scipion Emilien, les mesures qu'exigeaient les circonstances \ Ce qui restait de la ville fut entièrement détruit et le territoire qu'elle possédait encore 1 Voir t. III, p. 403. Mentions des décisions de cette commission : Appien, Lib., 135 (en collaboration avec Scipion); loi agraire de l'année 111 : CI. L., 1, 200=: 585, 1. 77 et 81 ; Gicéron, De lege agraria, II, 19, 5. Ailleurs, la décision est attribuée à Scipion seul : Gicéron, l. c, 1, 2, 5; II, 22, 58; Velléius Paterculus (note suivante); Pline l'Ancien, V, 25; voir aussi loi agraire de 111, 1. 81 (où |e pom de Scipion peut être restitué avec certitude). 2 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. en 149, au début de la troisième guerre punique, devint une province romaine'. Le général et les commissaires en fixèrent exactement les limites, en réglèrent l'organisation, décidèrent de la condition des lieux habités, des personnes et des terres. Ce fut la charte de la province, lex provinciae . Cette province fut appelée provincia Africa'^^ — Africa étant un adjectif joint à un substantif^, — ou, par omission du substantif*, simplement /l/rica^ Les Romains avaient employé l'adjectif /l/ricws avant la chute^ de Carthage^ De même, Africanus', qui en était dérivé: tel fut le surnom que Scipion l'Ancien reçut à la fin du m* siècle^ C'étaient là des formes purement latines, dépen- dant du mot Afer'\ dont l'usage est également attesté avant le milieu du second siècle : nous le trouvons dans Plante*", et l'on sait que l'émule de Plante, Térence, affranchi d'un P. Terentius Lucanus, joignit au prénom et au nom de son patron le surnom A fer, qui rappelait son origine", Africa terra était la terre de ceux que les Romains appelaient Afri, pluriel latin d'Afer. 1. Velléius Paterculus, II, 38, 2 : ■< P. Scipio Aemilianus... Africain in for- mulam redegit provinciae. » 2. César, Bell, civ., II, 32, 3. Bell. Afric, VIII, o; XXVI, 4. Etc. 3. On disait de même terra Africa, Africa terra (Scipion et Eanius, textes cités infra, n. 6; Bell. Afric, III, 5; XXIV, 3; XXVI, 4; Virgile, Enéide, IV, 37; Tite- Live, XXIX, 23, 10); mare Africain; etc. 4. Même omission du substantif, venlus, dans l'e.xpression Africus, qui désignait le vent du Sud-Ouest. 0. Loi agraire de 111, 1. 48, "ïl, 61, 68, 74, 77, 86, 87 (•< in Africa »). Cicéron, Pro Caelio, 4, 10. César, Bell, civ., I, 30, 2. Et une foule de textes postérieurs : voir Thésaurus linguae Latinae, I, p. 12.Ï8, 1. 3 et suiv. 6. Scipion, le premier Africain (apud Aulu-Gelle, IV, 18, 3) : " in terra Africa ». Ennius (2» édit. de Vahlen, Ann., 310; Sat., 10) : " .\frica terra ••. Piaule, Poenulus, 1304 : « amatricem Africam ». 7. Caton, Agri cuit., VIII, 1 : « ficos Africanas '-. Plaute, Poenulus, 1011 : « mures Africanos ». 8. Voir t. III, p. 295, n. 3. 9. Ce qu'on a souvent oublié, quoique celte vérité évidente ait été constatée depuis longtemps : voir, p. ex.. Jacquet, Journal asiatique, 1834, I, p. 195; Meltzer, Geschichte der Karlhager, I, p. 433. 10. Caecus vel Praedones, fragm. X (édit. Gôtz et Schôll, VII, p. 141). 11. Gonf. t. IV, p. 150, n. 5, LA PROVINCE ET LE GOUVERNEMENT DE ROME. 3 Que, parmi les Afri^ ils aient compté les Carthaginois, c'est ce qu'on pourrait inférer du surnom Africanus, donné au vainqueur d'HannibaP. Mais le terme Afrl ne désignait pas seulement les habitants de Carthage, et même il est presque certain qu'il ne s'était pas d'abord appliqué à eux^ Les Afri que mentionnent Tite-Live et Justin, abréviateur de Trogue Pompée', que le premier oppose aux Poeni*, aux Carthaginienses^ j étaient ceux que les Grecs appelaient Aiê'js^, au sens restreint de ce mot® : les indigènes qui vivaient sur le territoire punique. VAfrica terra était donc ce territoire^ qui, annexé ^ar Rome, devint la promncia Africa. Dans l'antiquité et de nos jours, on a donné du mot Africa diverses étymologies : on y a reconnu soit un terme latin ^, soit un terme sémitique^; on l'a expliqué par des noms de peuples berbères ou étrangers'", ou par le nom d'un homme 1. Lequel est qualifié d'yl/er par Horace, Odes, IV, 4, 42. Mais il s'agit d'un poète, qui n'était pas tenu à une précision rigoureuse. — Terentius Afer, qui dut naître vers 190, était originaire de Carthage, selon Suétone (édit. Roth, p. 292); on peut d'ailleurs, si l'on veut, supposer que ses parents étaient des indigènes, domiciliés dans cette ville. 2. Suidas (s. v. 'Aspixavô;) prétend que la ville de Carthage fut aussi appelée 'Açpixri, mais cette assertion, isolée, paraît être dénuée de toute valeur. 3. Voir t. II, p. 99. 4. XXIII, 29, 4 et 10; XXVIII, 14, 19; etc. 5. XXVIII, 14, 4; XXX, 33, 5. 6. T. II, l. c. ; t. V, p. 103. •7. Zonaras (IX, 14, p. 443, c) dit, à propos du surnom Africanus, donné à Scipion l'Ancien : « le pays autour de Carthage était déjà appelé 'Açp'.xr, ». •%. D'uprica (parce que l'Afrique est un pays chaud) : étymologie indiquée par Servius (qui ne la prend pas à son compte), In Aeneid., V, 128; VI, 312; conf. Isidore de Séville, Etym., XIV, 5, 2. 9. D'une racine FRQ, qui exprime l'idée de séparation : Léon l'Africain, Descr. de VAfriqae, trad. Temporal, édit. Schefer, I, p. 1 : d'Avezac, Esquisse générale de l'Afrique, p. 5 (dans Afrique ancienne, Collection de V Univers pittoresque, 1844); etc. Je ne sais quelle étymologie sémitique pouvaient bien invoquer ceux (jui, au dire d'El Bekri, prétendaient que le mot Ifrîkiya signifie « la reine du ciel » : voir t. IV, p. 257, n. 6. 10. Les Ifuraces, peuplade de la Tripolitaine, mentionnée par Corippus (voir t. V, p. 4, n. 1) : Castiglioni, Recherches sur les Berbères Atlantiques (Milan, 1826), p. 107, et d'autres après lui, Movers, Vivien de Saint-Marlin, Tissot,etc. — Les Aourtgha, peuple de la souche berbère des Beranès, mentionné par les généa- logistes du moyen âge : Garette, Recherches sur l'origine des tribus de V Afrique 'septentrionale (Paris, 1853), p. 308 etsuiv., et, après lui, Vivien de Saint-Martin et 4 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. qui aurait conquis le pays'. Nous pouvons nous dispenser de réfuter ces hypothèses, puisque c'est, non pas l'étymologie de l'adjectif Africus qu'il convient de chercher, mais celle du substantif A fer, dont Africus est une dérivation latine. 11 est fort invraisemblable qu'yl/er soit un mot d'origine latine; d'autre part, il n'a pas été emprunté par les Romains aux Grecs ^, qui n'en faisaient pas usage et se servaient, comme nous venons de le dire, du terme A^êje;. Ce sont des gens d'Afrique qui l'ont fait connaître aux Romains. Il devait être employé, soit par les indigènes, soit par les Carthaginois, soit par les uns et les autres. A ma connaissance, on ne le retrouve pas sur les inscriptions puniques, tandis qu'on y rencontre LBY, au féminin LBT, au pluriel LWRYM {Loubt, Loiibat, Loubhn), c'est-à-dire sans doute le même nom que A'iêu;, Aiêu£ç^ Des anciens ont expliqué A fer par le nom de quelque héros légendaire *, inventé naturellement à cet efîet. Des Tissot : ces Aourlgha auraient habité le Nord de la Tunisie au temps des Car- thaginois [ce dont on n'a nulle preuve]. — Les Afarek (au singulier Afrlki), que l'on trouvait au moyen âge dans diverses villes, depuis Gabès jusqu'à Mila : Movers, Die Phônizier, II, 2, p. 403, el d'autres. Ces Afnrek étaient, non pas une vieille peuplade berbère, mais des gens de race mêlée, sans doute des descen- dants de Romains et d'indigènes romanisés, chrétiens ((i. Marçais, Les Arabes en Berbérie du XI" au XIV siècle, p. 35). Leur nom n'a pas donné naissance au mot Africa, mais il en dérive. — Les Phrygiens (l'pjveç), dont une partie aurait émigré en Afrique : Bertholon, Rcv. tunisienne, V, 1898, p. 431. • 1. Ifrlkos, dont on a fait le plus souvent le flls d'un roi du Yémen et qui aurait amené avec lui soit des Arabes, soit des Cananéens et d'autres encore : Ibn Khaldoun, Hist. des Berbères, trad. de Slane, I, p. 1(18, 170, 175, 17G, 177, 183, 185; sur ce personnage légendaire, voir, entre autres, d(^ Slano, /. c, IV, p. 571- 572; H. Fournel, Les Berbères, I, p. 25-26. — Farek, lils d'Abraham ou de Misraim : El Bekri, Descr. de l'Afrique seplentr., trad. de Slane. édit. d'Alger, p. 49. 2. Conf. t. IV, p. 149; p. 257, n. 6. 3. Voir t. V, p. 103-4. 4. Afer, fils de l'Hercule libyen : Solin. XXIV, 2. — "A:pao; (ou "Açpo;), flls de Gronos et de Philyra : Julius Africanus, apud Chron. pasc., I, p. 06, édit. de Bonn (conf. Suidas, s. v. "Acppoi)- — 'Açépa; et 'là^pa;, flls d'Abraham et de Gétura, et compagnons d'Héraclès en Libye : Alexandre Polyhislor, apud Josèphe, Ant. Jud., I, 15, 241 (conf. Isidore de Séville, Etym., XIY. 5, 2 : • Afer »; Eu- stathe, Commentaire à Denys le Périégèle, v. 175, dans Geogr. Gr. min., édit. Millier, II, p. 248 : "A?px;). — 'ii;f.pr,v, petit-llls d'.\braham et chef dune expédition en Libye : opinion rapportée par Josèphe, l. c. 239 (conf. Kusèbe, Praep. evang., IX, 20 ; "Aypy,;; Isidore de Séville, Etym., IX, 2, 115 : « Afer •). LA PROVINCE ET LE GOUVERNEMENT DE ROME. 5 modernes ont proposé une élymologie sémitique', ou une étymologie berbère-, ont cité des noms de lieu, de divinité, de peuplades, qui leur ont paru ressembler k Afer^. Il vaut mieux confesser notre entière ignorance sur l'origine de ce nom et, par conséquent, du nom Africa. Le terme officiel Africa^ abréviation de provincia Africa^ s'étendit, en 46 avant J.-C, à la province que Jules César créa alors, en annexant le royaume de Juba P'" : ce fut V Africa nova'', l'Afrique nouvelle, réunie, peu d'années après, à l'^/rica vêtus, à la vieille Afrique. Dès lors, Y Africa^ au sens adminis- tratif, eut pour limite, à l'Ouest, le coufs inférieur de l'Am- psaga^ (Oued el Kebir), qui se jette dans la Méditerranée à proximité du cap Bougaroun, le Metagonium des anciens''. Au Sud-Est, la limite de V Africa fut fixée aux Autels des Philènes, 1. Afer rapproché de 'BRY, Ilébrea : iMommsen, Hist. romaine, trad. Alexandre, I, p. 198, n. 2 [il a rejeté plus tard cette hypothèse, en effet inadmissible : ibid., trad. Gagnât et Toutain, XI, p. 251, n. 1]; Meltzer, I, p. 432. — Il y a un mot hébreu, qui a le même son qu' Afer et qui signifie poussière, cendre; il devait exister aussi en phénicien. Mais on ne voit guère comment il aurait pu donner naissance à un nom de peuple, ni surtout pourquoi l'ethnique, au lieu d'offrir une forme dérivée, se présenterait exactement avec la même forme que le mot auquel il se rattacherait. 2. Ifri, caverne : Collignon, Bull, degéog. histor. du Comité, 1886, p. 291; voir aussi H. Basset, Le culte des grottes au Maroc, p. 14. Remarquer que le Nord-Est de la Tunisie est une des rares régions africaines où l'on n'ait constaté jusqu'à présent aucune preuve de troglodytisme. 3. Ifera, lieu mentionné par Gorippus {Joli., II, 57) et dont le site est inconnu : Movers, Die Ph'inizier, 11, 2, p. 402. — Ifru, dieu auquel s'adresse une inscription latine C. /. L., VIll, 5673 et 19107; voir t. VI, p. 136) : Meltzer, l.. c, I, p. 433. — Les Béni Ifrène, dont le nom peut signifier les Troglodytes (voir t. V, p. 213) : Meltzer, ibid.\ Rinn, Hev. afric, XXIX, 1885, p. 2.53. Au moyen âge, ils habitaient surtout la région de Tlemceu: mais, à l'époque de la conquête arabe, il y en avait aussi plus à l'Est, dans l'Aurès et même dans l'ifrlkiya : Ibn Khaldoun, trad. franc., I, p. 197; III, p. 198. — Les Afari, Himyarites qui seraient venus s'installer en Tunisie après la destruction de Garthage et auraient donné leur nom au pays : Slouschz, dans Archives marocaines, XIV, 1908, p. 3l4 et suiv. Sur cette opinion téméraire, conf. t. I, p. 279, n. 2; remarquons simplement ici qu'il y avait des yl/ri en Tunisie avant la date indiquée pourcelte prétendue migration. 4. Voir, entre autres, Pline l'Ancien, V, 25. 5. Pline, V, '29. Ptolémée, IV, 2, 3 (p. 601, édit. Miiller); IV, 3, 1 (p. 613). Table de Peutinger : « Tucca, fines Affrice et Mauritanie » (Tucca était sur l'Ampsaga : voir Gsell, Atlas archéol. de l'Algérie, {' 8, Philippeville, au n° 5). 6. Que Pomponius Mêla (I, 33) indique comme limite occidentale de V Africa; un autre passage du même auteur (I, 30) marque que la liT^ite était à l'Ampsaga; 6 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUSlIOUE. au fond de la grande Syrte*. Afri était le nom donné aux habitants de la province d'Africa, celle de l'année 146 avant J.-C, puis celle, beaucoup plus vaste, de l'Empire ^ Cependant, le nom de Numidia resta attaché, dans le langage courant, à la partie de VAfrica officielle qui avait été formée du royaume de Numidie"'. Plus tard, cette province d'Africa, — c'est-à-dire VAfrica vêtus et VAfrica nova réunies, — se morcela : au début du iii*" siècle, l'Ouest, qui, depuis longtemps déjà, n'en faisait plus partie que théoriquement, devint la province de Numidia ; à la fin du même siècle, furent créées, au Sud et au Sud-Est, les provinces de Byzacène et de Tripoli- taine. Après s'être élargi avec la province, le sens administratif du mot Africa se restreignit avec elle et ne s'appliqua plus qu'au Nord de la Tunisie et au Nord-Est de l'Algérie. C'est avec cette signification qu'il a survécu à l'antiquité : VIfrikiya des Arabes était à peu près la province d'Afrique du Bas-Empire*. En dehors de l'usage administratif, nous trouvons le terme Africa appliqué à l'ensemble de l'Afrique septentrionale, au pays des Blancs, par opposition à VAethiopia, le pays des Noirs ^ Cet emploi est assez rare. Les Grecs appelaient V'.ojt^ 1. Pompoaius Mêla, I, 33. Plolémée, IV, 3, 4 (p. 634, édit. Millier); IV, 4, 1 .(p. 664). TaLIe de Peutinger. Nous verrons (t. Vlll, 1. I, ch. v, § 1) que, pendant quelque temps, avant la fin du régne d'Auguste, la limite commune de la pro- vince d'Afrique et de la Gyrénaùiue paraît avoir été à l'entrée septentrionale de la petite Syrte, là où s'était terminée VAfrica vêtus. A cette époque, la carte d'Agrippa employait l'expression Africa Cyrenaica pour désigner la province de Cyrénaique ; Pline l'Ancien, V, 38; Dimensuratio provinciaruin, 27, apud Riese, Geogr. Lat. min., p. 13 (ces textes se rattachent à la carte d'Agrippa). Pline se sert ailleurs encore de la même expression : XIII, 49. 2. ClcéTon, Ad Quintum fralrem, 1, 1, 9, 27; Pro Balbo, 18. 41. Pline le Jeune, Lettres, II, 11, 2. CI. L., Vlll, 14364. 25850; 11, 105: UI, 2127 a; XIll. 2000. Dessau, Inscr. Lat. sel., 2319. Etc. 3. Voir, p. ex., Pline l'Ancien, V, 22. Il étend la Numidia jusqu'à la Tusca (près de Tabarca), limite occidentale de VAfrica vctus. A la Tusca commence, dit- il (V, 23), «■ regio... quae proprie vocelur .\frica ». 4. Du moins selon l'usage le plus fréquent : l'extension de ce terme a varié. Aujourd'hui, la Friguia répond au Nord et au centre de la Tunisie : Monchicoun, La région du Haut Tell, p. 1 et suiv. 5. Pline, V, 53, d'après Juba II : (le prétendu Nil) •■ Afiicam ab .Vethiopia dis- pescens •; conf. V, 30 (où Pline paraît confondre VAfrica, province romaine, et LA PROVINCE ET LE GOUVERNEMENT DE ROME. 7 (au sens large de ce mot) les Blancs habitant le Nord du continent, mais non pas les Ethiopiens ' : on s'explique donc qu'ils aient parfois appelé A-.êjr, la contrée où vivaient ces Aiêue;- ; on peut, d'autre part, supposer que des Latins, rencon- trant dans des sources grecques le nom A'-êjr, avec cette signification, l'ont traduit par Africa. Mais, d'ordinaire, Aiêjrj avait un sens plus étendu que A'iêjs; et désignait le continent tout entier ^ Le même sens fut donné au mot Africa, employé comme terme de géographie physique \ Le nom à'Afri fut quelquefois aussi attribué à tous les habitants du continent. Noirs comme Blancs % extension que n'avait pas reçue le terme Aiêjs;. Pour la limite orientale de V Africa, partie du monde, il y eut naturellement chez les Latins les mêmes divergences que chez les Grecs à propos delà A'.êjY, ^ Selon les uns, c'était le Nil"; selon d'autres, Fisthme entre la Méditerranée et la mer Rouge ^; d'autres terminaient l'Afrique à la frontière occidentale de l'Egypte ^ l'Africa, partie septentrionale du continent). Le même, VIII, 31 (citant Polybe) : « in extremis Africae, qua confinis Aettiiopiae est ». Id., XII, 107 ; « Aethiopiae subiecta .\frica ». Autres emplois d'Africa pour désigner l'ensemble de l'Afrique du Nord, ou des parties de cette contrée en dehors du pays qui fut la province d'Africa : Salluste, Jug., XVIII, 1: LXXIX, 2; Tite-Live, XXIX, 34, 5; XXX, 12, 15. Afri, employé avec la même extension géographique : Salluste, XVill, 3; Cor- nélius Népos, Lysandre, III, 2; Pomponius Mêla, 1, 25; Pline, VH, 200. 1. Voir t. V, p. 103. 2. Ibid. 3. T. V, p. 102. 4. Salluste, Jug., XVII, 1 et 3. Velléius Paterculus, II, 40, 4. Mêla, 1, 8:9: 20; 25; 50. Pline. III, 3; V, 1. Etc. 5. Moretam (attribué à Virgile), 32 : Afra genus, tota patriam testante figura. La suite montre qu'il s'agit d'une négresse. 6. Conf. t. V, p. 102. 7. D'après une vieille conception des géographes ioniens (conf. Gsell, Hérodote, p. 72), qui avait persisté : voir, p. ex., Strabon, I, 4, 7; H, 5, 26; XVII, 1, 30 et 35; XVII, 3, 1. Pour les Latins, voir Mêla, I, 8 et 20; Pline, III, 3; VI, 180, 190 et 192; Juvénal, X, 148-9; etc. Sur la Méditerranée, la limite de l'Afrique était la bouche canopique : Pline, V, 47 et 48. 8. Opinion probablement antérieure à Hérodote (voir Gsell, /. c, p. 73) et qui se maintint : Strabon, I, 4, 7. Pour les Latins, voir Apulée, Demanda, 7. 9. Au Catabathmos, au fond du golfe de Soloum : Salluste, Jug., XVII, 4, et XIX, 3; Mêla, 1,40, 8 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. Tandis que les Latins, élargissant le mot Africa\ s'en servaient pour traduire Aiêûri, les Grecs, restreignant le mot Ai.ê'jyj, ea firent usage pour traduire l'appellation officielle de la province romaine, Africa-. Cela leur fut aisé, puisqu'ils avaient déjà pris l'habitude d'appeler A-lêye; (au sens étroit) les indigènes du territoire carthaginois', les opposant aux NoaàôE;, indigènes indépendants \ C'est ainsi qu'allant, en quelque sorte, ta la rencontre l'un de l'autre, le terme grec et le terme latin devinrent synonymes, dans leurs deux acceptions, l'une politique, l'autre géographique. Des poètes latins employèrent même le mot grec, Libye, Libya, au lieu à'Afinca^. De leur côté, des Grecs, à l'époque de l'Empire, adoptèrent le terme 'Acopur, pour désigner la province ^ Mais ils ne retendirent pas au continent. Cette digression sur le nom Africa, qui a eu une si belle fortune, paraîtra peut-être excusable dans une Histoire de V Afrique du Nord. Revenons à la province romaine. II La provincia Africa, créée en 146, fut fort petite. On sait à quelles limites étroites Masinissa avait réduit le territoire carthaginois ^ que Rome s'annexa ^ Rappelons que la frontière, 1. Pomponius Mêla (I, 22) dit que V Africa (la province romaine) a pris son nom du continent. C'est exactement le contraire qui est vrai. 2. Plutarque, Marius, 40; César, 28; Galba, 3. Appien, Bell, civ., I, 62; II, 18; IV, 53. Hérodien, VU, 4, 4. Etc. 3. V. supra, p. 3. 4. T. II, p. 100. 5. P. ex., Virgile, Géorgiques, 1,241; III, 339: Enéide, I, 22: C. I. L., II, 2660; VI, 1693; VII, 759; VIII, 212 (1. 29), 21031, 21303. De même, Libycus : p. ex., Virgile, En., I, 339; Horace, Épîtres, I, 10, 19; C. I. L., VIII, 9018. 6. Ptolémée, IV, 2, 3 (p. 601, édit. MûUer); IV, 3, 1 (p. 613); etc. Dion Cassius, XXXVI, 25: XLII, 9; XLIII, 9. Elc. 7. Voir t. III, p. 326-8. 8. Nous avons mentionné au tome III, p. 320, n. 4, les textes de Salluste, de Strabon et d'Appien qui indiquent que l'étendue de la province romaine fut la mêrne que celle du territoire carthaginois. LA PROVINCE ET LE GOUVERNEMENT DE ROME. 9 se dirigeant d'abord, d'une manière générale, du Nord-Ouest au Sud-Est, puis de l'Ouest à l'Est, enfin du Nord-Nord-Ouest au Sud-Sud-Est, partait de l'embouchure de la Tusca (Oued el Kebir), près de Thabraca (Tabarca), passait en deçà de Vaga (Béja), de ïhubursicu Bure (Téboursouk) et de Thugga (Dougga), puis au Sud du djebel Zaghouane, et aboutissait, à l'entrée de la petite Syrte (golfe de Gabès), auprès de Thsenee (Henchir Tina, au Sud-Sud-Ouest de Sfax), ville qui resta en dehors de cette ligne'. Celle-ci fut marquée par un fossé que Scipion fit creuser et qui, longeant le royaume numide, fut appelé la fossa regia-. L'espace qu'il enfermait peut être évalué à 20 000 kilomètres carrés ^ 25 000 au maximum. L'étendue de la province était encore la même à la fin du second siècle*, et lorsque César constitua, en Tan 46, VAfrica nova^ : des bornes, dressées sous l'Empire là où avait été la limite commune des deux provinces, l'ancienne et la nouvelle, jalonnaient l'emplacement de la fossa regia, du fossé creusé par Scipion^. En 111 avant notre ère, la ville de Leplis la Grande, située entre les deux Syrtes, se détacha de Jugurtha, alors en guerre avec les Romains. Elle reçut le titre de cité amie et associée de Rome\ Mais elle ne fut pas annexée à la province, non plus 1. Voir t. V, p. 247. n. 6. 2. Pliae l'Ancien, V, 25 : (Africa) « dividitur in duas provincias, veterem et novam, discretas fossa inter Africanum sequentein et reges Tlieuas usque per- ducta. » Pour le nom de fossa regia, voir des bornes du temps de Vespasien (C. I. L., VIII, 23084, 25860 = 14882,25967; Bull, archéol. du Comité, 1911, p. 402-4, n°^ 36-39) : « fines provinciae novae et veter(is) derecti qua fossa regia fuit ». 3. Estimation donnée par W. Barthel, fiomische Limitation in der Provinz Africa {da.ns Bonner Jahrbiicher, CXX, 1911), p. 73. 4. Salluste, Jug., XIX, 7 : « liello lugurthino pleraque ex Punicis oppida et fines Cartliagiuieusium, quos novissume habuerant, populus Romanus per magistratus administrabat. » 5. Appien {Bell, civ., IV, 53), parlant de la vieille province et de la nouvelle, créée par César, dit que la première était le territoire enlevé aux Carthaginois. 6. Pour ces bornes, u. supra, a la note 2. Leur témoignage confirme celui de Pline l'Ancien : ibid. 7. Salluste, Jug., LXXVII, 2 (« amicitiam societatemque »). 10 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUK que le littoral des Syrtes'. Nous savons, en effet, que le royaume numide atteignait la petite Syrte en 88', que Thœnae, à l'entrée de ce golfe, en faisait partie en 46^, que les Etats de Juba I" confinaient au territoire de Leplis*. Dans la Tunisie centrale, deux villes, situées à l'Ouest de Thubursicu Bure et de Thugga, le municipe de Thibaris' et la colonie d'Uchi Majus", avaient gardé sous l'Empire le surnom de Marianum, Mariana'' : Marins était donc intervenu, de quelque manière, dans leur développement. Cela ne prouve pas, cependant, que ces lieux aient été rattachés à la province par le vainqueur de Jugurtha, contrairement aux témoignages qui affirment que les limites de VAfrica ne furent pas modifiées entre 146 et l'époque de César. Marins avait eu pour soldats auxiliaires des Gétules, qu'il récompensa en les faisant citoyens romains et en leur donnant des terres \ Il les leur donna sur le royaume numide, dont sa victoire lui permettait de disposer : d'abord indépendants, ils furent, un quart de siècle plus tard, placés sous l'autorité du roi de Xumidie^, ce qui exclut l'hypo- thèse qu'ils aient été établis à l'intérieur du territoire romain. On peut supposer que le surnom porté par Thibaris et Uchi Majus rappelait ce bienfait de xMarius à ses compagnons d'armes. 1. Conf. Tissot, Géogr. de la province romaine d'Afrique, II, p. 22. C'est par erreur que Mommsen (C. /. L., VIII, p. xv) et Marquardt (Rom. Staatsverwaltung, 2' édit., I, p. 465-6) ont cru à un agrandissement de VAfrica à cette époque. 2. On voit par Plutarque (Marias, 40) que le royaume d'Hiempsal touchait le littoral à peu de distance des îles Kerkenna, c'est-à-dire dans la région de Thsenœ. Conf. Appien, Bell, civ., I, 62, 3. Voir t. V, p. 247, n. 6. 4. Ibid., p. 200, n. 9. 5. Henchir Thibar : Atlas archéol. de la Tunisie, f" Souk et .\rba, n° 10. 6. Henchir ed Douarais : ibid., n" 62. 7. C. 1. L., VIII, 26181; ibid., 15450, 15455, 26270, 26275, etc. Conf. Merlin et Poinssot, Les inscriptions d'Uchi Majus, p. 17. 8. Bell. Afric, LVI, 4; XXXll, .3: XXXV, 4, C'est peut-être parce qu'il con- naissait ce don de Marius qu'un annaliste romain, copié par Tite-Live (XXIII, 46, 7), a prétendu, évidemment à tort, qu'après la seconde guerre punique, les Romains accordèrent en Afrique des terres à des Numides, déserteurs de l'armée d'Hannibal en Italie, 9. Bell. Afric, LVI, 4. LA PROVINCE ET LE GOUVERNEMENT DE HOME. M III Exactement délimitée par le creusement du fossé royal, la province d'Afrique fut soumise à une vaste opération d'arpen- tage, qui paraît bien avoir été décidée dès l'annexion. Nous n'avons aucune preuve que les Carthaginois aient constitué un cadastre officiel de leur territoire. Us n'en avaient pas besoin pour lever sur leurs sujets des impôts qui con- sistaient en parts de récoltes'. D'ailleurs, si ce cadastre avait existé lors de la chute de Carthage, le gouvernement romain se serait sans doute épargné la peine de le refaire. Or, c'est sur une base toute romaine que repose le cadastre que nous trouvons établi dans lAfrique du Nord, depuis le second siècle avant J.-C. jusqu'à la lin de l'Empire : sur la centurie {centuria), dont le nom désignait primitivement un ensemble de cent heredia, propriétés patrimoniales de deux jugères chacune^, Vheredium ayant été jadis la part attribuée à chaque chef de famille sur le territoire de la ville de Rome ^ Nous devons indiquer ici, brièvement, comment les Romains procédaient à l'arpentage, fondement du cadastre. Il s'agissait de partager une surface donnée en un certain nombre d'unités égales, au moyen d'un réseau de lignes droites. On tirait tout d'abord deux lignes maîtresses, perpendiculaires l'une à l'autre et se croisant : le decumanus maximus, dans le sens de la longueur, et le cardo maximus. Puis on traçait le nombre nécessaire de lignes, decumani et cardineSj parallèles à ces axes et enfermant des espaces quadrangulaires de dimen- sions uniformes, appelés centuries. Le terme « ligne », dont 1. T. II, p. 303. 2. Le iugerum était un rectangle de 240 pieds de long sur 120 de large, donc de 28 800 pieds carrés, =2 523 ra2, 34. eu comptant pour le pied 0 m. 296 (Om. 29565, selon les calculs de Râper; 0 m. 298, sur une table de mesures africaine : Gsell et Joly, Announa, p. 78). 3. Varron, RusL, I, 10, 2. 12 LA PROVINCE D AFRIQUE SOUS LA REPUBLIQUE. nous venons de nous servir, n'est pas rigoureusement exact : ces deciwiani et cardines étaient, en réalité, des chemins, propriétés publiques, les deux axes étant beaucoup plus larges que les limites parallèles, et, parmi ces limites, celles qui se succédaient de cinq en cinq étant plus larges que les autres. Le réseau pouvait être établi de manière à former soit des carrés, soit des rectangles. En Afrique, les espaces encadrés paf les limites, ou chemins, ont toujours été des centuries carrées, de 2 400 pieds de côté' (710 m. 40), contenant 200 jugères et ayant une superficie d'un peu plus de 50 hectares. On appelait subsécives (subseciva) les espaces inférieurs à la superficie d'une centurie qui restaient nécessairement entre les limites, à configuration irrégulière, du territoire où avait été fait l'arpentage, et l'ensemble des centuries, à côtés recti- lignes, constituées par les arpenteurs. A l'intérieur même de la surface mesurée, il y avait souvent des terres qui, du moins au moment de l'opération, étaient regardées comme impropres à la culture : sols boisés, maré- cageux, rocheux. Ces espaces étaient appelés ^ocare/ic/a lorsque leur superficie dépassait une centurie. Les espaces de même nature, supérieurs à une centurie, qui pouvaient s'étendre à la périphérie du territoire, étaient des loca extraclusa. Dans les intervalles qui séparaient ces mauvais sols des centuries les plus proches, il pouvait y avoir des lambeaux de bonnes terres, qualifiés de subsécives. Le travail des arpenteurs terminé, on dressait une carte du territoire (forma), avec les noms de ceux qui étaient institués ou reconnus légitimes possesseurs des terres de rapport. Il est superflu d'insister sur les avantages de cette mensu- ration exacte et de ce plan cadastral pour la fixation certaine 1. Coaformémeat à la règle indiquée par VarroD, l. c. Telle était la division adoptée eu Italie, au temps des Gracques : voir, p. ex., Pais, Sloria délia coloniz' sazione di Roma antica, Prolegoraeni, p. 161, 162. LÀ PllOVlNGE ET LE GOUVERNEMENT DE ROME. 13 et le contrôle des limites publiques et privées; pour l'attri- bution, la location, la vente par l'État des terres dont il disposait, et l'assiette des impôts fonciers qu'il exigeait; pour la véri- fication rapide des droits des propriétaires et détenteurs du sol et la sécurité des achats. Les documents qui attestent l'existence d'un cadastre par centuries dans les provinces africaines sont assez nombreux'. Le plus ancien est une loi agraire de l'année 111 avant J.-C, que nous aurons à citer fréquemment dans cette étude de VAfrica à l'époque républicaine^. Elle mentionne des centuries et des subsécives sur l'emplace- ment du territoire attribué, onze ans auparavant, à la colonie de Carthage, dont G. Gracchus avait fait décider et commencer la fondation'. G'est donc à l'année 122, au plus tard, que remontait la mensuration de ce territoire, puisqu'elle était la condition nécessaire de l'assignation des lots aux colons. Mais des textes postérieurs prouvent que, dans les provinces africaines, la centuriation n'était pas seulement appliquée aux terres coloniales \ et la loi de 111 nous montre que, déjà à cette époque, des terres de ri4/';'?'ca, qui ne faisaient pas partie du 1. Sur cette question, voir en particulier Schulten, Bu//, archéol. du Comité, 1902, p. 129-173; Toutain, Le cadastre de l'Afrique romaine, dans Mémoires présentés à l'Académie des Inscriptions, XII, 1 (1907), p. 341-382; Barthel, Romische Limitation (conf. supra, p. 0, n. 3) : excellent mémoire, auquel j'ai beaucoup emprunté dans les pages qui suivent. 2. C. /. L., I, 200:= 585. Sur cette inscription, v. infra, p. 75 et suiv. 3. Ligne 66 : « Quoi colono eive, quel in colonel numéro scriptus est, ager locus in ea centuria supsicivov[e] ... » Barthel (/. c, p. 79) fait remarquer que le maximum de 200 jugères, fl.xé pour l'étendue des lots des colons (1. 60), répond à une centurie pleine : c'est donc une bonne raison de croire que, dans la men- suration qui servit de base aux assignations de 122, les centuries étaient des carrés d'une superficie de 200 jugères. — Des centuries sont mentionnées dans un autre passage de la loi (1. 89) : « [quae viae in eo] agro ante quam Gartage capta est fuerunt, eae omnes publicae sunto, limitesque inter centuria[s] ... • Mais, ici, il ne s'agit peut-être pas seulement, comme le croit Mommsen (Gesam- melte Schriften, I, p. 123), des centuries du territoire de la colonie fondée par C. Gracchus. 4. Bornes du Sud tunisien, mentionnées plus bas. Centuries et subsécives sur des domaines : C. /. L., VIII, 25902, 1, 1. 7-8; 25943, II, 1. 9-10; 26416. II, 1. 1-2; saiat Augustin, Enarr. in psalm., CXXXl, 11. GsELL. — Afrique du Nord. VII. * 14 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. territoire de la colonie instituée en 122, avaient été soumises à un cadastre. Il y est fait mention de formae publicae\ sur lesquelles le duumvir chargé de l'exécution de la loi devra faire inscrire les terres qu'il assignera à des indigènes, en échange de celles que leur avaient assignées les décemvirs, — c'est-à-dire les commissaires de l'année 146, — et qu'on à été, ou qu'on sera dans la nécessité de leur reprendre. Ces nouvelles terres ne pouvaient se trouver que sur le domaine public disponible, en dehors des assignations faites aux colons italiens en 122. L'échange et l'inscription sur les plans devaient être faits dans les 150 jours qui suivraient la nomination du duumvir : preuve que ces plans existaient déjà, car le délai eût été sans doute trop court pour procédera de longues et minutieuses opérations d'arpentage. Quand celles-ci auraient-elles été faites plus oppor- tunément que lors de la création de la province? Il est donc vraisemblable^ qu'elles furent ordonnées par les décemvirs qui assistaient Scipion, et l'on peut supposer qu'elles furent étendues à toute la province, les territoires des sept villes qui furent déclarées libres étant exclus, puisqu'ils n'étaient pas propriété du peuple romain, comme la province, dans laquelle ils for- maient des enclaves ^ 1. L. 78 et 80. 2. Comme l'a montré Barthel, l. c, p. 80-81, 86. 3. Nous verrons plus loin que les territoires des villes libres paraissent n'avoir été soumis aune centurialion que sous l'Empire. Elles étaient assez nombreuses entre Hadrumète (Sousse) et l'entrée du golfe de Gabès : outre Hadrumète, c'étaient Leptis la Petite, Thapsus, Acholla, Usula. On peut se demander, cependant, si les restes de la ceoturiation impériale, constatés au Sud de la région de Sousse, se trouvent tous sur les territoires de ces villes maritimes. Ils s'étendent, en effet, assez loin du littoral. C'est ainsi qu'on en rencontre à proximité de Thysdrus (El Djem). Or, Thysdrus, située à une quarantaine de kilomètres de la mer, entre la ville libre d'Acholla et la frontière de la province, ne devait pas être sur le territoire d'une ville libre : en 46 avant J.-C, c'était une' cJut/as, que Jules César condamna à une amende particulière {Bell. Afric, XGVII, 4). D'autre part, on n"a pas constaté, dans le Sud de VAfrica vêtus, de traces certaines de la centuriation qui doit être attribuée à l'époque républicaine et" qui date sans doute de la constitution de la province (les indices que Bar- thel, L c, p. 60, croit en avoir retrouvés au S.-O. de Mahdia sont très douteux). Il se peut donc que cette centuriation n'ait pas dépassé au Sud la région de l'Enflda, où elle devait rencontrer le territoire d'Hadrumète. .\u delà, le terri- LA PROVliNGK ET LK GOUVEUNRMENT DE HOME. ,^ 15 Des découvertes épigraphiques et l'étude des excellentes cartes dressées par le Service géographique de l'Armée ont fait connaître en Tunisie deux centuriations antiques, qui avaient délimité l'une et l'autre des centuries carrées de 2400 pieds de côté, mais qui étaient orientées de manière différente. L'une d'elles, œuvre vraiment admirable, a été révélée par des bornes découvertes en place dans le Sud tunisien, près du chott el Fedjedje'. Ces bornes furent dressées sous le règne de Tibère par des arpenteurs appartenant à l'armée d'Afrique. D'après les indications numérales qu'elles portent, on a pu reconstituer le système auquel elles appartenaient-. Le decu- manus 7iiaximus, orienté du Nord-Ouest au Sud-Est, s'étendait d'un point du littoral situé entre Philippeville et Bône, jusqu'à un point de la petite Syrte voisin de Gabès ; le cardo maximus, qui le coupait à angle droit dans la région de Thala, aboutissait, au Nord-Est, dans le voisinage du Cap Bon. Les bornes si heureusement retrouvées peuvent fort bien dater d'une époque postérieure à l'établissement de ce système, qui a dû être développé à mesure que l'occupation militaire progressait vers le Sud. Mais il est certain que nous sommes ici en présence d'une centuriation postérieure à l'année 46 avant J.-C, à la création de la province d^Afi^ica nova. Le decumanus maximus est entièrement en dehors de la vieille province. Son point de départ au Nord-Ouest paraît bien coïncider avec la limite orien- tale du territoire de Cirta", constitué en 46auprofitdu condottiere Sittius etdeses compagnons : territoire qui, àl'origine, nedutpas appartenir à la nouvelle province*, et qui, quand il v fut rattaché, toire romain, pas plus que les territoires des cités libres, n'aurait été mesuré, La question ne peut être actuellement résolue. 1. C. /. L., VIII, 22786, a-l. Une autre borne a été trouvée plus au Nord-Ouest, dans le Bled Segui (i6i(i., n° m); une autre, plus an Nord-Est, à Graiba, non loin du littoral (C. /. L., 22789). 2. Cette reconstitution est due à Barthel, t. c, p. 72 et pi. I. 3. Pour l'emplacement de cette limite, voir Gsell, Inscr. lat. de l'Algérie, I, 134. 4. En tout cas, Salluste, premier gouverneur de YAfrica nova, ne visita pas Cirta : la façon dont il en parle le prouve (v. infra, p. 125). 16 LA PROVINCE d'aFIIIQUE SOUS Là REPUBLIQUE. continua à former une sorte de petit Etat, exempté très proba- blement de l'impôt foncier. Dans cette vaste opération, confiée à des arpenteurs militaires, ce n'est peut-être pas le hasard qui a fait passer le cardo maximus par Ammœdara (Haïdra), lieu de séjour de la légion d'Afrique à la fin du règne d'Auguste'. Il est vrai que cette centuriation se retrouve dans la province créée en 146^; la direction et l'espacement de certains chemins encore en usage l'attestent : ce sont les vieux chemins romains qui séparaient les centuries. On s'est demandé' si, dans quelques régions, elle ne s'était pas superposée à une centuriation plus ancienne. Hypothèse qui n'invoque que des faits douteux et qui n'est guère vraisemblable, car l'amour de la symétrie n'eût pas justifié les frais et le trouble qu'aurait causés l'établissement d'un nouveau cadastre. La mensuration qui peut être attribuée au début de l'époque impériale ne fut sans doute exécutée dans la vieille province que là où les arpenteurs n'avaient pas encore travaillé. De fait, les traces certaines qu'elle a laissées ne se rencontrent que dans le Sud, en arrière des villes mari- times qui avaient été déclarées libres en 146* : leur liberté fut beaucoup diminuée sous l'Empire et ne comporta plus que rarement l'immunité de l'impôt foncier, pour l'assiette duquel un cadastre, par conséquent une mensuration, étaient néces- saires. L'autre système de centuriation n'a été constaté que dans la vieille province. Il y a déjà un siècle que Falbe^ en a 1. Ce qui me paraît avoir été démontré par de Pacfitere, C. r. Acad. Inscr., 1916, p. 273 et suiv. (conf. Gseil, Inscr., I, p. 286). La légion fut peut-être établie à Ammœdara à la suite d'une guerre contre les Gélules, qui se termina en l'an 6 après J.-C. : voir t. VIII, 1. II, ch. ii, § III. 2. Voir Barthel, l. c, p. 57-59, 70. Au Nord, à l'Ouest et au Sud de Sousse ; dans le Sud de la province, surtout entre El Djem et Mahdia. 3. Barthel, p. 59-60. 4. V. supra, p. 14, n. 3. 5. Recherches sur Vemplacement de Carlhage (1833), p. 54. Conf. Schuiten, Bull, archéol. du Comité, 1902, p. 140 et suiv.; pi. VII (carte reproduisant celle de Falbe) et pi. VIII. LA PROVINCE ET LE GOUVERNEMENT DE ROME. 17 reconnu des vestiges dans la péninsule de Carthage : chemins et limites de propriétés qui dessinaient encore les côtés des centuries. Depuis, on en a retrouvé d'autres traces à l'Ouest, au Sud-Ouest et au Sud de Tunis; àlabase delà péninsuleducap Bon et dans cette péninsule ; dans l'Enfida (au Nord-Ouest de Sousse) ; dans des lieux plus rapprochés de l'emplacement du fossé royal, limite de VAfrica velusK Les decu77iani, disposés dans le sens de la longueur de la province, se dirigent du Nord-Nord-Ouest au Sud-Sud-Est (formant avec ceux de la centuriation impériale un angle de 8 degrés)'-; les cardines sont, par conséquent, orientés de l'Ouest-Sud-Ouest à l' Est-Nord-Est, Comme on ne connaît pas encore de bornes, qui donneraient des indications numérales, on ne sauraitdire où étaient le decumanusmaximus et le car do maximus^. Il n'est pas douteux que cette centuriation ne soit antérieure à celle de VAfrica nova'', car, si l'on avait soumis à un arpen- tage général la vieille province en même temps que la nouvelle, pourquoi y aurait-on adopté un système différent, surtout alors qu'on appliquait le système de VAfrica nova à certaines parties de VAfrica vêtus? N'oublions pas, d'ailleurs, que ces deux 1. Schulten, l. c, p. 158-9, 168-9; pi. IX, XIIL Surtout Barthel, l. c, p. 52 et suiv., et planches. 2. Barthel, p. 72. 3. Conf. Barthel, p. 95. 4. W. Barthel (p. 75) a constaté que la voie romaine de Carthage à Theveste, par Ammeedara, se conforme à l'orientation de cette centuriation, sur certains points de son parcours dans VAfrica vêtus. Or cette voie existait certainement sous Auguste : le camp de la légion d'Afrique, — que Barthel place à The- veste, mais qui était sans doute alors à Ammœdara, — ne pouvait pas ne pas être relié à Carthage, alors qu'il l'était (des bornes milliaires en font foi) à Tacapes (Gabès). D'où Barthel conclut que la centuriation est antérieure à Auguste. Elle l'est, en elîet, mais l'argument invoqué est fragile. La seule chose que l'on puisse affirmer, c'est que la voie romaine de Carthage à The- veste, telle qu'elle se présente à nous, est plus récente que la centuriation. Mais Theveste, qui fit partie des possessions carthaginoises, avait été évidemment reliée au Nord-Est de la Tunisie par une route ou une piste, longtemps avant la constitution de la province romaine, et il nous est impossible de dire à quelle époque le tracé de cette route fut modifié, pour s'adapter à la centuriation. Un passage de la loi de 111 (1. 89 : v. supra, p. 13, n. 3) atteste le maintien de routes qui existaient avant la chute de Carthage, 18 LA PROVINCE D'AFRIQL'E SOUS LA RÉPUBLIQUE. provinces furent promptement fondues en une seule, au bout de quelques années à peine. Et la centuriation qu'on distingue encore dans la péninsule de Carthage ne peut être que celle qui servit en 122 aux assignations de C. Gracchus : il eût été superflu d'en recommencer une autre plus tard. De ce qui précède, nous conclurons qu'il est resté sur le terrain des vestiges de la mensuration qui fut, croyons-nous, entreprise dès le lendemain de l'annexion et qui exigea évidemment un travail de plusieurs années. IV En 146, il fut décidé que la province d'Afrique aurait pour gouverneur, soit un des magistrats annuels appelés préteurs', soit un ancien préteur. Tous les ans, le Sénat désignait les dépar- tements^ qui, à Rome et dans les provinces, seraient confiés aux préteurs élus pour l'année suivante, et ceux-ci les tiraient au sort. UAfrica put être et fut sans doute plus d'une fois comprise dans cetteiiste^ Mais il n'y avait que six préteurs et ce nombre, fixé au début du second siècle, ne fut pas augmenté avant la dictature de Sylla. Dès 146, il était insuffisant pour remplir les départements prétoriens, qui s'accrurent encore dans la suite. Il fallait donc mettre à la tête de certaines provinces, non pas des préteurs en exercice, mais des remplaçants, qui portaient le titre de pi^opraetore, non de praetor. Le Sénat les désignait pour un an, généralement parmi les anciens préteurs, surtout parmi les préteurs sortants; il pouvait aussi décider la 1. Appien, Lib., 135. 2. Provinciae. Le terme provincia signifiait proprement le domaine sur lequel un magistrat exerçait Vimperium, c'est-à-dire la plénitude de l'autorité publique. 3. Ce qui le prouve, c'est que, pour Fabius Hadrianus, qui gouverna l'Afrique entre 84 et 82, on se demanda plus tard s'il était venu dans cette province en qualité de legalus, ou de pro praetore, ou de praetor. Pseudo-Asconius, dans l'édi- tion de Cicéron par Orelli, V, 2, p. 179 : « ... cum C. Fabius Adrianus, ut alii aiunt legatus, ut alii pulant pro praetore vel praetor, provinciam obtineret Africam. • LA PllOVINCK ET LE GOUVEUNEMEMT DE ROME. 19 prorogation, pour la même durée, du préteur ou du propréteur qui exerçait un gouvernement provincial. Et même, comme le gouverneur ne devait pas quitter la province avant la venue de son successeur, il suffisait de ne pas le remplacer pour qu'il fût prorogé en fait. Les préteurs et les propréteurs ayant mêmes pouvoirs, on les appelait les uns et les autres praetoî' dans l'usage courant'. Faute d'indications précises, il nous estimpossible de distinguer ceux qui avaient officiellement droit à ce titre, parmi les rares gouverneurs dont les noms nous sont parvenus pour cette période de 146 à la dictature de Sylla^ De l'un d'eux, Fabius Hadrianus, nous savons qu'il resta au moins deux ans en Afrique, où il était en 84^ et en 82*. En 81, Sylla fit voter une loi {lex Cornelia)^ qui modifia ce régime. Le nombre des préteurs fut porté à huit, et tous exer- cèrent leur magistrature à Rome. L'année suivante% ils étaient chargés d'une des huit provinces, qu'un tirage au sort leur avait attribuée au cours de leur préture^ Dans ce gouvernement, ils eurent désormais le titre àe pro consule' (et non plus de pro 1. MommseQ, Rom. Staatsrecht, 2" édit., II, p. 230, n. 5. Eq grec sTpaTriYd;.* 2. Pour les gouverneurs de VAJrica à l'époque républicaine, voir Pallu de Lessert, Fastes des provinces africaines, I, p. 3 et suiv. 3. Tite-Live, Epit. l. LXXXIV. 4. Date de sa mort à Utique : ibid., LXXXVI. 5. Tel fut le cas pour L. Licinius Lucullus, en 77 : Cicéron, Academ. prior., H, 1, 1 (« praetor, post in Africain •); — pour Calilina, en 67 : Asconius, In orat. in toga cand., édit. Kiessling et Schôll, p. 75 (•< Catilina ex praetura Africam provinciam obtinuit »); — pour Attius Varus, peu d'années avant 49 : César, Bell, civ., 1, 31, 2 (« paucis ante annis ex praetura provinciam [l'Afrique] obti- nuerat •). 6. Cicéron, Ad Quintum fratr., I, 1,9, 27 (lettre écrite en 60 ou 59) : « Quodsi te sors Afris praefecisset.... " Le même, Pro Ligario, 1, 3 : ■< P. .\ttius Varus, qui praetor Africam optinuerat. » 7. Il semble bien, en effet, que la lex Cornelia ait étendu ce titre à tous les gouverneurs prétoriens et qu'il n'ait pas été conféré spécialement à quelques-uns d'entre eux, dans la période de trente ans qui suivit cette loi : voir Willems, Le Sénat de la République romaine, 2' édit., II, p. 571, n. 5. — Q. Porapéius Rufus, qui fut préteur en 63 et qui, par conséquent, gouverna l'Afrique en 62, qualifié de pro consule par Cicéron {Pro Caelio, 30, 73;. Lettre écrite par Cicéron à Orca, qui avait été préteur en 57 et qui, alors [en 56], gouvernait l'Afrique {Ad famil., 20 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. praelore) : ce qui indiquait sans doute qu'ils étaient investis de Vimperium consulaire, avec le droit de se faire précéder de douze licteurs (au lieu de six). Mais, comme le nombre des provinces surpassa bientôt celui des préteurs, il fut nécessaire de recourir à des prorogations. Du reste, conformément à la vieille règle, le proconsul était tenu de ne pas partir avant l'arrivée de son successeur. D'ordinaire, le nouveau gouverneur ne se rendait pas dans sa province dès le commencement de l'année, car il avait des prépa- ratifs à faire à Rome, et, de plus, l'hiver était une saison où l'on ne faisait pas volontiers des voyages par mer. Son gouvernement était donc à cheval sur deux années *. Une loi {lex Pompeia), votée sous le troisième consulat de Pompée, en 52, dépouilla du titre de pi^o consule les anciens préteurs misa la tête d'une province : ils durent se contenter du titre de pro praetore']usqu'k ce que César leur eût rendu celui de proconsul. La même loi décida que la durée de leurs fonctions n'excéderait pas une année, comptée depuis le jour de leur arrivée dans la province. Cette année révolue, ils étaient tenus de partir, sans attendre leur remplaçant, mais ils devaient laisser un suppléant, pour faire l'intérim. Un intervalle de cinq ans s'écoulerait désormais entre la magistrature urbaine et le gouvernement provincial. Mais cette prescription ne fut pas immédiatement appliquée et, trois ans plus tard, éclata la guerre civile, qui plaça l'Afrique dans des conditions exceptionnelles'^. XIII, 6) : « M. Cicero Q. Valerio, Q. filio), Orcae pro co{n)s(uie). • Le gouverneur de la province n'en était pas moins un ancien préteur, non un ancien consul, et, dans le langage courant, on le qualifiait parfois de praetor, comme par le passé. Gicéron, Pro Caelio, 4, 10 : (Gatiiina) « .\fricam tum [en 66] praetor optinebat. » De viris illuslr., 74 : (Lucullus) « praetor Africam iustissime rexit. • 1. Gatiiina, qui était gouverneur de l'Afrique en 66 (Gicéron, Pro Caelio, 4, 10), quitta cette province au milieu de l'année, au plus tard, car il était à Rome avant les élections consulaires (celles-ci se faisaient alors en juillet) : Asconius, édit. Kiessling et Scholl, p. 58, 79-80. Son gouvernement chevaucha donc les années 67-66. 2. Au début de cette guerre, en janvier 49, L. iEliu? Tubéron, ancien préteur, obtint régulièrement le gouvernement de l'Afrique, alors vacant. Il fut désigné LA PROVINCE ET LE GOUVERNEMENT UE ROME. 21 A l'époque républicaine, VAfrica, province de peu d'impor- tance, paraît n'avoir été administrée que par des personnages de rang prétorien. Le Sénat eût pu décider qu'elle serait un des deux départements que les consuls auraient à tirer au sort entre eux. Rien ne prouve qu'il l'ait jamais fait. Un des consuls de 118, M. Porcins Cato, mourut en Afrique*. Ce fut aussi l'année de la mort du vieux roi de Numidie, Micipsa. La manière dont sa succession se réglerait ne pouvait pas laisser le Sénat indifférent, et il est permis de supposer que Caton avait reçu pour cette raison - une mission temporaire, laquelle n'aurait pas modifié l'administration de la province. Car il n'y a pas lieu de croire que VAfrica lui ait été attribuée pour toute la durée de son consulats Depuis une loi que C. Gracchus avait fait voter en 123, les départements consulaires devaient être désignés par le Sénat avant l'élection des consuls auxquels ils seraient confiés : donc vers l'automne de 119 pour les consuls de 118; à cette époque, la succession de Micipsa ne pouvait inquiéter les Romains, puisqu'elle n'était pas ouverte. Quelques années plus tard, des consuls exercèrent leur autorité dans la province. L. Calpurnius Bestia, Sp. Postumius Albinus, Q. Ceecilius Métellus, C. Marius, consuls en 111, 110, 109 et 107, furent successivement chargés de conduire la guerre contre Jugurtha : les deux derniers, non seulement pendant l'année de leur consulat, mais aussi après, comme proconsuls \ Le département qui leur fut confié fut la Numidia % par le Sénat parmi ceux qui durent tirer au sort les provinces prétoriennes à pourvoir: Gicéron, Pro Ligario, 7, 21; 8, 23; 9, 27; César, Bell, civ., I, 30, 2. 1. Auiu-Gelle, Xlll, 20 (IQ), 10 : « in eo consulatu in Africam profectus, in ea provincia mortem obit ». 2. Fallu de Lessert, Fastes, I, p. 5. Voir une autre hypothèse à ce sujet, infra, p. 66. 3. Du reste, les termes dont .\ulu-Gelle se sert {supra, à la note 1) paraissent s'opposer à celte hypothèse. 4. Après son consulat, Métellus avait été prorogé par le Sénat. Peut-être la loi spéciale qui chargea le consul Marius de la guerre contre Jugurtha ne flxa-t-elle pas de date pour la fin de son commandement : à l'expiration de son consulat, il serait devenu proconsul sans avoir besoin d'une prorogation : u. infra, p. 223. 5; Salluste. /ufif., XXVII, 3; XXXY, 3; XLllI, 1; LXIl, 10; LXXXII,2; LXXXIV, 1. 22 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. pays ennemi, et non pas l'yl /"Wca romaine. Leur commandement ne s'en étendit pas moins sur cette province, où les troupes débarquaient' et qu'elles avaient à traverser, où, pendant les premières années de la guerre, elles prenaient leurs quartiers d'hiver^ et d'où elles tiraient sans doute une partie de leurs approvisionnements. Pourtant YAfrica gardait son gouverneur de rang prétorien, subordonné, il est vrai, au consul ou proconsul qui conduisait les opérations militaires ^ Le cas fut différent en 81, lorsque Pompée vint combattre le Romain Domitius Ahénobarbus, alors maître de la province, et le roi numide Hiarbas. Ce jeune homme n'avait pas encore été magistrat, mais le Sénat lui avait conféré Vimperium^ qui lui permettait de commander une armée*. Il s'acquitta de sa tâche dans une rapide campagne. De retour à Utique, il reçut de Sylla l'ordre d'y attendre lepréteur [plus exactement l'ancien préteur^] qui le remplacerait ^ On voit que, dans cette province qu'il avait reconquise. Pompée faisait fonctions de gouverneur; la paix rétablie, VAfrica retrouva son administration régulière. Au cours de son éclatante carrière. Pompée eut, deux fois encore, à intervenir dans la province. En 67, au début de l'année, le tribun Gabinius fit voter par le peuple une loi qui créait, pour trois ans, un commandement extraordinaire contre les pirates, devenus un fléaii intolérable'. Le personnage consulaire qui en serait chargé l'exercerait, non seulement sur la Méditerranée, mais aussi sur toutes les régions 1. Jug., XXVIIl, 7; LXXXVI, 4. 2. Ibid., XXXIX. 4; LXI, 2. 3. Dans l'hiver de 106-5, Marius, qui était à Cirta, appela d'Utique L. Billienus, préteur (c'était le p;ouverneur de VAfrica) : Salluste, ibid., GIV, 1. 4. V. infra, p. 283-4. 5. Une loi venait de décider que tous les préteurs exerceraient désormais leur charge à Rome et que les provinces ne seraient plus gouvernées que par d'anciens préteurs, avec le titre de pro consule : v. supra, p. 19-20. . C. Plutarque, Pompée, 13 : xôv SiaÔ£$ô(i.£vov axçxxzri'fôw. 7. Voir les renvois aux textes dans Drumann, Geschichte Poms; 2* édit. par Groebe, IV, p. 415. LA PIIOVINCE ET LE (ÎOUVEHNEMENT DE ROME. 23 côtières, jusqu'à cinquante milles (74 kilomètres) de la mer' : ce qui, pour VAfrica, répondait à presque toute l'étendue du territoire provincial. Il aurait quinze lieutenants. Ce proconsul serait désigné par le Sénat. Ce devait être et ce fut Pompée. II fit voter une autre loi, qui lui donna le droit, s'il le jugeait nécessaire, d'accroître jusqu'à 500 vaisseaux la flotte mise à sa disposition, jusqu'à 120 000 hommes le nombre des soldats qu'il pourrait enrôler, de s'adjoindre 24 [ou 25] lieutenants. Ceux- ci, que le Sénat nomma sur ses propositions et qui eurent le titre de legatus pro ])raetore'^^ reçurent chacun un département maritime. A Cn. Cornélius Lentulus Marcellinus incomba la défense des côtes africaines^ : on a retrouvé la base d'une statue que lesCyrénéens lui élevèrent, en témoignage de reconnaissance à « leur sauveur » *, Les souverains alliés, — par conséquent les rois de Numidie et de Maurétanie, — furent invités à seconder cet immense effort ^ Pompée lui-même prit la mer, avant que la mauvaise saison fût terminée. Il se rendit en Sicile, en Afrique, en Sardaigne, et y établit des stations navales et des garnisons ^ En quarante jours, la Méditerranée occidentale fut nettoyée'. Au commen- cement de l'année suivante, le vainqueur fut chargé, par la loi Manilia, de la guerre contre Mithridate et, si ce nouveau commandement ne mit pas fin au premier, il empêcha Pompée de l'exercer en Occident. Les pouvoirs extraordinaires que lui 1. Yelléius Paterculus, II, 31, 2. Jusqu'à 400 stades (ce qui revient au même) : Plutarque, Pompée, 25; Appien, Bell. Milhr., 94. 2. Inscr. Graecae ad res Rom. pertin., I. 1040 : TrpsaoîvTàv àvTiaTpotTayov. 3. Appien (Bell. Mithr., 93) dit que, pour l'Afrique, la Sardaigne et la Corse, les légats de Pompée furent Lentulus Marcellinus et P. Atilius. Florus (I, 41, 9) indique Atilius pour le Ligustinus sinus, et Lentulus Marcellinus pour le mare Libycam. 4. Inscr. Gr. ad r. Rom., l. c. 3. Appien, L c, 94. 6. Cicéron, De imp. Cn. Pompei, 12, 34 : (Pompée) " qui noudum lempestivo ad navigandum mari Siciliam adiit, Africam exploravit, in Sardiniam cum classe venit, atque haec tria frumenlaria subsidia rei publicae flrmissimis praesidiis classibusque munivit. » T. Plutarque, Pompée, 26, 24 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. avait conférés la loi Gabiiiia n'avaient cependant pas placé officiellement les gouverneurs des provinces sous ses ordres'; celui qui administrait alors l'Afrique, le trop fameux Catilina% conservait une autorité dont il abusait largement. Dix ans plus tard, la renaissance de la piraterie et les accaparements des spéculateurs causaient de grandes inquié- tudes pour l'alimentation de Rome : le blé, fourni surtout à cette époque par la Sicile, la Sardaigne et l'Afrique % était rare et cher. Sur l'invitation du Sénat, les consuls firent voter, dans l'automne de 57, une loi qui chargea Pompée, pour cinq ans, de pleins pouvoirs, à l'efîet d'assurer l'approvision- nement en céréales* , avec surveillance de tous les ports, de tous les marchés, quinze légats pour l'assister, argent, flotte, armée, imperium proconsulaire en Italie et en dehors de l'Italie "', sans que, pourtant, les gouverneurs lui fussent subordonnés ^ En avril 56, — selon le calendrier officiel, c'est-à-dire en mars du calendrier julien, — il se mit en route. Tout le monde croyait qu'il se rendait en Sardaigne et en Afrique. Il allait à Lucques, où il se rencontra avec César et Crassus et renoua le triumvirat'. Il passa ensuite en Sardaigne % puis en Sicile et en Afrique; il y recueillit beaucoup de blé^ 1. Velléius Paterculus, II, 31, 2 : (la loi décide) ■< ut... esset ei [= Pompeio] imperium aequum ia omnibus provinciis cum proconsulibus usque ad quinqua- gesimum miliarium a mari ». Il s'agit ici de fouies les provinces, dont les gou- verneurs portaient tous alors le titre de pro consule {v. supra, p. 19), et non pas seulement des provinces gouvernées par d'anciens consuls. Pompée ne reçut donc pas, dans les provinces confiées à d'anciens préteurs, le droit de com- mander à ceux-ci (opinion de Mommsen, Rom. Staatsrecht, 2* édit., II, p. 636, n. 1). 2. Il gouverna la province en 67-66 : v. supra, p. 19, n. 5, et p. 20, n. 1. 3. Gonf. p. 23, n. 0. 4. Cicéron, Ad Attic, IV, 1, 7 : « omnis potestas rei frumentariae toto orbe lerrarum ». 5. Dion Cassius, XXXIX, 9, 2. 6. Le tribun Messius avait, par surenchère, demande que Pompée reçût « maius imperium in provinciis quam sit eorum, qui eas obtineant » (Cicéron, /. c). Mais cette proposition ne fut pas adoptée : voir Willems, Le Sénat, 2° édit.. Il, p. 386. 7. Cicéron, AdfamiL, 1, 9, 9. 8. Cicéron, l. c. 9 .Plutarque, Pompée, 50; Apophlh., Cn. Pompeius, 12 (édit. de Plutarque de la coll. Didot, Moralia, 1, p. 248). La province et le gouvernement de home. 25 Pendant le consulat qu'il géra avec Crassus en 55, une loi Trébonia créa en leur faveur deux grands gouvernements, qu'ils devraient garder cinq ans : l'un comprenant la Syrie et les pays voisins^ l'autre, les Espagnes. Celui-ci, après entente entre les deux collègues, fut attribué à Pompée, qui, sans sortir de l'Italie, se fit suppléer par des lieutenants, non soumis àun renouvellement annuel. En 52, ce gouvernement lui fut prorogé pour une nou- velle période de cinq ans. Plusieurs passages de Plutarque* et d'Appien- joignent aux Espagnes l'Afrique, que Pompée aurait reçue en même temps, pour deux périodes successives de cinq ans, et qu'il aurait fait administrer de la même manière. D'autres auteurs^ ne mentionnent que les Espagnes, et ils ont certai- nement raison*. Rien n'indique qu'entre 55 et le début de 49, époque où éclata la guerre civile, Pompée ait eu le gouver- nement de rx\frique et l'ait exercé par l'intermédiaire de lieute- nants. Au contraire, nous trouvons dans cette période des gouverneurs ordinaires, anciens préteurs, désignés par le sort% investis de leurs fonctions pour un an; nous voyons que l'un d'eux emmène avec lui un lieutenant, nommé parle Sénat; que, de sa propre autorité, il le charge de l'intérim, quand il quitte la province, en 50". Pompée n'intervient pas et n'a pas à intervenir'. 1. Pompée, 52 et 55; Caton le Jeune, 43; César, 28. 2. Bell, civ., II, 17 (et 23). 3. Velléius Paterculus, II, 48, 1. Florus, II, 13, 12. Dion Cassius, XXXIX, 33, 2, et 39, 4. 4. Conf. Drumann-Groebe, Gesch. Roms, III. p. 255. 5. Pour Attius Yarus, peu d'années avant 49. i'. supra, p. 19, n. 5 et (j. Pour L. MUus Tubéron, au début de 49, p. 20, n. 2. 6. Cicéron, Pro Ligario, 1, 2; 7. 20. 7. Après que la guerre civile eut éclaté, Vimperium de Pompée fut probable- ment étendu à l'Afrique et exercé, en son nom, par deux anciens gouverneurs de la province, Attius Varus et Considius Longus, qui prirent le titre de legatus pro praetore : voir t. VIII, 1. I, ch. i, § I. Mais cela n'a rien à voir avec les lois de 55 et de 52. 26 LA PROVINCE D'aFIUQUE SOUS LA HÉPUBLIQUK. Nous venons de mentionner un lieutenant, legatus, qui assistait le gouverneur. D'ordinaire, dans les provinces prétoriennes, il n'y en avait qu'un, et peut-être fut-ce le cas le plus fréquent pour l'Afrique. Cependant, en 45-44, C. Calvisius Sabinus eut deux, ou même trois légats', et, après lui, Q. Cornificius en eut au moins deux^; il est possible qu'il en ait été parfois ainsi dans des temps antérieurs. Ces légats étaient des sénateurs, que le gouverneur désigné choisissait volontiers parmi ses amis, ses parents, et proposait au Sénats Ils avaient à s'occuper de toutes les affaires que leur chef jugeait à propos de leur confier; ils étaient ses conseillers, ses auxiliaires ou ses délégués, surtout pour l'administration générale, le maintien de l'ordre, la juri- diction civile. Ils avaient qualité pour le remplacer entièrement, si, pour cause de départ ou de maladie, il devait renoncer à ses fonctions*. A rencontre des légats, le questeur de laprovince^ était investi de ses fonctions sans aucune intervention du gouverneur, auquel il était adjoint et subordonné. Le Sénat dressait tous les ans, avant l'entrée en charge des questeurs élus par le peuple, la liste des départements qu'ils auraient à tirer au sort. C'étaient des trésoriers payeurs, administrateurs de la caisse provinciale : ils recevaient les crédits alloués aux gouverneurs, prenaient 1. Cicéron, Philipp., III, 10, 26; AdfamiL, XII, 30, 7. 2. Cicéron, Ad famil., l. c. 3. C'était le Sénat qui faisait la nomination. Cicéron, Pro lAgario, 7, 20 : « Ligarium senatus legaverat. • 4. Pour Ligarius, laissé par Considius en Afrique, v. supra, p. 25, n. 6. En 44, Calvisius Sabinus, quittant la province, laissa deux légats à Clique : Cicéron, Philipp., l. c. Pour Fabius Hadrianus, qui gouverna VAfrica en 84-82, quelques érudits croyaient (à tort) qu'il l'avait fait en qualité de legalus : v. supra, p. 18. n. 3. 5. Une inscription latine d'Afrique mentionne un questeur de l'époque répu- blicaine (vers 60 avant J.-C.) : Cagnat et Merlin, Inscr. lat. d'Afrique, 422. LA PIIOVINCK KT LK (lOlIVKIlNKMENT DK HOME. 27 livraison du produit des impôts', fournissaient les fonds néces- saires aux dépenses civiles et militaires, versaient, s'il y avait lieu, les excédents au Trésor romain. En cas de départ ou d'indis- ponibilité, le gouverneur pouvait désigner comme son remplaçant le questeur, qui portait alors le titre de quaeslor pro praetore^. Celui-ci était même plus qualifié que les légats pour faire l'intérim, car, officiellement, il était le second personnage de la province. D'autres Romains, choisis par le gouverneur, qui notifiait leurs noms au Sénat, étaient des « amis », des « compagnons », amici, comités^ contubernales. Entretenus aux frais de l'Etat, ils formaient l'entourage et la suite du préteur, l'assistant surtout dans l'administration de la justice. Il y avait parmi eux des jeunes gens de l'aristocratie, qui, sous un beau ciel et sans bourse délier, faisaient leur éducation politique^ A ces hommes de qualité, parmi lesquels se glissaient sans doute des parasites, mais qui, en somme, n'étaient pas très nombreux, il faut joindre le personnel subalterne, les licteurs, appariteurs, hérauts, employésdebureau,etc.Ilestàcroirequ'une bonne partie d'entre eux restaient dans la province, à la dispo- sition des gouverneurs et questeurs qui s'y succédaient et aux- quels leur connaissance du pays et des gens pouvait être utile. Cependant certains venaient et partaient avec ces magistrats : par exemple, des scribes du Trésor de Rome, chargés de tenir la comptabilité des sommes allouées par l'Etat. Sauf en cas de tournée ou de mission, tout ce monde résidait auprès du gouverneur, à Utique'. Avant la chute de Carthage, 1. Voir plus loin (p. ."J3), à propos de deux dédicaces à des questeurs d'Afrique, hommages qui paraissent avoir eu quelque rapport avec la levée des impôts. 2. Un qÇuaestor) pro pr{aetore) est mentionné sur une inscription africaine de 44-42 avant J.-C. : C. /. L., YIII, 24106. 3. Cicéron, Pro Cn. PLancio, II, 27 : « adolescentulus cum A. Torquato profectus in Africam.... Contubernii necessitudo... >• (vers 70). Le môme, Pro Caelio, 30, 73 : « in Africam profectus est Q. Pompeio pro consule contubernalis •• (en 62). 4. Utique, résidence du gouverneur en 106-10.5 : Sallusle, Jug., CIV, 1. En 82 : Cicéron, Verrines, Act. Il, i, 27, 70; Valère-Maxime, IX, 10, 2; Paul Orose, Adv. pagan., Y, 20,3; Pseudo-Asconius, dans l'édition de Cicéron d'Orelli, V, 2, p. 179. 28 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. c'était la seconde ville d'Afrique': elle en devint la première en l'année 146. Sa défection opportune au début de la dernière guerre punique lui avait valu le titre de cité libre : officiellement, elle était en dehors du sol provincial appartenant au peuple romain. Mais les ressources qu'elle offrait et sans doute surtout sa situation maritime, en face de la Sicile, la firent juger propre à servir de capitale à la province-. Naturellement, le gouverneur ne pouvait pas y être traité comme un hôte : dans son palais^ avec son brillant cortège de Romains, sa domesticité et sa garde de cavaliers et de fantassins, les licteurs portant les insignes de son imperium^ il faisait figure de maître. Il l'était vraiment, sur toute VAfrica, malgré les droits qui appartenaient au Sénat dans l'administration provinciale. Droits fort étendus, du moins en théorie. C'est le Sénat qui fixait annuellement les forces militaires et navales mises à la disposition du gouverneur; les crédits destinés aux dépenses publiques {sumptus pi^ovinciae), solde des troupes et du personnel subalterne, achat de vivres pour les soldats, entretien des légats, du questeur, de l'entourage du préteur; la somme forfaitaire allouée à celui-ci pour ses frais de voyage et de résidence (vasarium). C'est au Sénat qu'il appartenait de surveiller les actes de ce représentant de l'autorité romaine, de lui imposer au besoin le respect du statut de la province (lex provmciae), des lois et sénatus-consultes qui avaient complété ou modifié le statut.. 11 pouvait lui envoyer des instructions et lui demander des rapports; examiner les comptes qui devaient être remis Le gouverneur d'alors est appelé par Diodore (XXXVIII, 11) -rôv (7TpaTT,-ôv t?,; 'ItÛxy);. En 49, c'est à Utique que P. Attius Varus prend possession du gouverne- ment de la province : Cicéron, Pro Ligario, 1, 3. En 44, c'est encore à Utique qu'un gouverneur, quittant l'Afrique, laisse deux légats : Cicéron, Philipp., III, 10, 26. Statue élevée à Utique, vers 60, à un questeur par des stipendiarii de trois pagi de la province : Gagnât et Merlin, Inscr., 422. 1. Strabon, XVII, 3, 13. Appien, Lib., 75. Conf. t. !I, p. 145. 2. Strabon {l. c.) dit qu'après la destruction de Garthage, Utique devint pour les Romains comme une métropole et une place d'armes en .Afrique. 3. Tite-Live, Epit. l. LXXXVI, et Pseudo-Asconius, i. c. : « in praetorio suo ». LA PROVINCE ET LE GOUVERNEMENT DE ROME. 29 aux questeurs urbains en justification de l'emploi des crédits {vasarium excepté); donner audience aux députés des provin- ciaux, qui, par l'intermédiaire des consuls, soumettaient à l'as- semblée leurs plaintes : ce qui arriva en ôÇt^ alors que Catilina était proconsul en Afrique', et peut-être une trentaine d'années plus tôt^. Mais, en fait, le Sénat n'usait guère de ses droits de contrôle. Il n'avait ni le temps, ni le désir d'entrer dans de menus détails d'administration, de finances, de justice; il était peu disposé à donner raison à des sujets contre un de ses membres; enfin, n'exerçant lui-même aucune juridiction, il était dépourvu du moyen le plus efficace de réprimer les abus. Il est vrai que d'anciens gouverneurs pouvaient être accusés de concussions ou d'autres crimes devant des tribunaux spé- ciaux {quaestiones perpeluae) et, s'ils étaient reconnus coupables, être condamnés à l'exil, à des restitutions pécuniaires, même à la confiscation de tous leurs biens. Le droit de les traduire ainsi en justice était ouvert aux sujets, aussi bien qu'aux citoyens. Mais il y avait là un gros risque à courir, même si les plaignants comptaient sur l'appui de puissants patrons^ L'accusé avait d'ordinaire des amis influents, souvent des complices dans le Sénat et dans l'ordre équestre : or ces tribunaux furent formés successivement de sénateurs, de chevaliers (de 123 à 81), de sénateurs (de 81 à 70), enfin de sénateurs, de chevaliers et d'une autre catégorie de citoyens. Poursuivi pour concussions en 66-65% Catilina fut acquitté; P. Clodius, qui s'était chargé de 1. Asconius, édit. Kiessling et SchôU, p. 75-7li : « (Africam) cum graviter vexasset, legati Afri iu senatu etiam tum absente illo questi sunt, multaeque graves sententiae de eo in senatu dictae sunt. » Conf. ibid., p. 79. 2. En 95, Hortensius, alors âgé de dix-neuf ans, « in senatu causam défendit Africae » : Cicéron, De oral., III, 61, 229. On ne sait pas de quoi il s'agit. 3. En 65, les accusateurs de Catilina furent soutenus par Q. C;ecilius Métellus Pius, consul en 80, fils du Métellus qui avait combattu Jugurtha (voir note suivante). 4. Salluste, Catil., XVIII, 3 ; « pecuniarum repetundarum reus ». Asconius, p. 8, 58, 76, 80. Cicéron {In loga candida, fragm. 8), s'écriait ironiquement : GsELL. — Afrique du Nord. VII. 3 30 LA PROVINCE U'APRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. soutenir la cause des Africains, les avait, dit-on, trahis, en s'entendant avecl'ancien proconsul'. Le gouverneur restait donc libre d'user et abuser de ses pouvoirs, qui étaient très g-rands, et, sur les non-citoyens, presque absolus. Nous n'avons, à cet égard, aucun renseignement pour l'Afrique, dontla condition était évidemment la même que celle des autres provinces. Parmi les tâches diverses qui incombaient au préteur, propré- teur ou proconsul, les principales étaient la juridiction et le maintien de l'ordre. Assisté de conseillers, il rendait la justice dans sa résidence d'Utique, et peut-être aussi dans des assises, tenues à dates fixes dans d'autres villes, chefs-lieuxde ressorts judiciaires^. Pour la juridiction criminelle, qu'il ne pouvait pas déléguer, il avait le droit de vie et de mort sur les sujets, mais non sur les citoyens romains. La juridiction civile réclamait une très large part de son temps : le proconsul d'Afrique Cornificius reprochait à Cicéron de ne lui écrire que pour lui recommander des plaideurs'. Cependant, le gouverneur ne jugeait pas, en général, lui-même le fond des affaires : il accordait aux parties un juge pour examiner les faits et, si tels faits étaient reconnus exacts, pour rendre la sentence qu'il indiquait par avance. D'autre part, il pouvait donner mandat au questeur, au légat, à un Romain de son entourage d'exercer en ses lieu et place ses pouvoirs judi- ciaires dans des procès civils. Le questeur avait une juridiction qui lui était propre et qui concernait surtout les litiges com- merciaux. « Mentitos esse équités Romanos, falsas fuisse tabellas honestissimae civitatis existimo, mentitum Q. Metellum Pium, mentitain Africain. » Il s'agit des accu- sateurs de Gatiliaa, mais nous ignorons de quoi ils l'accusaient. 1. Cicéron, l. c. ; De harusp. resp., 20, 42. Asconius, p. 58, 76, 78,80, 82. 2. On n'a pas de preuves de ces tournées dans la province d'Afrique à l'époquo républicaine. 3. Cicéron, Ad famil., XII, 30, 1. La PnoVlNGK lîT LK GOUVERNEMENT DE ROME. 31 VI Pour maintenir l'ordre et la sécurité, le gouverneur disposait d'une force armée. Contre les dangers extérieurs, le fossé creusé par Scipion Emilien,de Thabracaà Tlifense, n'avait aucune efficacité : c'était une limite, et non pas un ouvrage défensif*. Mais, au delà, le royaume de Numidie constituait pour la province une vaste zone de protection, dont les maîtres étaient, en réalité, des vassaux de Rome. Pourtant, il eût été fort imprudent de trop se reposer sur des gens dont la perfidie était proverbiale et qui en donnèrent souvent des preuves. Même quand on se croyait sûr des rois, on pouvait craindre des attaques de leurs sujets^ indociles et turbulents, surtout des nomades, prompts à se déplacer et enclins aux razzias. Au Nord et à l'Est de VAfrica^ se développait une longue étendue de côtes, exposées aux incur- sions des pirates. Dans le dernier siècle de la République, ceux-ci possédaient de véritables flottes, aussi redoutables aux riverains de la ^Méditerranée qu'aux navires qui transportaient passagers et marchandises. Enfin la paix pouvait être troublée dans la province même, soit par des bandes de malfaiteurs, soit par des révoltes. Nous ignorons s'il y eut des soulèvements d'indigènes entre le milieu du second siècle et le milieu du premier. Nous ne connaissons qu'une émeute, qui éclata à Utique, en 82, et qui eut pour auteurs, non des Africains, mais des citoyens romains, désireux de se débarrasser d'un gouverneur, devenu un tyran-. Les sujets de Rome se montrèrent sans doute plus patients. Mais il impor- tait de prendre contre eux des précautions militaires, d'autant plus que la République ne fonda dans la province aucune de 1. Gagnât, L'Armée romaine d'Afrique, 2" édit., p. XI. 2. V. infra, p. 280. 32 LA PROVINCE d'aPKIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. ces colonies qui étaient de solides points d'appui et de résistance en pays conquis. Les effectifs des troupes ont pu varier selon les besoins et les menaces : nous avons dit que le Sénat les fixait tous les ans. En 125, selon un auteur dont Paul Orose' et saint Augustin^ sont les échos, il y aurait eu 30 000 soldats réunis près d'Utique; une peste terrible en aurait emporté 20 000 en quelques jours'. Ces chiffres, empruntés peut-être par Tite-Liveàun annaliste coutu- mier dételles exagérations, sont certainement inexacts*. Aladale indiquée, rien ne paraît avoir pu justifier l'entretien d'une armée aussi nombreuse dans une contrée aussi peu étendue. En 81, Pompée, étant revenu à Utique après la guerre qu'il venait d'achever victorieusement, reçut de Sylla l'ordre de licencier son armée, sauf une seule légion, et d'attendre avec elle l'arrivée de son successeur à la tête de la province^ : cette légion représen- tait probablement l'effectif du temps de paix. Au commence- ment de l'année 49, il semble bien qu'il n'y ait eu dans VAfrica qu'une seule légion'' : environ 4 000 hommes, citoyens romains, auxquels pouvaient être adjointes des troupes auxiliaires. Dans quelle mesure cette armée se recruta- t-elle en Afrique? Nous ne saurions le dire. Les citoyens romains, aptes à devenir des légionnaires, ne faisaient pas défaut en ce pays, malgré l'absence de colonies. Au début de la guerre civile, Attius Varus y recruta très rapidement deux légions^ Mais on était alors en temps de crise et de levées extraordinaires. 1. Adv. pagan., V, 11,4. 2. Civ. Dei, 111, 31. 3. Conf. t. I, p. 137. 4. M. Gagnât {l. c, p. XV) fait remarquer que l'année régulière de Numidie, à l'époque impériale, était loin d'être aussi nombreuse. 5. Plutarque, Pompée, 13. Conf. sapra, p. 22. 6. Il y en avait trois quelques mois plus tard, lors du débarquement du Gésarien Gurion (César, Bell, civ.. Il, 23, 4, comparé avec I, 31, 2). Mais deux d'entre elles venaient d'être levées par Attius Varus {ibid., I, 31, 2). 7. Voir note précédente. Les légions qui furent ensuite formées par les Pom- péiens se composaient en grande partie de gens qui a'étaient pas des citoyens habitant la province d'.\frique. LA PIKJVIXCI': ET LE (iOL'VERNEMENT DE ROME. 33 Les sept cités qui furent déclarées libres en 146, et auxquelles il faut joindre depuis 111 Leptis la Grande, auraient pu fournir des soldats'. Pendant la guerre entre César et Juba I", Leptis en envoya au roi numide-. Des gens d'Utique paraissent avoir servi en 81 sous les ordres de Pompée, lorsqu'il vint faire campagne en Afrique •'. Mais rien n'atteste qu'en temps normal, ces villes aient mis des troupes à la disposition de Rome, ni même qu'elles aient été tenues de le faire dans des circonstances graves\ Comme, sauf une seule (Theudalis), elles étaient situées sur le littoral, on peut se demander si leurs devoirs d' «amitié» envers Rome ne les obligeaient pas à l'aider de leurs vaisseaux quand elle en avait besoin. Il faut constater, cependant, que nous n'avons aucun texte qui nous autorise à l'affirmer^; nous ne savons même pas si les villes dont nous parlons possédaient des navires de guerre : le port intérieur, appelé cothon\ et l'arsenal maritime' dont il est fait mention à Hadrumète dataient sans doute de l'époque punique, et l'arsenal n'existait plus dès la lin du second siècle\ Carthage avait astreint ses sujets au service militaire'. En 1. Carthage avait fait des levées dans les colonies phéniciennes et puniques du littoral : voir t. II, p. 296-7. 2. Bell. Afric, XCVII, 3 : les Leptitains ont aidé Juba ■. armis, militibus, pecunia ». 3. Cicéron, Pro Balbo, 22, 51 : (Pompée) « ex bello ilio Africano ... quosdam Uticenses civitate donavit. » 4. Au temps de la guerre de Jugurtha, Leptis, devenue l'amie et l'associée de Rome, . exécuta avec zèle, dit Salluste {Jug., LXXVII, 3), tous les ordres qu'elle reçut de Bestia, d'Albinus, de Métellus », qui commandèrent alors en Afrique. Nous ignorons quels furent ces ordres. 11 n'est guère probable que les magistrats de Leptis aient fourni des troupes aux généraux romains, car, en 108, ce fut Métellus qui leur en envoya sur leur prière (Salluste, LXXVII, 1 et 3). 5. Nous ne trouvons pas de mentions de vaisseaux fournis par des villes libres d'Afrique à la flotte pompéienne, lors de la guerre civile. Attius Varus, amiral de cette flotte, ayant besoin de rameurs et de soldats, emplova des Gétules : Bell. Afric. LXli, 1. G. Bell. Afric, LXII, 5; LXIII, 5 et 6. 7. Strabon, XVII, 3, 16. 8. Strabon (l. c), qui copie peut-être Artémidore, parle de cet arsenal au passé : vecôp'.a r,v. 9. T. II, p. 304. 34 LA PROVINGK D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE, règle générale, la République romaine n'estimait pas prudent d'imposer aux siens la même obligation'. Mais de pressantes nécessités purent faire accepter des engagements volontaires-, et les Pompéiens, quand ils se préparèrent à combattre César, n'hésitèrent pas à soumettre les indigènes de VAfrica au recru- tement forcée Les princes numides et maures, alliés à la République, lui prêtaient leur concours en temps de guerre, s'ils en étaient requis, non seulement dans le Nord de l'Afrique, mais même ailleurs*. En cas de luttes civiles, il leur appartenait d'apprécier de quel côté leur intérêt devait voir la véritable Rome. On ignore si, en temps de paix, des auxiliaires numides et maures faisaient partie de l'armée de la province. D'après Paul Orose^, toute cette armée aurait été, en 125, rassemblée dans le voisinage d'Utique. A l'époque impériale, la plupart des troupes étaient établies le long des frontières, en Afrique comme dans d'autres contrées, mais ce fut là un système inauguré par le nouveau régime. Il est, d'ailleurs, certain qu'auparavant, un camp important exista près d'Utique, à la disposition du gouverneur*^. En 49, il se trouvait sous les murs mêmes de la cité, entre celle-ci et le théâtre \ Peut-être avait-il été transféré là parce qu'on était en pleine guerre et 1. Mommsen, Rom. Staatsrecht, III, p. 738-9. 2. Des indigènes reçurent le droit de cité romaine en récompense de leur virtus : Cicéron, Pro Balbo, 18, 41 (conf. 9, 24). Ils avaient donc rendu des ser- vices eu combattant. 3. Bell. Afric, XX, 4 : « priore anno [en 47], propter adversariorum dilectus, quod slipendiarii aratores milites essent facti... • Je crois que stipendiarii désigne ici des sujets (v. infra, p. 48), non des gens recevant une solde, et qu'il se rapporte à aratores, non à milites (au chapitre XLIII, ce mot est, au contraire, pris dans le sens de soldat). 4. Voir t. V, p. 145, n. 1. 5. Adv. pagan., V, 11, 4 : • Apud ipsam Uticam civitatem triginta milia mili- tuni, quae ad praesidium totius Africae ordinata fuerant, etc. » Cette indication vient probablement de Tite-Live. 6. Utique, dit Strabon (XVII, 3, 13), servait aux Romains de place d'armes pour ce qu'ils avaient à faire en Afrique. Voir aussi infra, p. 28."). 7. César, Bell, civ., 11, 25, 1. Pour l'emplacement, voir Veith, Antike Schlacht- felder in Afrika (dans Ant. Schlachtfelder de Kromayer, t. III), pl. 16, LA PROVINCE ET LE GOUVERNEMENT DE ROME. 35 qu'il semblait nécessaire d'assurer une liaison très étroite entre la ville et l'armée qui pouvait avoir à la défendre et qui en tirait ses subsistances'. Quand la paix régnait, ce voisinage immé- diat aurait eu plus d'inconvénients que d'avantages. On peut donc se demander si le camp n'était pas à quelque distance : un emplacement favorable eût été, à trois kilomètres (à vol d'oiseau) d'Utique^, le promontoire où Scipion l'Africain s'était fortifié pendant la seconde guerre punique et qu'une armée romaine avait occupé de nouveau en 149 ^ Il paraît cependant difficile d'admettre qu'il n'y ait pas eu, sur d'autres points de la province, des troupes chargées, non seulement de maintenir l'ordre parmi les sujets, mais encore de parer à des attaques subites, venant soit du royaume numide, soit de la mer. Ces attaques menaçaient surtout les centres de population importants, où des pillards pouvaient amasser rapidement un gros butin. A l'époque carthaginoise, beaucoup de villes et de bourgs du territoire punique étaient protégés par des remparts*. Les Romains n'avaient aucune raison de démanteler les cités qu'ils déclarèrent libres en 146. De fait, un siècle plus tard, l'auteur du journal de la campagne de César et César lui-même mentionnent les murs de la plupart d'entre elles : Utique ', Hadrumète% Leptis la Petite \ Thapsus % AchoUa \ Ce n'étaient 1. Le camp des troupes que Gatoa commandait en 47-46 devait être, pour les mêmes raisons, tout auprès d'Utique. Florus (U, 13, 70) écrit : " Gato... positis apud Bagradam castris Uticara veluti altéra Africae claustra servabat. » C'est là simplement une phrase de rhéteur, car, à cette époque, le Bagrada ne passait pas près d'Utique : conf. t. U, p. 143-4. 2. César, Bell, civ., II, 24, 2 : « Is locus peridoneus castris habebatur. » 3. T. III, p. 219 et 348. En 49, Curion, le lieutenant de César, y établit aussi son camp : César, l. c, II, 37, 3. 4. T. II, p. 106 et 114. 5. César, Bell, civ., II, 25, 1 ; II, 36, 1. Une des portes d'Utique s'appelait la porta Bellica : ibid., II, 25, 1; Bell. Afric, LXXXVII, 2. 6. Bell. Afric, III, 3; V, 1 (« oppidi egregia munitio »). 7. Ibid., XXIX, 3 (« egregiam munitionem oppidi »). S. Ibid., LXXIX, 2; LXXX, 2; LXXXV, 1 (mention d'une porta Maritima) ; LXXXVI, 2. 9. Ibid., XXXIII, 4-5; XLIIL 36 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. pas les seuls lieux qui fussent alors fortifiés dans la province. Le même journal nous apprend que d'autres, situés à l'intérieur des terres, l'étaient aussi : Uzitta', Aggar-, Zeta% Thysdrus\ Parada". Il désigne sous les noms d'op/nda et de caslella des villes et des bourgades du littoral et de l'intérieur'^ : ces termes prouvent qu'elles étaient munies de remparts. Certains de ces centres avaient été mis tout récemment en état de défense par les Pompéiens : une inscription" l'atteste pour Curubis, dans la péninsule du cap Bon; elle mentionne des travaux, mur, tours, poternes, fossé, exécutés probablement en 49-48, et elle n'indique pas qu'il s'agisse de réfections. Mais, en général, les adversaires de César durent se contenter de réparer et de renforcer des remparts qui existaient avant eux : ce que Caton fit pour Utiqne ^ Si donc les Romains avaient démantelé une partie de ces places fortes pendant et après la troisième guerre punique, ils permirent ensuite aux habitants d'en relever les murailles. Une telle autorisation aurait été illusoire, s'ils ne leur avaient pas permis en même temps de posséder des armes, car, presque partout, la population avait à se défendre elle-même : il n'était pas dans les habitudes du gouvernement de Rome de multiplier et d'éparpiller les garnisons. De grandes fermes étaient aussi fortifiées. Le récit de la guerre de l'an 40 en mentionne une près d'Uzitta, au Sud d'Hadrumète : elle était flanquée de quatre tours \ 1. XLU, 2: LI, 2-3; LXXXIX, 1. 2. LXVil, 1. '.\. LXVlll, 4. 4. LXXVI, 2-3; LXXXVI, 5. 5. LXXXVIl, 1. 6. II, 6; VI, 6; XX, 5 (« oppida bene munita ••); XXVI, 0. Une inscriplion, qui n'est pas de beaucoup poslérieuie à la guerre d'Afrique, mentionne 83 caslella dans la région de Carthage : (1. I. L., X, 6104. 7. C. /. L., Vlll, 24099. 8. Plutarque, Caton le Jeune, 58. Bell. Afric, LXXXVHI, 5. 9. Bell. Afric, XL, 1 : <■ villa permagna, turribus IV instructa •>. LA PROVINCE ET LE GOUVERNEMENT DE ROME. 37 Le long des côtes, les Carthaginois avaient élevé des tours de guet, pour découvrir et signaler les vaisseaux suspects. Des textes latins en parlent : on les appelait parfois tours d'Hannibal '. Elles étaient trop utiles pour qu'on renonçât à s'en servir^. Toutes ces mesures défensives furent-elles efficaces? On en doute quand on apprend qu'en 67, lors de son commandement extraordinaire contre les pirates, Pompée s'empressa de venir établir en Afrique des garnisons et des stations navales \ Dans les campagnes, la sécurité restait précaire : indiquant l'usage de creuser, sous les fermes et les champs, des silos pour y enfermer les grains*, le compagnon de César l'attribue à la crainte d'invasions subites et de pillages'. Cependant, les fermes isolées paraissent avoir été nombreuses". Ce n'était pas là, nous l'avons dit^, un mode d'habitation fréquent chez les indigènes. Désireux d'être en sûreté, ils se groupaient d'ordi- naire dans des villages^, situés, autant que possible, sur des hauteurs : ce qui, naturellement, les contraignait à des pertes de temps et à des fatigues pour se rendre à leur travail. Si, sur le territoire romain, beaucoup de cultivateurs osaient vivre dispersés à travers la campagne, c'est qu'ils espéraient bien n'avoir pas à le regretter. 1. T. IV, p. 126-7. 2. Près de la mer, au Nord-Est de la plaine d'UzitIa, se dressent, sur plusieurs collines, « singulae turres speculaeque singulae perveteres » : Bell. Afric, XXXVII, 4. 3. Supra, p. 23. 4. Sur ces silos, voir t. IV, p. lC-17. 5. Bell. Afric, LXV, 1. 6. Salluste, Jag., XLIV, 5. Bell. Afric., IX, 1; XXVI, 6; LXV, 1; LXVII, 2: LXVIII, 2 et 3; XCI, 1. 7. T. V, p. 62 et 231. 8. Il en était ainsi sur le territoire de Garthage, comme ailleurs : voir t. II, p. 104-5. Selon Strabon (XVII, 3, 15), il y avait 300 <■ villes • dans les limites étroites où ce territoire élait enfermé à la veille de la troisième guerre punique. CHAPITRE II VILLES LIBRES, SUJETS, CITOYENS ROMAINS I Pendant la dernière guerre punique, et même, pour Utique, avant que cette guerre n'éclatât', sept villes avaient sponta- nément abandonné Carthage^ : comme le dit la loi agraire de l'année 111 ^ elles « étaient venues », elles « étaient restées dans l'amitié du peuple romain ». Lors du règlement des affaires d'Afrique, en 146, Rome leur accorda la « liberté ». Ce fut, de sa part, une concession gracieuse, qui pouvait être révoquée* par une loi ou un sénatus-consulte : la République ne se lia pas par un traité [foedus]^, qui aurait fait de ces villes des alliées, égales à elle en droit, et qui aurait engagé les deux parties. Ces « peuples libres » sont énumérés dans la loi de 111* : «... populorum leiber[o]rum Uticensium, H[adrumetinorum, TJampsitanorum, Leptitanorum, Aquillitanorum, Usalitanorum, 1. Voir t. III, p. 342. 2. Appien (Lib., 94) en indique cinq : Hadrumète, Leplis, Tiiapsus, Utique, Acholla. 3. C. I. L., I, 200 (= 585), 1. 79 : « in ameicitiam populei Romani prcxurnum [veneruni] » (la restitution de ce mot est certaine). L. 75 : « [in] ameicitiam populi Roraanei bello Poenicio proxsumo manserunt ». 4. Et qui le fut : cela est, du moins, certain pour l'immunité d'impôts, jointe en 146 à la liberté : v. infra, p. 40, n. 5. 5. Mommsen, Gesammelte Schriften, I, p. 125. 6. L. 79. Us sont encore mentionnés aux 1. 75, 76 et 85. VILLKS LIBRES. SUJETS, CITOYENS ROMAINS. 39 Teudalensium. » D'autres textes qualifient de cités libres lJtica\ Lepiis^, Zella^^ Acylla'' ou Acholla^. Il faut évidemment recon- naître dans cette dernière celle dont les habitants sont appelés Aquillitani par la loi : Acholla paraît avoir été la forme la plus correcte d'un nom qui fut écrit de diverses manières ^ Quant à la cité des Usalitani, on Ta identifiée' avec Uzalis^ ville men- tionnée dans des documents datant de l'Empire romain et située entre Utique et Bizerte. A quoi nous avons déjà objecté* que les terres concédées par Rome à Utique en 146 s'étendaient jusqu'à Bizerte^ : d'oii l'on peut conclure qu'il n'y avait pas dans l'intervalle place pour une cité autonome. D'autre part, la « Zella », ville libre dont parle Strabon*", doit se retrouver dans la loi, et ce ne peut être que la ville des Usalitani. Or, d'après les indications du géographe, cette « Zella » était dans la même région que Thapsus et Acholla. Il convient de l'iden- tifier avec la ville appelée Usula ou Usilla dans des documents postérieurs " : le nom a été altéré dans les manuscrits de Strabon et, ce qui est plus grave, dans le texte officiel d'une loi romaine, — texte qui n'est pas, du reste, exempt d'incor- rections — ; au lieu à' Usalitanoriun, il fallait écrire isillita- 7ioru7n, ou plutôt Usulitanorum. De ces sept villes, six étaient sur la mer : Utique sur le golfe de Tunis, Hadrumète, Leptis la Petite, Thapsus, Acholla et Usula s'échelonnant à de courts intervalles entre les golfes d'Hammamet et de Gabès. C'étaient de vieilles colonies phéni- 1. Cicéron, Pro Scauro, 19, 44 : « aniicam populo Romano ac liberam civitatem ». 2. Bell. Afric, VII, 1 : « oppidum Leptim, liberam civitatem et immunem •. 3. Strabon, XVII, 3, 12 : ZéV/.a v.al '.kyôllx, È>,£v8Epa'. tlÔae'.;. 4. Bell. Afric, XXXIII, 1 : >■ Acylla, civitate libéra et [immuni] » (restitution certaine). 5. Voir note 3. 6. T. II, p. 130, n. 4. 7. Voir t. II, p. 129. 8. Ibid. 9. Appien, Lib., 135. 10. Peut-être d'après l'ouvrage d'Artémidore, écrit quelques années après 111, 11. T. II, p. 129, 40 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. ciennes ou carthaginoises'. La septième, Theudalis, dont le passé nous est inconnu, était située à quelque distance du littoral, en arrière du lac de Bizerte-. En l'année 111, Leptis la Grande, entre les deux Syrtes, devint l'amie et l'associée du peuple romaine II se peut qu'en droit, sa condition ait été meilleure que celle des sept villes, et qu'un traité formel d'alliance l'ait unie à Rome. En fait, elle était évidemment plus indépendante, car elle restait en dehors de la province*, tandis que les autres villes s'y trouvaient enclavées. Le titre civitas libéra a été donné par les Romains à des cités dont la « liberté » était plus ou moins grande. Sous l'Empire, les civitates liherae d'Afrique étaient simplement des communes non romaines, — par conséquent dépourvues du titre de municipe ou de colonie, — qui avaient leurs magistrats propres, élus par elles et ne relevant que du gouverneur de la province: la libertas ne comportait pas l'exemption des impôts \ Celle 1. Sur ces villes, voir t. II, p. 144, 136, 135, 133, 130, 129. 2. V. ibid., p. 108. 3. Salluste, Jug., LXXVII, 2-3. 4. V. supra, p. lJ-10. 5. Dans ua document du règne d'Auguste, Pline l'Ancien a trouvé une liste par ordre alphabétique d'une trentaine à'oppida libéra de la province d'Afrique : il l'a reproduite (V, 30, où 18 villes sont énumérées; il en a distrait les autres, dont il a indiqué la qualité d'oppidum libcrutn au fur et à mesure qu'il les a nommées dans sa description de la Numidie et des côtes : V, 22, 24 et 25). Il s'agit de villes qui ne jouissaient certainement pas de l'immunité d'impôts, accordée, au contraire, à Theudalis, une des cités libres de l'époque républicaine : dans Pline (V, 23), elle est qualifiée expressément d'immune oppidum. Parmi ces oppida libéra, figurent quatre des populi déclarés liberi en 146: Uadrumète, Leptis (la Petite), Thapsus, Acholla (ville maritime que Pline a prise pour un lieu de l'intérieur). Bartliel (Zur Geschichte der rumischen Stiidte in Africa, p. 28 et suiv., 34-35, 40; Rom. Limitalion in der Provin: Africa, p. 83) a 80utenu, en s'appuyant sur des raisons très sérieuses, que h' document copié par Pline mentionnait, non pas toutes les cités de conditions diverses qui existaient dans la province d'Afrique, mais seulement celles qui avaient reçu sous Octave-Auguste le statut qu'elles possédaient lors de la rédaction de ce document (probablement antérieur d'un certain nombre d'années à la mort de l'empereur). Si cette opinion est fondée, il faut en conclure : l» qu'Hadrumète, Leptis, Thapsus et Acholla avaient été privées de la libertas dont elles jouissaient sous la République; 2° qu'Auguste la leur avait rendue, mais très diminuée, puisqu'elle ne comportait VILLES LIIUIES, SUJETS, CITOYENS KOMAINS. 41 que Rome concéda en 146 aux sept « peuples » fut beaucoup plus large. Leur territoire' ne fut pas compris dans le domaine du peuple romain-, domaine qui embrassait toute la province à l'exception de ces enclaves. Aussi ne le soumit-on pas à la grande opération d'arpentage, à la centuriation qui, selon toute apparence, fut décidée dès l'annexion ^ Nous n'avons pas de renseignements précis sur l'étendue des territoires des divers peuples libres*; quelques indices permettent de croire que celui d'Hadrumète s'avançait assez loin de cette ville vers le Nord-Ouest^ et vers le Sud^ Ces territoires, sur lesquels Rome ne se reconnaissait aucun droit de propriété, étaient exempts de tout impôt foncier^ L'impôt de capitation ne fut certainement pas appliqué non plus aux sept peuples. Leurs cités, sur lesquelles Cartilage plus l'immunité d'impôts (Barthel, Zur Geschichte, p. 36). Quant à Theudalis, elle aurait recouvré cette immunité, après en avoir été privée (i6Jd., p. 38). 1. « Ager intra flnis populorum leiber[o]rum, etc. » : loi de 111, 1. 79. 2. Cicéron, Leg. agr.. Il, 22, 58 : « agros in ora marituma,... quos P. Africanus populo Romano adiudicarit ". D'où l'on peut conclure qu'il existait, sur le littoral, des terres que Scipion et les décemvirs n'avaient pas comprises dans le domaine du peuple romain. C'étaient les territoires des cités libres. 3. V. supra, p. 18. 4. En dehors de la province, le territoire de Leptis la Grande était certaine- ment très vaste : voir t. Y, p. 200-1. 5. La centuriation de l'époque républicaine et celle de l'époque impériale, à laquelle le territoire d'Hadrumète fut soumis, se rencontraient à environ 35 kilo- mètres au Nord-Ouest d'Hadrumète : voir Barthel, Limitation, p. 5(5-57, pi. III. Mommsen a supposé (C. /. L., VIII, au n" 24094) que le territoire de cette ville s'étendait sous l'Empire jusqu'à Pupput (près d'Hammamet), à environ 05 kilo- mètres au Nord, mais cette opinion me paraît contestable. 6. Au i" siècle de notre ère, Hadrumète et Thysdrus, ville située à 60 kilo- mètres au Sud, avaient, semble-t-il, une limite commune : Frontin, De controv. agror., dans Gromatici veleres, I, p. 57. Cependant, il se peut que cette limite ait bordé, non pas le territoire propre d'Hadrumète, mais des terres qui lui auraient été rattachées en dehors de son territoire. Si l'on admet que, sous la République, celui-ci s'étendait loin vers le Sud, il faut supposer qu'il passait à l'Ouest des territoires de deux autres villes libres, Leptis et Thapsus. 7. Cicéron écrit {Verrines, Act. II, m, 6, 12) : « ..-. vectigal ... certum, quod sti- pendiarium dicitur, ut Hispanis et plerisque Poenorum. » Il y avait donc des Poeni qui n'étaient pas astreints au stipendium pesant sur le sol. C'étaient ceux des cités libres. Mommsen {Ges. Schr,, I, p. 133) et Marquardt [Rom. Staatsverw., 1" édit., II, p. 196, n. 7) croient qu'il s'agit aussi des indigènes qui cultivaient 42 LA PROVINCE D'AFHIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. avait sans doute fait peser des charges financières ^, étaient désormais liberae et immunes"^^ « libres et exonérées ». Elles jouissaient d'une pleine autonomie municipale; elles conservaient leurs lois et leur juridiction, du moins en matière civile et quand des Romains n'étaient pas parties aux procès. A l'époque punique, il y avait très vraisemblablement dans ces villes, commC;, en général, dans les villes phéniciennes^ des magistrats appelés sufètes, un conseil municipal, ou sénat, et une assemblée des citoyens ^ Celle organisation dut être maintenue : des textes menlionnent à Utique le sénat* et des archonteSj ap^ovTeç^, traduction grecque du terme sho- felim ^ Les cités libres purent-elles battre monnaie, droit que Carthage ne leur avait pas accordé? En tout cas, rien ne prouve qu'elles l'aient fait sous la République romaine. Une monnaie de bronze d'Hadrumète, offrant des légendes latines, a été attribuée à l'année 88 avant notre ère : on a cru y recon- naître le nom du préteur qui gouvernait alors l'Afrique'. Mais c'est là une mauvaise lecture. Cette monnaie date seulement d'un temps où une commune administrée par des ïlviri, donc romaine ou latine, existait à Hadrumète " : du règne d'Auguste des terres publiques soumises à la dîme^ et non des agri soumis à un stipendium fixe. l.T. n, p. 296. 1. C'est ainsi que l'auteur du Bellum Africuin qualifle Leptis la Petite et Acholia : u. supra, p. 39, n. 2 et 4. 3. Voir t. II, p. 290-2. 4. Bell. Afric, LXXXVIl, 2. 5. Appien, Lib., 113 (en 147). Plutarque, Caton le Jeune, 67 (en 46). 6. Les sufètes de Leptis la Grande sont mentionnés sur des inscriptions latines et néopuniques de cette ville : C. I. L., VIII, 7; Romanelli, Leptis Magna, p. 130 ; Levi délia Vida, dans Libya, 1927, p. 99, n. 2, et p. 105. C'était sans doute le titre que portaient déjà, à la fin du second siècle avant notre ère, les magistratus dont parle Salluste {Jag.. LXXVIl, 1). — Mentions des principes des Leplitains au milieu du i" siècle : Bell. Afr., XCVII, 3; des principes des Ulicains en 82 : Pseudo-Asconius, dans l'édition de Cicéron par Orelli, V, 2, p. 179. 7. L. Mûller, Numismatique de l'ancienne Afrique, II, p. 51, n° 25 (conf. ibid.. Supplément, p. 41-42). 8. Boissevain, Zeitschrift far Numismatik, XXIX, 1912, p. 110. VILLES LIBRES, SUJETS, CITOYENS ROMAINS. 43 ou de Tibère'. Des monnaies grossières, à légende punique ('TG), qui sont probablement plus anciennes ^, ont été attribuées à Utique, mais la chose n'est nullement certaine ^ Il est certain, au contraire, que Leptis la Grande a frappé des deniers d'argent' : fait unique, car toutes les autres monnaies municipales d'Afrique sont en bronze ; émission qui fut sans doute exceptionnelle et très courte, car on n'a trouvé qu'un fort petit nombre de ces deniers, tous du même type. Ils ne semblent pas antérieurs au milieu du I" siècle avant J.-G. ^ Nous croirions volontiers que Leptis les émit pendant les troubles de la guerre civile, vers 48-47 : les services qu'elle rendait alors, contre César, au roi de Numidie Juba*^ et aux Pompéiens^ pouvaient lui donner la tentation de jouer à l'Etat souverain. A l'octroi de la liberté, Rome joignit, en 146, une autre faveur. La commission des décemvirs concéda siux populi liberi^ en dehors de leur territoire, des terres^ qui restèrent en droit la propriété du peuple romain, les bénéficiaires n'en recevant que la jouissance ^ Nous savons que la République se montra très généreuse, à cet égard, pour les Uticains, dont les champs purent s'étendre jusqu'auprès de l'emplacement de Carthage (à une trentaine de kilomètres au Sud-Est de leur ville) et 1. C'est sous ces deux règnes que se placent, dans la province d'Afrique, les monnaies municipales à légendes latines qui peuvent être datées. 2. La légende est eu écriture punique, et non pas néopunique, comme celles des monnaies frappées dans la province sous les deux premiers empereurs. 3. Voir t. II, p. 144, n. 4. 4. Millier, l. c, II, p. 5, n° 13 (avec le nom de la ville en écriture punique et une lettre latine ou grecque). 5. Millier (II, p. 14, et SuppL, p. 35) les daterait volontiers de l'époque d'Auguste. 6. Bell. Afric, XCVII, 3. 7. Elle accueillit Gaton, lorsque, de la Cyrénaïque, il gagna par terre la pro- vince d'Afrique : Lucain, IX, 948-9. 8. Appien, Lib., 135. 9. La loi de 111 distingue nettement le territoire propre des peuples libres (l. 79 : « ager intra finis populorum leiber[o]rura ») et les terres que les décem- virs de 146 ont laissées, ont assignées, sur le domaine public, aux Ulicenses et aux autres peuples libres (1. 81, 75, 76, 85). 44 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPURLIQUE. jusqu'auprès de Bizerte (à la même distance au Nord- Ouest)*. On peut admettre que Rome sxipprima entièrement les entraves imposées par Carthage au commerce de ces cités maritimes^ et qu'elle favorisa ainsi leur développement écono- mique; il est vrai que, d'autre part, elle s'acquitta fort mal de la police de la Méditerranée, infestée de pirates. Naturellement, les villes libres voyaient en elle une protec- trice. En 108, les magistrats de Leptis la Grande, impuissants à maintenir l'ordre, envoyèrent demander une garnison à Métellus, qui conduisait la guerre contre Jugurtha^ Un demi- siècle après, la même cité, ayant des démêlés avec Juba P"", son voisin, se plaignit au Sénat; celui-ci nomma des arbitres, dont la sentence fut favorable à Leptis*. Pendant la guerre civile, les gens d'Utique, quoiqu'ils fussent sous la main des Pompéiens, étaient très bien disposés pour César, à cause des avantages qu'ils tiraient d'une lex Iulia " : il s'agit d'une loi que Jules César fit rendre en leur faveur, au plus tard en 59, dans l'année de son consulat, car il fut ensuite absent de Rome. Nous ignorons quel bienfait cette loi accorda a Utique. Mommsen^ et d'autres' ont supposé que ce fut la concession du droit latin, qui, entre autres privilèges, conférait la cité romaine aux magistrats municipaux. Hypothèse erronée, puisque, dans un plaidoyer prononcé en 54, Cicéron qualifie Utique d'arnica populo Romano ac libéra civilas^. Le statut de 1. Appien, l. c. 2. Voir t. II, p. 297; t. IV, p. 118 et suiv. 3. Salluste, Jug., LXXVIl, 1 et 3. 4. Bell. Afric. XCYII, 3. 5. César, Bell, civ., II, 36, 1 : « Uticenses pro quibusdam Caesaris in se bene- flciis illi amicissimi. • Bell. Afric, LXXXYII, 2 : « M. Cato, quod in Uticensibus propler beaeflcium legis luliae parum suis parlibus praesidii esse existi- maverat.... » 6. Ges. Schr., I. p. 12o. 7. Marquardt, Tissot, Toutain, Ed. Meyer, etc. 8. Pro Scauro, 19, 44. VILLRS LIIMIKS, SUJETS, ClTltVKNS HUMAINS. 45 la ville n'avait donc pas été modifié depuis 146 ; il ne le fui qu'en 3G, date où elle devint municipe romain'. Auparavant, des Uticains reçurent le droit de cité romaine ^ mais comme faveur personnelle. L'attitude bienveillante de Rome envers les villes libres d'Afrique ne pouvait lui attirer aucun danger. Sauf Leptis la Grande, elles étaient entourées par la province. Et même, à vrai dire, elles en faisaient partie \ bien que leur territoire ne fît pas partie du domaine du peuple romain. Elles étaient soumises à l'autorité supérieure du gouverneur, qui ne craignait pas trop d'en abuser'. C'est dans l'une d'elles, Utique, qu'il résidait ^ c'est tout près d' Utique qu'était le gros des troupes mises à sa disposition ^ Ces villes maritimes étaient nécessai- rement les portes de la province, par lesquelles les Romains devaient entrer et sortir en toute liberté, où ils devaient établir des douanes. Il n'est pas vraisemblable que les cités libres et leur territoire aient été des zones franches, ce qui eût trop facilité les fraudes : leur immunité financière ne semble donc pas avoir été complète. On peut se demander si elles n'avaient pas des obligations militaires et navales ^; si, pour la juridiction criminelle, les causes capitales n'étaient pas réservées au gouverneur. Nous verrons* que les citoyens romains domiciliés dans ces villes formaient, sous le nom de conventus, un groupe bien distinct, ne dépendant probablement que du gouverneur. En tout cas, ils n'étaient pas soumis à 1. Dion Cassius, XLIX, 16. 2. Cassius Dionysius d'Utique, qui dédia en 88 sa traduction grecque de Magon à un gouverneur d'Afrique (t. IV, p. 5), devait, d'après son nom, être citoyen romain. Des Uticains furent fails citoyens par Pompée, en 81 : supra, p. 33, n. 3. 3. Loi de 111, 1. 75 : « ... [populjeis libereis in Africa ». 4. Parmi les accusateurs de Catilina, proconsul d'Afrique en 67-66, figura, dit Cicéron (u. supra, p. 29, n. 4), une honestissima civitas : celte épithète louangeuse convenait bien à une ville libre et amie. 5. Supra, p. 27. 6. Supra, p. 34-3.5. 7. Nous avons dit (p. 33) que les preuves font défaut. 8. P. 72-73. GsELL. — Afrique du Nord. VTI. * 46 LA PHOVINGE D'APUIQUE SOUS LA HÉPUBLiQUË. la juridiction des magistrats locaux. Cela ne fait aucun doute en matière criminelle; en matière civile, c'était au g-ouverneur qu'étaient réservés, non seulement les procès entre Romains, mais aussi ceux qui mettaient aux prises Romains et habitants des villes libres : nous le supposons, du moins, car, en ce qui concerne spécialement l'Afrique, aucun texte ne nous éclaire, II * En dehors des sept cités qu'elle proclama libres, Rome trouva, dans la contrée qu'elle s'annexa en 146, d'autres colo- nies maritimes, phéniciennes et puniques, ayant une organi- sation municipale et disposant d'un territoire. Elle y trouva aussi des sujets de Carthage, ceux que les Grecs appelaient Aiêus;, les Latins, Afri^. Malgré trois années de guerre, ces indigènes devaient être encore nombreux. Pour la plupart, ils vivaient dans des villages et des bourgs^ et se livraient à l'agriculture. Peut-être l'Etat punique s'était-il déclaré propriétaire foncier de toute la partie de l'Afrique sur laquelle il avait étendu sa souveraineté, sauf les territoires des colonies du littoral et les domaines privés, appartenant à des citoyens carthaginois. Les autochtones n'au- raient eu que la jouissance des terres qu'ils exploitaient, bien qu'en fait, on ne les en dépouillât pas, eux ou leurs héritiers, sans des motifs graves ^ Ils étaient astreints à verser à la Répu- blique une part de leur récolte, le quart en temps ordinaire (?) et jusqu'à la moitié en temps de crise. Des impôts en argent étaient levés dans les « villes », c'est-à-dire dans les bourgs; on ignore en quoi ils consistaient (des taxes de capitation?) *. Nous ne savons pas comment ces hommes étaient admi- 1. V. supra, p. 3. 2. Conf. p. 37. 3. T. II, p. 299-301. 4. Ibid., p. 303-4. VILLKS LIKUES, SU.IKTS, CITOVKNS ROMAINS. 47 nistrés' : si Carthage mettait à leur tête soit des fonctionnaires carthaginois, soit des chefs indigènes, ou si elle tolérait, — en les surveillant, — des communes villageoises, semblables à celles qu'on rencontre chez tant de Berbères sédentaires, avec un conseil d'anciens et, souvent, un maire élu. Celui-ci, par imitation des institutions puniques, aurait pu être appelé en certains lieux sufète'. On pourrait supposer aussi que, par un emprunt analogue, un collège de deux membres, ou même davantage, remplaçait çà et là le magistrat unique : la commune libyque se serait ainsi rapprochée de la cité phénicienne. Conjectures plausibles, mais évidemment précaires. Rome, après sa victoire, décida la destruction de toutes les villes, — il s'agit à la fois de villes puniques et de bourgs indigènes, — qui étaient restées obstinément fidèles à Carthage et qu'il avait fallu prendre de vive forcé ^; un certain nombre d'entre elles avaient, du reste, été déjà anéanties aussitôt après leur chute. Ceux des habitants qui n'avaient pas péri furent certainement, comme les Carthaginois, réduits en esclavage; les terres qu'ils cultivaient se trouvèrent vides. Mais la plupart des Libyens avaient fait leur soumission tôt ou tard, au cours de la guerre \ Ils étaient des dediticii, qui s'étaient livrés corps et biens. Rome pouvait les traiter à sa guise, tout ce qu'elle voudrait leur accorder étant révocable. Elle laissa les hommes libres et leurs demeures debout. Quant au sol, elle le déclara sien \ Si les terres qu'exploitaient les indigènes avaient auparavant appartenu à l'État, la conquête ne 1. Conf. t. II, p. 301-2. 2. Nous avons la preuve que, dès le m" siècle, le terme phéniciea shofet était passé dans la langue des indigènes : voir t. V, p. 132. 3. Appien, Lib., 135. Strabon (XVII, 3, 16) mentionne plusieurs de ces villes. 4. T. III, p. 359, 305, 393, 394. 5. Mommsen (Rom. Staatsrecht, III, p. 731) est disposé à croire qu'en 146, Rome laissa à ses sujets africains la propriété de leurs terres. Cependant, comme la loi agraire de l'année 111 prouve qu'il n'en était pas ainsi à cette dernière date, il pense qu'on avait donné un effel rétroactif en Afrique à un principe posé en 123-122, à propos de la province d'Asie : à savoir que tout sol provincial est 48 LA PROVINCE D'AFIUQUK SOUS LA RÉPUBLIQUE. fit qu'en transférer la propriété de la République carthaginoise à la République romaine. De ces terres, Rome paraît avoir fait deux parts : l'une, qu'elle se réserva', pour en disposer dans l'avenir, l'autre, probablement la plus importante, qu'elle laissa, en fait, entre les mains de ses sujets ^, qu'endroit, elle leur donna et assigna, comme s'ils n'en étaient pas détenteurs \ Mais, sur les personnes etsur les terres*, elle établit un s<2/?é'n- dium^. Les Romains appelaient ainsi l'impôt qu'ils exigeaient des vaincus, en paiement des frais de guerre, — il servit d'abord à payer la solde {stipendium) des troupes, — et qu'ils transformèrent en un impôt permanent sur les peuples conquis : c'était, comme le dit Cicéron ''', « le fruit de la victoire et la peine infligée en suite de la guerre ». Soumis à ce stipendium^ les sujets africains furent appelés stipendiarii, terme qui sert à les désigner dans plusieurs textes antérieurs à notre ère : dans la loi de l'année IH^, dans des inscriptions gravées en Afrique^, dans Cicéron^, dans le récit de la campagne de César '". propriété du peuple romain. Mais, d'une part, il est fort douteux qu'avant la constitution de la province d'Afrique, les indigènes, sujets de Carthage, aient été propriétaires des terres qu'ils délenaient. D'autre part, pourcjuoi recourir à cette hypothèse d'une rétroactivité et ne pas admettre que le principe appliqué à PAsie ait pu l'être à l'Afrique un quart de siècle plus tôt? 1. Selon la coutume qu'elle avait de priver les vaincus d'une partie de leurs terres. Cicéron, Pro Balbo, 18, 41 : « Quodsi Afris, si Sardis, si liispanis, agris stipendioque muUatis.... • 2. A moins que, pour telle ou telle raison, les décemvirs n'aient jugé bon d'enlever à des indigènes les terres que ceux-ci détenaient, et de leur en attri- buer d'autres. 3. Loi de 111, 1. 77 : (les décemvirs de l'année 146) ■• ... eis bominibus agrum in Africa dederunt adsignavoru[ntv]e, quos stipendium [pro co agro populo Romano pendere oportet]. • 4. Appien, Lib., 135. 5. Voir les passages de Cicéron et de la loi de 111 cités n. 1 et 3. 6. Verrines, Act. II, ni, 6, 12 : « vectigal... stipendiarium..., quasi victoriae praemium ac poena belli ». 7. L. 78 et 80. 8. Gagnât et Merlin, Inscriptions latina d'Afrique, 422 (vers 60 avant J.-C.) : « stipendiariei pagorum Muxsi, etc. » C. f. L., VIII, 68 (de l'an 12 avant J.-C.) : « senatus populusque civitalium stipendiariorum pago Gurzenses ». 9. Pro Balbo, 9, 24 : « stipendiarios ex Africa », 10. XX, 4. Pour ce texte, v. supra, p. 34, n. 3. VILLES LIBRKS, SUJETS, CITOYENS ROMAINS. 49 On voit par la loi de 111 que les terres assignées aux stipen- diarii formaient, dans le domaine public, une catégorie bien distincte •. Sur elles, l'État n'avait nullement renoncé à sa propriété; il pouvait les reprendre à leurs détenteurs, et il usa de ce droit. Mais, dans l'intérêt de l'ordre public, les stipen- diarii ne devaient pas vivre sous la menace perpétuelle d'une expulsion. Sauf nécessité absolue, ils restaient, — comme sans doute leurs ancêtres au temps de Garthage, — en possession des terres qu'ils cultivaient, qui figuraient en cette qualité au cadastre, qu'ils pouvaient transmettre à leurs héritiers. La loi de 111 stipule que, si des terres concédées à des stipendiarii leur ont été ou sont reprises pour devenir propriétés de citoyens, ils auront droit, sur le domaine public, à des compensations égales et que ces concessions nouvelles devrpnt être inscrites au cadastre ^ Les terres ainsi remises en échange passaient donc dans la catégorie des agri stipendiariorum. Nous allons voir que des obligations spéciales pesaient sur ces agri, et l'État eût été frustré s'ils étaient sortis, sans son intervention, de cette catégorie, pour entre.r dans une autre, plus favorisée. Il faut donc supposer, soit que les agri stipendiariorum restaient tels, même quand d'autres que des stipeiidiarii en étaient devenus possesseurs, soit que, seuls, des stipendiarii pouvaient les posséder; que, s'ils avaient le droit de les vendre, ils ne pouvaient l'exercer qu'au profit d'autres stipendiarii \ Cette prescription aurait eu l'avantage de faire obstacle au déracine- ment des indigènes, qui eût pu être une cause de désordre social. Les terres des stipendiarii furent assujetties à un impôt, appelé tantôt stipendium, — peine infligée aux vaincus, — 1. Voir l'énumératioa faite 1. 79 et suiv. 2. L. 77-78 et 80. Conf. supra, p. 14. 3. Des stipendiarii reçurent le droit de cité romaine (i-. supra, p. 34, n. 2). Ce changement de statut personnel eut-il pour conséquence un changement"dans la condition de leurs terres? Nous n'avons aucun renseignement à ce sujet 50 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. tantôt veciigal, — rente que le propriétaire tire de ses biens- fonds'. Carthag-e avait exigé de ses sujets une quote-part des produits du sol. Rome renonça à ce système. Cicéron ^constate que la plupart des Africains (les autres sont les peuples libres, entièrement exonérés^) n'ont pas été soumis aux mêmes obli- gations que les Siciliens en ce qui concerne l'impôt foncier, « in agrorum vectigalium ratione ». Or, en Sicile, cet impôt consistait en parts de fruits, dont le montant variait naturel- lement tous les ans : c'était le système appliqué par les Cartha- ginois en Afrique, aussi bien qu'en Sicile et en Sardaigne *. Au contraire, sur ses sujets africains, Rome levait un impôt fixe : « impositum vectigal est certum, quod stipendiarium dicitur », ajoute Gicéron. Donc, que les récoltes fussent bonnes ou mauvaises, — et, en Afrique, elles sont très inégales, — ils avaient les mêmes versements à faire, à moins que le Sénat, tenant compte de circonstances calamiteuses, n'accordât excep- tionnellement une réduction. Une somme dut être fixée pour l'ensemble de la province, et c'est, peut-on croire, ce que Cicéron veut dire par les mots vectigal certum; il appartenait au Sénat de la maintenir, ce qui était sans doute le cas ordinaire, ou de la modifier, quand il votait le budget annuel de VAfrica. Il est évident que la fixation de cette somme n'avait pas été faite au hasard. Elle avait pour base un recensement des agri stipendiariorum, divisés peut-être en plusieurs classes selon la valeur des terres : recensement rendu facile par la mensuration de la province après l'annexion. La somme totale exigible ayant été arrêtée par le Sénat, on 1. Gicéron {Verrines, act. II, m, 6, 12) l'appelle vectigal stipendiarium : « Inter Siciliam ceterasque provinoias... in agrorum vectigalium ralione hoc interest, quod ceteris aut impositum vectigal est certum, quod stipendiarium dicitur, ut Hispanis et plerisque Poenorum..., aut censoria locatio constituta est, ut Asiae lege Sempronia. » 2. L. c. 3. V. supra, p. 41, n. 7. 4. Voir t. II, p. 303, 310, 312. VILLES LIBRES, SUJETS, CITOYENS ROMAINS. 51 avait à la répartir entre les diverses circonscriptions financières qu'il avait fallu constituer (ou maintenir, si elles existaient dès l'époque punique). Elles étaient vraisemblablement appelées fagi, car, si, vers l'an 60 avant J.-C, les stipendiarii de trois pagi africains élevèrent une statue à un questeur', ce ne put être qu'en reconnaissance de bienfaits qu'il leur avait rendus dansl'exercice de ses fonctions financières-. Dans chaque pagus, la répartition se faisait entre les stipendiarii, en proportion de l'étendue et peut-être de la qualité de leurs terres. L'impôt total pour la province restant le même d'année en année, à moins que le Sénat n'eût des motifs graves de le modifier, et le total des agri stipendiariorum ne se modifiant guère non plus, il en résultait que l'impôt, fixe dans l'ensemble, l'était aussi dans le détail : le vectigal était cerlum, non seulement pour toute la province, mais encore pour tel espace de terre possédé par un stipendiaire. Il est possible que l'impôt ait été perçu en nature ^ dans cette Afrique qui contribuait largement à l'alimentation de Rome. Dans ce cas, on peut se demander s'il était fixé en mesures de blé, dont la valeur pécuniaire variait avec la récolte, ou bien, ce qui eût été plus équitable, en argent, la somme due étant convertible en céréales d'après des cours officiels. Nous ne trouvons pas dans les textes de réponse à cette question. Le stipendium fut exigé des sujets sous une autre forme. 1. Gagnât et Merlin, Inscr. lai. d'Afrique, 422 : « Q. Numerio, Q. ftilio), Rufo, q(uaestori), stipendiariei pagorum Muxsi, Gususi, Zeugei. » 2. Un autre pagus d'Afrique, sur lequel il y avait trois civitales stipendiariorum, est mentionné dans une inscription de l'an 12 avant J.-C. (C. /. L., YIII, 68). Mais rien n'indique, dans la teneur de cette inscription, que \e pagus eu question ait été une circonscription financière : ce qui n'est, du reste, nullement impos- sible. 3. La province d'Africa nova, créée en 46 avant notre ère, devait, d'après une déclaration de Jules César, rapporter annuellement 1200 000 boisseaux de blé au peuple romain. Mais, comme nous ne savons pas au juste de quoi il s'agit (voir t. V, p. 191-2), il serait fort imprudent de vouloir tirer de cette donnée quelque hypothèse concernant le mode de perception des impôts fonciers dans VAfrica velus. 52 LA PROVINCE D'AFRIQL'E SOUS LA RRPUHLIQl'E. Appien* indique que Rome imposa, non seulement la terre, mais encore les personnes, les femmes aussi bien que les hommes. On ne sait rien de plus sur cette capitation, qui ne pouvait se payer qu'en argent, et qui, pour les agriculteurs, devait se superposer au stipendium pesant sur le sol qu'ils exploitaient. Etait-elle uniforme? ou, — ce qu'il est raisonnable d'admettre, — moins élevée sur les cultivateurs que sur les citadins non- possesseurs de terres? Comportait-elle une échelle, la taxe sur les esclaves étant, par exemple, moins forte que la taxe sur les hommes libres, et ceux-ci étant répartis en plusieurs classes, selon leur fortune? Ce sont là des choses que nous ignorons. Pour la perception de ces impôts, trois systèmes étaient possibles : 1° la perception directe par des agents de l'Etat ; elle eût nécessité un personnel nombreux, une administration compliquée, qui n'était pas dans les habitudes de la République romaine, et qu'eussent mal dirigée des questeurs ne restant qu'un an dans la province ; 2° le recouvrement par les autorités locales ; nous verrons que, pendant longtemps, Rome ne paraît pas leur avoir reconnu une existence officielle; 3° enfin la ferme, qui, à l'époque républicaine, était le mode ordinaire de perception des revenus publics. Une inscription qui n'appartient pas à la période que nous étudions, mais qui n'est guère plus récente, — elle date, au plus tard, des premiers temps de l'Empire, — atteste la ferme des stipendia de la province d'Afrique^ Il est permis de croire que tel avait toujours été le seul système en usage. On sait que la ferme des revenus de l'Etat était donnée par adjudication. Ces adjudications, dit Cicéron en G3% ne peuvent se faire qu'à Rome. Mais cela n'est pas exact, puisqu'elles se faisaient à Syracuse pour les dîmes de Sicile : ce que Cicéron 1. Lib., 135. 2. C. /. L., VI, 31" 13 : « ... Fonleiu, Q. flilio), q(uaestori), mancup(es) stipeii- d(iorum) ex Africa. • 3. Leg. agr., 11, 21, 53. VILLES LIBRES, SUJETS. CITOYENS ROMAINS. iJ3 lui-même nous apprend dans ses Verrines*. A Rome, c'était aux censeurs qu'elles incombaient. OrCicéron, dans un passage des Verrines-, oppose les impôts fonciers de la province d'Asie', dont la ferme, dit-il, est mise en adjudication par les censeurs, et ceux qui sont exigés de la plupart des Africains. On peut en conclure que les censeurs n'avaient pas à s'occuper des stipendia d'Afrique, et que les adjudications avaient lieu en Afrique même. En Sicile, l'adjudication de la perception des dîmes était faite annuellement, partie par le préteur, partie par les deux questeurs, chaque territoire de cité constituant une ferme; les fermiers touchaient un pourcentage sur leurs recouvrements*. Sans vou- loir rien affirmer, je serais disposé à admettre qu'un système analogue était en usage pour les stipendia d'Afrique. Les cir- conscriptions auraient été les pagi. Le questeur aurait procédé aux adjudications et pris livraison du produit des impôts; il aurait eu aussi à exercer une surveillance, et même une juri- diction, sur la manière dont ils étaient perçus : ce qui expli- querait pourquoi des statues furent élevées à deux de ces questeurs, l'une par les siipendiarii de plusieurs pagi'% l'autre par les fermiers des stipendia de la province*'. Comment les stipendiarii furent-ils administrés entre le milieu du second siècle et le milieu du premier? C'est là un problème fort obscur. Tandis que la loi de 1 il indique que des terres publiques furent concédées aux populi liberV, c'est-à-dire à des communes, qui eurent à les répartir entre leurs citoyens, elle ne fait pas 1. Voir Carcopino, La loi de Hiéron et les Romains, p. 80. — Eq 46, César fli à Zama, capitale de Juba l", des adjudications de tributa et de vectigalia à lever dans la nouvelle province, formée d'une grande partie des États de ce roi : Bell. Afric, XGVII, 1 (en admettant la lecture locatis : conf. t. V, p. 153, n. 2). 2. Act. II, m, 6, 12. V. supra, p. 50, n. 1. 3. C'étaient des dîmes, comme en Sicile. 4. Carcopino, l. c, p. 77 etsuiv. 5. Cagnat et Merlin, Inscr., 422 (u. supra, p. 31, n. 1). 6. C. /. L., VI, 31713 (i). supra, p. 32, n. 2). 7. L. 73, 76, 83, 54 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. mention de communes, de tribus, qui auraient reçu, dans les mêmes conditions, les agri sti pendiari orum . Ces terres, la com- mission qui assista Scipion en 140 les attribua à des individus, et hominibus» *. D'où l'on a conclu'^, apparemment avec raison, qu'en dehors des cités libres, Rome ne reconnut pas alors l'exis- tence légale de communes dans la province d'Afrique. Cependant il convient de se souvenir qu'elle répugnait à modifier les institutions des peuples vaincus, et qu'elle désirait fort peu administrer directement ses sujets. Nous avons constaté des circonscriptions appelées ^^agi. Etaient-elles un legs de la République carthaginoise, qui n'avait pu, pas plus que Rome, administrer son territoire en bloc, sans y introduire des divisions? C'est possible, mais nous n'en avons pas la preuve\ Les pagi nous ont paru avoir été des circons- criptions financières. II se peut qu'ils aient été aussi des circons- criptions administratives et judiciaires. Des préfets, désignés par le gouverneur, auraient été chargés, dans un ou plusieurs pagi^ du contrôle et de la juridiction; il faut dire que nous n'en trouvons aucune trace \ - Si ces préfets ont existé, ils ne pouvaient suffire pour admi- nistrer des gens qu'ils ne connaissaient pas, avec lesquels ils restaient peu de temps en rapports, dont ils ignoraient même la langue, livrés ainsi à des interprètes qui avaient souvent intérêt à les tromper. Il était indispensable que, dans les villes, les bourgs, les villages habités par des stipendiarii ., il y eût, parmi ces indigènes, des gens qualifiés pour maintenir l'ordre, pour transmettre les volontés du gouvernement et les doléances des sujets, pour faire exécuter les réquisitions, pour fournir 1. L. 77 : (les décemvirs) « eis hominibus agruin in Africa dederunt assigna- veru[nlv]e, quos stipendium... » Gonf. 1. 80. 2. Mommsen, Ges. Schr., I. p. 1.31. M. Weber, lium. Agrargeschichte, p. 187. Korneinann, dans Philologus, LX, 1901, p. 404. Barihel, Limitation, p. 76, 84. 3. Gonf. t. II, p. 303. 4. Les praefecti mentionnés dans la loi de 111 (1. 55) et dans une inscription de Curubis (G. /. L., VIII, 24099) sont des officiers. VILLES LIBRES, SUJETS, CITOYENS ROMAINS. 55 les indications nécessaires à ceux qui répartissaient les impùls et à ceux qui les levaient. Rome était donc contrainte d'admettre, et même d'assurer un état de choses qu'elle affectait d'ignorer. Nous devons nous demander si cette sorte de comédie dura tout un siècle, si, à une époque qu'il est impossible de préciser et qui, du reste, put varier selon les districts, les institutions locales ne furent pas officiellement reconnues, seul moyen de mettre hors de contestation l'autorité et la responsabilité des chefs. L'auteur du journal de la campagne de César mentionne en Afrique des cités, çimtates\ c'est-à-dire des communes, des nobiles^, des principes^, qui étaient à la tête de leurs villes. L'une de ces cités, Thysdrus, fut condamnée par le dictateur à une amende*, ce qui était assurément une manière de reconnaître son existence". Ces institutions pouvaient être celles des villages berbères''; dans les villes du littoral, d'origine phénicienne ou punique, qui n'avaient pas été déclarées libres, c'était vraisem- blablement l'organisation municipale antérieure, avec un sénat et des sufètes, et cette organisation pouvait se retrouver même dans des centres habités exclusivement par des indigènes. Des inscriptions latines prouvent que, sous l'Empire romain, d'assez nombreuses cités, comprises dans les limites de la vieille province d'Afrique, étaient pourvues d'un sénat et d'un ou de 1. XXVI, 1 et 6. 2. XXVI, 2. 3. XXVI, 6. 4. Bell. Afric, XCVII, 4. 0. Sur une table de patronat, datant de 12 avant J.-C. (C. /. L,, VllI, 68), sont mentionnés « senatus populusque civitatiuin stipendiariorum pago Gurzenses », et trois personnages dont le nom est suivi d'un adjectif dérivé d'un nom de lieu : c'étaient sans doute les chefs des trois civitales. Il me paraît impossible d'admettre que ce pagus, — peut-être une circonscription financière et adminis- trative, — ait formé une sorte de commune d'indigènes avec un sénat unique. Je crois que les trois cités, unies seulement par leur appartenance au même pagus, avaient chacune, outre un chef, un conseil des anciens, ou senatus, et une assemblée du peuple. Elles s'entendirent alors pour choisir le même patron. L'inscription dont nous parlons est du début de l'Empire, mais, dès l'époque républicaine, des civitates, ayant une organisation semblable, ont peut-être existé dans des pagi. 6. Gonf. supra, p. 47. 36 LA PMOVINCE U'AFIUQUE SOUS LA HEPrHLlOUK. plusieurs sufètes, magistrats annuelsV Mais, du terme sufète, on ne saurait conclure qu'il s'agit de communes ayant conservé une organisation établie depuis longtemps chez elles; car le gouvernement impérial créa en Afrique des communes nouvelles de type punique, avec des sufètes : telle fut celle qui fut fondée à Carthage en l'an 28 avant J.-C.^ Pourtant, nous avons des raisons de croire à l'existence dans la province, dès l'époque républicaine, de communes admi- nistrées par des sufètes. Une inscription trilingue^ (latine, grecque et punique), trouvée à Henchir Aouin, près d'Oudna, au Sud de Tunis, est datée de l'année des sufètes Abdmelqartet Adonibaal. Or le texte en langue phénicienne est d'une écri- ture de transition, plus rapprochée de l'écriture punique que de l'écriture néopunique, et peut remonter approximativement au début du f siècle avant notre ère. Dans le texte latin, on lit « facta L. M. cos » : si l'on admet la lecture L{ucio) M{arcio) co{n)s{ule) ^ , l'inscription daterait exactement de l'année 91. Près d'Hammamet, la dédicace, en langue phénicienne, de deux sanctuaires fut faite par les citoyens de Tinismut, en l'année des sufètes Himilk et Himilk, fils d'Ankân'; d'après les noms propres que contient cette inscription, il est probable que Tinismut était, non pas une cité d'origine punique, mais un bourg d'indigènes, qui avaient partiellement adopté les mœurs puniques^ Or, là aussi, nous sommes en présence d'une écriture de transition, qui n'est sans doute pas postérieure au milieu du i^'' siècle avant notre ère'. 1. C. I. L., VIII, 765 (= 12228), 797, 11193, 12248, 23833, 23867, 23876 (=12286). Ibid., V, 4919, 4922. 2. Barthel, Zar Geschichte der riini. Stàdle in Africa, p. 20. Dessau, dans Klio, VIII, 1908, p. 460. Gscll, Rev. historujue, CLVI, 1927, p. 239-240. 3. C. /. L., VIIl, 24030. Répert. d'épigr. sémit., I, 79. Conf. t. VI, p. 115. 4. L'abréviation iusolite du nom du consul s'expliquerait par le fait que l'auteur de la dédicace, mentionné avant la date consulaire, s'appelait lui-même Marcius. 5. Rép. d'ép. sém., II, 942. 6. Conf. t. II, p. 106, a. 4. 7. Plus vraisemblablement du i" siècle (conf. t. IV, p. 243, n, 7) ciue du second VILLES LIBRES, SUJETS, CITOYENS ROMAINS. 57 S'il y avait, dans les bourgs et les villes, de véritables magistrats, ils devaient exercer une juridiction civile, d'ailleurs restreinte; les procès importants auraient été réservés au gou- verneur, qui, le plus souvent, en aurait chargé des manda- taires. En tout cas, les provinciaux conservèrent leur droit : quand ils étaient jugés par des Romains, c'était affaire à ceux-ci de s'entourer d'assesseurs capables de les éclairer. Les sujets de Rome furent-ils plus heureux que leurs pères ne l'avaient été sous la domination carthaginoise? Pour répondre à cette question, il faudrait connaître le taux des impôts qu'on exigeait d'eux, savoir jusqu'oîi allaient les abus que se permettaient les percepteurs de ces impôts, les gens de guerre, les gouverneurs et leur entourage, et aussi, peut-être surtout, les autorités locales : toutes choses que nous ignorons. La République ne se souciait pas d'améliorer le sort matériel et moral des indigènes; elle leur demandait seulement de s'acquitter de leurs obligations et de se tenir tranquilles, même quand ils avaient des motifs d'être mécontents. Certains d'entre eux reçurent, en récompense de leurs services militaires, le droit de cité', qu'ils transmirent à leurs enfants. Ces Romains de fraîche date devaient avoir quelque désir de justifier, par leurs mœurs, leur condition nouvelle. Comme on n'a retrouvé, dans toute l'étendue de la vieille province d'Afrique, aucune inscription latine qui les concerne, c'est une assez bonne raison de croire qu'ils n'étaient pas fort nombreux. (comme je l'ai supposé t. II, p. 106, n. 4, et p. 302, n. 2). — Le « senatus popu- lusque Cur... » [le reste du nom de la cité manque] et des sufètes sont men- tionnés dans une inscription latine d'Afrique (C. I. L., VIII, 10525), qui, d'après l'orthographe, est, au plus tard, de l'époque d'Auguste. Elle porte une date con- sulaire, malheureusement mutilée : « G. Caesar[e...] ». S'il s'agit de César le dic- tateur, il conviendrait d'adopter l'année 45. Mais M. Barthel {Zur Geschichle, p. 39) propose de reconnaître ici le fils adoptif d'Auguste, C. Gaesar, qui fut consul en l'an 1 après J.-C. 1. r. supra, p. 34, n. 2. S8 LA PllOVlNGE D*AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. III Si Rome ne chercha pas à l'aire entrer les Africains dans la famille romaine, elle n'eut pas non plus la volonté de constituer en Afrique un peuplement important de Romains. A cet égard, un seul effort fut tenté entre les années 146 et 46 avant notre ère; l'aristocratie, maîtresse de l'Etat, le fit avorter. Après avoir détruit Carthage, Scipion avait consacré l'emplacement de la ville : sur ce sol, personne ne devait habiter, faire passer la charrue, probablement même faire paître des troupeaux'. Vingt-trois ans après. Gains Gracchus, tribun de la plèbe, résolut d'y établir une colonie de citoyens romains, la première qui serait fondée en dehors de l'Italie'^. Jusqu'alors, les colonies romaines avaient été surtout des sortes de citadelles, surveillant les peuples vaincus; celles que le tribun voulut créer devaient être des foyers pour des prolé- taires que la misère accablait : pourvus de terres, ils se régé- néreraient par le travail et, au lieu d'être un danger pour la République, ils seraient pour elle une force. Gains comprit sans doute aussi combien il était absurde et contraire aux vrais intérêts de Rome de condamner à une solitude perpétuelle ce merveilleux site de Carthage, en face de la Sicile, au seuil des deux bassins de la Méditerranée, à l'entrée de l'Afrique; combien il importait, pour que la victoire de Scipion Émilien fût féconde, de donner au vieux territoire punique une tête latine. Le pays qui environnait Carthage jouissait d'une répu- tation de grande fertilité'. Mais, deux ans plus tôt, en 125, 1. T. Ilf, p. 403. 2. Sur cette colonie, voirMominsen, Ges. Schr.,l, p. 119-121; Audollent, Carthage romaine, p. 32-37. 3. Appien (Bell, civ., I, 24) dit que c'est pour cette raison que fut votée la fon- datioa de la colonie. VILLES LiUUES, SUJETS, CITOYENS ROMAINS. bÔ une pesto terrible avait sévi dans cette région et l'avait en partie dépeuplée'. On pouvait donc y faire de larges distri- butions de terres, sans priver les indigènes de celles dont ils avaient besoin. La loi décidant la création d'une colonie à Carthage, — peut-être avec faculté pour ceux qui en seraient chargés d'en fonder d'autres en Afrique^, — fut votée en 123 ^, sur la propo- sition du tribun Rubrius^ qui agissait à l'instigation de Gaïus, son collègue ^ Nous ne savons pas exactement quel nombre de colons elle fixa : sans doute plusieurs milliers, mais moins de 6 000'"'; l'étendue maxima des lots devait être de 1. Voir t. I, p. 136-7. 2. Loi de Ht, \. 61 : « ... quantum numer[um... a lllviris coloniae dedu]cendae in Africa tiominuin in coloniam coloniasve deduci oporluit licuitve. • Conf. Mommsen, l. c, p. 122. Peut-être s'était-on rendu compte qu'il conviendrait de créer plusieurs centres pour des milliers de gens appelés à cultiver des terres dont beaucoup seraient nécessairement fort éloignées de Carthage. En fait, seule la colonie de Carthage fut fondée. Et même, le passage de la loi de 111 que nous venons de citer prouve que les triumvirs reçurent le titre de Illviri coloniae deducendae (au singulier). 3. Les colons étant arrivés à Carthage dès le début du printemps de 122 (i). infra), il est impossible d'admettre que la loi ait été votée cette année-là, comme Plutarque (C. Gracchus, 10) parait le croire (voir aussi Epitome de Tite-Live, I. LX). Velléius Paterculus (I, 1-5, 4), Eutrope (IV, 21), Paul Orose {Adv. pagan., V, 12, 1) indiquent l'année 123 pour la fondation de la colonie. C'est la date du vote de la loi. Si Rubrius était entré en charge le 10 décembre 123, il n'aurait pas eu le temps, eu égard aux délais légaux, de faire voter sa proposition avant la fin de l'année (voir Judeich, Histor. Zeitschrift, CXI, 1913, p. 486, n. 2). Il est donc certain qu'il fut tribun du 10 décembre 124 au 9 décembre 123, en même temps que C. Gracchus, alors tribun pour la première fois. 4. Loi de 111, 1. 59. Plutarque, L c. Il semble bien que ce soit cette loi que men- tionne la lex Acilia repetundarum, 1. 22 (C. /. L., I, 198). 5. Eutrope (IV, 21) prétend que Carthage fut relevée par ordre du Sénat, lussu senatus. C'est une erreur. Appien, qui s'est servi d'une source très hostile à Gaïus, donne aussi des indications inexactes. C. Gracchus, dit-il (Lib. 136), étant tribun et des troubles ayant éclaté par suite de la famine, l'envoi de 6 000 colons en Afrique fut décidé. Appien raconte, d'autre part {Bell, civ., I, 24), que Gracchus et Fulvius allèrent en Afrique pour préparer l'installation de la colonie : on les aurait choisis pour cette mission, afin qu'en l'absence de ces fauteurs de désordres, le Sénat eût quelque répit. 6. Appien dit, d'une part (Lib., 136), qu'on décida d'envoyer 6000 colons en Afrique; d'autre part {Bell, civ., l, 24), que Gracchus et Fulvius, s'étant rendus dans cette contrée, tracèrent le plan d'une ville pour 6000 colons, quoiqu'un chiffre moins élevé eût été fixé par la loi. Cette dernière indication paraît être exacte : d'un lambeau de la loi de 111 (1. 61), on peut inférer que le chiffre prescrit fut, en effet, dépassé. 60 LA 1>U0V1NCK D'AFIUQUE SfilS LA IIÉPUBLIQL'E. 200 jugères', ce qui était la superficie d'une centurie (un peu plus de 50 hectares). Le peuple élut ensuite trois magistrats extraordinaires pour fonder la colonie, Iffviri coloniae dedu- cendae^. L'un deux fut G. Gracchus^, réélu tribun pour l'année suivante; on ignore le nom des deux autres, car, malgré une assertion d'Appien*, il est douteux que l'un d'eux ait été M. Fulvius Flaccus, chaud partisan des Gracques, collègue de Gaïus depuis 130 comme triumvir pour la distribution des terres publiques en Italie, consul en 12o et tribun, comme Gaïus, en 122 : Plutarque" dit, au contraire, que Fulvius n'accompagna pas Gains à Carthage. Il fallait constituer le vaste territoire de la future colonie. Si, comme nous le croyons, le sol de la province était déjà partagé en centuries % les travaux préliminaires pouvaient se faire assez vite : une fois les centuries choisies, il suffisait d'y découper des lots. Mais une partie de ces centuries étaient occupées par des indigènes, auxquels on devait assurer des compensations ailleurs, sur le domaine du peuple romain. II convenait de préparer des abris pour ces milliers de gens qui allaient arriver. En Italie, il fallait choisir et rassembler les colons. Gaïus et ses collègues paraissent en avoir recruté 0 000", chiffre supérieur à celui qui avait été fixé par la loi Rubria\ Les uns étaient des citoyens romains', les autres, des Italiens '"; on ne sait si les triumvirs avaient reçu le droit de conférer à ceux-ci la cité romaine". 1. Loi de 111, 1. 60. 2. Ibid.,l. 61. Tite-Live, Epit. l. LX. Voir aussi Sallaste, Jug., XLIL i. Plii- arque (/. c.) dit inexactement que Gaïus fut désigné par le sort. 3. Tite-Live, /. c. Piutarque, l. c. 4. Bell, civ., I, 24. 5. C. Gracchus, 10 et 11. 6. V. supra, p. 14. 7. Comme l'indique Appien, Bell, civ., I, 24. 8. Conf. supra, p. 59, n. G. 9. Eutrope, IV, 21. Paul Orose, V, 12, 1. 10. Appien {L c.) dit que les colons furent recrutés dans toute l'Italie. Solin, XXVII, 11 : « colonis Italicis ». 11. Dans la loi de 111, est employée souvent la formule « cohmo eive quei in VILLES LIBRES, SUJETS, CITOYENS ROMAINS. 6i Le départ eut lieu vers le début du printemps de l'année 122', à l'ouverture de la saison favorable à la navigation. C'est à tort qu'Appien- prétend que Gains et Fui vins allèrent à Carthage avant d'avoir choisi les colons et commencèrent à tracer le plan de la future ville ; qu'ils revinrent à Rome avant la fin de ce travail et s'occupèrent alors du recrutement; que, cependant, les colons ne se rendirent pas en Afrique, la colonie ayant été supprimée. D'autres textes prouvent que les Illviri coloniae deducendae remplirent exactement les devoirs qu'indiquait leur titre' et qu'imposaient en pareil cas de vieilles prescriptions. Ils se mirent à la tète des colons et, après le débarquement, les conduisirent militairement, précédés d'une enseigne, jusqu'au lieu désigné; puis, ils accomplirent les rites usuels, sacrifice, prise d'auspices, pour s'assurer de l'assentiment divin*, etc. Ils tracèrent ensuite le périmètre de la ville et y préparèrent l'installation définitive de ceux qui devaient l'habiter ^ colonei numéro scriptus est » (1. 66, 67, etc.), qui a été interprétée de diverses manières. Pour les uns Mommsen, Ges. Schr.,\, p. 124; Schulten, Bull, archéol. du Comité, 1902, p. 158), on a voulu indiquer ainsi que. la colonie ayant été sup- primée, les colons n'étaient plus officiellement des coloni, quoiqu'ils en gardassent les droits. M. Rornemann (Real-Encyclopadie de Pauly-Wissowa, IV, p. 572) suppose, peut-être avec raison, que le terme colonus s'applique ici aux citoyens romains, et l'expression is qui in coloni numéro scriptus est, aux Latins ou Italiens qui furent adjoints aux citoyens et qui, par conséquent, n'auraient pas reçu la cité romaine. 1. Gracchus était de retour à Rome lors des élections au tribunat, auxquelles il se présenta (Plutarque, l. c, 12); ces élections avaient lieu au milieu de l'été (Appien, Bell, civ., I, 14; conf. Mommsen, Rom. Staatsrecht, 2" édit., I, p. 566, n. 2). Il était resté en Afrique 70 jours (Plutarque, l. c, 11). Il y était donc venu vers le début d'avril (conf. Kornemann, Zur Geschichte der Gracchenzeit, p. 43). M. Schulten {Bull, archéol, du Comité, 1902, p. 151-2), qui attribue aux triumvirs de 122 la centuriation dont on retrouve des traces dans la péninsule de Carthase, croit qu'elle fut orientée d'après le lever du soleil; d"où il conclut qu'elle fut entreprise au solstice d'été. Gains serait donc arrivé à Carthage en juin : ce qui est contraire aux textes. D'autre part, il est probable que cette centuriation date de la constitution de la province, et il est fort douteux qu'elle ait été orientée d'après le soleil. 2. Bell, civ., I, 24. 3. Conf. Tite-Live, Epit. l. LX : « G. Gracchus ... coloniam deduxit. » Mentions de la deductio des colons dans Eutrope, IV, 21, et dans Paul Orose, V, 12, 1. 4. Plutarque, l. c, 11. 0. Barthel (Limitation, p. 78) fait remarquer justement que tous les colons ne GsELL. — .\fiique du Nord. VII. 5 62 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. Elle fut établie sur le sol même de la Carthage punique*, malgré la consécration de Scipion. Elle reçutle nom de lunonia]: les Romains identifiaient avec leur luno la divinité principale des Carthaginois, Tanit Pené Baal, et il est à croire qu'en appelant ainsi la nouvelle Garthage, G. Gracchus voulut attirer sur elle la protection de la déesse qui avait régné sur l'an- cienne^ Par la voie du sort, les triumvirs répartirent entre les colons les lots de terrain, sur les centuries et aussi sur les subsécives *; ils les en constituèrent propriétaires^. Tous ces lots convenaient à la culture, — on n'en distribuait pas d'autres lors de la fonda- tion des colonies®, — mais ils n'étaient pas tous d'égale valeur: ce dont on dut tenir compte pour en fixer la superficie ; il semble que le maximum de 200 jugères, prescrit par la loi Rubria, ait été parfois dépassé\ Cependant, en général, les lots durent être bien moins étendus. En Italie, ceux que l'on assignait alors sur le domaine public étaient seulement de 30 jugères-. Gela eût été tout à fait insuffisant en Afrique pour assurer, parla culture des céréales, l'existence d'une famille : une vingtaine d'années après, un tribun proposa d'attribuer à des vétérans, dans cette province, des lots de 100 jugères^ (un peu plus de 25 hectares). pouvaieat pas à la fois habiter Garthage et cultiver leur lot de terre (conf. supra, p. 59, n. 2). 1. Appien, Bell, civ., I, 24. Tite-Live, Epit. l. LX : « in solodirutae Carthaginis ». Le plan très régulier dont on constate l'existence dans les ruines de la Garthage romaine, sur l'emplacement de la Garthage punique (voir Saumagne, Bull, archéol. du Comité, 1924, p. 121-140), fut établi, non pas à cette époque, mais sans doute seulement lors de la fondation de la colonie d'Octave, en 29 avant J.-C. : voir t. VIII, 1. I, ch. v, § III. 2. Plutarque, l. c, 11. Solin, XXVII, 11. 3. Conf. t. IV, p. 255. 4. Loi de 111, 1. 66 (v. supra, p. 13, n. 3). 5. Fronton, Ad Verum, 11, 1 (p. 125, édit. Naber) : « Gracchus ... Garthaginem viritim dividebat. » Pour le sens du mot viritim dans cette phrase, voir Sau- magne, Rev. de philologie, 1927, p. 69. 6. Pais, Storia délia colonizzazione di Borna antica, Proleg., p. 114-5. 7. Ce qu'on peut inférer d'une disposition de la loi de 111, 1. 60. 8. Loi de 111, 1. 14. 9. De viris illustr., 73. V. infra, p. 68. VILLES LIBRES, SUJETS, CITOYENS ROMAINS. 63 Si tels étaient en moyenne les lots de la colonie de Carthage, ils auraient formé un ensemble de 150 000 hectares*. Au bout de soixante-dix jours, Gaïus avait achevé tout ce qui réclamait sa présence^. Il retourna à Rome, où il se trouvait au milieu de l'été, lors des élections au tribunat de la plèbe. Il s'y présenta et échoua. Les aristocrates le haïssaient tellement que cette raison seule les aurait rendus hostiles à la colonie dont il était le véritable créateur. Ils craignaient sans doute que ces milliers de citoyens, tous attachés au parti démocratique, ne fissent de la province d'Africa un fief de ce parti. Ils se souvenaient de l'avertissement tant de fois donné par Caton, trente ans auparavant : « Il faut détruire Carthage! », et ne comprenaient pas que les circons- tances n'étaient plus les mêmes; que la nouvelle Carthage n'était pas exposée à tomber entre les mains d'unMasinissa, qui en ferait sa capitale ; qu'au contraire, elle serait le meilleur appui, le meilleur levier de la puissance romaine en Afrique. Ils allaient répétant que Tyr et Phocée, métropoles de Carthage et de Marseille, avaient été jadis éclipsées par leurs colonies, et qu'il était criminel de préparer le même sort à Rome'; que les provinces devaient être des domaines pour le peuple souverain, et non pas des patries pour une partie de ce peuple. L'échec de Gaïus aux élections enhardit ses ennemis, qui résolurent de détruire son œuvre et, en particulier, la colonie de Carthage, quand il serait sorti du tribunat à la fin de l'année. On mena grand bruit autour de certains présages : ils prouvaient, affirmait-on, combien les dieux étaient irrités du sacrilège qui avait annulé l'acte solennel accompli par Scipion. Lors de l'arrivée des colons, l'enseigne qui les précédait avait été enlevée par le vent des mains de l'homme chargé de la porter, et elle 1. Barthel, Limitation, p. 77. 2. Plutarque, l. c, 11. 3. Velléius Paterculus, II, 7, 7. 64 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. s'était brisée. La bourrasque avait dispersé les victimes déposées sur des autels et les avait rejetées en dehors des limites fixées pour la nouvelle ville'. Des loups, — admettons que c'étaient des chacals, puisqu'il n'y a pas de loups en Afrique^ — avaient arraché les jalons en bois placés par les arpenteurs; on ajoutait même qu'ils les avaient rongés\ Selon les uns, cela s'était passé sur les terres qui devaient être assignées aux colons^, et il s'agissait des piquets destinés à délimiter les lots; selon d'autres, sur le sol même de Carthage% où la chose était beaucoup plus grave, puisque ces « loups », envoyés des dieux, faisaient clairement savoir que ceux-ci réprouvaient l'usurpation d'un sol consacrée Les augures, consultés, n'augurèrent rien de bon de cette colonie, menacée par de t^ls présages'. Gaïus ayant cessé d'être tribun, ses adversaires avaient le champ libre. Il semble pourtant que la question de Carthage n'ait été posée officiellement qu'au bout de quelques mois. Peut- être sur l'invitation du Sénat*, l'un des consuls de l'année 121, L. Opimius, convoqua le peuple pour en délibérer^ Nous n'avons pas à raconter ici les événements qui suivirent : deux jours après, Gaïus périssait de mort violente. La loi Rubria fut abrogée'", et la colonia lunonia supprimée. De nouveau, le sol de Carthage fut mis en interdit. La loi agraire de l'année 111" 1. Plutarque, l. c, 11. 2. T. 1, p. 114. 3. Plutarque, L c. Appien, Lib., 136; Bell, civ., I, 24. Julius Obsequens, 103. Paul Orose, V, 12, 2. Voir encore TertuUien, De pallio, 1 : « Gracchi obscena oraina ». .» 4. Obsequens, L c. Orose, L c. Appiea, Lib., 136. 5. Appien, Bell, civ., I, 24. 6. Coaf. Barthel, Limitation, p. 78, n. 3. 7. Appien, l. c. 8. Ibid. 9. Plutarque, l. c, 13. Appien, L c. 10. Loi de 111, 1. 59 : « ex lege Rubria quae fait •. Cette abrogation fut votée sur la proposition du tribun Minucius Rufus : Florus, II, 3, 4; De viris illustr., 65; Orose, V, 12, 5. 11. L. 81 : « extraque eum agrum locum ubei opp[i]duin Ghar[tago] fuit qu[ondam] ». VILLES LIBRES, SUJETS, CITOYENS ROMAINS. 65 l'excepte des terres publiques sur lesquelles seront perçues des dîmes et des taxes de dépaissance : ni la culture, ni l'introduction du bétail n'y étaient permises. C'est sur les ruines désertes de Carthage que Marius, en 88, étalait sa propre infortune'. Sept ans plus tard. Pompée, renouvelant la consécration de Scipion, élevait des autels aux divinités auxquelles ce sol avait été voué^ En 63, Cicéron^, alors consul, opposait une indignation de commande au tribun Servilius Rullus, qui voulait faire mettre en vente l'emplacement de la cité maudite. La noblesse n'osa cependant pas dépouiller de leurs lots ceux que les triumvirs avaient établis en Afrique. Peut-être des commissaires ou des magistrats extraordinaires furent-ils chargés de régler les questions que soulevaient à la fois la suppression de la colonie et le maintien des colons. Un misérable fragment d'une inscription latine de Carthage, gravée beaucoup plus tard*, nous a gardé partiellement les noms de trois hommes, qui, seuls ou avec des collègues, durent prendre des mesures importantes, puisque, longtemps après, on jugeait bon d'en conserver la mémoire : « ... Galba, [.. Pa]piriusCarbo, [..CalpjurniusBestia». Le dernier est certainement L. Calpurnius Bestia, tribun en 12i , consul en Hl,et l'inscription se rapporte à un fait antérieur à son consulat, pendant lequel il se déconsidéra par sa conduite envers Jugurtha, ce qui le fit condamner trois ans plus tard. Le second peut être Cn. Papirius Carbo, qui devint consul en 113. Pour le premier, on aie choix entre Ser. Sulpicius Galba, consul en 108, et C. Sulpicius Galba, qui fut condamné en même temps que Calpurnius Bestial La venue de ces personnages dut donc 1. Plutarque, Marius, 40; etc. V. infra, p. 277. 2. Tertullien, De pallio, 1. V. infra, p. 284, n. 7. 3. Leg. agr., I, 2, 5; II, 19, 51. 4. C. I. L., VIII, 12535; Musée Lavigerie, II, pi. XVIII, fig. 2. Inscription en petites lettres, sur une plaque de marbre blanc. 5. Pour ces identifications, voir au Corpus, l. c. ; Dessau, Inscr. Lut. sel., 28; Schulten, Bull, archéol. du Comité, 1902, p. 160. — M. Cichorius {Bôm. Studien, p. 113-6) présente une autre hypothèse au sujet de ce fragment. Il croit que les personnages mentionnés constituaient le collège des triumvirs, créé en 133, sur 66 LA PROVINCE D'APRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. suivre de près la décision abolissant la colonia lunonia. On pourrait se demander s'ils n'eurent pas pour chef M. Porcins Cato, qui, étant consul, mourut en Afrique dans le cours de l'année 118'. La loi de 111 contient toute une série de stipulations relatives aux terres assignées en vertu de la loi Rubria^ L'état de mutilation du texte en rend malheureusement l'intelligence fort incertaine. Du moins, ce qui subsiste prouve que les colons avaient gardé et gardèrent la propriété de leurs lots. Ils pouvaient, naturellement, les transmettre à leurs héritiers ^ Ils pouvaient aussi les vendre^ (ce qui leur avait été peut-être interdit par la loi Rubria^) : pour l'aristocratie, fort peu dési- reuse qu'ils restassent, c'était un excellent moyen de les faire partir en douceur. Les terres publiques assignées à des individus en Italie, en vertu des lois des Gracques, avaient été soumises à une redevance {vectigal), d'ailleurs légère, destinée surtout à rappeler qu'en droit, elles étaient encore propriété de l'Etat. Mais Livius Drusus, collègue de Gains en 122, l'avait fait supprimer®. Nous ignorons si, dans la colonie fondée, cette année-là même, sur le sol provincial d'Afrique, les lots assignés la proposition de Ti. Gracchus, pour la distribution des terres publiques en Italie, collège qui ne fut supprimé que plusieurs années après la mort de Gaius. L. Galpurnius Bestia et G. Sulpicius Galba y auraient remplacé Gaius Gracchus et Fulvius Flaccus, disparus tragiquement en 121. Quant à Papirius Carbo, ce serait celui qui portait le prénom de Gaius, et qui appartenait à ce collège depuis l'année 130, au plus tard; consul en 120, il se suicida l'année suivante. Nous aurions donc ici l'état du collège entre 121 et 119. Tout cela est ingénieux, mais peu solide. Remarquons que, le fragment étant brisé en haut et en bas, nous ignorons si l'inscription mentionnait seulement trois noms. Et le collège en question était-il qualiflé pour intervenir en dehors de l'Italie? 1. V. supra, p. 21. 2. Conf. infra, p. 75 et suiv. 3. Mentions de ces héritiers : 1. 62, 67, 68. 4. L. 54 et suiv., 63 et suiv. 5. Les terres assignées en Italie par les lois des Gracques étaient inaliénables : Appien, Bell, civ., I, 10 et 27. On peut supposer que l'autorisation de vente, accordée aux colons d'Afrique, était contenue dans une loi rendue peu après la mort de Gracchus, loi qui accordait cette autorisation pour les terres d'Italie : Appien, l. c, 27. 6. Plutarque, C. Gracchus, 9. . VILLES LIBRES, SUJETS, CITOYENS ROMAINS. 67 furent des agri vectigales^ c'est-à-dire assujettis à une redevance, ou bien des agri privati ex iure Quiritium\ c'est-à-dire entiè- rement exempts, les colons recevant sur elles un plein droit de propriété. Mais il est certain, — la loi de 111 en témoigne % — que, quelques années après, ces terres étaient agri privati vectigalesqiie, qu'elles le fussent restées ou qu'elles le fussent devenues. C'est seulement beaucoup plus tard, sous Septime Sévère, qu'elles furent exonérées, par la concession à la colonie romaine de Carthage du ius Italicum, qui, transportant ficti- vement son territoire en Italie, y créa, par là même, la pleine propriété privée, le dominium ex iure Quiritium^ . Tel fut le sort de la colonia lunoiiia. La plupart des colons n'étaient sans doute pas des paysans accoutumés au travail agricole et capables d'en tirer profit; ils souffraient de leur exil en pleine campagne africaine. Beaucoup d'entre eux usèrent certainement de la faculté de revendre leurs lots et retournèrent en Italie. Ces lots durent être achetés surtout par des capitalistes, qui ne résidèrent pas et firent cultiver leurs terres soit par des esclaves, soit par des indigènes. De même, en dehors des lots de colons, pour les terres du domaine public qui furent vendues à Rome par les soins des questeurs *. Ainsi purent se former des propriétés assez grandes, appartenant à des Romains, mais où les gens d'origine italienne, intendants, gérants, etc., étaient peu nombreux. Aucune autre colonie ne fut créée dans la province avant Jules César. Des lois ou des sénatus-consultes pouvaient décider que des terres publiques seraient, non pas affectées au territoire d'une 1. Opinion de Mominsen, Ges. Schr., I, p. 123. 2. L. 62-66. Beaudouin (La limitation des fonds de terre, p. 128-133) a montré que, dans ce passage, il s'agit d'une terre qui a été assignée à un colon, et d'une autre terre qui sera donnée en compensation de la première : toutes deux doivent être, par conséquent, de même condition juridique. Or la seconde sera ager privatas vectigalisgue. 3. Beaudouin, l. c. i. V. infra, p. 81. 68 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. colonie, mais concédées gratuitement à des individus {viritim), qui ne constitueraient pas une commune de citoyens romains. Pour VAfrica de l'époque républicaine, nous ne connaissons qu'une seule application de cette manière de procéder*. En l'an 103, le tribun L. Appuleius Saturninus fit voter une loi ordonnant que des lots de cent jugères fussent distribués en Afrique à des vétérans qui avaient servi sous Marins^. Elle ne dut pas être aussitôt exécutée : Marius avait besoin de ces bons soldats pour combattre les Teutons et les Gimbres. Mais, après la victoire de Verceil (en juillet 101), il se peut que les assignations aient été faites : il ne faut pas confondre cette loi de 103 avec d'autres, votées en 100, pendant le second tribunat d'Appuleius, à l'effet de fonder des colonies et de distribuer des terres dans diverses provinces', — l'Afrique n'est pas men- tionnée, — lois qui furent abrogées. Mais, si des vétérans ont été alors établis sur le domaine public d'Afrique, ni eux, ni leurs descendants n'y ont laissé aucune trace certaine*; eux aussi avaient pu profiter de la faculté de revendre leur lot. De ce que nous venons d'exposer, il résulte que le nombre des Romains et des Italiens qui s'enracinèrent au sol africain en le cultivant fut sans doute restreint. On n'a pas trouvé d'inscriptions latines, — ni bornes, ni dédicaces, ni même épitaphes, — qui attestent leur présence. Trois inscriptions non déchiffrées, mais qui semblent bien appartenir à quelque langue italique, ont été recueillies, assez près les unes des 1. La loi de 111 (I. 93) mentionne en Afrique des assisrnations faites en vertu d'un sénatus-consulte. Mais, dans ce passage, il s'agit probablement de terres que des particuliers sont autorisés à occuper sur le domaine public, moyeanant une redevance, et non pas (ïagri privati vectigalesque : v. infra, p. 87. 2. De viris illuslr., 73 (lors du premier tribunat d'Appuleius, en 103) : • Tri- bunus plebis seditiosus, ut gratiam Marianorum militum pararet, legem Iulit, ut veteranis centena agri iugera in Africa dividerentur. » 3. Vir. ill., L c. Appien, Bell, civ., I, 29. Gicéron, Pro Balbo, 21, 48. 4. Je ne crois pas qu'on puisse invoquer ici l'épithète Mariana, Marianum qu'Uchi Majus et Thibaris portaient sous l'Empire romain. Ces lieux étaient situés en dehors de la vieille province. F. supra, p. 10. VILLES LIBHES, SUJETS, CITOYENS ROMAINS. 69 autres, dans la vallée de l'oued Miliane, au Sud-Ouest de Carthage '. Elles sont de teneur uniforme, et les pierres qui les portent ont l'apparence de bornes : bornes non officielles, puisque la langue n'est pas le latin. Et c'est tout pour la province entière. Ajoutons qu'il n'est pas même sûr que ces inscriptions énigmatiques datent de l'époque que nous étu- dions. En temps de guerre, l'affluence des troupes attirait d'outre- mer des mercantis^, gens peu désirables et qui disparaissaient la paix rétablie. Il y avait déjà des négociants italiens dans la Carthage punique \ Après la création de la province, nombreux furent ceux, Romains et Italiens \ qui vinrent y chercher fortune : marchands, exportant principalement des blés, important des vins et d'autres produits de la péninsule; hommes libres, appartenant au personnel de diverses entreprises, — transports maritimes ou terrestres, fournitures à l'armée, au gouverneur et à son entourage, affermage des impôts et revenus publics; — banquiers % qui se livraient à une impudente usure. Ces gens étaient surtout des patrons et des chefs de service, les emplois subalternes étant confiés à des affranchis et à des esclaves, pour la plupart originaires d'Orient. Les grosses affaires se trouvaient entre les mains de chevaliers, et plus d'un d'entre eux ne craignait pas de s'expatrier. Des sénateurs avaient aussi des intérêts dans la province. Ils les faisaient gérer par des gens de confiance; mais il leur arrivait parfois de se déplacer : dans ce cas, ils demandaient une mission libre [legatio libéra)^ qui leur valait des honneurs, et même des 1. Merlin et Martha, Bail, archéol. du Comlié, 191.5, p. ccxxxii et suiv. Merlin, ibid., 1919, p. ccxxxvi-vii. Catalogue du Musée Alaoui, 2" Supplément, p. 109, n"' 1349, 1350. Conf. ici, t. IV, p. 176, n. 3. 2. Salluste. Jug., XLIV, 5. Appien, Bell, civ., II, 46. 3. T. IV, p. 176. 4. En 90-87 avant J.-C, les Italiens obtinrent le droit de cité romaine. 5. Compris, comme les marchands, dans la désignation générale de negotiatores. 70 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. économies sur leurs frais de voyage. Dans des lettres écrites en 44-43, Cicéron recommande à Cornificius, proconsul d'Afrique, toute une série de ces Romains : un T. Pinarius, qui est chargé des comptes et des affaires de « notre Diony- sius » ' (celui-ci était probablement un riche affranchi^); — un Sextus Aufidius, chevalier, et les affaires qu'il a en Afrique^; — les héritiers d'un Q. Turius, qui avait fait, lui aussi, des affaires dans la province* : il importe d'empêcher Turius Eros, un affranchi du mort, de détourner l'héritage; — Lamia (L. i^lius Lamia), un sénateur : Cicéron appelle la bienveil- lance du gouverneur sur ses affaires, ses procurateurs, ses affranchis, ses esclaves**; — C. Anicius, un autre sénateur qui, « pour ses affaires », a reçu une mission libre en Afrique : Cornificius est prié de lui donner des licteurs*. Ceux qui ne se contentaient pas de passer rapidement faisaient des séjours plus ou moins longs dans les villes. A Thysdrus, au temps de la guerre entre les Pompéiens et César, des marchands italiens s'occupaient du commerce des blés'. Un quart de siècle plus tôt, un L. Herennius, qui avait des relations dans l'ordre équestre, faisait de la banque à Leptis*; nous ignorons si c'était Leptis la Grande ou Leptis la Petite. Au milieu du i" siècle, des Romains étaient établis à Hadrumète et à Thapsus^, cités libres comme les deux Leptis. Pour les punir de s'être mis du côté des Pompéiens, César les frappa en bloc d'une amende, plus élevée, dans l'une et l'autre ville, 1. Ad famil., XII, 24, 3 : « procurât ratioues negotiaque Dionysi nostri ». 2. Conf. ibid., XII, 30, 5. 3. Ibid., XII, 27. 4. Ibid., XII, 26 : « Q. Turius, qui in Africa negotiatus est, vir bonus et honestus, etc. » 5. Ibid., XII, 29 : « negotia Lamiae, procuralores, libertos, familiam ». 6. Ibid., XII, 21 : « G. Anicius ... negotiorura suorum causa legatus est in Afri- cam legatione libéra. » 7. Bell. Afric, XXXVI, 2. 8. Cicéron, Verrines, Act. II, i, 5, 14 : « negotiatorem ex Africa »; ibid., v, 59, 155 : « ... quem ille argentariam Lepti fecisse dicit ». 9. Bell. Afric, XGVIl, 2. VILLES LIBRES, SUJETS, CITOYENS ROMAINS. 71 que celle qu'il infligea à la cité elle-même' : ce qui peut faire supposer qu'ils étaient, dans leur ensemble, plus riches que les autres habitants, quoiqu'ils fussent évidemment beaucoup moins nombreux ^ C'est surtout à Utique, à la fois cité libre et capitale de la province, que les Romains et Italiens étaient en nombre. Il y en avait beaucoup (sans doute plus que d'ordinaire, à cause des besoins de la guerre) en 109-8, au temps où l'on avait à combattre Jugurtha : des publicani, fermiers des redevances et fournisseurs de l'armée, des «e^o/za/ores, marchands et manieurs d'argent. Les lettres qu'ils écrivaient à Rome sur la façon dont les opérations militaires étaient conduites avaient du poids sur l'opinion \ En 82, les citoyens romains établis à Utique se soulevèrent contre le propréteur Fabius Hadrianus et le brûlèrent dans son palais'. Au cours de la guerre civile, de 49 à 46, les Romains de ce lieu sont assez fréquemment mentionnés. S'occupant d'affaires diverses', ils formaient dans la population un groupe très important^ qui comptaitde nombreux chevaliers ^ Parmi ces Romains, de grands négociants, des armateurs, des financiers, personnages fort riches, capables de faire de gros prêts au parti pompéien*, possesseurs de beaucoup d'esclaves^, constituaient un corps de trois cents membres'*' et 1. Ibid. ; 3 millions de sesterces contre 2 millions à Thapsus, 3 millions contre 3 à Hadrumète. 2. A moins que César n'ait voulu les punir plus rigoureusement. 3. Salluste, Jug., LXIV, 5 : « negotiatores, quorum magna multitude Utieae erat »; conf. ibid., LXV, 4. Velléius Paterculus, II, 11, 2 : « publicanos aliosque in Africa negotiantes ». 4. Cicéron, Verrines, Act. II, i, 27, 70 : « cives Romani ». Valère-Maxime, IX, 10, 2 : « cives Romanos, qui Utieae consistebant ». 5. César, Bell, civ., 11, 36, 1 : « conveutus is, qui ex variis generibus constaret ». Bell. Afric, XC, 2 : « cives Romanos negotiatores ». 6. Cicéron, Pro Ligario, 8, 24 : « conventus fîrmi atque ampli ». 7. Btll. Afric, LXVIII, 4 : « équité Romano de conventu Uticensi ». Dion Cassius, XLIII, 10, 2. 8. Bell. Afric, LXXXVIU, 1 ; XC, 2 et 4. 9. Plutarque, Caton le Jeune, 59 et 61. 10. Bell. Afric, II. ce. Plutarque, Calon, 39, 61-66. Appien, Bell, civ., 11,93. 72 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. tenaient des réunions; Caton, chargé de la défense d'Utique, les consultait^ Leur assemblée, dit un auteur grec, était appelée (yùy-)ô:r-o^^ , mot qui répond au latin senalus. Mais c'est à tort qu'on a cru' que ces Trois-Cents étaient le Sénat romain, transporté à Utique par les Pompéiens, formé des sénateurs qui s'étaient réfugiés en Afrique, complété par des chevaliers : Plutarque distingue les Trois-Cents des sénateurs*; il dit que c'étaient des gens qui faisaient du commerce et de la banque ^ Maître d'Utique après sa victoire, César les condamna à payer solidairement 200 millions de sesterces, qui seraient versés en six termes, dans l'espace de trois ans". Cette somme énorme, exigible dans un délai si court, prouve que des Romains pouvaient faire de belles fortunes en Afrique. Mais c'était sans doute, pour la plupart, un champ d'opérations fructueuses, et non une terre où ils se sentaient vraiment chez eux. L'argent qu'ils y gagnaient, souvent par des moyens dénués de scrupules, eux ou leurs héritiers devaient aller le dépenser à Rome. Oiseaux de proie qui s'abattaient sur la province, ils rentraient au nid avec leur butin. Pour se désigner, les Romains établis dans une commune non romaine employaient la formule cives Romani qui consis- tunt{en tel lieu), indiquant ainsi qu'ils y étaient des étrangers. On trouve cette formule appliquée aux Romains d'Utique'; ailleurs, à l'époque d'Auguste, dans une petite cité de VAf7nca, la variante « cives Romani qui Thinissut negotiantur »*. Dans des textes du milieu du i" siècle avant J.-C, les groupes 1. Plutarque, l. c, 59. Appien, l. c. 2. Appien, /, c. 3. Mommsen, Hist. romaine, trad. Alexandre, VIII, p. 22. Contra : Schulten, De conventibas civium Romanorum (Leipzig, 1892), p. 24. 4. L. c, 59, 61, 63, 64, 65. 5. L. c, 59. 6. Bell. Afric, XC, 5. 7. Valère-Maxime, IX, 10, 2 (à propos d'un événement qui se passa en 82 avant notre ère) : « cives Romanos, qui Ulicae consistebant ». 8. Gagnât et Merlin, Inscr. lat. d'Afrique, 306. VILLES LIBRES, SUJETS, CITOYENS ROMAINS. 73 de citoyens résidant dans des cités libres d'Afrique sont appelés conventus : on mentionne le conventus d'Utique', celui d'IIadru- mète ^, celui de Thapsus\ S'agit-il d'un terme vague et sans signification politique : « l'ensemble » des citoyens romains domiciliés dans un lieu qui n'était pas commune romaine? Ou d'un terme officiel, désignant un corps organisé, avec un conseil et des chefs? En Orient, on ne rencontre pas avant l'époque impériale de ces conventus officiels, qui avaient à leur tête des curateurs {curatores)'' . Nous serions disposé à croire que les conventus qui existaient en Afrique au temps de la guerre entre César et les Pompéiens avaient déjà ce carac- tère ^ Ceux de Thapsus et d'Hadrumète furent condamnés par le dictateur à une amende en bloc, de même que les deux cités libres® : ils devaient donc constituer, comme elles, des corps organisés, pourvus d'autorités qualifiées pour répartir et lever l'amende. Les Trois-Cents ont peut-être été le conseil (ou, comme le dit Appien, le « sénat » ') du conventus d'Utique. Ce chiffre de 300 est, il est vrai, fort élevé et peut nous inspirer des doutes sur la valeur de notre hypothèse, mais il ne faut pas oublier que le conventus d'Utique était très important. 1. César, Bell, civ., II, 36, 1. Bell. Afric, LXVIII, 4. Cicéron, Pro Ligario, 8,24. 2. Bell. Afric, XGVII, 2. 3. Ibid. 4. J. Hatzf'eld, Les trafiquants italiens dans VOrient hellénique, p. 282 et suiv. 5. AucaQ texte ne raentionae les chefs que ces conventus auraient eus. La dédicace à Auguste par les cives Romani qui Thinissut negotiantur se termine par les mots curatore L. Fabricio, mais cvCrator peut désigner ici celui qui s'occupa de l'érection du monument. 6. Bell. Afric, XGVII, 2. 7. F. supra, p. 72, n. 2. CHAPITRE m CONDITION DES TERRES A l'exception des territoires des villes libres, tout le sol de la province créée en l'an 146 devint alors un domaine du peuple romain*. La commission de dix sénateurs, adjointe à Scipion, dut prendre aussitôt- des mesures concernant ce domaine. Elle en concéda une bonne partie. Le reste fut réservé, pour être plus tard l'objet de décisions nouvelles. D'autre part, les terres concédées demeurèrent propriété de l'État, qui garda le droit strict d'en disposer. Un grand nombre de lois, sénatus-consultes, ordonnances de magistrats furent donc rendus au sujet de Vager j^ublicus populi Romani d'Afrique, durant le siècle qui s'écoula depuis l'annexion. Nous ne connaissons que quelques-uns de ces actes législatifs et administratifs. L'un des plus importants fut la loi Rubria, qui, en 123, décida la fondation d'une colonie à Carthage, avec attribution de plusieurs milliers de lots de culture. La suppression de la colonie, en 121, n'entraîna pas, nous l'avons dit^, le retrait 1. Le principe que les provinces sont des domaines du peuple romain eat affirmé par Cicéron {Verrines, Act. II, ii, 3, 7) et par d'autres après lui (voir Mar- quardt, Rom. Staatsverwaltung, 2° édit., II, p. 181, n. 5). Je crois qu'il a été appliqué dès la constitution de la province d'Afrique : v. supra, p. 47, n. 5. 2. P. 65. CONDITION DES TERRES. 75 des assignations déterres. Cependant elle nécessita le règlement de diverses questions. Nous ne pouvons faire que des hypo- thèses très fragiles pour la période qui s'écoula entre 121 et 111 '. Mais le hasard nous a conservé des débris d'une table de bronze^, qui portait le texte d'une loi* votée en 111*, peut- être sur la proposition du tribun Sp. Thorius^, et concernant Vager publicus d'Italie, d'Afrique et du territoire de Corinthe. Nous n'avons à nous occuper ici que de la seconde partie, qui embrassait la moitié de l'ensemble (51 lignes sur 105). De ce texte, si précieux, il ne reste que des lambeaux : la science et l'ingéniosité de divers érudits, parmi lesquels il faut surtout nommer Rudorfî et Mommsen, ont permis une restitution partielle, qui laisse subsister bien des incertitudes. La loi décide la création d'un magistrat extraordinaire, appelé duumvir^ (car il aura un collègue, chargé, pour sa part, du territoire de Corinthe). Des pouvoirs très étendus sur le domaine public d'Afrique lui sont attribués. Il s'agissait tout d'abord de vérifier les droits de ceux qui détenaient des lots de colons : colons ou leurs héritiers, acheteurs de lots de colons ou héritiers de ces acheteurs. La superficie des lots et probablement aussi leur nombre devaient être ramenés aux chiffres qu'avait fixés la loi Rubria', — pourtant 1. V. supra, p. 65-66, 2. Onze fragments, connus dès le xvi« siècle; deux sont aujourd'hui perdus. La table, large de plus de deux mètres, avait servi d'abord, en 123 ou 122, à la publication officielle d'une autre loi, la lex Acilia repetundaram, au revers de laquelle on grava la loi agraire. 3. G. /. L., I, n° 200 (p. 75 et suiv.), avec le commentaire de Mommsen (== Mommsen, Gesammelte Schriften, I, p. 65-145). Dans la seconde édition du tome I"du Corpus, cette inscription porte le n° 585 (p. 455 et suiv.). 4. Avant le milieu de l'année : voir 1. 95, où il est question des futures moissons et vendanges de cette année-là. 5. On a beaucoup écrit sur la question de l'identité ou de la non-identité de la loi de 111 et de celle de Thorius, mentionnée par Gicéron {Brutus, 36, 136; De orat., 11, 70, 284) et par Appien {Bell, civ., I, 27, où il faut certainement corriger Bôp'.oç en 0($pio;). II ne me paraît pas nécessaire de discuter ici ce problème. Voir, en dernier lieu, Saumagne, Rev. de philologie, 1927, p. 50 et suiv. 6. L. 57, 58, 61, etc. 7. L. 59-60 et 61. 76 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOLS LA REPUBLIQUE. abrogée, — et que les triumvirs de 122 avaient dépassés'; il fallait aussi mettre fin à des usurpations commises par des particuliers. La loi ordonne donc que, dès son entrée en charge, le duumvir rendra un édit-, invitant les détenteurs actuels à faire une déclaration', dans un délai qui paraît avoir été de 75 jours* : faute de quoi, ils seront déchus ^ Après véri- fication, le duumvir les confirmera dans leurs droits, si ceux-ci sont légitimes*^; une fausse déclaration entraînera naturellement la dépossession, et le dénonciateur recevra une partie de la terre'. Une autre question très grave doit occuper le duumvir. L'État avait fait à Rome des ventes de terres publiques d'Afrique^ et il se proposait d'en faire encore, après le vote de la loi^ Ces ventes portaient, non seulement sur des sols disponibles, mais aussi sur des terres que détenaient, en vertu de droits ou de faveurs régulièrement accordés, des citoyens romains'", des sujets ", d'autres encore '^ Nous pouvons supposer qu'en procédant de cette manière, on voulait consti- tuer, pour les vendre, des lots étendus, d'un seul tenant. Certaines de ces terres, propriétés particulières appartenant à des colons ou ayants cause, avaient été vendues soit par erreur, soit par abus. Pour les autres, dont l'État s'était réservé la propriété, il avait usé de son droit en les reprenant. Mais 1. Voir p. 60 et 62. 2. L. 52. 3. L. 53 et suiv. L'acquéreur [ou l'hérilier de l'acquéreur] d'une terre assignée à un colon devra faire la preuve qu'il l'a achetée et qu'il ne l'a pas aliénée : 1. 64. 4. Le chiffre est mutilé (1. 53); la restitution [LiXXV est plausible. 5. L. 57. 6. L. 62, 64-65. 7. L. 90. 8. L. 47, 48, 58. 65, 67, 69, 91-92. 9. L. 75 : « ager ... quel Romae publiée veniei[t] venieritve •. L. 83 : « agro ... quel Romae publiée venierit ». Voir aussi I. 70, 73, 76, 80. 10. L. 63, 68-69. Aux citoyens romains, il faut sans doute joindre des Italiens. 11. L. 77-78. 12. Les cités libres (1. 75-76), les transfuges (i6jd.), des détenteurs de terres publiques soumises à des redevances (1. 91). CONDITION DES TEHRES. 77 l'exercice rigoureux de ce droit eût été aussi inique que dange- reux. Il l'ut donc décidé que ceux qui avaient été ou seraient ainsi dépossédés, et dont les titres seraient reconnus réguliers', recevraient, en compensation, des terres publiques disponibles*; ces dernières leur seraient attribuées dans les mêmes condi- tions que celles dont ils étaient ou seraient privés^ Le duumvir fut chargé d'accorder ces compensations^, non seule- ment pour les ventes antérieures, mais pour celles qui allaient se faire. Il reçut aussi le droit d'annuler des ventes publiques faites à Rome et de maintenir les anciens propriétaires ou détenteurs sur les terres ainsi vendues, à condition d'accorder des compensations aux acquéreurs". Enfin, dans un délai de 250 jours, il devait dresser l'état des terres publiques qui, après ces diverses opérations, resteraient en Afrique à la disposition immédiate du peuple romain, et que celui-ci soumettrait à des dîmes et à des taxes de dépais- sance*. Après cette loi de 111, se place, en 103, la lex Appiileia, ordonnant des assignations de terres en Afrique à des vétérans de Marius'. Puis une convention, passée, en 75, entre le consul C. xAurélius Cotta et le roi de Numidie Hiempsal, au sujet de terres de Vager puhlicus populi Romani que ce prince possédait dans la province d'Afrique : nous en reparlerons ^ 11 faut enfin mentionner le projet de loi présenté par Servilius Rullus. A la fin de l'année 64, ce tribun proposa d'acheter en Italie des terres, pour fonder des colonies et faire des assigna- 1. L. 91. 2. L. 58, 65, 67, 68, 69, 76, 78, 79, 91. 3. Conf. supra, p. 67, n. 2. 4. Dans un délai de 150 jours, en ce qui concernait les compensations données aux stipendiarii (1. 77); on peut croire que le même délai fut fixé pour les autres. 5. L. 68-69, 76-77, 80. 6. L. 78 et suiv. 7. V, supra, p. 68. 8. Infra, p. 80. GsELL. — Afrique du Nord. VII. 6 78 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. tions. Parmi les mesures qui procureraient l'argent nécessaire, figurait la vente de toutes les terres domaniales restant à la disposition de l'État hors de la péninsule : en Afrique, Rullus y comprenait même le sol consacré de Garthage'; il n'exceptait que les terres possédées par Hiempsal^ Cicéron, entré en charge comme consul le 1" janvier 63, prononça quatre discours contre ce projet, que le tribun se décida à retirer. II Sur le sol provincial, les décemvirs de l'année 146 assi- gnèrent^, — en fait, laissèrent, — aux indigènes des terres qui formèrent une classe spéciale, soumise à un impôt, stipendium'". Cette part faite, le domaine du peuple romain en Afrique se composait (sans parler du sol de Garthage, consacré, par conséquent non utilisable) : 1° des propriétés des citoyens de Garthage, ceux d'entre eux qui n'étaient pas morts ayant été réduits en esclavage. Situées sans doute pour la plupart à proximité de la grande ville, elles avaient appartenu surtout à la riche aristocratie punique; cependant, en général, elles ne paraissent pas avoir été très vastes ° ; 2° des terres qui avaient été aux mains des habitants des cités et des bourgs restés fidèles à Garthage durant la dernière guerre; elles furent confisquées^; 3° d'une partie des terres détenues auparavant par les 1. Gicéroa, De lege agraria, I, 2, 5; II, 19, 51. 2. Infra, p. 80. 3. Loi de 111, 1. 77 : « dederunt adsignaveru[ntv]e ». Conf. 1. 78 et 81, pour les compensations attribuées par le duumvir : les mômes termes sont employés. 4. Supra, p. 48 et suiv. 5. Voir t. IV, p. 3 et 46. 6. Supra, p. 47. CONDITION DES TERRES. 79 indigènes qui avaient fait leur soumission; Rome les prit comme une sorte de butin '. Peut-être faut-il ajouter des domaines sur lesquels la Répu- blique carthaginoise se serait réservé un droit étroit de propriété et qu'elle aurait soit exploités, soit affermés ^ Sur cet ensemble de terres disponibles, un certain nombre furent aussitôt attribuées par les décemvirs : 1° aux cités libres^ : nous avons dit que ces terres restèrent distinctes de leur territoire propre ; 2° à des transfuges \ dont la trahison fut ainsi récompensée^. Ce furent là des concessions à titre individuel, car ces hommes ne furent pas^ groupés en une commune semblable aux cités libres et pourvue, comme elles, d'un territoire propre. Les terres qu'ils obtinrent, comme celles que reçurent les cités libres, restèrent comprises dans Vager publicus : le peuple romain pouvait les reprendre et il fit usage de ce droit, mais en accordant des compensations ^ Etaient-elles soumises à un vectigal^ à un impôt qui aurait été fort léger, et même presque nul, et qui n'aurait été établi que pour marquer la propriété de Rome? Nous l'ignorons. En tout cas, elles n'étaient pas assujetties à la dîme^, exigée sur d'autres terres publiques dont nous parlerons plus loin, ni, naturellement, au stipendium, levé sur des terres assignées à d'anciens ennemis ; 3° aux enfants du roi Masinissa. Cette concession, la loi de 111' indique qu'elle leur fut faite par Scipion [président de la 1. Supra, p. 48. 2. Voir t. IV, p. 48. 3. Supra, p. 43-44. Les termes employés pour désigner ces concessions sont (loi de 111, 1. Si) : « reliquerunt, adsignaverunt » (il s'agit des décemvirs). 4. Loi de 111, 1. 75-76, 85 : « perfugae ». Pour ces transfuges, voir t. III, p. 367 et p. 404, n. 3. 5. La loi de 111 1. 76) se sert pour eux des termes : « [ager] datus adsi- gnatusve •. 6. Comme l'a cru Mommsen, Ges. Schr., I, p. 126. 7. Loi de 111, 1. 75-76. 8. La loi de 111 l'indique nettement : 1. 81 et 85. 9. L. 81. 80 LA PROVINCE D'AFHIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. commission des décemvirs]. Longtemps après, le roi Hiempsal, arrière-petit- fils de Masinissa, possédait, sur la côte, des terres que Scipion avait, dit Cicéron*, adjugées au peuple romain, qui faisaient, par conséquent, partie de la province. Il y a tout lieu de croire que c'étaient celles que les enfants de Masinissa avaient reçues en 146 sur Vager publicus : Hiempsal en aurait hérité. Les droits des princes numides sont exprimés par les termes habere fruive^ el possidere^, « avoir^ jouir, posséder ». Le peuple romain restait propriétaire. Il est vrai qu'Hiempsal conclut, en 73, avec le consul C. Aurélius Cotta un accord au sujet de ces terres, le garantissant évidemment contre une reprise. Mais cette convention n'ayant pas été soumise à la ratification du peuple, beaucoup estimaient à Rome qu'elle n'était pas valable ^ En 64-63, le tribun Rullus la tenait cependant pour bonne et, dans son projet de loi, il exceptait les terres possédées par Hiempsal de la vente générale du domaine public d'Afrique^; Cicéron ne se gênait pas pour dire® que c'était là un efîet de l'or apporté à Rome par Juba, le fils du roi de Numidie. Nous avons mentionné les assignations faites à des colons sur Vager publicus d'Afrique, en 122, en vertu de la loi Rubria, et celles qu'ordonna en 103 la loi Appuleia. On ne connaît pas d'autres concessions gratuites accordées, soit plus tôt, soit plus tard, à des citoyens romains et à des Italiens". Après des guerres heureuses en Italie, des terres arables, qui avaient appartenu aux vaincus, avaient été souvent vendues à Rome, par le ministère des questeurs : d'où la dénomination agri quaestorii* . Des ventes semblables, concernant des terres 1. Leg. agrar., 11,22. 58. 2. Loi de 111, 1. 81 : (Scipion) « [leibjereis régis Massinissae dédit, habereve fruive ius[s]i[t]. » 3. Cicéron, l. c, 1, 4, 10; II, 22, 58. 4. Ibid., II, 22, 58. 5. Ibid., I, 4, 10; II, 22, 58. 6. L. c, II, 22, 59. 7. Conf. supra, p. 68. 8. Marquardt, Mm. Staatsverwallung, 2« édit.. Il, p. 155-6. COXUITIUN l)l':S TERRES. 81 publiques d'Afrique, furent-elles ordonnées par le Sénat ou j)ar le peuple en 146 et faites cette année-là même? 11 y aurait eu là une belle occasion pour les nobles d'acquérir les riches domaines de l'aristocratie carthaginoise. Rien ne nous permet d'affirmer qu'ils en aient profité'. Mais la loi de 111 nous apprend qu'elle avait été précédée et qu'elle devait être immédiatement suivie de nombreuses ventes de terres de Vager puùlicus d'Afrique- : le Trésor avait sans doute alors de grands besoins d'argent. Ces ventes ne pouvaient se faire qu'à Rortie^, publiquement^ aux enchères^, par le ministère de magistrats du peuple romaine La loi de 111 indique le questeur ou le préteur, qnaestor praetorve\ Le questeur étant de rang inférieur au préteur, on en a conclu avec vraisemblance^ que, s'il est nommé le premier, c'est parce qu'il joue ici le rôle principal, comme dans la vente des agri quaestorii; le préteur urbain n'a probablement à inter- venir que pour assurer le paiement par celui à qui l'adjudication est faite ^ La loi contient des prescriptions sur la procédure à suivre, sur les conditions et les garanties du paiement'". Les acheteurs devaient être citoyens romains"; cependant un passage mutilé autorise à supposer qu'on admettait aussi des Latins et des Italiens '^ Ces acheteurs deviennent de véritables propriétaires; la terre 1. Gomme oa l'a supposé : Mommsen, Ges. Schr., 111, p. 162; Rostowzew, Stu- dien zur Geschichte des rôm. Kolonates, p. 316. 2. Supra, p. 76. 3. L. 75 : « [Queli ager locus in Africa est, quel Romae publics venie[t] venie- ritve... » Voir aussi 1. 48, 83. 4. L. 48, 58, 67. 75, 91. 5. L'acquéreur est appelé manceps (I. 46, 47) : ce qui atteste uae vente aux enchères. 6. L. 47 : « [Qui d]e mag(istratu) Romane émit... » 7. L. 92 : « ... q(uaestor) pr(aetor)ve pu[blice vendiderit] ». 8. Mommsen, Ges. Schr., l, p. 138. 9. Conf. loi de 111, 1. 73-74, 83. 10. L. 46-48, 70-74, 83-84. Conf. Mommsen, L c, p. 139-141. 11. L. 76, 78. Conf. j. 73-74. 12. L. 50. 82 LA PROVINCR D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. est désormais, comme les lots assignés gratuitement à des colons, uiiagerprivalus\ Toutefois, l'Etat maintient son droit supérieur, son dominium : la terre est, non seulement un ager pjivalus^ mais un a^er privatus vectigalisque'^, soumis au vecligal, à la rente qu'un propriétaire tire de son bien-fonds. Ce vectigal était- il exigé? On en a douté^; pourtant il est indiqué d'une manière si nette dans l'expression qui désigne juridiquement ces terres, qu'il nous paraît difficile d'admettre que l'État ait renoncé à le percevoir; il devait être fort minime'. Telles sont les catégories de terres de la province d'Afrique sur lesquelles le peuple romain continue à garder des droits, mais dont il ne dispose plus, sauf dans des circonstances exceptionnelles. Toutes sont sans doute des terres arables, comprises dans la centuriation qui fut exécutée très proba- blement aussitôt après l'annexion. III Dans une longue énumération, la loi de 111 distingue, aussi clairement que possible, les terres dont nous venons d'étudier les diverses conditions, et le reste des terres publiques d'Afrique. Ces dernières sont celles sur lesquelles le peuple romain conserve à la fois une propriété de droit et une propriété de fait. La loi, on l'a dit% prescrit au duumvir d'en dresser un état, après qu'il en aura distrait les compensations accordées à ceux que des ventes faites à Rome ont dépouillés. Vu le peu d'étendue de la province, les enclaves qu'y formaient les territoires des cités libres, les assignations ou 1. Loi de m, 1. 80. 2. Ibid., 1. 49. Comme aussi les lots qui avaient été assignés à des colons : 1. 66 : V. supra, p. 67. 3. Mommsen, l. c, p. 128. 4. Conf. M. Weber, Die romische Agrargeschichte, p. 155; Rostowzew, Stadien z. Gesch. des rôm. Kolonates, p. 316, 318. 5. Supra, p. 77. CONDITION DES TERRES. 83 ventes qui avaient dessaisi l'Etat, nous ne devons pas nous exagérer le nombre de ces terres. Celles qui venaient d'être données en échange de terres arables étaient certainement arables aussi. Mais il en restait qui pouvaient être cultivées, puisque Rome les soumettait à des dîmes'. D'autres ne se prêtaient pas à la culture ou n'étaient pas défrichées : lieux rocheux, marécageux, boisés, broussailleux. Quand ces terrains couverts de végétation naturelle étaient étendus, on les appelait saltus^ dans le sens propre du mot^ Les vastes espaces d'accès malaisé et tout à fait stériles constituaient, en dehors du réseau des centuries, des loca relicta ou exlrachiscr^ ; l'Etat ne les comprenait pas dans les lots qu'il assignait ou vendait. De même, les espaces stériles plus petits, qui restaient en bordure* ou à l'intérieur des centuries. Tous ces terrains, les uns irrémédiablement mauvais, les autres non rendus utilisables par le travail de l'homme, ne servaient qu'à la pâture, quand ils servaient à quelque chose. Le gouvernement aurait pu laisser gratuitement une partie d'entre eux à la disposition exclusive des indigènes ou des Romains dont les terres arables étaient dans le voisinage immé- diat, admettre ainsi sur ces sols de très faible valeur un droit de possession, qui aurait appartenu soit à un individu, — un grand propriétaire romain, — soit à une collectivité, — un groupe de propriétaires, ou bien les gens d'un village indigène. Il aurait pu même, rompant avec de vieux usages, joindre dans ses ventes des terres de pâture à des terres arables. Nous n'avons aucune preuve qu'il ait agi ainsi en Afrique à l'époque républicaine'. 1. Loi de 111, 1. 82. 2. CoQf. t. I, p. 142. 3. V. supra, p. 12. 4. Au contraire, les « subsécives » cultivables pouvaient être assignées et l'étaient en effet : o. supra, p. 13 (n. 3) et 02. 0. Dans VAfrica nova, province créée par César, il y avait des domaines qui, 84 LA PROVINCE D'aFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. Mais il est certain qu'il s'était réservé des terres sur lesquelles il avait établi à son profit des taxes de dépaissance (scriptura pecoris), mentionnées à plusieurs reprises dans la loi de l'année 111'. Ces terres, les abandonnait-il à l'usage commun, en laissant à qui le voulait le droit d'y introduire du bétail, moyennant une redevance par tête d'animal? En Italie, la commune pâture était une vieille pratique, et la loi de 111 l'autorisait encore sur les terres publiques qui ne seraient pas louées. En Afrique, elle eût pu rendre de grands services à des nomades, qui auraient tenu leurs troupeaux sur ces terres du peuple romain pendant une partie de l'année. Mais rien n'indique qu'il y ait eu des nomades vivant dans la province, ni que Rome ait permis à des pasteurs étrangers de venir y transhumer; tous ses sujets semblent avoir été fixés au sol. La loi de 111 atteste, au contraire, que la taxe était levée sur des terres dont des particuliers avaient l'usage personnel-, et, quand elle défend aux magistrats futurs de modifier, contre le gré de ces particuliers, les conditions de dépaissance^ peut- être s'agit-il précisément d'empêcher la substitution de la commune pâture au régime existant. En fait, ces droits d'usage devaient être surtout désirés et exercés par des propriétaires ou des groupes de cultivateurs voisins. Sur d'autres terres publiques que l'État s'est réservées, il fait percevoir des dîmes. Des cultivateurs, établis à demeure, exploitent donc ces terres, soit qu'ils les aient eux-mêmes défrichées, soit qu'il les aient trouvées en état de porter des fruits. Parmi les hommes, assujettis à des redevances, qui se outre des centuries cultivées, compreaaient des subsécives incultes : C. I. /-., VIII, 25902, I, lignes 6 et suiv. 1. L. 88, 92. Voir aussi 1. 82, 83, 86. 2. L. 83, 86, 88. 3. L. 87-88. Voir aussi I. 86. CONDITION DES TEItRËS. 85 livrent ainsi soit à l'élevage, soit à la culture, il y a des citoyens romains'; il y en a aussi d'autres, que la loi indiquait dans un passage aujourd'hui mutilé^ : sans doute des Italiens, et aussi des Africains; ceux des indigènes qui ne disposaient pas à'afjri stipendiariorum pouvaient ainsi trouver des moyens de vivre. La condition juridique de ces gens sur le domaine public est exprimée par les termes habere, frui, possidere \ « avoir, jouir, posséder » ; le mot possidere est surtout employé ; la terre dont ils disposent est pour eux une possession C'est là une preuve qu'il ne faut pas voir en eux des fermiers, jouissant de la terre en vertu d'un contrat bilatéral, pour un temps déterminé, généralement pour cinq ans, avec renouvel- lement possible du bail, soit par un nouveau contrat, soit par tacite reconduction. Le fermier n'était pas un possessor~\ Il exista dans l'ancienne Rome, jusqu'au ii' siècle avant J.-C, un droit d'occupation sur les terres conquises, qui, appartenant à l'Etat, restaient incultes. Qui le voulait pouvait, après décla- ration, — donc par un acte unilatéral", — les occuper et les cultiver, moyennant une redevance, part de fruits, le dixième des moissons, le cinquième des produits des arbres; l'État se réservait la propriété de ces terres, qu'il avait le droit de reprendre à son gré. Mais, par un abus, beaucoup d'occu- pants se contentaient d'y faire paître des troupeaux, et, d'autre part, l'Etat négligeait de réclamer des redevances et n'exerçait pas son droit de reprise. Les occupants étaient des possesso7'es, les terres, des possessiones. Le droit d'occupation, qui paraît avoir été supprimé en Italie dès 133, y fut définitivement aboli 1. L. 83; peut-être aussi I. 94. 2. L. 8.3. 3. L. 82 : « ... possidebit frueturve ». L. 83 : « possidebit ». L. 88 : « posside- bunt ». L. 91 : « haberent... • (s'il s'agit bien de ces gens). L. 92 : . [habet possi- detv]e fruiturve » (même observation). 4. L. 92, 93. 5. Conf. Fustel de Coulanges, Les origines du système féodal, p. 86. 6. Cuq, Manuel des institutions juridiques des Romains, p. 260. 86 LA PUOVI^'CE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. par la loi de 111. Etait-il admis dans la vieille province d'Afrique, avant et après cette loi? Rien ne permet de le croire. C'est seulement au second siècle de notre ère que nous le constatons dans l'Afrique proconsulaire : il avait été institué par l'empereur Hadrien', Auparavant, dans la contrée dont César fit, en 46 avant J.-C, la province d'Afrique nouvelle, et qui, peu d'années après, fut réunie à la vieille Afrique, une lex Manciana avait établi un régime différent : les colons d'un domaine, — et non pas n'importe qui, — pouvaient en cultiver les parties non défrichées ou abandonnées, l'exploitation pastorale n'étant pas admise; mais ils devaient faire à cet effet une pétition et être mis en possession par le propriétaire^ : ce n'était donc pas un droit d'occupation. La lex Manciana est certainement anté- rieure à Trajan, et peut-être même bien plus ancienne : peut- être remonte-t-elle au début de l'Empire et est-elle un règle- ment imposé par l'État aux acquéreurs des terres publiques qu'il vendit, à l'intérieur des limites assignées par César à VAfrica nova^. Sans pouvoir en donner la preuve, nous serions disposé à croire que la condition des possesseurs sur Vager publicus de VAfrica velus fut à peu près la même, avec cette différence qu'il s'agissait, non seulement de sols incultes à mettre en valeur, mais aussi de terres dont les unes pouvaient être exploitées aussitôt, dont les autres n'étaient propres qu'à servir à la pâture. Ceux qui auraient voulu en jouir et y faire soit des cultures de céréales ou d'arbres fruitiers, soit de l'élevage, les 1. G. /. L., VIII, 25943, II, 1.8-9; 111, I. 3-4. Ibid., 26416, II, I. 7 et suiv.; III, i. 1-2, 17-18. 2. Ibid., 25943, I; 25902, I, 1. 6 et suiv. (voir aussi IV, I. 10 et suiv.), 3. Mais qu'il ne dut pas vendre aussitôt après la constitution de cette province. La lex Manciana est postérieure à la mensuration de VAfrica nova {C. I. L., VIII, 25902, I, 1. 7-8), vaste opération d'arpentaj^e qui ne fut probablement entreprise qu'un certain nombre d'années plus tard, peut-être après la création du camp légionnaire d'Ammaedara (u. supra, p. 10). CONDITION DES TEHUES. 87 auraient demandées par une pétition, peut-être après avoir été informés par un avis public qu'elles étaient vacantes '. Ils les auraient reçues par une concession formelle : hypothèse qui serait une certitude, si l'on pouvait affirmer, sans aucune hési- tation, que deux passages de la loi de 111 se rapportent bien à ces terres ; il y est question d'assignations faites par l'autorité publique^, en vertu d'un sénatus-consulte^ Le peuple romain conservait naturellement la propriété de ce qu'il avait ainsi concédé à titre précaire; mais la loi de 111 décida que ceux qui avaient été dépouillés, par suite de la vente à Rome de la terre qu'ils occupaient régulièrement, rece- vraient une compensation égale \ Il est difficile d'admettre que les possesseurs aient été autorisés à vendre, et si, en fait, ils transmettaient à leurs héritiers, ce n'était sans doute pas par un droit formel. Ils devaient à l'État des vectigalia^ : soit les dîmes {decumae)^ des produits du sol, céréales, vin, huile', peut-être aussi légumes; soit une taxe sur le bétail {scriptura pecoris)^^ fixée probablement à tant par tête d'animal. La loi de 111 défendait, semble-t-il, aux magistrats futurs de modifier le taux des vectigalia qui avait été établi par les censeurs précédents (en 113-114) ^ elle interdisait aux publicains d'exiger plus que ce taux ^". Il s'agit des vectigalia en général, c'est-à-dire des decumae, 1. Conf. un avis de cette nature, concernant des domaines impériaux, dans l'inscription d'Ain el Djemala : C. l. L., VllI. 25943, IV. 2. L. 91 : « ... agrumque, quei eis publiée adsignatus esset ». 3. L. 93 : « ... is ager ex s(enalus) c(onsulto) datus adsignatus est ». 4. L. 91. Ceux qui étaient exclus de la possession d'une terre n'avaient plus à payer sur elle de taxes de dépaissance : la loi prend soin de le dire (1. 92). 5. L. 82 : «nei vectigal, neive decumas, nei[ve] scripturam... ». Il ne s'agit pas ici de trois choses différentes, mais de vectigalia qui sont, d'une part, les decumae, d'autre part, la scriptura (conf. Cicéron, De imp. Cn. Pompei, 6, 15). Autres mentions de ces veclignlia, 1. 85 et suiv. _ 6. F. supra, p. 83. 7. Pour le vin et l'huile, voir loi de 111, 1. 95. 8. V. supra, p. 84. 9. L. 87-88. 10. L. 86. 88 LA PROVINCK DAKIUljUE SOUS LA ItEPlMJLIQUE. aussi bien que de la scriplura. Par conséquent, ces dîmes, que l'on fixait et qu'on ne devait point modifier, étaient, non pas des dîmes au sens primitif du mot, le dixième des produits, mais une quote-part sans doute plus forte : sous l'Empire, les colons des domaines avaient à remettre, d'ordinaire, le tiers des fruits du sol ou des arbres. Un article de la loi de 111 s'applique à ceux qui, « en vertu de la loi Sempronia i^une loi d'un des deux Gracques?], n'avaient pas coutume » de verser des vectigalia; il maintient cette exemption'. Nous ne savons pas de quoi il s'agit'^. Les débiteurs paraissent avoir été tenus de transporter en des lieux déterminés la part qu'ils avaient à livrer \ On n'a pas de renseignements sur les mesures évidemment prises contre les possesseurs qui abandonnaient leur terre, qui la cultivaient mal (grave dommage pour les ayants droit du peuple romain, auxquels revenait une part des produits), qui ne s'acquittaient pas de leurs redevances. Ces redevances, l'Etat ne se chargeait pas de les recueillir et il n'en prenait pas livraison. Il les adjugeait à Rome, dans une vente aux enchères. Le plus offrant était ainsi substitué au peuple dans la propriété des vectigalia dus à celui-ci'; il les percevait*^ à ses risques et périls. Les termes officiels pour désigner ces ventes étaient vectigalia publica fruenda locare vendere ^ Elles étaient faites par les censeurs, qui rédigeaient préala- blement un cahier de charges, contenant les obligations impo- sées aux adjudicataires. Le bail courait à partir du 15 mars venant après l'adjudication et restait en vigueur jusqu'à ce que 1. L. 82 : « ... [pr]o pecore ex lege Sempronia dare Qon solitei sunt «. 2. Les mots soHlei sunt semblent bien prouver que ce n'était pas là une exemp- tion temporaire, qui aurait été accordée, par exemple, à des victimes d'un sinistre. 3. Loi de 111, 1. 94 : « ...os comportent ». Conf. Mommsen, Ges. Schr., I, p. 145. 4. C'est pourquoi la loi de 111 indique (1. 83) que les vectigalia sont dus « populo aut publicano ». 5. L. 83 et 85. 6. Loi de 111, 1. 85, 87, 88. CONDITION DES TEIUIES. 89 les censeurs suivants eussent procédé à une adjudication nouvelle. La durée normale était de cinq ans ; mais, comme les intervalles entre les censures successives n'étaient pas inva- riables, elle pouvait être écourtée ou allongée d'un an, voire même de plusieurs années. Elle s'étendait toujours sur une période d'années pleines, le point de départ étant le 15 mars. Dans l'intervalle des censures, des adjudications supplémen- taires pouvaient être faites par d'autres magistrats : la loi de 111 en mentionne une, à laquelle avait procédé Cn. Papirius Carbo, consul en 113 *. Dans leur cahier de charges, les censeurs fixaient le taux des vecligalia à percevoir ^ : nous avons indiqué ' que la loi de 111 paraît avoir interdit de le modifier à l'avenir. Mais elle permit aux magistrats futurs d'exiger des adjudicataires plus que ne l'avaient fait les censeurs précédents^ : le plus offrant l'empor- tant, il s'agissait sans doute d'un minimum, qui servait de point de départ aux enchères et empêchait des ententes préju- diciables à l'Etat. Les adjudicataires des services, revenus et dépenses publics étaient appelés publicani, et c'est, en effet, ainsi que l'on quali- fiait les hommes qui achetaient les redevances de Vager publicus d'Afrique ^ L'affaire étant trop grosse pour rester entre les mains d'un seul capitaliste, celui qui se portait officielle- ment acquéreur (manceps) avait derrière lui une société, formée généralement de chevaliers: les sénateurs ne pouvaient en être membres, quoique beaucoup d'entre eux ne se privassent pas d'y participer par intermédiaires. Certaines de ces compagnies 1. L. 89. 2. Voir loi de 111, 1. 85 etsuiv., pour la lex dicta des censeurs de llo-lli. Conf. Cicéroû, Verrines, Act. II, v, 21, 53 : « Qui publicos agros arant, certum est, quid e lege censoria debeaat. • 3. P. 87. 4. L. 86-87. 5. Loi de 111, 1. 83, 85. Meotioa de publicani en Afrique à cette époque : Velléius Paterculus, II, 11, 2. Voir aussi Cicéron, TerriVies, Act. II, m, 11, 27. 90 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. étaient fort puissantes ; l'une d'elles, par exemple, accaparait les decumae, la scriplnra^ le porlorium (dîmes, taxes sur le bétail, douanes) de la province d'Asie; une autre percevait le portorium et la scriptura en Sicile. A la tête de chaque société, était un magister annuel, administrateur général résidant à Rome; dans la province, il y avait un sous-directeur, pro magistro, qui commandait à un nombreux personnel, composé surtout d'affranchis et d'esclaves'. Nous n'avons pas de rensei- gnements précis pour VAfrica. Dans une lettre adressée en 56 à un proconsul de cette province, Cicéron lui recommande un certain Cuspius, qui, dit-il, a fait deux séjours en Afrique, alors qu'il présidait aux affaires très importantes d'une société ^ Peut-être était-ce la compagnie fermière des vectigalia. Les publicains n'avaient à s'occuper que de la perception des redevances à leur profit. Rien n'indique qu'ils aient loué, qu'ils aient exploité des terres publiques d'Afrique, qu'ils soient inter- venus dans l'attribution de ces terres à ceux qui les cultivaient ou qui y faisaient paître des troupeaux. Ils ne pouvaient pas modifier les redevances. En cas de non-paiement, ils avaient un droit de gage, mais non pas un droit d'expulsion ; ils devaient poursuivre en justice les défaillants et récalcitrants'. La règle à Rome était que les adjudicataires des revenus publics s'acquittassent envers l'Etat en argent. Il en était certaine- ment ainsi pour les publicains qui achetaient les vectigalia d'Afrique\ De leur côté, ils percevaient en argent la taxe sur le bétail; quant aux parts de fruits qui leur étaient livrées, c'était affaire à eux de les convertir en espèces. Comme elles consistaient surtout en blés, nécessaires à l'alimentation de Rome, il était 1. Marquardt, Rom. Staatsverwaltung, 2* édit., II, p. 300-1. 2. Ad famil., XIII, 6, 2 : « Fuit ia Africa bis, cum maximis societatis negotiis praeesset. » 3. Çonf. GicéroQ, Verrines, Act. II, m, 11,27 : « Cum omnibus in aliis vectiga- libus, Asiae..., Africae..., cum in his, inquam, rébus omnibus publicanus petitor aut pignerator, non ereptor, neque possessor soleat esse... >• 4. Loi de 111, I. 87 : (le publicain) « ... populo dare debeat solvatque ». CONDITION DES TERRES. 91 très aisé de les vendre, soit en Afrique, soit à Home même, si la compagnie de publicains se doublait d'une compagnie d'ar- mateurs. IV L'ager publicus d'Afrique reçut des accroissements à l'époque républicaine : des biens en déshérence, des biens confisqués aux temps des proscriptions de Marins, de Sylla, puis du second triumvirat, et dans d'autres circonstances encore. Il est évident qu'après la victoire remportée parCésar à Thapsussurle roi Juba^ les terres concédées aux fils de Masinissa et confirmées au père de ce Juba, Hiempsal, firent retour au domaine public; peut- être en fut-il de même de celles qui avaient été concédées, en dehors de leur territoire, aux cités libres d'Hadrumète et de Thapsus, que César tint à punir de leur attachement aux Pompéiens ^ Mais nous avons vu, d'autre part, que des assignations, des ventes, des compensations données à des Romains, Italiens ou indigènes, avaient très fortement diminué Vager publicus dès le second siècle. Les amputations durent continuer au siècle suivant, et les pertes l'emporter de beaucoup sur les acquisitions, qui étaient peut-être aussitôt aliénées. Ce qui est sûr, c'est que les auteurs et les inscriptions de l'époque impériale sont muets sur le domaine public qui avait existé dans la vieille Afrique. Il n'y a pas lieu de croire qu'il était tombé aux mains de l'empereur : ce transfert eût été irrégulier dans une province réservée au Sénat. Des domaines impériaux sont, d'ailleurs, rarement mentionnés dans la contrée qui avait constitué sous la Répu- blique la provincia Africa^, et ils avaient pu échoir au prince 1. L'auteur du Bellum Africum nous apprend (XGVII, 2) qu'il leur infligea des amendes. 2. C. I. L., VIII, 25988. Peut-ôtre 25893 6, et 14428; mais ces lieux peuvent avoir été dans VAfrica nova. Une regio Thuburbitana et Canopitana (Gagnât et Merlin, Inscr. lat. dC Afrique, 246), qui appartenait à l'administration impériale, a 92 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. à titre privé, en héritage. Uager publicus était donc presque entièrement, sinon entièrement, passé entre les mains de parti- culiers, véritables propriétaires, quoique, au-dessus d'eux, l'Etat conservât le dominhim, propriété de droit. II se peut que, sous César et sous Auguste, la fondation de colonies et des assignations individuelles aient largement contri- bué à cette disparition, soit directement, soit par les échanges auxquels ces opérations durent donner lieu. Cependant cela n'est pas certain, car les terres nécessaires à l'établissement des colons et autres bénéficiaires auraient pu être achetées. Il faut donc admettre, ou des usurpations', difficiles à expliquer^, ou des ventes, ou une modification dans la condition des terres : au lieu d'être occupées par des précaristes, soumis à des rede- vances, elles seraient devenues des ag7'i j^rioati vectigalesque, ou bien des agri sti/iendiarioi'um, selon la condition des possesseurs, citoyens romains ou indigènes. Ce qui eût natu- rellement entraîné la suppression de l'affermage des redevances aux publicains, gens d'ordinaire assez puissants pour ne pas se laisser dépouiller d'une source de profits. Et, avant cette sup- pression, l'Etat n'aurait pu modifier le statut des terres de son domaine que lors de nouvelles adjudications, puisque, les publicains achetant les vectigaUa pour un prix et une période déterminés, il ne convenait pas de diminuer leurs bénéfices pendant cette période. Sur la question de la disparition de Vager publicus dans la vieille province d'Africa, nous ne pouvons donc faire que de fragiles hypothèses. L'existence de grands domaines, appartenant à des particu- liers, est attestée en Afrique au premier siècle de notre ère'; pu être une circonscription fiscale, et non pas à la fois fiscale et domaniale. Un fandas ...itarnis, à Henchir Sidi Salah, à l'Ouest de Sousse (C. /. L., 23022): cette propriété paraît avoir été impériale, du moins à l'époque de Marc-.\urèle. 1. Comme il y en eut sur le domaine public de Cyrénaïque : Tacite, Ann., XIV, 18; Hygin, dans Gromat. vet., 1, p. 122. 2. Car les publicains avaient intérêt à les dénoncer. 3. Pline l'Ancien, XVIII, 35. Fronlin, De controversiis agrorum, d&na Gromat. vet.. CONDITION DES TEllUES. 93 bon nombre d'entre eux devinrent ensuite domaines impériaux. Mais la plupart, si nous en jugeons par les documents épigra- phiques, se trouvaient dans les limites qui, lors de l'annexion du royaume de Numidie en 46 avant J.-C, furent assignées à la province d'Africa 7wva, bientôt réunie à VAfrica vêtus. Dans les limites de celle-ci, les grands domaines privés paraissent avoir été assez rares sous l'Empire \ Etaient-ils plus nombreux et plus vastes sous la République? On a quelques raisons de le croire, du moins pour la fin de cette époque. Ils auraient appartenu surtout à des chevaliers et à des sénateurs. En 56, Cicéron dit que M. Ceelius Rufus, fils d'un chevalier et qui devint lui-même sénateur, avait en Afrique des biens et possessions qu'il tenait de son père'. En 43, L. Julius Calidus, chevalier, fut menacé de proscription, parce que « ses grandes possessions d'Afrique » excitaient la convoitise d'un officier d'Antoine le triumvir^ : il est probable qu'elles se trouvaient dans la vieille province, plutôt que dans la nouvelle, créée depuis trois ans seulement*. Les sénateurs n'avaient pas le droit de s'occuper ouvertement de banque et de commerce : si donc l'un d'eux, G. Anicius, se rendant en Afrique pour ses affaires, se faisait donner, en 44, une mission officielle et souhaitait que le gouverneur de l'^/n'ca vêtus lui accordât des licteurs; si un autre sénateur, récemment I, p. 53. C. /. L., VIII, 14603 (domaine privé, qui était devenu impérial dès le milieu du i" siècle). 1. Ad Ataciii(a)e [sous-entendre praedia], sur la Table de Peutinger : conf. Atlas archéol. de la Tunisie, f« Medjez el Bab, n° 192 ou 193. — Villa Magna, dans la région de Zaghouane : C. I. L,, VIII, 899; ce nom atteste sans doute un grand domaine (conf. ibid., 25902, I, 1. 6-7). — A Henchir Bou Hamida, près de Pont- du-Fahs, il y avait un domaine, probablement important, qui paraît avoir été privé : ibid., 23977-8. — Indices d'autres domaines dans la même région : ibid., 23847, 23848, 23842, 23943. — Un vicus Haterianus, au Sud-Ouest de Thuburbo Majus, et un vicus Annaei, au Sud du même lieu, n'étaient probablement plus des propriétés privées à l'époque où des inscriptions nous les font connaître : ibid., 23125; C. r. Acad. Inscr., 1923. p. 197-9. 2. Pro Caelio, 30,73 : « in qua provincia... res erant et possessiones paternae ». 3. Cornélius Népos, Atticus, XII, 4 : « magnas eius Africanas possessiones ». 4. M. Gichorius (Rom. Stadien, p. 88) identifie ce personnage avec un L. Julius, que Cicéron (Ad famil., XIII, 6, 3) recommanda à un proconsul d'Afrique en 56, dix ans avant la création de l'Africa nova. GsELL. — Afrique du Nord. VII. 7 94 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. encore chevalier, L. iElius Lamia, chargeait Cicéron de recom- mander, en 43, à ce gouverneur ses affaires, ses procurateurs, affranchis et esclaves', il y a quelque apparence que l'un et l'autre avaient des raisons avouables de jouir en Afrique d'une protection officielle, qu'ils y possédaient des propriétés foncières : ce qui était leur droit. Mentionnons encore cette ferme très grande, pourvue de quatre tours, qui s'élevait, en 46, près d'Uzitta, au Sud-Est d'Hadrumète^, et qui était assurément le centre d'un domaine ; il est vrai qu'elle pouvait appartenir à un citoyen d'une des villes libres du littoral, et non à un Romain. En dehors des territoires de ces villes, des domaines romains, plus ou moins importants, avaient pu se former dans la province, par des achats faits, soit à Rome, lors des ventes publiques, soit en Afrique même, lorsque des citoyens romains ou des Italiens se décidaient à vendre de gré à gré les terres, assignées gratuite- ment par l'Etat ou vendues par lui, dont ils étaient propriétaires'. Quant à celles qui avaient été attribuées à des stipendiarii et grevées d'un impôt foncier, des Romains n'auraient eu qu'un avantage médiocre à les acheter, à supposer que cela leur eût été permis*. Le peuple romain, nous l'avons dit", était propriétaire d'espaces incultes, couverts de brousse ou d'arbres, qu'on appelait saltus et qui servaient de pâturages. Or, sous l'Empire, depuis le premier siècle de notre ère, le terme saltus est fréquemment usité, surtout en Afrique, pour désigner de grands domaines, privés ou impériaux. On peut donc se demander si ces domaines africains, qui, — cela va sans dire, — étaient partiellement ou totalement mis en culture, ne s'étaient pas formés sur de vastes étendues incultes, que l'Etat aurait données ou vendues à des 1. V. supra, p. 70. 2. Bell. Afric, XL, 1. 3. Gonf. sapra, p. 67. 4. Ibid., p. 49. 0. P. 83. CONDITION DES TERRES. 95 particuliers. Mais cette conclusion ne s'impose pas, car le sens « grand domaine » ne paraît pas dériver directement du sens « espace boisé, broussailleux ». Dès l'époque républicaine, le mot saltus fut employé pour désigner un ensemble de centuries : quatre, selon Varron' (ce qui répond à plus de 200 hectares), peut-être aussi davantage-; il dut recevoir ce sens parce que les ensembles ainsi constitués étaient des terres médiocres, jugées impropres à l'agriculture et qu'il ne convenait pas d'assigner en petits lots, si, contre l'usage', on les assignait. Le mot saltus^ dévenu dans cette acception un terme d'arpentage, se serait appliqué, avec le temps, à un grand espace de terres mesurées, quel que fût le nombre des centuries qu'il contenait, sans qu'on tînt compte désormais de la qualité du sol. De là, on passait aisément au sens de « grand domaine », ces domaines étant dans les provinces de l'Afrique romaine, partagés en centuries, comme le reste du territoire*. Il s'ensuit que, là où nous rencon- trons le terme saltus pour désigner une grande propriété africaine ce n'est nullement une preuve qu'elle ait été auparavant un espace inculte, donné ou vendu par l'État à un particulier. D'ailleurs, si les mentions de saltus sont nombreuses dans la contrée qui répond à VAfrica nova, je n'en connais qu'une seule^ dans celle qui fut, de 146 à 46, la province d'Afrique, dans VAfrica vêtus. Ce qui ne doit pas empêcher de supposer que l'Etat y ait aliéné, — on ne sait quand, ni comment, — les terrains sur lesquels il percevait, à l'époque républicaine, la scriptura pecoris, puisque rien n'atteste qu'il en ait encore possédé sous l'Empire. 1. Rust.,l, 10, 2. 2. Une étendue de 23 centuries, dit un auteur postérieur à Varron (Siculus Fiaccus, dans Gromat. vet., I, p. 138). 3. Conf. supra, p. 62 et 82. 4. Voir plus haut, p. 13, n. 4. 5. C. /. L., VIII, 23S42. 96 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOLS LA RÉPUBLIQUE. V A cette étude sur la condition des terres, nous joindrons quelques indications, ou plutôt quelques hypothèses, sur la manière dont elles étaient exploitées. A l'époque carthaginoise, des domaines de l'aristocratie étaient cultivés par des esclaves*; nous n'avons pas de preuves de la présence, sur ces terres privées, d'hommes libres, qui auraient versé aux propriétaires des parts de fruits^. C'étaient, au contraire, des parts de fruits que versaient à l'Etat punique les indigènes, gens de basse condition, qui tra- vaillaient de leurs mains sur les sols qu'ils occupaient '. Devenus sujets de Rome, ils furent soumis à un impôt fixe et continuèrent à mener, sur les champs qui leur furent assignés en 146, la rude vie de paysan qu'avaient menée leurs pères. Les Romains et Italiens qui reçurent gratuitement des lots de terre devaient aussi travailler par eux-mêmes : ceux, du moins, et ils ne furent sans doute pas nombreux, qui ne revendirent pas leur lot. Indigènes ou immigrés, ces petits cultivateurs se faisaient aider par leur famille et peut-être, lorsqu'ils le pouvaient, par un ou deux esclaves. De même, probablement, la plupart des hommes mis en possession, moyennant une dîme, de terres du domaine public. Quant aux Romains qui, par des achats faits à Rome ou dans la province, se constituaient des propriétés africaines, c'étaient des gens de qualité, ne touchant pas la charrue. En général, ils ne résidaient pas, et, lorsque le domaine ou le groupe de domaines qui leur appartenait était important, ils étaient représentés par un intendant, procuratoi\ homme libre. Peut-être un certain nombre d'entre eux faisaient-ils 1. T. II, p. 299-300; t. IV, p. 47. 2. T. 11, p. 300. 3. Supra, p. 46. CONDITION DES TEUHES. 97 cultiver leurs terres par des esclaves', sous les ordres d'un régisseur (vilicus), esclave lui-même. Si les domaines de la noblesse carthaginoise avaient été mis aux enchères aussitôt après l'annexion, les esclaves qui y étaient attachés auraient pu être compris dans ces ventes : à vrai dire, nous n'avons là-dessus aucun renseignement^. On sait combien se développa, en Italie et en Sicile, dans les deux derniers siècles avant notre ère, l'exploitation des grandes propriétés par la main- d'œuvre servile, quelles terribles révoltes d'esclaves éclatèrent alors dans ces deux contrées. La province d'Afrique ne semble pas avoir eu à subir de semblables crises : les esclaves qu'en 82, le gouverneur Fabius Hadrianus avait, prétendait-on, enrôlés dans un vaste complot contre leurs maîtres, habitaient, comme ceux-ci, Utique et n'étaient pas des travailleurs ruraux ^ La mise en location d'un domaine se serait mieux conciliée que la régie avec la non-résidence : elle aurait déchargé entiè- rement le propriétaire des soucis et des risques de la culture. Dans ce cas, il eût pu louer, soit à un gros fermier, qui aurait résidé et exploité selon ses propres convenances, soit à de petits cultivateurs, entre lesquels le fonds aurait été partagé. Un autre procédé eût pu être celui qui était, croyons-nous, en vigueur sur le domaine public : l'autorisation de cultiver donnée à des précaristes moyennant le versement d'une part de fruits. On pourrait même supposer qu'en vendant à Rome des terres qui étaient exploitées par des précaristes, l'Etat, au lieu de donner à ceux-ci une compensation ailleurs, stipulait, parmi les conditions de la vente, leur maintien sur le fonds. Nous sommes mieux instruits sur l'exploitation des terres africaines à l'époque des empereurs. Mais il serait, à mon avis, 1. MentioQ d'esclaves dans les campagnes de la province d'Afrique, à la fin du second siècle avant J.-C. : Salluste, Jug., XLIV, 5. 2. Gonf. supra, p. 81. 3. V. infra, p. 280. 98 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. imprudent d'appliquer à la vieille province et à la période comprise entre le milieu du second siècle et le milieu du premier des renseignements concernant une autre région de l'Afrique, — celle qui fut VAfrica nova, — et se rapportant à des temps plus récents. Car si, comme il est vraisemblable, le règlement général d'exploitation appelé lex Alanciana^ fut rendu pour des domaines de VAfi^ica nova^, il ne peut natu- rellement pas être antérieur à l'année 46, date de la création de cette province. La lex Manciana tint-elle compte de l'état dans lequel elle aurait trouvé des domaines possédés auparavant par le roi de Numidie *? Alla-t-elle chercher des modèles hors de l'Afrique, jusqu'en Egypte et en Asie? Fit-elle des emprunts à VAfrica vêtus? Cette troisième hypothèse n'aurait rien d'inadmissible, mais qu'en pouvons-nous savoir? 1. Les termes mêmes de cette lex Manciana me paraissent prouver qu'il s'agit d'un règlement qui fut fait pour divers domaines, ayant des propriétaires diffé- rents, et non pas pour un domaine particulier. 2. Conf. supra, p. 86. 3. Conf. t. V, p. 210. CHAPITBE IV ÉiTAT MATÉRIEL, CIVILISATION La contrée dont Rome fit la province d'Afrique avait été prospère sous la domination carthaginoise : les indigènes s'y livraient principalement à la culture du blé et de l'orge; sur les domaines de l'aristocratie punique s'étendaient des vergers, des olivettes, [des vignobles; le bétail abondait. La célébrité du traité de Magon atteste l'emploi de bonnes méthodes d'exploitation*. On sait qu'après la destruction de Carthage, . le Sénat fît faire de cet ouvrage une traduction latine. Elle devait rendre de grands services aux agriculteurs d'Italie. Mais elle eût pu être plus utile encore aux Romains et aux Italiens qui acquéraient des propriétés foncières dans la nouvelle province, car bien des préceptes de Magon trouvaient surtout leur application en Afrique ^ Ce qui prouve que l'enseignement du vieil agronome ne fut pas oublié dans sa patrie, c'est qu'en l'année 88 avant notre ère, un certain Cassius Dionysius, d'Utique, publia une traduction libre de son traité, en grec, et la dédia au préteur Sextilius, gouverneur de VAfrica'^. 1. Sur tout cela, voir t. IV, p. 1-49. 2. Ibid., p. 7. 3. Ibid., p. 5. 100 LA PROVINCE U'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. Cependant les propriétaires romains de l'époque républicaine prenaient certainement une part moins active que les Cartha- ginois à la gestion de leurs terres africaines; beaucoup d'entre eux devaient même à peine les connaître. Ils ne se souciaient sans doute guère de faire leur profit de la lecture de Magon. Quant aux petits cultivateurs, indigènes ou immigrés, ils apprenaient leur métier par la pratique, et non dans des livres, que ceux-ci fussent écrits en punique, en grec ou en latin. Aux yeux des Romains d'alors, l'Afrique septentrionale, — et en particulier la province, — était avant tout une terre de céréales, « ager frugum fertilis », dit Salluste ''. Sur une monnaie que les Pompéiens firent frapper au milieu du premier siècle avant notre ère, la tête de l'Afrique est accom- pagnée d'un épi et d'une charrue ^ En 49, au début de l'été, Curion, lieutenant de César, trouva la campagne d'Utique pleine de blés, attendant la moisson \ En ce temps-là, on parlait de rendements de cent pour un dans le Byzacium, autour d'Hadrumète ^.11 est vrai qu'en 4G, dans cette même région d'Hadrumète, Jules César eut grand peine à se procurer les vivres dont ses troupes avaient besoin. Mais les circonstances étaient exceptionnelles. L'année précédente, on n'avait presque pas fait de récolte, les Pompéiens ayant appelé sous les armes les travailleurs des champs. D'autre part, ils avaient donné l'ordre de transporter dans un petit nombre de villes fortes tout le blé qu'ils avaient pu recueillir dans la province^ : c'est ainsi que des approvision- nements plus ou moins importants existaient à Utique% Hadru- 1. Jug., XVII, 5. 2. Babelon, Monnaies de la République romaine, I, p. 477, n" 1, et p. 279, n" 50; voir aussi II, p. 577, n" 22. 3. César, Bell, civ., II, 37, 6 : « frumentum, cuius erant plenissimi agri ». 4. Varron, Rust., I, 44, 2. Pour cette assertion, conf. t. IV, p. 12-13. 5. Bell. Afric, XX, 4-5. 6. Plutarque, Caton le Jeune, 58. ÉTAT MATÉRIEL, CIVILISATION. 101 mète', Thysdrus'^, Acholla^ Uzitta*, Sarsura^; il y en avait aussi dans l'île de Cercina (Kerkenna) ^ Pourtant, il restait encore du blé et de l'orge dans les fermes éparses à travers la campagne, et les soldats de César ^, comme ceux des Pom- péiens % y faisaient des perquisitions fructueuses, surtout s'ils mettaient la main sur les souterrains, sur les silos, dans lesquels les paysans enfouissaient une bonne partie de leurs grains ^ En temps ordinaire, Rome trouvait de précieuses ressources dans les blés de la province'". L'Italie s'étant transformée en un pays d'arboriculture et d'élevage, les grains nécessaires à la subsistance de la grande ville venaient désormais d'outre- mer; la Sardaigne, la Sicile et l'Afrique étaient appelées « les provinces frumentaires »*'. Avant les Gracques, le blé se vendait à Rome par l'inter- médiaire de marchands, qui se le procuraient comme ils l'entendaient; les édiles n'intervenaient que pour empêcher l'exagération des prix. C'était seulement dans des circonstances tout à fait critiques, quand la famine menaçait, quand les cours 1. Bell. Afric, LXXXIX. 2. 2. Ibid., XXXVI, 2 : 300 000 boisseaux de blé, apportés dans cette ville par des marchands italiens et des cultivateurs. César, vainqueur, exigea des gens de Thysdrus une certaine quantité de blé : ibid., XGVII, 4. 3. Ibid., XXXIII, 2. 4. Ibid., LXXXIX, 1. 5. Ibid., LXXV, 3. 6. Ibid., VIII, 3; XXXIV, 2-3. 7. Ibid., IX, 1-2; LXV, 2. Voir aussi LXVII, 2 (dans les fermes qui entourent Aggar, César trouve; sinon du blé, du moins beaucoup d'orge). 8. /6id.,LXVIII, 1 et 3. 9. Ibid., LXV, 1. Conf. t. IV, p. 16. 10. On ne doit pas, d'ailleurs, exagérer ces ressources. Lors de la guerre de Jugurtha, la province ne suffit pas pour nourrir les armées de quelques dizaines de milliers d'hommes, qui combattaient en Numidie; il fallut transporter des vivres par mer : Jug., XXXVI, 1; XLIIl, 3; G, 1. 11. Cicéron, De imp. Cn. Pompci, 12, 34 : « Siciliam..., Africam..., Sardiniam..., haec tria frumentaria subsidia rei publicae ». César, Bell, civ., II, 32, 3 (discours de Curion à ses troupes) : • Caesar... provincias Siciliam atque Africam, sine quibus urbem atque Italiam tueri non potest, vestrae fldei commisit. » Varron, Rust., II, praef., 3 : « Frumentum locamus qui nobis advehat, qui saturi flaraus ex Africa et Sardinia. » 102 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. étaient très élevés^ que l'Etat achetait des grains et les faisait vendre à perte par les édiles. Mais, depuis l'année 123, il se chargea, pour une large part, de l'annone, c'est-à-dire du ravitaillement en blé de la capitale, soit par des ventes à bas prix, dont pouvaient bénéficier tous les citoyens, soit par des distributions gratuites aux indigents et à ceux qui étaient réputés tels, la quantité de blé vendue ou allouée à chacun tous les mois étant de cinq boisseaux (près de 44 litres). Jusqu'à Jules César, il y eut toute une série de lois frumentaires, du reste mal connues ', les unes inspirées par le désir de complaire au peuple, les autres par le besoin de réduire des dépenses excessives. Nous savons qu'en 63 avant J.-C., ces dépenses s'élevaient à trente millions de sesterces; que, peu d'années après, 320.000 citoyens recevaient gratuitement les cinq boisseaux mensuels]; César, en 46, réduisit leur nombre à 150.000. Une partie des blés que la province d'Afrique fournissait au service de l'annone étaient peut-être exigés des sujets à titre d'impôt : l'Etat, représenté par le questeur, les aurait reçus des fermiers chargés de percevoir cet impôt, moyennant un pourcentage sur leurs recouvrements'. Mais ce n'est là qu'une hypothèse. D'autres blés devaient être achetés : les dîmes perçues sur les terres du peuple romain étaient la propriété des publicains auxquels des magistrats les avaient adjugées à Rome ; après déduction des impôts ou des redevances, les récoltes appartenaient pleinement aux agriculteurs. L'Etat pouvait réquisitionner des blés en les payant : ce à quoi il |ne se décidait que dans des circonstances exceptionnelles; on ignore s'il eut l'occasion de le faire en Afrique ^ En général, il se contentait d'acheter, non pas aux produc- 1. Pour ces lois, voir Marquardt, Rôm. Staalsverwaliung, 2' édit., II, p. 114-8; Rostowzew, dans la Real-Encyclopàdie de Pauly-Wissowa, VII, p. 173-5. 2. V. supra, p. 53. 3. Il est probable que les Pompéiens agirent ainsi pendant la guerre civile. ÉTAT MATÉRIEL, CIVILISATION. • io3 teurs eux-mêmes, — c'eût été trop compliqué, — mais à des négociants, à des sociétés, avec lesquels il passait des marchés pour la fourniture de quantités déterminées de grains, et qui disposaient du personnel, des intermédiaires, des moyens de transport nécessaires à leurs opérations, soit dans la province même ', soit en Numidie. Ces achats, il pouvait les faire à Rome. Mais il est certain qu'il en faisait aussi en Afrique ^; dans ce cas, il lui fallait conclure d'autres marchés pour le transport par me^^ D'ailleurs, puhlicains disposant des dîmes, grands marchands de blé, armateurs ^ devaient souvent s'asso- cier, ou même se confondre, se réservant les affaires impor- tantes. Et ce n'était sans doute pas seulement aux besoins de Tannone officielle qu'ils pourvoyaient; il est à croire qu'ils ache- taient aussi et exportaient des grains pour les vendre à leur propre compte sur les marchés libres de Rome et d'autres villes d'Italie. L'agriculture africaine trouvait ainsi des débouchés sûrs. Les producteurs, il est vrai, en profitaient beaucoup moins que les trafiquants et les spéculateurs, qui pouvaient s'entendre pour leur imposer des prix peu élevés. César, ayant débarqué dans la région d'Hadrumète, n'y trouva pas le bois dont il avait besoin pour fabriquer des machines de guerre ^ A ce pays convenaient bien les termes age?^ arbori infecundus que Salluste ^ applique inexactement à l'ensemble de l'Afrique septentrionale. Au contraire, les arbres abondaient dans le voisinage d'Utique". C'étaient peut-être 1. Bell. Afric, XXXVI, 2 : mention de negotiatores Italici, qui recueillent, dans la région de Thysdrus, des blés, destinés à servir aux approvisionnements des Pompéiens. 2. Quintilien, XI, 1, 80 : en 49, .Elius Tubéron aurait été envoyé par le Sénat en Afrique, « non ad bellum, sed ad frumentum coemendum ». L'État était évidem- ment propriétaire des blés qu'il confiait à des armateurs pour les transporter d'Afrique à Rome : voir note suivante. 3. Varron, Rust., II, praef., 3 : « Frumentum locamus qui nobis advehat... ex Africa. » 4. Armateurs à Utique : Plutarque, Calon le Jeune, 6i. 5. Bell. Afric, XX, 3. &.Jag.,XYU, 5. 7. César, Bell, civ., II, 37, 6. 104 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. surtout des arbres fruitiers. Quoi qu'en dise Pline l'Ancien ', la nature n'avait pas livré à Cérès le sol tout entier de l'Afrique. Les Carthaginois et les autres Phéniciens établis dans cette contrée n'avaient nullement négligé la vigne, l'olivier, le figuier, le grenadier*. Nous avons quelques indices que ces cultures arbustives continuèrent à être pratiquées sous la domi- nation romaine. Dans un passage mutilé, qui se rapporte probablement aux terres publiques, la loi de l'année 111* mentionne des récoltes devin et d'huile. Au Sud d'Hadrumète, dans ce Byzacium qui, en général, était mal pourvu d'arbres, et voué surtout à la culture des céréales, le récit de la campagne de Jules César indique une vieille olivette, très dense*. Dans la même région, les soldats du dictateur trouvent, en visitant les fermes qui entourent le bourg d'Aggar, beau- coup d'huile, de vin, de figues ^ Le général pompéien Considius, assiégeant Acholla, a dans son camp, non seulement du blé, mais encore du vin et de l'huile ". Dans le Sud de la Gaule, le gouvernement de la République romaine défendit aux indigènes de planter des oliviers et des vignes, « afin, dit Cicéron', d'augmenter la valeur de nos olivettes et de nos vignobles ». Rien ne prouve qu'une mesure semblable ait été prise dans la province d'Afrique. En tout cas, à supposer que des plantations nouvelles aient été interdites, il est certain que les anciennes subsistèrent et furent exploitées. Il convient cependant de remarquer qu'à cette époque, l'Italie produisait largement du vin et de l'huile, que, même avant la destruction de Carthage, elle importait du vin en Afrique ^ Il 1. XV, 8. Pour ce passage, conf. t. IV, p. 30. 2. Voir t. IV, p. 18 et suiv. 3. L. 95. 4. Bell. Afric, L, 1. 5. Ibid., LXVII, 2. 6. Ibid., XLIII. 7. De re publica, III, 9, 16. Conf. Jullian, Hist. de la Gaule. III. p. 99-100. 8. Voir t. IV, p. 150, ÉTAT MATÉRIEL, CIVILISATION. 105 n'y aurait donc pas eu dans la péninsule de débouchés pour les huiles et les vins africains : la culture du blé, assurée de ces débouchés, devait paraître préférable. Pour rélevage, nos renseignements se bornent à quelques mentions de bétail dans la loi de 111 ', dans Salluste-, dans le journal de la campagne de César ^ Des pêcheries de thons, créées sans doute à l'époque cartha- ginoise, sont signalées sur la côte orientale de la Tunisie, près de Monastir et au cap Kaboudia, par Strabon *, c'est-à-dire peut-être par Artémidore ', qui écrivait tout à la fin du second siècle. Aucun texte n'indique que des mines aient été exploitées en Afrique; un poète, Lucain^, affirme même qu'il n'y en avait pas^ Avec Carthage, disparut un des grands centres industriels du monde antique. Si les importations de cette métropole avaient fait obstacle au développement économique des cités qui lui étaient soumises, il ne semble pas que celles-ci aient beaucoup profité du triomphe des Romains. Le mobilier des tombes ne nous fait guère connaître, comme produits du pays, que des poteries, qui devaient être fabriquées à Utique, à Hadrumète et dans quelques autres lieux encore \ Ce sont des objets vulgaires et dune technique plus ou moins grossière'. Lès 1. L. 82,86, 88.92. 2. Jug., XLIV, 5. 3. Bell. Afric, XXVI, 6. 4. XVII, 3, 16. Gonf. t. IV, p. 52 (voir aussi t. II, p. 131, n. 1). 5. Voir t. V, p. 21. 6. IX, 424-6 : (la Libye) In nullas viiiatur opes : non aère, nec auro Excoquitur, nulle glebarum crimine, pura Et penitus terra est. 7. Salines près d'Utique : César, Bell, civ., II, 37, o (conf. Pline l'Ancien, XXXI, 81; C. /. L.. VIII, 1180= 14310); près de Thapsus : Bell. Afric, LXXX, l! 8. On fabriquait peut-être aussi, dès cette époque, des figurines en terre cuite à Hadrumète, industrie qui y fut assez florissante dans les premiers siècles de notre ère. y. Il y a lieu, cependant, de signaler des réchauds et des cassoleUes, avec un 108 LA PROVINCE D'AFRIQL'E SOUS LA RÉPUBLIQUE. formes, souvent d'orig-iiie hellénique, restent celles qui étaient usitées à Garthage dans les derniers temps de cette ville • : par exemple, on continua à façonner, je ne sais où, jusque dans le cours du premier siècle avant J.-C, de ces lampes, imitées de modèles grecs, qu'on ornait parfois de l'image, proprement punique, dite signe de Tanit^ En dehors des achats et des expéditions de blés, destinés à l'Italie, le commerce ne paraît pas avoir été très actif. Sur mer, il était gêné par la piraterie. Nous ne connaissons pas d'autres exportations que celles des grains. L'Italie, pays d'élevage, n'avait pas besoin de recevoir d'Afrique du bétail, qui aurait été d'ailleurs d'un transport difficile, ni des laines, d'une qualité inférieure aux siennes. Si on lui envoyait des esclaves, ils étaient sans doute capturés au delà de la province. Celle-ci importait probablement du vin, comme l'Espagne et la Gaule, mais, semble-t-il, en quantité médiocre ^ Avant la destruction de Carthage, l'Afrique recevait assez abondamment des poteries fabriquées en Gampanie et dans le Sud de la péninsule : lampes de types grecs *, petits vases copiés sur des modèles en métal et recouverts d'un vernis noir brillant^. Ges importations continuèrent sous la domination de Rome, au second siècle et pendant une partie du siècle suivant : elles sont attestées par des trouvailles faites surtout dans des sépultures ^ Il est vrai décor estampé et iacisé : voir t. IV, p. 62, n. 3; p. 162, n. 5; Renault, Bull, archéol. du Comité, 1913, p. 349-350 et pi. XXXII, flg. 2. 1. Voir t. IV, p. 61-63. 2. V. ibid., p. 62, n. 5. Ravard, B. a. Comité, 1896, p. 146; Hannezo, ibid., 1905, p. 105. 3. C'est à des troupes romaines, retirées dans la province après avoir été battues par Jugartha, que des mercantis vendent des vins d'outre-mer : Salluste, Jug., XLIV, 5. — A Leptis la Grande, on a trouvé une marque d'amphore, portant une date consulaire qui répond à l'année 107 avant J.-C. : C. /. L., VIII, 10477, n° 1. 4. Voir t. IV, p. 161-2. 5. Ibid., p. 159-161. 6. A Henchir Béni Nafa (région de Bizerte), Sidi Yahia (ibid. : Merlin, B. a. Comité, 1919, p. 212). Mateur (J. Renault. Cahiers d'archéol. tunisienne, I, 1908, p. 51), Sidi Daoud, Sousse et, près de Sousse, dans le sanctuaire d'Bl Kenissia ETAT MATERIEL, CIVILISATION. 107 que la distinction devient plus difficile entre les produits des ateliers italiens, tombés en décadence, et les imitations qui sortaient de fabriques africaines. Les deniers d'argent de la République romaine circulaient naturellement dans la province. On en retrouve çà et là. Deux trésors, l'un de plusieurs centaines de pièces, l'autre d'une vingtaine seulement, ont été exhumés à Hammam Lif, près de Tunis', et dans la région des Nefzas, au Nord-Ouest de Béja "-. Le premier fut enfoui vers l'année 74; le second contenait des monnaies frappées entre 179 et 106. Ce ne sont pas là des preuves bien fortes d'une grande prospérité. II La province qui fut constituée dans le Sud de la Gaule, vingt- huit ans après la chute de Carthage, se romanisa rapidement : il y avait d'étroites affinités de race entre les sujets et les conqué- rants *, et ceux-ci souhaitaient se sentir vraiment chez eux dans une contrée dont la possession assurait leurs communications avec l'Espagne. Il n'en fut pas de même en Afrique. Aucune sympathie, aucun désir de rapprochement entre les Latins et les provinciaux, habitants des cités phéniciennes et carthagi- noises du littoral, ou indigènes répandus dans les campagnes. Cicéron* qualifie les uns et les autres de Poeni, nom que les Romains avaient appris à détester. Pour d'autres, les indigènes étaient des Libyphéniciens, en grec A'.ê'jço'lv.xs;. Car c'est alors qu'on leur appliqua ce terme, qui avait d'abord désigné les colons phéniciens des côtes de la Libye. Manière d'indiquer (Carton, Le sanctuaire de Tanit à El-Kénissia, extrait des Mémoires présentés à l'Acad. des Inscriptions, XII, 1" partie, p. 103-4), à Lemta, Thapsus, Mahdia, El Alia, Khaagat el Hedjaj, Zaghouane. Voir t. IV, p. 159, n. 6; p. 160, n. 1; p. 161, n. ?! 1. De Bray, Bull, de la Soc. archéol. de Soasse, 1907, p. 98-100. 2. Merlin, B. a. Comité, 1914, p. cxlvi-vii. 3. L.-A. Gonstans, Histoire de la Basse-Provence dans l'antiquité, p. 46. 4. Verrines, Act. II, m, 6, 12. 108 LA PROVINCE D^AFKIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. que ces Libyens étaient devenus phéniciens par la langue et par les mœurs'. Ils avaient, en effet, accueilli très largement la civilisation punique. Peut-être avaient-ils déjà abandonné leur langue maternelle"; au premier siècle avant et au premier siècle après notre ère, elle n'apparaît plus chez eux que dans des noms propres % transmis par héritage familial, mais qui, avec le temps, se font plus rares. La plupart des noms sont, au contraire, puniques, non seulement sur le littoral, mais aussi à l'intérieur des terres. La langue punique devait être répandue partout. C'est à l'époque que nous étudions qu'appartiennent, pour une bonne part, les inscriptions, peintes sur des urnes funéraires, d'Hadrumète^ et d'un lieu voisin, Akouda^ De même, sans doute, des inscriptions sur pierre qui offrent un type d'écriture intermédiaire entre les écritures punique et néopunique "^ : on en a retrouvé à Bir bou Rekba, près d'Hammamet"; à El Kenissia, près de Sousse"; à Henchir Aouin, près d'Oudna"; cette dernière est peut-être de 91 avant J.-G. *". Des inscriptions plus récentes, en écriture néopunique", témoignent de la per- 1. Voir t. IV, p. 493-4. 2. Ibid., p. 494, n. 2. 3. Inscription punique de Bir bou Rekba (probablement du i*' siècle avant J.-C), où des noms libyques se mêlent à des noms puniques : Rép. d'épigr. sémit., II, 942. On trouve encore quelques noms qui paraissent être libyques dans des inscrip- tions latines du temps de Tibère : C. /. L., V, 4920, 4921, 4922. Mais la plupart des noms y sont puniques; ils le sont tous dans l'inscription C. I. L., V, 4919, qui est de la même époque. 4. Voir t. II, p. 139, n. 4: t. IV, p. 451-2. 3. Carton, Bail, de Sonsse, 1909, p. 28 et pi. IV. Voir aussi une inscription peinte sur un vase de Bir bou Rekba ; Rép., III, 1837. 6. Une inscription en écriture punique, découverte à Thuburbo Majus, peut être, elle aussi, postérieure à la chute de Carthage : Rép., II, 885. Au même lieu, maigres vestiges d'une inscription punique, gravée sur un ex-voto en forme de temple : v. infra, p. 112, n. 6. 7. Merlin, Le sanctuaire de Baal et de Tanit près de Siagu, p. 22, fig. 4. Rép., II, 942. Une autre inscription du même lieu est néopunique : Merlin, dans Catal. du musée Alaoui, 2" Supplément, p. 107, n" 1333. 8. Carton, Le sanctuaire de Tanit à El-Kénissia, p. 87-83 et pi. II, n° 6. 9. Rép., I, 79. 10. V. supra, p. 56. 11. A Henchir Sidi Khalifa, en arrière du golfe d'Hammamet : Berger, Bull, de ÉTAT MATÉRIEL, CIVILISATION. 109 sislance de la langue phénicienne dans la vieille province, jusque sous l'Empire romain : elle s'y défendit plus ou moins longtemps contre le latin. Il est probable qu'un temple de « Zeus », qui, selon Plutarque*, existait à Utique au milieu du premier siècle avant J.-C, avait été, en réalité, consacré au Jupiter latin par les Romains et les Italiens, nombreux dans cette ville, et qu'il n'était guère fréquenté que par eux'. Les provinciaux restaient fidèles à leurs dieux, à ceux qu'on avait adorés à Carthage, qu'on adorait depuis des siècles à Utique, à Hadru- mète, dans d'autres cités phéniciennes, et que les indigènes avaient adoptés. A ces dieux, Rome ne témoignait aucune hostilité; au contraire, elle avait le souci de se les concilier. Ce fut sans doute pour rendre hommage à la « Junon » phénicienne, maîtresse de la première Carthage, que C. Gracchus appela lunonia la colonie fondée par lui sur le même soP. Une déesse ailée, à tête de lion, apparaît sur un denier frappé par Métellus Scipion, général en chef des Pompéiens en Afrique : figure qu'accompagnent les lettres GTA, signifiant, croit-on, G(eniiis) t{errae)'' A{fricae)'. En tout cas, il s'agit d'une divi- nité africaine, dont on a retrouvé des images dans un sanctuaire Sousse, 1903, p. 133-4. A Henchir Bou Chebib, au Sud-Ouest de Mahdia : Rép., Il, 886; Catal. du musée Alaoui, 2« Supplément, p. 108, n" 1343. A Bit Tlelsa, au Nord- Est d'El Djem : Dussaud, B. a. Comité, 1914, p. 618-620, et 1917, p. 165-7. A Zaghouane : Rép., II, 598. A Henchir Brigita, à l'Ouest du djebel Zaghouane, inscription bilingue, latine et néopunique : C. /. L., VIII, 793 et p. 2409; Be- schreibung der antiken Skulpturen zu Berlin (Berlin, 1891), p. 320-7, n"842. Au djebel Mansour, dans la même région, inscription également bilingue : C. /. L., VIII, 23834; Rép., 11,679; Catal. du musée Alaoui, Supplément, pi. XLIX, flg. 1 et 2. 1. Caton le Jeune, 59. 2. C'est dans ce temple que se réunirent, après le désastre de Thapsus, les sénateurs de Rome présents à Utique et les personnages les plus importants parmi les Romains habitant la ville : Plutarque, L c. 3. V. supra, p. 62. 4. Ou t(utelaris)'? 5. Babelon, Monnaies de la République romaine, I, p. 280, n° 51. Voir ici, t. IV, p. 273. GsELL. — Afrique du Nord. VII. 8 no LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. voisin d'Hammamet'. Une tête représentée sur des monnaies que fit frapper, en 44-42, Q. Cornificius, gouverneur de V A frica vêtus, est celle de Jupiter Ammon^ confondu peut-être avec le Baal Hammon auquel tant d'indigènes rendaient un culte'. Naturellement, ceux qui parlaient la langue punique invo- quaient ces dieux sous leurs noms phéniciens. A El Kenissia, c'était Tanit Pené Baal*. De même à Bir bou Rekba, où elle se présentait associée à un Baal % lequel devait être Baal Hammon ^ Sous l'Empire, quelques noms phéniciens de divi- nités restaient encore en usage dans des lieux qui avaient fait partie de la vieille province : Adon, c'est-à-dire « le Seigneur'' », peut-être Baal Hammon; Baal Addir, « le Maître puissant^ », qui paraît avoir été un autre dieu. A ces divinités puniques, se joignaient les déesses grecques Déméter et Coré, dont le culte avait été introduit à Carthage vers le commencement du iv* siècle^ et s'était répandu au delà de cette ville : c'est sans doute à elles qu'était dédié un ex-voto de Thuhurbo, qui peut remonter au second siècle '". Nous ignorons comment on les appelait en punique*'. En latin, c'étaient les Cereres *^ Depuis longtemps déjà, les Grecs et les Romains, selon leur habitude quand ils se trouvaient en présence de divinités étrangères '', avaient attribué aux dieux puniques des noms tirés 1. T. IV, /. c. 2. Babelon, l. c, I, p. 434, n° 1. 3. Gonf. t. IV, p. 287. 4. V. supra, p. 108, n. 8. 5. Rép., II, 942. 6. T. IV, p. 238, a. 1. 7. lascriptioas latines trouvées près de Bizerte et au Khangat el Hedjaj : C. /. L., VIII, 1211, 24031. Voir t. IV, p. 239. 8. luscription néopunique de Bir Tlelsa {v. supra, p. 108, n. 11). Voir t. IV, p. 296. 9. T. IV, p. 346. 10. Un porc, animal consacré à Déméter, y est représenté : Merlin, C. r. Acad. Inscriptions, 1912, p. 353,354. 11. Conf. t. IV, p. 346-7. 12. Ibid., p. 268-9, 347-8. 13. T. IV, p. 222. ÉTAT MATÉRIEL, CIVILISATION. 1H de leur langue : ainsi, l'Astarté que les Carthaginois avaient appelée Tanit Pené Baal ' était appelée par eux "Hoa, hmo^; Baal Hammon, Kpôvoç, Saturnus\ parfois peut-être luppiler Hammon''. La prise de possession par Rome d'une partie de l'Afrique ne pouvait que donner plus de force à cet usage, auquel se conformèrent plus tard les Africains eux-mêmes, lorsqu'ils se mirent à parler latin. Avant de renoncer aux noms puniques de leurs divinités, ils avaient, sans trop de peine, adopté pour les représenter des types empruntés à l'art grec. Sur des monnaies frappées par des cités de la province d'Afrique, — celles que l'on peut dater appartiennent aux règnes d'Auguste et de Tibère, — des dieux d'origine phénicienne se montrent sous les traits d'Apollon, Athéna, Dionysos, Hercule, Neptune, Junon, etc. Ces dégui- sements étaient sans doute plus anciens. Carthage elle-même en avait donné l'exemple ^ Cependant, quelques divinités conservèrent jusque sous l'Empire romain leur physionomie particulière : tel un dieu couronné de plumes, ou coiffé d'une tiare cylindrique cannelée, que l'on adorait à Hadrumète et auprès d'Hammamet®; telle la déesse ailée à tête de lion dont nous avons parlé ". Quant aux formes du culte, elles ne paraissent pas s'être modifiées sous la domination romaine. A Sousse^, à El Kenissia% à Bir bou Rekba^'', nous, connaissons des sanctuaires qui furent fréquentés pendant des siècles, depuis l'époque 1. On admet, du moins, qu'ils prononçaient ainsi le nom de cette déesse : conf. t. IV, p. 243. 2. T. IV, p. 253-6. 3. Ihid., p. 288-9. 4. Ibid., p. 287. 5. Ihid., p. 273 et suiv. 6. Ibid., p. 297-9. 7. P. 109. 8. Voir t. II, p. 138; t. IV, p. 421. 9. Carton, Le sanctuaire de Tanit à El-Kénissia. Conf. ici, t. II, p. 139-140. 10. Merlin, Le sanctuaire de Baal et de Tanit près de Siagu. 112 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. punique jusqu'à l'époque impériale. A l'origine, ce furent pro- bablement de simples enclos à ciel ouvert; on y enfouissait des urnes, renfermant les restes des sacrifices, et d'autres vases, contenant des oflrandes; à ces récipients, on joignait souvent des brùle-parfums, des lampes, parfois des statuettes, qui étaient censées représenter les dédicants ; au-dessus des dépôts, on dressait des stèles'. Les générations qui se succédaient en ces lieux restaient fidèles aux vieux usages. Mais, peu à peu, des chapelles et d'autres bâtiments s'élevaient dans l'enclos, sans souci de symétrie. Il est impossible de les dater. Certains peuvent appartenir à des temps antérieurs à l'Empire : d'après le type de l'écriture, une inscription punique de Bir bou Rekba, qui mentionne deux sanctuaires consacrés à Baal et à Tanit Pené Baal^, semble être de la première moitié du premier siècle avant notre ère'^ Nous avons vu* que l'architecture hybride, gréco-orientale, qui régnait à Carthage dans les derniers temps de cette ville, se répandit en Numidie : le célèbre mausolée de Dougga, construit vers le milieu du second siècle, en est le monument capital °. Celte architecture paraît s'être aussi maintenue dans la province d'Afrique, avant de céder la place à l'art gréco- romain. C'est au second siècle, ou peut-être à la première moitié du siècle suivant, qu'il convient d'attribuer un ex-voto de Thuburbo Majus en forme de temple, où une gorge égyp- tienne s'allie à des colonnes ioniques et à un entablement grec^ Trois mausolées, dont deux se trouvent au Nord-Est de Béja^ 1. Conf. t. IV, p. 415-6. 2. Rép. d'épigr. sémit., II, 942. 3. Conf. supra, p. 36. 4. T. VI, p. 86 et suiv. 5. Ibid., p. 231 et suiv. 6. Merlin, C r. Acad. Inscr., 1912, p. 350-4 (flg. à la page 351). Conf. ici, t. IV, p. 204, n. 10. 7. A Ksar Chenane et à Ksar Rouhaha {Atlas archèol. de la Tunisie, f Hédil, n"' 173 et 189) : Saladin, Bull, archéol. du Comité, 1900, p. 126-8 et figures. Aux angles, des pilastres coilTés de chapiteaux h volutes dressées (conf. t. IV, p. 200); un seul étage, que surmontait une pyramide. ÉTAT MATÉRIEL, ClVlLlSATlUN. 113 et le troisième au Nord-Ouest de Medjez el Bab', olTreiit une parenté incontestable avec celui de Dougga, quoiqu'ils soient moins importants et moins ornés : ce sont des édifices puniques, qui peuvent être aussi bien postérieurs qu'antérieurs à la destruction de Carthage. Ces mausolées sont rares. En général, les sépultures restaient souterraines. Dans la contrée devenue romaine depuis l'année 146, on en connaît un assez grand nombre, que leur mobilier permet de dater approximativement du siècle qui suivit la cons- titution de la province : à El Alia, Mahdia, Thapsus, Lemta, Sousse, sur la côte orientale de la Tunisie 2; à Henchir Béni Nafa^» et à Sidi Yahia^ auprès du lac de Bizerte ; à Mateur% auKhangatelHedjaj«, à Zag•houane^ à Akouda» (au Nord-Ouest de Sousse). Les cimetières retrouvés en ces lieux appartiennent à la fois à l'époque punique et à l'époque romaine, entre les- quelles on ne distingue aucun hiatus, aucune modification brusque dans les coutumes funéraires. Les tombes sont soit des fosses, soit, plus fréquemment, des caveaux, que précède un puits peu profond, parfois muni de marclles^ L'inhumation se maintient auprès de la crémation, introduite, — ou, plus exactement, réintroduite, — à Carthage au iir siècle et adoptée ensuite ailleurs '». Les restes incinérés 1. A Henchir Dourat : Gagnât et Reinach, B. a. Comité, 1886, p 113 et pi XI- Saladin, Nom. Arch. des missions, II, p. 461 et iig. 74. Ce monument est resté inachevé; les chapiteaux des pilastres n'ont pas été modelés. 2. Voir la bibliographie t. H, p. 131-9 (conf. t. IV. p. 426, n. 2). 3. Merlin, B. a. Comité, 1918, p. ccxlix-cclvii. 4. Merlin, ibid., 1919, p., 197-215. 5. J. Renault, Cahiers d'archéol. tunisienne, 1, 1908, p. 47-,51. Catal. du musée Alaoui, Supplément, p. 315, n"» 713-721. 6. Merlin, B. a. Comité, 1909, p. ccxviii-ix (caveau qui parait être du second siècle). 7 Voir t. II. p. 106, n. 4 (tombes qui peuvent dater des second et premier siècles). ^ 8. Carton, Bull, de Sousse, 1909, p. 20-35. 9. Conf. t. IV, p. 436-8. A Sidi Yahia, des enfants ont été ensevelis dans des tronçons de jarres : Merlin, B. a. Comité, 1919, p. 206. 207, 211--^ -^13 (conf nonr Carthage, t. IV, p. 446). ' •- P "' 10. T. IV, p. 448-450. 114 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. sont enfermés dans des coffrets en pierre, des caisses en plomb, surtout des urnes en terre cuite ' ; à lïadrumète, celles-ci offrent souvent une inscription punique peinte en noir, indi- quant, entre autres choses, le nom du défunte En quelques lieux, subsistent encore des rites indigènes, que nous avons étudiés ^ A Lemta, Thapsus, El Alia, des morts ont été couchés dans une attitude repliée *. A Mahdia et à Henchir Béni Nafa, des ossements qui n'offrent aucune trace de feu et qui appar- tiennent fréquemment à plusieurs individus sont rassemblés sans ordre : les corps ont donc subi un décharnement complet avant l'ensevelissement définitif; à El Alia, peut-être par application du rite nouveau de l'incinération à d'antiques usages, une combustion sommaire avait, semble-t-il, pour objet de produire aussitôt le décharnement. A l'exception de ces vieilles pratiques libyennes, tout est punique dans les sépultures de la province romaine d'Afrique entre le milieu du second siècle et le milieu du premier. Rien n'y indique que cette contrée eût changé de maîtres. Ce qui prouve le mieux combien les mœurs et les coutumes restèrent immuables, ce sont des découvertes faites à Carthage même, au lieu dit Bir ez Zitoun\ Là, sous des tombes de l'époque impériale, on en a rencontré d'autres, à inhumation ou à incinération, contenant des poteries qui auraient pu être tirées des caveaux funéraires les plus récents de la Carthage punique. Certaines de ces sépultures étaient surmontées de stèles, identiques à celles qui se retrouvent, en si grand nombre, dans les cimetières carthaginois des m*-!!" siècles, et qui repré- sentent un personnage levant la main droite et tenant de la 1. Ibid., p. 431. 2. Ibid., p. 451-2. 3. Ibid., p. 452-6. 4. Ce rite persiste à El Alia jusqu'aux environs de notre ère. Les morts inhumés sont ensuite déposés dans une posture allongée : Novak, B. a. Comité, 1898, p. 352. 5. Delattre, «eu. archéol., 1898, II, p. 84 et suiv. ÉTAT MATÉUlËL, CIVILISATION. 115 main gauche un vase d'offrandes'. Cependant, parmi le mobilier accompagnant les morts, on a recueilli une lampe portant, outre le signe de ïanit, une marque latine-; des épitaphes latines sont gravées sur quelques stèles ^ Ce cimetière est donc posté- rieur à la conquête romaine. D'autre part, le sol de Carthage ayant été, en 146, interdit aux demeures des vivants, le fut certainement aussi aux morts. Les tombes dont nous parlons ne sont, par conséquent, pas antérieures à l'année 44, date à laquelle la ville ressuscita, sur l'ordre de Jules César; d'ailleurs, l'aspect et la teneur des épitaphes conviennent bien à cette époque. Il s'était écoulé plus d'un siècle depuis l'anéantissement de Carthage : on ne s'en douterait pas, si ces inscriptions ne l'attestaient. Avant César, la civilisation latine fut comme une étrangère dans cette province de Rome. Quoique les preuves manquent, elle se fit assurément une place auprès de la civilisation punique, dans quelques villes où séjournaient des groupes nombreux de Romains et d'Italiens : surtout dans la cité d'Utique, où le gouverneur résidait et près de laquelle étaient cantonnées des troupes, pour la plupart d'origine italienne. Mais rien ne permet de croire qu'elle ait vraiment pris pied dans les campagnes, sur les terres qui furent concédées ou vendues à des Romains et que peu d'entre eux semblent avoir occupées. Dans ce pays où, du temps de Carthage, le hasard avait fait mourir Nœvius* et naître Térence ', deux gloires des lettres latines, on fait vite le compte des inscriptions, rédigées en latin, qui appartiennent certainement à l'époque républi- caine. Nous n'en connaissons que trois. L'une, trouvée dans 1. Voir t. IV, p. 210-1,439-440. 2. C. /. Z-., VIII, 22644, n° 147 a (p. 2226). 3. Ibid., 24678-24680, 24862-24876. 4. Il mourut en exil à Utique, à la fin du iii^ siècle : Schanz, Geschichte der ruin. Litteratur, 3° édit., I, 1, p. 63. 5. Vers 190 avant J.-G. : Schanz, l. c, p. 134-j. 116 LA PROVINCE D AFRIQUE SOUS LA REPUBLIQUE. le voisinage d'Oudna, date peut-être de 91 avant J.-C; elle concerne un médecin et ofTre auprès du texte latin un texte grec et un texte punique'. La seconde, d'Utique, est un témoi- gnage officiel de reconnaissance que les indigènes de trois districts (pagi) rendirent vers 60 à un questeur de la province^. La troisième rappelle des travaux de fortification exécutés à Curubis, en 49 ou 48, par des généraux pompéiens ^ L'hellénisme avait exercé à Carthage une forte inlluence*, qui persista en Afrique après la conquête romaine. Nous l'avons constatée dans l'art et dans l'industrie. C'est à la civilisation grecque que se rattachaient ceux qui se piquaient de science. C'est en grec que Cassius Dionysius d'Utique fit, du manuel de Magon, une traduction libre, publiée en 88 ^ Ce Cassius paraît avoir aussi écrit un traité grec sur les plantes médicinales ^ Le médecin dont l'inscription trilingue, découverte près d'Oudna % nous a gardé le souvenir, s'appelait Q. Marcius Protoma- chus et était fils d'un Héraclidès. Son nom purement grec, Protomachos, qui figure dans le texte punique comme dans les deux autres, peut faire supposer qu'il était d'origine grecque. Quant à Cassius Dionysius, qui savait évidemment fort bien le punique, puisqu'il traduisit Magon, c'était probablement un phénicien d'Utique : par philhellénisme, il aurait échangé contre un nom grec le nom sémitique, — Abdosir (?) % — que lui auraient donné ses parents. 1. CI. L., VIII, 24030. Rép. d'épigr. sémit., I, 79. 2. Gagnai et Merlin, Inscr. lai. d'Afrique, 422. 3. G. /. L., VIII, 24099. 4. T. IV, p. 191 et suiv,, 484-5. 5. Supra, p. 99. 6. Un ouvrage sur ce sujet (Rhizotomica) est attribué par Etienne de Byzance (s. V. 'IxjxT]) à un A:ox),T,î d'Utique. Il faut sans doute corriger Aioviio-io;, des Rhicolomica d'un Dionysios étant mentionnés dans les scolies de Nicandre, Ther., .519. C'est très probablement le Dionysius, médecin, dont Pline l'Ancien a fait usage : Hist. nat., XX, 19; XX, 113 et 219; XXII, 07: X.W, 8; il l'indique parmi ses auteurs pour les livres XII, XUI, XX, X.\l, XXIII-XXVII. Voir Wellmann, dans la Real-Encydopadie de Pauly-Wissowa, III, p. 1722. 7. Supra, à la note 1. 8. Conf. t. IV, p. 341, n. 4, et p. 342, u. 5. l']TAT MATERIEL, CIVILISATION. 117 Même en dehors des savants, le grec semble s'être quelque peu répandu dans les ports visités par des commerçants de la Grande Grèce, peut-être aussi de la Cyrénaïquo et des pays grecs d'Orient, gens qui parlaient cette langue et n'aimaient guère à en apprendre d'autres'. Au début de l'Empire, Leptis la Petite frappait des monnaies sur lesquelles elle inscrivait son nom en grec'. Dans leur manie de ramener tout à eux, les Grecs traduisaient volontiers les noms de lieux appartenant à des langues étrangères : par exemple, Makom Hadashf, « Ville neuve » en phénicien, devenait pour eux Nsà-oX'.ç^ Quelques- unes de ces dénominations grecques furent adoptées par les Romains '* et persistèrent sous l'Empire. C'est Hippo Diarrhijtus ^ (SiàppuTOs), ainsi appelée parce qu'elle était traversée par l'émis- saire du grand lac de Bizerte®. C'est Neapolis\ dont Nabeul, sur le golfe d'IIammamet, a conservé le nom jusqu'à nos jours ^ C'est une Megalepolis, située peut-être entre le cap Bon et Carthage, qui est encore mentionnée en pleine époque chré- tienne ^ 1. Pour l'emploi du grec dans la région des Syrtes, au delà de la province, voir t. VI, p. 117. 2. L. Millier, Numism. de l'ancienne Afrique, II, p. 49-50. 3. T. II, p. 126. 4. Ils appelèrent cependant Clupea la ville de la péninsule du cap Bon que les Grecs avaient appelée 'AaTiéi; : t. II, p. 141. Ils n'adoptèrent pas non plus pour Leptis la Grande le nom de NsâTToXt;, que lui donnaient souvent les Grecs (t. I, p. 450, n. 1). 5. Pomponius Mêla, I, 34. Pline l'Ancien, V, 23. C. L L., VIII, 26072. Etc. 6. T. II, p. 146. Celte épithète, A-.âppjTOc, ne se rencontre cependant pas dans les textes grecs antérieurs à Ptolémée (IV, 3, 2, p. 617, édif. MûUer). 7. Bell. Afric, 11, G. Pline l'Ancien, V, 24. C. L L., VIII, 968. Etc. 8. T. II, p. 141. 9. Ethnique i)/e<7iapoZ(ianus, dans des documents des V'-VII° siècles : Mesnage. L'Afrique chrétienne, p. 120. Mégalépolis, prise et détruite par Agathocle, était peut-être ailleurs, dans la péninsule du cap Bon : voir t. III, p. 30. — Je doute qu'à ces noms, il faille joindre 'AcppoScTtov, lieu que Ptolémée (IV, 3, 2, p. 621) indique sur le golfe d'Hammamet. Il se pourrait qu'il n'y eût là qu'une traduc- tion assez tardive d'un nom latin. On a supposé (voir, entre autres, Tissot, Géo- graphie, I, p. 178; II, p. 163) que les Romains avaient adopté ce nom grec et que celui-ci s'était conservé jusqu'à nos jours dans la dénomination Henchir Fradis. Mais les ruines d'Henchir Fradis (appelées aussi Henchir Sidi Khalifa) sont en arrière de la côte, et non pas sur la côte même, comme l'Aphrodision de Ptolémée, 118 LA PROVLNCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. III On a maintes fois répété cette réflexion de xAlommsen ' : « Le gouvernement romain occupa fortement le territoire que Carthage possédait lors de sa chute, mais moins pour en tirer parti que pour ne pas le laisser à d'autres; on ne chercha pas à y éveiller une vie nouvelle, on se contenta de garder le cadavre. Ce n'est pas par amour de la domination, ni des conquêtes, c'est par crainte et par jalousie que Home a créé la province d'Afrique. Cette région n'a pas d'histoire sous la République. » Jugement sévère, qui est en grande partie mérité. La province d'Africa, fort peu étendue, fut, avant tout, une zone interdite aux ambitions des rois numides, autour des ruines de Carthage -. Rome s'assura ainsi la m.aitrise du passage «ntre les deux bassins de la Méditerranée. Il ne lui resta plus qu'à le défendre contre les pirates : tâche dont elle s'acquitta mal. Dans cette annexion, elle ne chercha, ni ne trouva un accroissement de ses ressources. VAfrica devait à peine rapporter ce qu'elle coûtait" Cicéron semble l'indiquer assez clairement ^ Si Rome s'épargna les frais qu'eussent exigés des travaux propres à la mise en valeur de son nouveau domaine, aménagement des ports, réfection et développement du réseau routier légué par Carthage, etc., l'entretien du gouverneur et de son entourage, surtout des troupes d'occupation, entraînait certainement de lourdes dépenses. et le nom nioderne vient évidemment du nom antique de ce centre, Pheradi Maius (ce que nous a appris une inscription récemment découverte : Poinssot, dans Bull, archéol. du Comité, 1927, Commission de l'Afrique du Nord, février^ 1. Histoire romaine, trad. Gagnât et Toutain, XI, p. 254-5. 2. Conf. t. III. p. 329-330. 3. De imp. Cn. Pompei, 6, 14 : • Ceterarum provinciarura vectigalia, Quirites, laula sunt, ut iis ad ipsas provincias tutandas vix conlenti esse possimus, Asia vero, etc. • ÉTAT MATÉRIEL, CIVILISATION. H9 Les recettes financières étaient les impôts fonciers et les capi- tations que payaient les sujets, les sommes que versaient les adjudicataires des revenus du domaine public, probablement aussi de minimes redevances sur les terres concédées ou vendues à des Romains et à des Italiens. Puis les droits de douane : l'État carthaginois en avait perçu' et, malgré Tabsence de témoignages, on doit admettre que l'Etat romain fit de ■ même, puisqu'il établit des douanes dans d'autres provinces, en Sicile, en Asie'"'; selon l'usage, ces taxes devaient être affer- mées, comme les dîmes des terres publiques. Enfin, quelques ressources extraordinaires, sur lesquelles nous n'avons pas de renseignements : amendes judiciaires, produit de la vente des biens confisqués et des biens tombés en déshérence. Il ne faut pas, d'ailleurs, oublier qu'une bonne partie de VAfrica était occupée par les territoires des villes libres, d'oii Rome ne tirait rien. Si la République nv gagna point, l'existence de la pro- vince fut utile à un certain nombre de Romains. Il est vrai que le rêve de C. Gracchus d'établir en Afrique, comme petits propriétaires, plusieurs milliers de citoyens pauvres ne se réalisa sans doute pas. Laissés libres de revendre leurs lots, les colons d'une colonie qui mourut dès sa naissance durent user très largement de ce droit. Mais, sur ces terres, sur d'autres, qui furent vendues par l'État, des sénateurs et des chevaliers se taillèrent, autant qu'il semble, de beaux domaines. VAfrica profita aussi aux hommes d'argent, publicains et banquiers, qui l'exploitèrent comme les autres provinces, aux gros négociants et aux armateurs qui se chargèrent de l'achat et du transport des grains. Car, pour vivre, Rome avait désor- mais besoin des blés africains. Et telle était, aux yeux de la plèbe, la principale, l'unique utilité de cette possession d'outre-mer. 1. Voir t. II, p. 318. 2. Cao-nat, Élude histor. sur les impôts indirects chez les Romains, p. 7-8. 120 LA PROVINCE U AFRIQUE SOUS LA HKPUBLIQUE. Y répandre la civilisation latine, nul n'en avait cure : ce n'était pas pour se vouer à cette tâche que la République avait annexé le territoire de Carthage, et, sauf peut-être C. Gracchus, personne n'y voyait une obligation morale, ni même un moyen d'affermir la conquête. Au contraire, la noblesse pensait, en général, qu'il était dangereux pour les citoyens de Rome de se créer, en dehors de l'Italie, des égaux, c'est-à-dire des rivaux éventuels'. On laissa donc les indigènes vivre de leur vie. Nous avons dit^ qu'il n'est pas possible de savoir avec précision quel fut leur état matériel. La troisième gu'erre punique, qui dura trois ans, avait évidemment causé une très grave crise économique. De même, les mesures qui suivirent la victoire des Romains : destruction de villes, mort ou réduction en esclavage d'un grand nombre de gens, confiscations de terres. Puis la province vécut en paix. Elle ne fut pas sérieusement troublée pendant un siècle, jusqu'à la lutte de César et des Pompéiens. Sauf des maraudes de soldats indisciplinés % la guerre de Jugurtha l'épargna. Quelques désordres, qui écla- tèrent en 84, quand des Syllaniens essayèrent vainement de se rendre maîtres du pays, une rapide campagne de Pompée en 81 contre des Marianistes ne semblent pas avoir eu pour VAfrica des conséquences trop fâcheuses. Des villes qui avaient été rasées en même temps que Carthage * s'étaient relevées : Clupea^, Néapolis'', probablement d'autres encore. Les campa- gnes étaient bien cultivées; les blés qui ne servaient pas à l'ali- 1. Conf. supra, p. 63. 2. P. 57. 3. Salluste, Jug., XLIV, 1 et 5. 4. Villes parmi lesquelles StraboQ (XVII, 3, IG) indique Aspis (Clupea) et Néapolis. 5. Elle existait en 81 : Scholia Bobiensia à Cicéron, édit. Hildebrandt, ProScslio, 130; de même, au milieu du premier siècle : César, Bell, civ., II, 23, 2-3; Bell. Afric, II, 6; III, 1. 6. Bell. Afric. II, 6. " ETAT MATEHIKL. CIVILISATION. 121 mentation des provinciaux étaient achetés pour celle de Rome. On peut croire que, comme ailleurs, les préteurs et anciens préteurs qui se succédaient d'année en année étaient tentés de refaire aux dépens de leurs administrés une fortune compro- mise par les frais des élections et des magistratures urbaines. Cicéron' dit que l'Afrique eut, de même que les autres provinces, bien des gouverneurs coupables. Nous en connais- sons deux, Fabius Hadrianus et Catilina; le premier fut brûlé vif dans sa résidence d'Utique par des citoyens romains-'; parmi les accusateurs du second, figurèrent des chevaliers \ D'autres eurent peut-être l'adresse de ne léser que des Afri^ des Poeni, gens nécessairement plus patients, et de s'assurer ainsi l'impunité. Cependant tous les gouverneurs ne se firent pas la réputation d'hommes de proie : LucuUus laissa même d'excel- lents souvenirs *. Et Cicéron jugeait bon de rappeler à son frère Quintus* que l'administration provinciale comportait des devoirs vis-à-vis des sujets de Rome, même quand il s'agissait de peuples cruels et barbares, tels que les Africains. Il est vraisemblable aussi que, comme dans les autres provinces, les publicains ne se faisaient pas faute d'exiger plus que leur dû, et les banquiers de prêter de l'argent à des taux f ort usuraires ; que, d'ordinaire, les gouverneurs fermaient les yeux, quand ils n'étaient pas complices, car il eût été pour eux maladroit et dangereux de se brouiller avec des personnages de l'ordre équestre ^ Mais, si nous pouvons supposer que les choses se passaient ainsi, les preuves nous font défaut en ce qui concerne l'Afrique. 1. Verrines, Act. H, ii, 63, 138. 2. V. supra, p. 71. 3. Supra, p. 29, n. 4. 4. De viris illustr., 74 : « Praetor Africain iustissime rexit. » — Cicéron (Pro Ligario, 1, 2) fait l'éloge de la manière dont Ligarius, légat de Cousidius, se con- duisit envers les Romains et les sujets de la province. Mais il parle en avocat. 5. Ad Quintum fratr., I, 1,9, 27. 6. Voir en quels termes chaleureux Cicéron recommande à un proconsul d'Afrique un publicain, Cuspius, et les amis de celui-ci : AdfamiL, XIII, 6 et 6 a. 122 LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE. Somme toute, la condition des provinciaux n'était peut-être pas trop mauvaise. Les tombes de cette époque ne contiennent, il est vrai, qu'un maigre mobilier, dépourvu de valeur; les bijoux en sont presque entièrement absents. Cependant il serait imprudent d'en conclure que les morts et leur famille étaient pauvres ; dans les derniers temps de Carthage, les gens de cette ville s'abstenaient aussi de déposer des objets précieux au fond des sépultures * : ils estimaient apparemment que les défunts pouvaient fort bien s'en passer et les laisser aux vivants. ^La vieille cité d'Utique avait certainement profité de la création d'une province dont elle était le chef-lieu. Elle s'était parée de monuments importants : un grand temple de Jupiter^, un vaste théâtre en pierre ^ Après elle, Hadrumète faisait quelque figure. Ailleurs, on menait une existence médiocre, incapable d'essor, presque endormie dans la routine. Il y avait sans doute, dans les villes libres, une bourgeoisie tirant ses ressources du commerce, de l'industrie, et plus encore de l'exploitation de propriétés rurales. Quant aux sujets, ils devaient, en général, vivre assez péniblement de leur labeur agricole. D'une part, une classe moyenne probablement peu nombreuse, groupée dans une demi-douzaine de villes; d'autre part, beaucoup de petits cultivateurs indigènes, travaillant, soit sur leurs champs, soit sur des terres appartenant à l'Etat, peut- être aussi sur des domaines privés. Dans les cités libres comme dans les campagnes, la richesse appartenait surtout à des Romains, hommes d'affaires qui ne prenaient pas racine dans le pays, propriétaires fonciers qui ne résidaient pas. 1. T. IV, p. 46i. 2. Plutarque, Caton le Jeune, 59 {v. supra, p. 109). Ce temple pouvait contenir plusieurs centaines de personnes. 3. César, Bell, civ., II, 25, 1 : « .. theatro, quod est ante oppidum, substruc- tionibus eius operis maximis... ». LIVRE II ROME ET LES ROIS AFRICAINS CHAPITRE PREMIER JUGURTHA MAITRE DE LA NUIVIIDIE I Dans l'obscurité qui enveloppe l'Afrique du Nord entre la destruction de €arthage et la campagne de Jules César, la figure de Jugurtha apparaît, entourée de l'éclat que lui donne l'œuvre célèbre de Salluste. Salluste écrivit le Bellum lugurthinum^ vers 40 avant J.-C, après le Catilina. Il était alors en pleine maturité, âgé de quarante-six ans environ. Retiré de la vie publique, où il avait cherché vainement à jouer un rôle important, il ne renonçait pas à l'ambition de se faire un nom illustre. La gloire que la politique lui avait refusée, les lettres la lui donneraient. Rome ne pouvait encore opposer aux Grecs aucun véritable histo- rien^ : il serait l'émule de Thucydide. Mais les vastes entre- prises ne le tentaient pas. Très soucieux d'exprimer ses pensées sous une forme parfaite, il avait le travail difficile ^, et ce travail était loin de remplir une existence à laquelle des 1, Édition Axel W. Ahlberg(coll. Teabner, 1919). 2, « Abest historia litteris Qostris » : Cicéron, De legib., I, 2, o. 3, Cf. Quintilien, X, 3, 8. 124 ROME ET LES UOIS AFRICAINS. richesses mal acquises permettaient un grand luxe. Comme la conjuration de Catilina, la guerre de Jugurtha était à la mesure de l'homme de lettres amateur que lut Salluste. Là aussi, il trouvait, ramassée dans un court espace de temps, une action d'un intérêt dramatique. La politique ne fut pas non plus étrangère au choix de ces deux sujets. Salluste avait appartenu au parti démocratique et, bien qu'il n'y eût pas obtenu la place dont il s'était cru digne, il restait dans sa retraite hostile à la noblesse. Dans le Catilina, il avait étalé l'infamie d'une partie de ces nobles. Dans le Jugurtha, il pouvait montrer les maux qu'avaient attirés sur la République l'impéritie, surtout la vénalité de l'aristocratie, maîtresse de l'Etat depuis la chute des Gracques; il pouvait célébrer les premiers succès d'une opposition renaissante. « Je vais raconter, écrit-il dans sa préface', la guerre que le peuple romain soutint contre Jugurtha, roi des Numides, d'abord parce qu'elle fut importante, acharnée, et que la victoire y fut disputée, ensuite parce que, pour la première fois, on résista alors à l'insolence de la noblesse. » A ces deux motifs, il est peut-être permis d'en ajouter un autre, que Salluste n'indique pas : la connaissance qu'il avait de l'Afrique par le séjour qu'il y avait fait, d'abord comme lieutenant de César ^, puis comme premier proconsul de la province à'Africa nova, créée en 46 avant notre ère ^ Il ne faut cependant pas exagérer la familiarité de l'auteur avec les lieux où se déroulèrent les événements qu'il raconte. 11 ne resta guère qu'un an et demi en Afrique*. La province i. V, 1 : « Bellum scripturus sum, quod populus Roinaaus cum lugurtha rege Numidaruin gessit, primum quia magnum f t atrox variaque Victoria fuit, dehinc quia tune primum superbiae nobilitatis obviam itum est. » 2. Bell. A fric, VIII, 3; XXXIV, 1-3. 3. Ibid., XGVII, 1. Appien, Bell, civ., II, 100. Dion Cassius, XLIII, 9,2. Pseudo- Cicéron, Invective contre Salluste, 7, 19. 4. Venu avec César tout à la fin de l'année 47, il était de retour à Rome un certain temps avant l'assassinat du dictateur (mars 44), puisque, accusé de con- cussions, il échappa à une condamnation grâce à l'intervention de César (Invecl., .ILÎOL'UTIIA MAITUK UK LA NUMIDIE. 125 qu'il eut à gouveruor, — et qu'il s'occupa surtout de rançonner — ne comprenait que la partie de la Numidie la plus proche de l'ancienne province d'Afrique : on y trouvait les villes de Zama, de Vaga, de Sicca, qui avaient tenu une place dans la guerre de Jugurtha. Peut-être Salluste avait-il aussi visité Capsa, prise par Marins'. Mais il ne connaissait pas Cirta (aujourd'hui Constantine) : on peut le soupçonner de l'avoir crue beaucoup plus proche de la mer qu'elle ne l'est en réalité ^, et il n'aurait certainement pas écrit que Jugurtha assiégeant la ville, l'entoura d'un fossé et d'un retranchement^ s'il avait pu s'assurer par lui-même que Cirta était bâtie sur un rocher, bordé partout, sauf au Sud-Ouest, de larges et profonds précipices'. Il ignorait aussi la position des Autels des Philènes, limite séculaire de l'Afrique carthaginoise et de l'Afrique grecque^ au fond de la grande Syrte'. /. c). Conformément a une loi rendue dans la seconde moilié de l'année 46 loi qui décida que les gouvernements provinciaux confiés à d'anciens préteurs n'excéderaient pas une durée d'un an (Dion Cassius, XLIII, 2o, 3; Cicéron Philipp., I. 8, lii), Salluste avait sans doute quitté l'Afrique en mai 45 [en fait, après un proconsulal de quatorze mois, l'année 46 ayant été allono-ée, pour que le calendrier fût rerais en ordre]. 1 Les indications qu'il donne sur ce lieu sont exactes. 2. Au chapitre XXI, 2, il parle d'une bataille qui eut lieu « haud longe a mari, prope Cirtam oppidum ». Au chapitre G, 1, il dit que Marius décida de prendre ses quartiers d'hiver « in oppidis maritumis », et il nous le montre (Cil 1) se dirigeant vers Cirta, « quo initio profectus intenderat ». Ayant établi son armée en quartiers d'hiver (GIH, 1), Marius va faire une expédition, puis revient à Cirta (CIV, 1). Or Cirta est à 65 kilomètres de la mer, à vol d'oiseau et Pomponius Mêla {l, 30) a raison de dire de cette ville, contrairement à Salluste • « Cirta procul a mari ». 11 est vrai que, dans l'indication des distances, Salluste emploie souvent des expressions très vagues. D'autre part, il n'est pas prouvé qu'il compte Cirta au nombre de ces oppida marituma dont il parle au chapitre C Peut-être Marius, après avoir occupé Cirta, cantonna-t-il ses troupes dans des lieux plus voisins du littoral; en tout cas, Sylla, auquel il laissa le commande- ment pendant son expédition (CIII, 4), ne se trouvait pas à Cirta lors de son retour (CIV, 1). 3. Jag., XXIII, 1 : « Vallo atque fossa moenia circumdat ». Au chapitre XXV 9 Salluste, mentionnant une tentative d'assaut, écrit : « Exercitu circumdatô Cirtam inrumpere nititur ». 4. Voir le plan de Cirta dans Gsell, Atlas archéol, de l'Algérie, [' 17 Constantine p. 16. 5. XIX, 3. Après Cyrène, il indique (vers l'Ouest) : . duae Syrtes interque eas Leptis, deinde Philaenon arae..., post aliae Punicae urbes ». Voir aussi chapitres Gsell. — Afrique du Nord. VII. 9 4-26 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. Quand Salluste composa le BeUiim lugurthinum^ près de soixante-dix ans s'étaient écoulés depuis cette guerre. Il ne put donc faire usage de renseignements oraux, demandés à des témoins directs. Il ne nomme qu'une seule de ses sources écrites, et pour une digression relative aux prétendues origines des peuples africains; il y reproduit les assertions d'un livre en langue punique du roi numide Hiempsal ' : on lui avait sans doute signalé et traduit cet ouvrage à Zama, qui avait été la capitale de Juba I", fils d'Hiempsal, et qui, peut-être, était devenue le chef-lieu de la nouvelle province. Pour la guerre même de Jugurtha, rien n'indique qu'il ait eu recours à des livres composés par des Africains, à supposer qu'il y en eût. Trois Romains éminents, qui avaient joué un rôle dans cette guerre, écrivirent leurs mémoires : M. ^milius Scaurus, P. Rutilius Rufus, enfin Sylla, le dictateur. Salluste a pu consulter Rutilius et Sylla : par exemple, le premier pour le récit détaillé qu'il donne de la bataille du Muthul, à laquelle Rutilius prit une part importante, le second pour les négo- ciations dont Sylla fut chargé auprès du roi de Maurétanie Bocchus. Mais, à vrai dire, nous n'en savons rien et nous n'en pouvons rien savoir \ Quant à Scaurus, notre auteur lui prête des menées déshonorantes, que ce personnage ne s'attribuait évidemment pas dans ses mémoires. Nous ignorons également si Salluste a fait usage de divers annalistes romains, dans les ouvrages desquels figurait le récit ■^ . . . de la guerre de Jugurtha : Sempronius Asellio, contemporain LXXVIII-LXXIX, d'où il résulte qu'il place les Autels dans la même région que Leptis, située, dit-il, « inter duas Syrtes ». Il indique cependant qu'ils étaient beaucoup plus rapprochés de Cyrène que de Carthage : cela aurait pu le con- vaincre qu'ils n'étaient pas en deçà de la grande Syrte par rapport à Carlhage. 1. XVII, 7. 2. Salluste a pu faire des emprunts indirects à Rutilius par l'intermédiaire de Posidonius; celui-ci s'était servi de ['Histoire romaine que Rutilius avait écrite eQ grec : voir Athénée, IV, 66 (p. 168, d). .lUlJURTIlA MAITRR DR LA NUMIDIE. 127 V X' de celte guerre; Claudius Quadrigarius et Valérius Antias, un peu plus récents; C. Licinius Macer et Q. yElius ïubéron, contemporains de César. A propos de Sylla, il mentionne L. Cornélius Sisenna', auteur d'une histoire qui prenait fin en 78 et que lui-même continua, après avoir publié le Bellum lugurthinum. Il fait l'éloge de son devancier, tout en lui reprochant de n'avoir pas jugé le dictateur avec assez d'indé- pendance. Mais il est à peu près sûr que l'ouvrage de Sisenna ne comprenait pas le récit de la guerre de Jugurtha et ne débutait qu'à la guerre sociale, quinze ans après la chute du roi numide ^ On ne peut donc indiquer avec certitude aucune des sources latines du Bellum lugurthinum. Mais il y a tout lieu de croire que Salluste s'est servi de VHistoire écrite en grec par le célèbre Posidonius d'Apamée ^ Celui-ci, continuant Polybe, avait raconté en 52 livres les événements qui s'étaient passés depuis l'année 144 jusqu'à la fin de la dictature de Sylla, peut- être même jusqu'au premier triumvirat. Il n'avait sans doute pas visité l'Afrique, mais il avait recueilli, — nous ignorons à quelles sources, — d'abondants renseignements sur la géo- graphie, la faune et la flore de cette contrée, sur les mœurs de ses habitants. Strabon en a fait assez largement usage*. Quant au récit des événements, le compilateur Diodore de.^ Sicile, qui, pour cette époque, suit de près Posidonius, nous permet d'entrevoir la valeur de celui-ci comme historien. Mal- heureusement, en ce qui concerne la guerre de Jugurtha, il ne nous reste que quelques pauvres fragments de Diodore. Nous constatons, cependant, que, comme Salluste, il nous 1. xcv, 2. 2. Daus son premier livre, Sisenna parlait d'un événement qui se passa en 91 ou 90 : voir Peter, Hist. Rom. fragm., p. 178, no 6. Conf. Veiléius Paterculus, II, 9, 5. 3. Pour les emprunts probables de Salluste à Posidonius, conf. Strenger, Strabos Erdkunde von Libyen (Berlin, 1913), p. 46-47, 53, 60, 80, 92. 4. Voir t. V, p. 16, 21, 22. 128 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. montre Jugurtha entourant Cirta d'un fossé* : la source commune de cette bévue est probablement Posidonius. De son côté, Strabon'^ affirme, comme Salluste^ que la partie occidentale du royaume de Numidie est plus fertile et plus peuplée que la partie orientale : on peut admettre aussi que l'un et l'autre ont emprunté à Posidonius cette assertion contes- table. Dans un passage où les formes adoptées pour les noms propres décèlent une source grecque*, l'historien romain place inexactement les Autels des Philènes; or Strabon commet la même erreur^, au cours d'un développement où il se réfère à Posidonius ^ On voit que Salluste n'a pas toujours été heureux dans ses emprunts, et nous sommes en droit de nous étonner qu'un ancien proconsul d'Afrique se soit contenté de chercher chez un savant grec des renseignements sur la géographie africaine, alors qu'il lui eût été bien facile de recueillir des informations plus sûres. Ce n'est pas qu'il ait copié Posidonius d'une manière servile : une telle hypothèse serait absurde à l'égard d'un écrivain de la valeur de Salluste; elle serait réfutée par la comparaison du Jugurtha avec les fragments qui nous restent de Diodore et qui ne se superposent pas rigoureusement aux passages correspondants du texte latin ". Ajoutons que Posidonius était un partisan de la noblesse romaine : il ne devait pas montrer 1. XXXI v-v, 31. 2. XVll, 3, 12. 3. Jug., XVI, 5. 4. XIX, 3 : « Ad Catabathraon, etc.... Cyreiie est, coioaia Theraeon, ac deiuceps duae Syrtes interque eas Leptis, deinde Philaenon arae. » 0. III, 5, 0. Conf. ici, t. V, p. 18, n. 4. 6. Il se peut aussi que Salluste ait trouvé dans Posidonius l'indication de la limite de l'Afrique au Catabatliinos {Jmj., XVII, 4; XIX, 3) et l'opinion qui ratta- chait l'Alrique à l'Europe (XYII, 3). Conf. Pomponius Mêla, 1, 40; Lucain, IV, 411-3; saint Augustin, Giv. Dei, XVI, 17; Paul Orose, Adu. pagan., I, 2, 1 et 85. 7. Jug., XXI, 2-3; XXVI, 3, et Diodore, XXXIV-V, 31 : divergences à propos de la guerre entre Jugurtha et Adherbal. Jug., GII et suiv., et Diodore, XXXIV-V, 39 ^négociations de Bocchus avec les Romains) : les deux récits ne concordent pas entièrement. JUGURTHA MAITRE DE LA NUMIDIE. 129 vis-à-vis d'elle celte sévérité qui éclate partout dans le Bellum lugurthinum. Quoiqu'on ne puisse rien préciser à ce sujet, il est évident que Salluste a eu en main des récits assez détaillés, émanant, directement ou indirectement, de témoins oculaires : par exemple, pour la bataille du Muthul, le siège de Zama, l'expédition de Capsa, la prise du château de la Mulucha. Cependant ses sources n'ont pas dû être nombreuses. On se tromperait fort si on se le figurait absorbé par une besogne pénible d'érudit et de critique, en quête de tous les documents utilisables, les éclairant et les corrigeant les uns par les autres. Sans doute, il savait que le premier devoir de l'histo- rien est d'être exact' et, de fait, nous ne constatons dans le Jugurtha qu'un petit nombre d'erreurs matérielles (nos moyens de contrôle sont, d'ailleurs, très insuffisants). Mais il n'avait nullement la prétention de tout dire. Pour le juger équita- blement, il convient de ne pas chercher dans son livre ce qu'il ne voulait pas y mettre^ : un récit complet des événe- ments, suivant strictement leur ordre chronologique, indiquant avec précision les lieux où ils s'étaient passés. Ce récit, qui n'eût pas fait grâce d'opérations secondaires et monotones, qui eût été défiguré par un amas de noms inconnus et barbares, eût noyé les lecteurs dans l'ennui. Salluste entendait autre- ment sa tâche d'historien. On a vu qu'il n'avait pas dépouillé ses prétentions d'homme d'État. Il ne s'est pas privé d'exprimer ses idées à cet égard, ou de les mettre dans la bouche du tribun Memmius, du consul Marins; il flétrit le parti que, dans sa vie publique, il avait combattu, et, quoiqu'il proteste de son impartialité, on peut douter que ses condamnations soient toujours très justes. 1. ■• Sallustius, nobilitatae veritatis historicus », dit saint Augustin, Civ. Dei, 1, 5. 2. Cf. Boissier, L'Afrique romaine (2" édit.), p. 20. 130 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. Mais, si les pensées politiques, — d'ailleurs peu profondes, car il n'avait guère l'esprit philosophique, — tiennent une large place dans son œuvre, elles ne la dominent, ni ne l'expliquent. Salluste n'est pas, comme Polybe, un « pragma- tiste », qui se propose surtout de faire Téducation des gens destinés à gouverner les Etats'. Une autre conception de l'histoire la rattachait à la morale et lui demandait, en présentant des exemples illustres, d'exalter la vertu et de blâmer le vice. Bien qu'il fût très peu qualifié pour s'ériger ainsi en censeur des autres^, Salluste ne s'en est pas abstenu : ce dont témoignent en particulier les préfaces du Catilina et du Jugurtha. On peut dire, cependant, que c'est là un vernis qu'il a jugé convenable de se donner. Avant tout, l'histoire^ est pour lui une œuvre d'art : en quoi il s'accorde avec la plupart des anciens. Mais ce qui est original chez lui, c'est le cadre dans lequel il l'enferme. Comme le Catilina^ le Jugurtha est un véritable drame, où quelques scènes clioisies se détachent en haut relief, les épisodes intermé- diaires étant négligés ou même complètement omis, la chrono- logie étant sacrifiée ou devant se soumettre aux convenances de la composition, la géographie étant réduite au strict néces- saire pour situer ces scènes dans l'espace. En telle matière, Salluste ne se pique pas de la précision et de l'exactitude rigoureuse du grand historien grec Thucydide. Aussi nous est- il assez malaisé de rétablir la suite chronologique des faits qui nous sont présentés, et impossible de reconstituer l'ensemble des opérations militaires, en les plaçant dans leur milieu géographique. D'autres textes nous permettent de constater 1. Pas plus qu'il ne prétend donner, comme Polybe, des leçons de science militaire. Ses descriptions de batailles n'attestent pas une compétence bien grande en cette matière. Voir, par exemple, au chapitre Cl, 11, un développe- ment qui est d'un rhéteur, et non d'un homme de guerre. 2. Ce qu'on ne s'est pas fait faute de remarquer : Dion Cassius, XLIII, 9, 3; Macrobe, 111, 13, 9. JUGURÏHA MAITIIE UK LA NUMIDIE. 131 l'omission par Sallusle d'un événement qui nous paraît fort important : la perte de Cirta, dont Métellus s'était emparé en 108, et qui, en 106, n'appartenait plus aux Romains. Ce drame qui s'offre à nous est mené par quelques acteurs. L'histoire n'est pas pour Salluste le développement presque fatal d'institutions sociales et politiques; elle est faite par un petit nombre d'hommes, qui entraînent les autres ^ il met ces hommes en pleine lumière, traçant d'eux des portraits sobres et vigoureux, les faisant agir, après avoir percé les mobiles de leurs actes, vivifiant ainsi le drame. Cependant, celui-ci ne se déroule pas avec une hâte inflexible. Suivant l'exemple de la plupart des historiens qui l'ont précédé, Salluste y entremêle des discours, morceaux d'éloquence qui sont sortis de son imagination^, qui, quels que soient les orateurs auxquels il les attribue, offrent un style uniforme, son propre style, qui, enfin, expriment ses sentiments et ses pensées. Compositions d'un artiste désireux défaire admirer sa virtuosité et qu'en effet, on admira et étudia en elles-mêmes, indépendamment du récit où elles s'insèrent ^ Pour ménager aux lecteurs quelque repos, il coupe le drame par des inter- mèdes : digressions sur les origines des Numides et des Maures*, sur les partis à Rome depuis la chute de Carthage % sur le dévouement patriotique des frères Philènes, ces héros légendaires'"'. Enfin, dans un prologue, qui, comme celui du 1. CatiL, LUI, 4. Conf. Ullmaan, Rev. de philoloyie, XLII, 1918, p. 14. 2. Il ne convient pas de le croire quand il prétend reproduire un des discours prononcés par Memmius {Jug., XXX, 4). 3. On en fit des recueils particuliers : voir Schanz, Geschichte der rom. LittC' raiur, 3° édit., I, 2, p. 172, 173. Granius Liciniauus (36, p. 33, édit. Flcmisch), un auteur qui vivait probablement au second siècle de notre ère, disait que Salluste devait être lu, non comme un historien, mais comme un orateur. Septime Sévère mourant avait, prétendait-on, envoyé à son fils Caracalla le discours de Micipsa à ses enfants : Histoire Auguste, Septime Sévère, XXI, 10. Claudien {Bell. Gildon., 408-9) rappelle le discours d'Adherbal au Sénat romain. 4. Jug., XVIIl. 5. Ibid., XLl-XLII. 6. Ibid., LXXIX. 132 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. Catilma, n'a aucun rapport avec la suite, il se présente lui- même en belle posture, justifiant, ou plutôt glorifiant l'œuvre d'intelligence à laquelle il consacre ses loisirs. Partout, nous trouvons devant nous, non pas un savant, serviteur et porte-parole de la vérité, mais un auteur, dont la haute personnalité se révèle surtout par son style : ce style, bref, âpre, nerveux, aux phrases simples et courtes, aux arêtes vives, qu'accuse* la fréquence des antithèses, à l'allure saccadée, qui contraste tant avec la molle abondance de Cicéron *. Instru- ment que Salluste s'est fait à force de volonté et de labour, et qui n'appartient qu'à lui, malgré ses emprunts au latin archaïque et populaire, malgré l'imitation de Thucydide. C'est par sa puissance psychologique et dramatique et, plus encore, par l'originalité de son style qu'il a conquis une place éminente dans les lettres latines. Qualités de grand artiste, qui peuvent décevoir les érudits modernes. Ne trouvant pas dans le Bellum lugurthinum les détails précis qu'ils souhaitent, ils seraient tentés de donner ce chef-d'œuvre pour une relation sèche et plate, mais exacte, soucieuse de la chronologie et de la topographie, telle, par exemple, que le journal de l'expédition d'Afrique, rédigé par un compagnon d'armes de Jules César. Ce n'est pas une raison pour bannir Salluste de l'histoire, tout en le couronnant de fleurs. Après avoir lu le Jugurtha, on est assurément inca- pable d'indiquer sur une carte les allées et venues de JMétellus et de Marins, d'énumérer les bicoques qu'ils ont prises, les tribus barbares que les colonnes romaines ont razziées, et tous les menus faits qui ont formé la trame de cette guerre, ou plutôt de cette interminable guérilla. iMais quel homme fut le roi numide, comment il conduisit la résistance, à quelles difficultés les armées de Rome se heurtèrent en Afrique et comment elles y 1. L'Africain Apulée (Apol. ,XGW, 5) oppose justement la parsimonia de Salluste à Vopulentia de Cicéron. JUGUHTHA MAITRE DE LA NUMIDIE. 133 firent face, cela Salliiste nous l'a dit, en des termes qu'on n'oublie pas. Et c'est l'essentiel. Ne lui reprochons pas d'avoir dédaigné d'amasser des matériaux pour les mettre à notre disposition, et d'avoir préféré élever lui-même un monument impérissable. Si nous n'avions pas cet ouvrage, nous saurions bien peu de choses sur Jugurtha. J'ai déjà mentionné les fragments de Diodore de Sicile', qui dépend de Posidonius-. Tite-Live racontait dans les livres LXII, LXIV, LXV et LXVI de son Histoire les événements d'Afrique, de 118 à lOo. De ces livres, il ne reste, on le sait, que d'indigents sommaires. A des abrégés, aujourd'hui perdus, se rattachent Eutrope% qui ne nous apporte presque rien, et Paul Orose^ Par celui-ci % on peut constater que Tite-Live, — qui n'aimait pas Salluste '\ — n'a pas suivi servilement le Bellum lugiuihinum, bien qu'il soit difficile de supposer qu'il l'ait entièrement laissé de côté. Orose mentionne une ville de Calama, dont il n'est pas question dans Salluste'. D'une bataille livrée à Marins par Jugurtha et Bocchus, il fait un récit qui diffère beaucoup de celui de 1. L. XXXIV-V, 31; 35; 38; 39. Fragm. hist. Graec, édit. Mùller, II, p. XXII, § XXVIII. 2. II faut probablement imputer, aon à Posidonius, mais à Diodore (XXXIV-V, 35), l'erreur par laquelle celui-ci attribue comme fils à Micipsa, outre Adherbal et Hiempsal, un autre Micipsa. A moins qu'il n'y ait eu confusion d'un copiste (voir t. VI, p. 91, n. 6). C'est sans doute par la faute d'un copiste que, dans un autre fragment {Fr. h. G., l. c), le prince numide assassiné à Rome sur l'ordre de Jugurtha est appelé, lui aussi, Jugurtha, au lieu de Massiva. 3. IV, 26-27. Eutrope, traduit en grec par Capiton, fut utilisé par Jean d'An- tioche, avec des additions prises peut-être dans Dion Gassius : Fr. h. G., IV, p. 360-1. 4. Adv. pagan., V, 15, 1-19. Orose connaissait certainement aussi le livre de Salluste. Il dit qu'il parlera brièvement de Jugurtha, " quia... de natura eius... propter opimam scriptorum luculentiam salis sufficiens apud omnes uotitia est ». 5. Et même par les sommaires de Tite-Live. Au sommaire du 1. LXIV, il est dit qu'après l'assassinat de Massiva, Jugurtha s'enfuit de Rome en secret. Salluste (Jag-, XXXV, 9) afllrme qu'il reçut du Sénat l'ordre de quitter l'Italie. 6. Voir Sénèque, Controv., IX, 1, 13. 7. Gonf. t. V, p. 271. D'autres indications d'Orose ne se retrouvent pas non plus dans Salluste : mention de trois cents otages et de trois mille transfuges, remis àMétellus par Jugurtha ; préparatifs que les Romains font pour prendre Cirta; etc. 134 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. Salluste et dont les exagérations rappellent celles de Valérius Antias et autres annalistes, trop fidèlement reproduits par Tite-Live. De Dion Cassius, nous n'avons, pour la guerre de Jugurtha, que cinq courts fragments \ Il ne semble pas s'être servi de Salluste-; peut-être se rattache- t-ii à Tite-Live'. Il ne reste également que quelques débris du récit d'Appien*. Ils révèlent l'emploi d'une ou plusieurs sources autres que Salluste et celles dont dépend Dion Cassius^ : on ne saurait rien dire de plus. Nous ignorons aussi les sources de Plutarque dans ses vies de Marins® et de-Sylla ' ; plusieurs passages ne concordent pas avec Salluste. C'est, au contraire, de celui-ci que dépend Florus dans son abrégé d'histoire romaine^ 1. Fr. 87, 1 et 3-6, édit. Melber (=Fr. 89 dans l'édit. Boissevain). 2. Plusieurs détails donnés par Dion, entre autres la mention de la reddition de Cirta, ne se trouvent pas dans Salluste. Il y a aussi des divergences pour les négociations des Romains avec Bocchus. 3. Il n'est pas impossible que Velléius Paterculus (II, 11-12) dépende aussi de Tite-Live (conf. Velléius : « ... Metelio, qui bis lugurtliam acie fuderat », et Tite- Live, Epit. l. LXVI : « Metellus consul duobus proeliis lugurlham fudit »). 4. Numid., dans l'édition d'Appien de la collection Didot, p. 163-4. 5. Jugurlha s'enfuit de Rome avec Bomilcar; v. contra Salluste, Jug., XXXV, 9. Détails qui ne se trouvent pas dans Salluste sur la mise à mort de tous les sénateurs de Vaga, sur les supplices infligés aux transfuges qu'a livres Jugurtha. Divergences entre .\ppien, d'une part, Salluste et Dion, d'autre part, pour le ' récit des négociations avec Bocchus; détails que Salluste ne donne pas. 6. Chapitres 7-10. 7. Chapitre 3. 8. I, 36 (=111, 1). Et aussi l'abréviateur Julius Exuperantius (iv'^ ou \' siècle) : édit. Landgraf et Weyman, Archiv fiir lateinische Lexikographie, XII, 1902, p. 563- 4. Valère-Maxime (II, 7, 2) se rattache certainement à Salluste (Jug., XLV). De même, Frontin, dans un passage de ses Stratagèmes : 111, 9, 3; peut-être aussi ibid., II, 4, 10. Ailleurs (I, 8, 8; II, 1, 13), il ne dépend pas de Salluste, non plus que Pseudo-Frontin, IV, 1, 2. — Parmi les ouvrages modernes (jui traitent de la guerre de Jugurtha, je citerai seulement W. Ihne, liom. Gcschichte, V (1879), p. 116-167 (très défavorable à Salluste), et A. II. J. Greenidge, A history of Rome during ihe later Republic and early Principale, 1 (1904), p. 315-472. Voir aussi une utile dissertation de H. Wirz, Die sloffliche and zeilUche Gliederui.g des Bellum Jugurlhinum des Sallust, Zurich, 1887. JUGUUTH MAITHE DE LA NUMIUIE. 135 II Devenu maître d'un royaume qui s'étendait du Maroc à la Cyrénaïque, Masinissa avait souhaité lui donner Carthage pour capitale. En décidant de s'emparer de l'illustre cité et de la détruire, Rome anéantit la suprême espérance du vieux roi '. Il en fut profondément déçu et affligé-. Mais il dut se résigner à ce qu'il ne pouvait pas empêcher. Depuis plus d'un demi- siècle, il proclamait sa reconnaissance envers la République, qui lui avait permis de recouvrer ses Etats et de les agrandir. Affectant d'oublier les services qu'il lui avait rendus, il avait pris, vis-à-vis d'elle, l'attitude d'un client, d'un vassal'. 11 n'y renonça pas et, s'il mit peu de zèle à seconder une entreprise dirigée, en réalité, contre lui *, il termina sa vie par une sorte d'aveu que les destinées de la Numidie dépendaient des Romains. Au début de l'année 148, se sentant fort malade, il voulut, pour le règlement de sa succession, consulter Scipion Emilien, petit-fils adoptif du vainqueur de Zama, et il l'appela à Cirta. Scipion n'ayant pu arriver à temps, il lui laissa le soin de prendre les mesures opportunes. On sait que, par une décision conforme à l'intérêt de Rome^ sinon aux désirs de Masinissa, le souverain unique, maître absolu, fut remplacé par trois rois, les trois fils légitimes du défunt, et que les attri- butions royales furent morcelées entre eux. L'aîné, Micipsa, eut l'administration; Gulussa, le commandement des armées; Mas- tanabal, la justice ^ Gulussa partit aussitôt avec Scipion pour prendre part à la guerre contre Carthage ; il fut pour les Romains 1. Voir t. Il, p. 283-4; III, p. 329-330; IV, p. 483. 2. T. III, p. 353-4. .3. Ibid.,p. 308-311. 4. Ibid., p. 363. 5. T. III, p. 364; t. V, p. 123-4. 136 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. un auxiliaire utile et dévoué *. Ses deux frères montrèrent d'abord moins d'empressement à renoncer au rêve de leur père-, mais ils comprirent, eux aussi, qu'ils devaient accepter l'inévitable. Après sa victoire, Rome abandonna aux fils de Masinissa quelques miettes du butin ^; elle garda l'emplacement de Carthage et, sous le nom cVAfrica, une zone qui en défendit l'approche. Elle ne désirait pas étendre sa domination plus loin. La Numidie ne lui paraissait pas assez riche, ni assez civi- lisée, pour payer une conquête qui eût été difficile, et une occupation militaire qui eût pu causer de grands embarras. II lui importait seulement de maintenir dans son alliance, c'est-à- dire sous sa tutelle, les souverains de cette contrée barbare; elle n'entendait point leur permettre de prendre des allures indé- pendantes, d'oublier que, loin d'avoir des droits sur VAfrica, ils ne détenaient le pays numide que parce qu'elle avait consenti à l'abandonner à Masinissa. Ainsi le voulaient son prestige et la sécurité de sa province. Ces vassaux pouvaient, du reste, lui rendre quelques services, en faisant la police autour de ses frontières africaines, en lui fournissant des secours militaires et des vivres, en favorisant chez eux le commerce italien. Gulussa et Mastanabal moururent peu d'années après leur père*, et Micipsa resta seul roi \ Rome n'eut pas de motifs de s'en alarmer. Le fils aîné de Masinissa avait presque atteint la vieillesse* et il était d'un caractère fort paisible \ Dans sa ville 1. T. III, p. 365, 307, 387, 393.394. 2. Ibid., p. 369. 3. Elle leur laissa les bibliothèques de Carthage (t. IV, p. 212) et leur concéda des terres dans la province {supra, p. 79-80). 4. Ils étaient certainement morts en 139, lorsque fut gravte à Thugga la dédicace d'un temple de Masinissa; Micipsa v est seul mentionné : Chabot, Punica, p. 210. 5. Salluste, Jugf., V, 6. 6. Il était l'aîné de Gulussa, qui devait avoir au moins vingt ans en 172 : voir t. III, p. 364, n. 6. 7. Appien, Lib., 106. Diodore, XXXIV-V, 35. .IL'GUUTIIA MAITRE DK LA MJMIDIE. 137 de Cirta, qu'il prenait soin d'embellir', il se plaisait surtout, — du moins on l'affirme, — à s'entretenir de science et de philo- sophie avec des Grecs ^ Il semble bien qu'il n'ait pas négligé non plus de tirer de ses sujets de quoi remplir largement ses coffres \ Son règne se passa ainsi, sans événements importants. A l'égard de Rome, il remplit ses devoirs avec, fidélité, déclarant*, comme son père, qu'il n'était que l'intendant d'un ro3'aume dont elle restait la légitime propriétaire. Comme Masinissa, il mit à sa disposition des troupes, des éléphants, du blé. Ainsi, en 141 avant J.-C, il envoya dix éléphants et trois cents cavaliers au proconsul Q. Fabius Maximus Servilianus, qui avait à combattre Viriathe et les Lusitaniens ^ Peu de temps auparavant, il avait peut-être fourni d'autres éléphants à Q. Cœcilius Métellus Macédoniens, qui guerroya dans la péninsule ibérique en 143-142, comme consul, puis comme proconsul ^ En 134, il en envoya douze à Scipion Émilien, chargé de détruire Numance, ainsi que des archers, des fron- deurs, des cavaliers, sous la conduite de son neveu Jugurtha '. Il se peut aussi qu'il ait fourni à Cn. Domitius Ahénobarbus les éléphants qui, en 121, causèrent une grande frayeur aux Gaulois et contribuèrent à la victoire de ce proconsul^ En 126 ou 125, il avait expédié du blé à des troupes combattant en Sardaigne : C. Sempronius Gracchus, le futur tribun, était alors questeur 1. Strabon, XVII, 3, 13. Appien, l. c. 2. Voir t. VI, p. 91. 3. Zonaras, IX, 27, p. 465, 6. Salluste, Jug., XII, 1. Il est probable que, si Jugurtha fut très bieu pourvu d'argeat dans les premières années de son règne, ce fut grâce à l'esprit d'économie de Micipsa. 4. S'il faut en croire Salluste (Jag., XIV, 1), faisant parler Adherbal. 5. Appien, Iber., 67. 6. Ce Métellus avait des éléphants dans son armée : Valère-Maxime, IX, 3, 7. En 201, les Romains gardèrent pour eux une partie des éléphants de Carthage (voir t. III, p. 294, n. 2), mais ils n'en possédaient sans doute plus soixante ans après. 7. Appien, /6er., 89. Salluste, Jug., VU, 2. 8. Florus, I, 37, 5. Paul Orose, Adv. pagan., V, 13, 2. 138 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. de celte province, et le roi numide avaît voulu, dit-on, lui être agréable en rendant service aux Romains'. iMicipsa mourut fortvieux^, en 118^ Il lui restait alors deux fils légitimes*, AdherbaP et Hiempsal*"', encore assez jeunes '. Il eût souhaité leur réserver sa succession tout entière, écartant les autres princes de la famille de Masinissa. Mais il dut se résoudre à prendre une autre décision. Son frère Mastanabal avait laissé deux fîls ^ : l'un, Gauda% de naissance légitime, mais maladif et faible d'esprit'"; l'autre, Jugurtha'', issu d'une concubine*^ et, de ce fait, non qualifié pour accéder au trône. Il était né du vivant de Masinissa. Son père n'ayant guère survécu à celui-ci, il fut recueilli, encore enfant, par son 1. PluUirque, C. Gracchas, 2. 2. Salluste, Jug., IX, 4, el XI, 3. 3. Le sommaire du livre LXII de Tite-Live mentionne la mort de Micipsa entre la guerre faite à un peuple alpin par Q. Marcius, consul en 118, et celle que fit aux Dalmates L. Cfecilius Métellus, consul en 117. 4. Salluste, Jug., V, 7. Tite-Live, Epit. l. LXII. Un fragment de Diodore (XXXIV-V, 35) indique que Micipsa eut de nombreux flls, mais que ses préférés furent Adlierbal, qui était l'aîné, Hiempsal et Micipsa. Il est à croire que ce dernier n'a jamais existé : v. supra, p. 133, n. 2. 5. Nom punique ('DRB'L, « Baal [est] puissant »), qu'a porté un autre prince numide (De viris illustr., 66). Les Grecs le transcrivent 'Atâpêa; ('AoâpoaA dans Strabon, XVII, 3, 12; 'Aoépoa/>.o; dans Jean d'Antioche, Pr. h. G., IV, p. 560, n° 64). 6. Ce nom fut porté plus tard par un autre roi numide. La forme ordinaire en latin est Hiempsal (leinpsal : C. I. L., II, 3417; lemsal : ibid., VIII, 8834). En grec 'Ié[i']/a; (Dion Gassius), 'lijji'La; (Plutarque), 'Uu/hâlxi (Appien); 'Iiu.{;a(jio;, sans doute par corruption, dans Diodore. 7. Salluste, Jug., VI, 2 : « parvis liberis » (en 134). Gonf. ibid., X, 1 et 7; XI, 4, où Salluste indique qu'ils étaient plus jeunes que Jugurtha. 8. Du moins, nous n'en connaissons que deux. 9. Salluste. Jug., LXV, f. Gonf. Gsell, Inscr. lat. de l'Algérie, I, 1242 : Gaudae {&u génitif); C. /. L., II, 3417 : Gau[dae]. Fa-joa; dans Dion Gassius, fr. 87, 4. 10. Salluste, l. c. 11. Ge nom, qui est libyque, se retrouve dans des inscriptions latines d'Afrique sous les formes lagurtha et lugurta : C. I. L., VIII. 2409 = 17909, 14175, 20718, 20988; Bull, archéol. du Comité, 1917, p. 338, n°' 62, 63; voir aussi Corippus, Joh., VII, 435 (lugurlha); VllI, 549 (lugurta). En grec, on transcrit 'loyôpOa;, ou 'lojyojp- 6a;. En libv(iue, la terminaison était probablement an, et la lettre que les Latins ont rendue par th avait, comme le t/i anglais, un son sifflant. 12. Salluste, Jug., V, 7. Gonf. Jean d'Antioche, l. c. JUGURÏllA MAITRE DE LA NUMIDIE. 139 oncle IMicipsa, qui le fit élever'. En 134, quand il fut envoyé devant Numance, il devait avoir une vingtaine d'années-. Il avait les avantages physiques de son grand-père : il était, dit Salluste^ beau et vigoureux. Nous n'avons de lui aucun portrait qui nous permette d'en juger, car les monnaies où on a voulu le retrouver représentent sans doute un dieu, Hercule*. Il aimait avec ardeur les exercices du corps, l'équi- tation, la chasse'. Brave jusqu'à la témérité, il sut plus tard montrer aussi les talents militaires d'un chef, conduire fort habilement la guérilla, où les Africains excellaient, livrer de vraies batailles, entreprendre même des sièges selon les méthodes romaines. D'une intelligence très vive% il mit autant d'énergie que de souplesse au service de son ambition; adroit à séduire", d'ailleurs dépourvu de scrupules, perfide, cruel, persuadé, dans son mépris des hommes, que la corruption est le plus sûr moyen d'acquérir des partisans, n'hésitant pas à se débarrasser de ses ennemis par le crime. Son caractère offrait, il est vrai, d'étranges contradictions ^ Cet homme, qui parait si capable de concevoir et d'exécuter de vastes plans, a l'esprit mal équilibré; des crises nerveuses l'abattent ou l'entraînent à des actes insensés : accès de déses- poir, où sombrent son courage et sa volonté; fureurs qui l'aveuglent et lui font commettre des fautes irréparables. Il 1. Sallusle, ibid. et X, 1. 2. Au début de 111, il avait un fila ea âge de remplir une ambassade à Rome : Jug., XXVIII, 1. 3. Jug., YI, 1. 4. Aussi bieu sur des monnaies dargent, probablement frappées en Espagne par les Barcides, que sur un denier de Faustus Cornélius Sulla, le fils du dicta- teur. Voir t. II, p. 329. 5. Jug., VI, 1. 6. Ibid., VI, 1; VII, 4. 7. Il fut populaire, non seulement chez les Numides {Jug., VI, 1 et 3; VII, 1), mais peut-être aussi chez les Maures (ibid., CXI, 2; sur ce passage, voir cepen- dant infra, p. 250, n. 1). Il séduisit même les Romains auprès desquels il com- battit en Espagne [Jug., VII, 4). 8. Conf. Lallier, dans Annales de la Faculté des Lettres de Bordeaux, IV, 1882, p. 278; G. Bloch, M. Aemilius Scaarus, p. 49. 140 ROME ET LES UOIS AFIIICAINS. redevient subitement un barbare, impuissant à se maîtriser. Les brillantes qualités de Jugurtha l'avaient, dès sa jeunesse, rendu populaire parmi les Numides. Si l'on en croit Sallusle*, Micipsa s'en serait alarmé et aurait songé à se délivrer d'un neveu si supérieur à ses fils et sans doute si désireux de les supplanter. Mais, n'osant pas le faire périr, par crainte d'une révolte de ses sujets, il l'aurait envoyé devant Numance avec l'espoir qu'il s'y ferait tuer, victime de sa bravoure. Jugurtha se rendit donc en Espagne, à l'armée de Scipion Émilien^ Il s'y fît promptement une belle place, exécutant les ordres avec docilité et intelligence, très courageux dans l'action, capable de donner des avis judicieux, sympathique à tous par sa bonne grâce. Le général, au caractère duquel il savait se plier à merveille, lui confiait les missions les plus difficiles '^ Les officiers, parmi lesquels se trouvaient deux de ses futurs adversaires, Marius* et Rutilius Rufus \ traitaient en ami ce Numide qui avait appris sans peine à parler le latin*; certains d'entre eux l'engageaient à donner libre cours à son ambition ^ Après la chute de Numance (dans Tété de l'année 133**), Scipion loua et récompensa Jugurtha devant toute l'armée, puis le congédia, en lui donnant pour Micipsa une lettre dans laquelle il vantait son rare mérite'. Le vieux roi comprit qu'il ne pouvait plus désormais s'opposer à la fortune de son neveu. Il l'adopta (soit aussitôt, soit seulement en 120) : ce qui donna au fils illégitime de l.Jag.,\l, 2-3; VII, 1-2. 2. Voir, outre Salluste, Appien, Iber., 89; Velléius Palerculus, II, 9, 4. 3. Jug., Vil, 4-7. 4. Plutarque, Marius, 3 et 13. Valère-Maxime, Vlll, 15, 7. Velléius Pater- oulus, l. c. 5. Cicéron, De re pubi, 1, 11, 17. Appien, /6er., 88. 6. Jug., CI, 6. Conf. Fronlin, Stratag., II, 4, 10. 7. Jug., VIII, 1. 8. Voir Schullen, Numantia, III, p. 56. 9. Ju^., VIII, 2; IX, 1-2. JUGURTHA MAITRK UE LA NUMIDIE. 141 Mastanabal le rang d'un prince du sang-, apte à régner. Il fit ensuite un testament, dans lequel il le désigna, avec Adherbal et Hiempsal, pour hériter de son royaume'; à leur défaut, la couronne devait revenir à Gauda^ m Micipsa étant mort, les trois princes qu'il avait appelés à lui succéder se réunirent pour conférer. Hiempsal, le plus jeune, prit aussitôt une attitude offensante à l'égard de Jugurtha : très orgueilleux, il méprisait celui qui restait, à ses yeux, un bâtard, indigne du rang suprême. Il alla s'asseoir à la droite d'Adherbal, afin d'empêcher Jugurtha d'occuper la place du milieu, la place d'honneur'. Il consentit pourtant, non sans peine, à se rendre aux instances d'Adherbal, qui le priait de faire cette concession à l'âge. Tandis qu'ils discutaient sur l'administration du royaume, Jugurtha dit, entre autres choses, qu'il fallait abroger les décrets rendus dans les cinq dernières années, car, depuis ce temps, le grand âge de Micipsa avait affaibli sa raison. A quoi Hiempsal aurait répondu 1. Jug., IX, 3 (après le retour de Jugurtha d'Espagne, c'est-à-dire à la fin de 133) : « ... statimque eum adoptavit et testamento pariter cum fîliis heredem instituit ». Ibid.. XI, 6 : après la mort de Micipsa, survenue en 118, Hiempsal fait observer que Jugurtha est parvenu « tribus proxumis annis adoptatione in regnum ». Ces deux passages sont inconciliables, quoi qu'en pense M. Lafaye (dans Mélanges Boissier, p. 315-7). Peut-être Salluste était-il brouillé avec la chro- nologie au point de croire que la prise de Numance avait eu lieu trois ans avant la mort de Micipsa. Dans un discours que ce roi aurait prononcé peu de jours avant sa mort (Jug., XI, 2), il lui fait dire, s'adressant à Jugurtha (X, 2) : « novissume rediens Numantia meque regnuraque meum gloria honoravisti ». Il faut distinguer deux actes de Micipsa en faveur de Jugurtha : 1° l'adoption; 2° l'inscription comme héritier du trône dans le testament fait par le souverain (conf. l. V, p. 52, n. 1). Peut-être ces deux actes datent-ils, l'un de 133, l'autre de 120, mais ce n'est pas du tout ce que dit Salluste. — Tite-Live, Epit. l. LXII : Micipsa laisse son royaume à ses fils Adherbal et Hiempsal et au fils de son frère, à Jugurtha, iju'il a adopté. Conf. Paul Orose, Adv. pagan., V, 15, 3. Voir aussi, pour l'adoption, Florus, I, 36, 3. 2. Jug., LXV, 1. Conf. t. V, p. 124. 3. Voir t. V, p. 128-9. GsELL. — Afrique du Nord. VII. 10 142 ROME ET LES ROIS AFRICAINS;; qu'il était du même avis, puisque c'était seulement depuis trois ans que l'adoption avait permis à Jugurtha de parvenir à la royauté'. L'autre se tut, mais résolut de tirer vengeance de ces affronts ^ Nous ignorons si, dans son testament, Micipsa réglait sa succession de la même manière que Scipion avait réglé celle de Masinissa : par un partage d'attributions entre les trois héritiers, qui auraient régné ensemble ^ En tout cas, Adherbal, Hiempsal et Jugurtha, ne pouvant s'entendre, renoncèrent à s'associer : ils décidèrent de se partager les trésors et d'en faire autant pour le royaume, en fixant des limites aux trois États qui seraient ainsi constitués*. Salluste ne dit pas s'ils deman- dèrent à la République romaine son agrément. On peut le croire, et peut-être même supposer que ce fut pour cette raison que l'un des consuls de l'année 118, M. Porcins Caton, vint dans la province d'Afrique, oii il mourut ^ La répartition de l'argent devait être faite tout d'abord. En attendant, les rois se retirèrent, chacun de son côté, dans des lieux qui, d'après Salluste, étaient « voisins des trésors » ^ : Hiempsal, dans une ville que les manuscrits appellent Thirmida\ La résidence favorite de Micipsa était. Cirta^; c'est là, sans doute, qu'était conservée la part la plus importante des sommes d'argent dont il disposait. Mais on ne connaît, à proximité de Cirta, aucune ville portant le nom de Thirmida, et il y avait des « trésors » (c'est-à-dire des caisses financières) dans d'autres villes du royaume ^ L'un d'eux pouvait être à Thugga, une des principales cités de laNumidie, probablement 1. Sur ce propos que Salluste prête à Hiempsal, v. supra, p. 141, n. 1. 2. Jug., XI, 2-7. 3. Conf. t. V, p. 124. 4. Jug., XII, 1. 5. V. supra, p. 21, mais aussi p. 66. 6. Jug., XII, 2 : « in loca propinqua thesauris ». 7. Ib'id., XII, 3. 8. Supra, p. 137. 9. Voir t. V, p. 136. JL'GUUTHA MAITRE DE LA NL'MIUIE. 143 même la principale après Girta. Or, à une faible distance de Thugg-a, s'élevait Thimida liure^ vieille ville indigène, qu'on serait tenté d'identifier avec la « Thirmida » de Salluste'. Les princes auraient-ils jugé bon de tenir leur conférence dans cette Thugga, qui était très proche de la province d'Afrique et d'où les communications avec les autorités romaines étaient plus faciles que de Girta? Hiempsal logeait à « Thirmida » chez un Numide, attaché par ses fonctions à la personne de Jugurtha. Gelui-ci obtient de cet homme dévoué que, sous prétexte de visiter sa maison, il se procure de fausses clefs (les autres ont été remises à Hiempsal). Le Numide peut ainsi introduire de nuit des soldats de son maître, qui font irruption, massacrent les gardes, cherchent partout le jeune roi et finissent par le découvrir dans la cabane d'une esclave, où il s'est réfugié. Ils rapportent sa tête à Jugurtha, suivant l'ordre qu'ils ont reçu^. En apprenant ce crime, les anciens sujets de Micipsa se rangent, les uns du côté de Jugurtha, les autres, plus nombreux, du côté d'Adherbal, qui veut venger son frère et craint de subir le même sort. Jugurtha a derrière lui des gens qui savent faire la guerre et qu'il sait conduire. Adherbal risque une bataille et la perd. Le vainqueur devient maître de toute la Numidie^; il met à mort ou emprisonne les principaux partisans du vaincu*. Ge dernier s'était enfui dans la province romaine; de là, il se rendit à Rome^ Déjà, avant sa défaite, il avait 1. Voir ibid., p. 156 et 265. 2. Jag., XII, 3-5. Pour le meurtre d'Hiempsal, voir aussi Florus, I, 36, 4; Paul Orose, V, 15, 3; Eutrope, IV, 26, 1; Scholia Bobiensia à Cicéron (De rege Alexandrino, fr. VI), p. 31, édit. Hildebrandt. Indication inexacte dans VEpitome du livre LXII de Tite-Live : « lugurtha Hiempsalem fratrem petiit bello, quem victum occidit. » 3. Jug., XIII, 1-4. Gonf. Tite-Live, Epit. l. LXII : (Jugurtha) " Adherbalem regno expulit. . Paul Orose, V, 15, 3 : « Adherbalem bello victum Africa expulit. • 4. Jag., XIV, lo. 5. Ibid., XIII, 4. Gonf. Florus, I, 36, 4. 144 ROME ET LES ROIS APIUGAINS. informé le Sénat du meurtre d'Hiempsal et des dangers qu'il courait lui-même '. De son côté, Jugurtha envoya une ambassade, chargée de le disculper, mais, tout d'abord, de se concilier l'appui des amis qu'il s'était faits devant Numance et, par leur intermé- diaire, d'autres gens influents-. Au camp de Scipion, il avait souvent entendu dire qu'on obtenait tout à Rome en y mettant le prix^; il pourvut donc ses envoyés de grosses sommes d'argent, leur recommandant d'en user largement*. Le jour où le Sénat donna audience aux deux parties, Adherbal implora l'aide des Romains, alliés et protecteurs de son aïeul, de son père; il les supplia de lui rendre un royaume que Masinissa avait obtenu grâce à leur bienveillance et dont Jugurtha s'était emparé, sans se soucier d'eux, par des moyens criminels ^ Les ambassadeurs de Jugurtha répondirent briève- ment : « Hiempsal a été tué par ses sujets, exaspérés de sa cruauté ; Adherbal a été l'agresseur et il se plaint à tort d'une défaite qui l'a mis dans l'impossibilité de nuire; Jugurtha prie le Sénat de ne pas croire qu'il soit 'devenu un autre homme depuis le temps où on a pu le juger sur ses actes, devant Numance ^ » Adherbal et les députés étant sortis de la curie, l'assemblée délibéra aussitôt. Certains sénateurs, et non des moindres % blâmèrent avec énergie la conduite de Jugurtha et demandèrent des mesures contre lui ^ Cependant, la majorité ne se rangea 1. Jug., XIII, 3. 2. Jbid., XIII, 6. 3. Ibid., VIII, 1. 4. Ibid., XIII, 6-8. Conf. Florus, I, 36, 4. 5. Salluste (Jug., XIV) a composé un long discours, qu'il a mis dans la bouche du roi. 6. Jug., XV, 1. 7. Pour l'hostilité qu'Opimius et.Emilius Scaurus témoignèrent alors à Jugur- tha, V. infra, p. 145 et 150. 8. Il est inutile de croire que ces ennemis de Jugurtha aient été achetés par Adherbal (lequel, du reste, était alors sans ressources et n'aurait pu faire que JUGURTHA MAITRE DE LA NL'MIUIE. 145 pas à leur avis. L'or du Numide dut peser sur plus d'une conscience '. Mais, — ce que Salluste ne dit pas, on pouvait faire valoir des arguments avouables. Entre ces barbares, capables de tout et habitués à mentir, il paraissait fort difficile de savoir qui avait raison. Et même si Jugurtha était coupable, il avait rendu à la République de grands services, qu'elle ne pouvait oublier, tandis qu'Hiempsal et xAdherbal n'avaient rien fait pour elle. L'honneur n'exigeait pas qu'on vengeât le mort et qu'on soutînt le vaincu, au prix d'une guerre dont les diffi- cultés étaient évidentes et dont les avantages seraient nuls. Puisque personne ne songeait à conquérir la Numidie, le mieux était de la partager entre les deux rivaux, qui se feraient contrepoids : gage de sécurité et de prédominance pour Rome. En imposant ce règlement du conflit^ elle montrerait à Jugurtha et à tous qu'elle n'admettait pas que le royaume de Masinissa échappât à sa tutelle. Il fut donc décidé que dix commissaires procéderaient au partagea Leur chef fut L. Opimius, qui, étant consul en 121, avait, par les mesures les plus violentes, assuré contre C. Gracchus et ses partisans le triomphe de la noblesse, et que les démocrates n'avaient pas réussi à faire condamner après sa sortie de charge. A Rome, il s'était déclaré contre Jugurtha. Est-il vrai, comme on l'en accusa^, qu'en Afrique, il se soit laissé acheter par le roi, ainsi que la plupart de ses collègues? Opimius avait tant d'ennemis qu'on l'eût sans doute dénoncé, même s'il n'eût pas été coupable. des promesses). Eu égard aux droits que Rome s'attribuait sur la Numidie, la conduite de Jugurtha pouvait paraître iutolérable. 1. Jug., XV, 2-3; XVI, 1. Couf. Florus, I, 36, 4. 2. Pour cette mission, voir Salluste (Jug., XVI, 2-5). Conf. Florus, I, 36. 5; il dit, sans doute à tort, que Scaurus [.Emilius Scaurus] en fit partie et se laissa corrompre. VEpitome de Tite-Live (1. LXIl) mentionne seulement la restauration d'Adherbal par le Sénat. 3. Salluste, Jug., XVI, 3. Plutarque. C. Gracchus, 18. Allusion dans Lucilius (IX, 418, édit. Marx) : « Quintus Opimius ille, lugurthini pater huius. » 146 ROME .ET LES HOIS AFRICAINS. Salliiste affirme ' que Jugurlha fui avantagé en recevant la partie occidentale du royaume, plus peuplée et plus fertile que la partie orientale, attribuée à Adherbal. Cela est très douteux et probablement même inexact ^ Le lot d'Adherbal comprenait toute la contrée qui s'étendait depuis la province romaine jusqu'à une certaine distance à l'Ouest de Cirta'. Non seulement, comme l'indique Salluste, la vie urbaine y était plus déve- loppée que dans l'Ouest de la Numidie, mais l'agriculture y était prospère, surtout dans les territoires qui avaient appar- tenu à Carthage et dans les régions voisines. D'autre part, on a fait remarquer* que la commission tint peut-être compte de l'intérêt de Rome en remettant à Adherbal la moitié de la Numidie qui touchait la province et à Jugurtha l'autre moitié : le premier avait hérité des mœurs paisibles de son père Micipsa^ et ne pouvait être qu'un bon voisin, tandis qu'il convenait de prendre des précautions contre l'ambition du second. En réalité, Jugurtha ne songeait guère à enlever à Rome ce qu'elle possédait en Afrique. xMême lorsque la victoire le lui permit, il ne porta pas ses armes dans la province. Jamais il ne prit l'attitude irréconciliable d'un Hannibal, d'un Mithri- date^ Quand sa raison ne s'égarait pas, il comprenait fort bien qu'il n'était pas de taille à engager un duel à mort dont il put sortir triomphant. Avant comme pendant la guerre qu'il soutint contre la République, il espéra et chercha des accommodements 1. Jug., XVI, 5; sans doute d'après Posidonius : v. supra, p. 128. 2. Conf. t. V, p. 193. 3. La rivière appelée Muthul (l'oued Mellègue), qui coule dans l'Est de rAlgérie et l'Ouest de la Tunisie, faisait partie des États d'Adherbal {Jug., XLVIH, 3). Cirla appartenait aussi à ce prince (Jug., XXI et suiv.), t'I Jugurtha, venant de l'Ouest, avait déjà largement entamé le royaume d'Adherbal, quand celui-ci vint le combattre, près de Cirta (voir ibid., XX, 7-8, et XXI, 1-2). 4. Ihne, Rôm. Gesch., V, p. 119. Conf. Lallier, Annales, l. c, p. 275, n. 1; Bloch, Scaurus, p. 41. 5. Jug., XX, 2. 6. Conf. Bioch, /. c, p. 48. JUGURTHA MAITRE DR LA NUMIDIE. 147 avec elle; il se montra prêt à lui témoigner, même fort humblement, sa déférence. Mais c'était à condition qu'elle le laissât maître de la Numidie, de la Numidie tout entière. L'arbitrage d'Opimius et de ses collègues ne pouvait pas le satisfaire. Il feignit de s'y soumettre; il ne s'y résigna pas. Les événements que nous venons de raconter semblent s'être succédé rapidement depuis la mort deMicipsa, survenue en 118. La mission d'Opimius date apparemment de 117 '. Quatre années s'écoulèrent, malgré l'assertion de Salluste qui, dédaigneux de la chronologie, dit que Jugurtha attaqua de nouveau Adherbal peu de temps après le départ des commis- saires^. Ce fut probablement en H3 que les hostilités recom- mencèrent'. Sous prétexte qu'Adherbal avait cherché à le faire assas- siner*, Jugurtha jeta soudain sur la Numidie orientale des bandes de cavaliers, qui firent une grande razzia, puis se retirèrent avec leur butin. Mais Adherbal, ainsi provoqué, ne voulut pas engager une lutte inégale : il se souvenait de sa défaite et espérait que Rome interviendrait. Il envoya à son frère adoptif des députés pour se plaindre; ils ne rapportèrent qu'une réponse injurieuse. Le voyant résolu à éviter toute apparence d'agression, Jugurtha se décida à lui faire une guerre 1. VEpitome de Tite-Live (1. LXII) place le meurtre d'Hiempsal, l'expulsion d'Adherbal et sa restauration par le Sénat, entre la mention d'une guerre faite par un des consuls de 117 et la censure de Metellus et d'Ahénobarbus, qui date de 115. ^ 2. Jug., XltTl. 3. La prise de Cirta fut connue à Rome en 112, après les élections pour le tri- bunal (Jug., XXYIl, 2), c'est-à-dire après le milieu de l'été (i'. supra, p. 61, n. 1), mais avant les élections consulaires (Jug., XXVII, 3), qui avaient lieu d'ordinaire en automne (conf. infra, p. 166, n. 2). Le siège dura plus de cinq mois {Jug., XXIV, 3), six au moins. C'est donc vers le début de l'année 112, ou vers la fin de l'année précédente, qu'il faut placer la bataille à la suite de laquelle Adherbal se refui^ia dans Cirta. La grande razzia ordonnée par Jugurtha dut précéder cette bataille de quelques semaines, peut-être même de plusieurs mois. Dans Tite- Live, la guerre contre Adherbal et sa mort étaient racontées après une campagne d'un consul de l'année 112 en Thrace (Epit. l. LXIII et LXIV). 4. Jug., XXII, 4. 148 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. régulière. II envahit ses Etats avec une véritable armée et dévasta villes et campagnes \ Après avoir fait partir une ambassade pour Rome^, Adherbal jugea qu'il ne pouvait pas renoncer plus longtemps à se défendre et il marcha à la rencontre des envahisseurs ^ Les deux armées se trouvèrent en présence non loin de Cirta*. Comme le soir était venu, la bataille fut différée. Mais, vers la fin de la nuit, les troupes de Jugurtha, à un signal donné, fondirent sur le camp ennemi. Elles mirent sans peine en déroute des gens tirés brusquement de leur sommeil et qui n'eurent pas le temps de se munir de leurs armes '. Adherbal s'enfuit à Cirta avec quelques cavaliers''. Il dut son salut à des Italiens, qui, s'étant portés sur le rempart, écartèrent par leurs traits les Numides lancés à sa poursuite'. Bordée presque partout de précipices, Cirta était très diffi- cile à prendre : on ne pouvait l'aborder que par un isthme étroit ^ Ce fut évidemment sur ce point, — et non pas tout autour de la ville, comme le dit Salluste % — que Jugurtha fit exécuter des travaux de siège*". Il était pressé d'en finir, car il 1. Jag., XX, 3-8. Conf. Tite-Live, Epit. l. LXIV. 2. Jug., XXI, 3. Diodore (XXXIV-V, 31) place l'envoi de ces députés plus tard, alors qu'Adherbal était déjà assiégé dans Cirta. II y a là, semble-t-il, une confu- sion avec un fait postérieur, l'envoi de deux Numides, porteurs d'une lettre du roi : V. infra, p. 149. 3. Jug., XXI. 1. 4. Ibid., XXI, 2 : « haud longe a mari, prope Cirtam oppidum ». Sur cette indication, v. supra, p. 125. 5. Jug., l. c. Diodore (XXXIV-V, 31) dit à tort que Jugurtha fut vainqueur dans une bataille rangée. G. Jug., l. c. Conf. Diodore, l. c. 7. Jug., l. c. Pour ces Italiens, marchands séjournant à Cirta, voir t. VI, p. 81-82. Il n'y a pas lieu de s'étonner qu'ils aient pris le parti dAdherbal : ce roi était, à leurs yeux, le maître légitime de Cirta, comprise dans la partie de la Numidie qui lui avait été attribuée par les commissaires romains. Et ils pen- saient sans doute que l'agression de Jugurtha ne serait pas tolérée par Rome. 8. Conf. t. V, p. 272. 9. Jug., XXI, 3 : « oppidum circumsedit ». Conf. supra, p. 125. 10. Mention de ce siège de Cirta dans VEpitome de Tite-Live (1. LXIV). Par une erreur un peu forte, Strabon (XVII, 3, 12) nous montre Jugurtha assiégeant Adherbal dans Utique : conf. t. V, p. 18, n. 4. JUGURTHA MAITRE DE LA NUiMIDIE. 149 savait que des députés d'Adherbal s'étaient rendus à Rome et il voulait prévenir les effets de leurs sollicitations. Mais le Sénat, ayant été informé par eux de la guerre qui avait éclaté en Numidie, envoya trois jeunes gens, chargés, en son nom et au nom du peuple romain, d'ordonner aux deux rois de déposer les armes et de régler leur différend par le droit, non par la force. Ces jeunes gens se hâtèrent, car, même avant leur départ, des bruits vagues couraient déjà sur la bataille et sur le siège de Girta. Jugurtha leur répondit que le peuple romain commettrait une injustice en l'empêchant d'exercer son droit de légitime défense contre un misérable qui avait attenté à sa vie. Il ne leur permit pas d'entrer dans Cirta pour commu- niquer avec Adherbal'. Le siège continua-. Il durait depuis cinq mois^ quand Adherbal, voyant ses ressources s'épuiser et n'ayant plus aucun espoir de recevoir des secours numides, jugea qu'un nouvel appel- à Rome était pour lui l'unique chance de salut. Deux hommes courageux, qui consentirent à traverser de nuit les lignes ennemies, purent atteindre la côte et, de là, l'Italie, où ils apportèrent au Sénat une lettre suppliante de leur roi \ Quelques membres de l'assemblée proposèrent d'envoyer une armée pour délivrer Adherbal, et, en attendant, de statuer sur Jugurtha, qui avait désobéi aux députés romains. Les partisans de Jugurtha et probablement aussi ceux qui, sans être achetés, ne voulaient pas d'une guerre, firent échouer ces propositions. Mais on décida d'envoyer en Afrique des commis- saires, qui partirent au bout de trois jours et se rendirent le 1. Jug., XXI, 4; XXII. Cette députatioa romaine est mentionnée par Diodore, l. c. ; voir aussi Tite-Live, Epit. l. LXIY. 2. Jug., XXIII, 1 : « vallo atque fossa moenia circumdat ». Diodore (/. c.) parle aussi d'un fossé dont Jugurtha aurait entouré la ville. Ce qui n'est pas admis- sible : V. supra, p. 123 et 127-8. 3. Jug., XXIV, 3. LIbid., XXIII, 2; XXIV, 1. Salluste (ibid., XXIV, 2-10) a refait cette lettre d'Adherbal. 150 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. plus promptement possible à Utique. On les avait choisis parmi les personnages les plus importants de l'État'. L'un d'eux fut M. /Emilius Scaurus^, consulaire et prince du Sénats II était le chef du parti aristocratique, lequel n'abondait pas en gens de valeur. Il le resta pendant un quart de siècle, grâce à son habileté, à son expérience des affaires et à sa connaissance des hommes. Il avait des dehors austères. Dédai- gneux ou incapable des éclats d'éloquence propres à séduire la foule, il savait dire avec autorité et gravité ce qui convenait dans les délibérations du Sénat, ce qui paraissait le langage de la raison. Il mettait un art suprême à couvrir du manteau des grands principes les intrigues de la politique et le souci de ses intérêts personnels. Très avide de dignités, il aimait aussi l'argent. Plus d'une fois, on l'accusa d'avoir acquis sa belle fortune par des procédés malhonnêtes, mais on ne put jamais en faire la preuve. Si Salluste '* a jugé sévèrement cet adversaire de la démocratie, d'autant plus dangereux qu'il ne la combattait pas par des moyens violents, Cicéron^ et d'autres' ont .rendu à la mémoire de Scaurus des hommages respectueux; on alla jusqu'à dire qu'il avait été « la lumière et l'honneur de sa patrie » '. Lors de la première guerre entre Adherbal et Jugurtha, il s'était montré hostile à ce dernier*, peut-être parce qu'il ne 1. Jug., XXV, 1-5. Mention de cette commission par Diodore, /. c. 2. Sur lui, voir G. Bloch, M. Aemilius Scaurus, dans Bibliothèque de la Faculté des Lettres de Paris, XXV (1909), p. 1-80; E. Pais, Dalle guerre puniche a Cesare Augusto, 1(1918), p. 91-167. 3. Jug., XXV, 4. Il avait été consul en 115 et il était devenu prince du Sénat celte année-là même (Pline l'Ancien, VIII, 223), quoique ce fût une dignité réservée d'ordinaire à d'anciens censeurs (Scaurus ne devint censeur qu'en 109). 4. Jug., XV, 4-5; XXIX, 2; XXX, 2. 5. Pro Fonteio, 11, 24. Pro Murena, 17, 3G. Drutus, 29, 111-2. 0. Horace, Sénèque, Tacite, Juvénal : voir Bloch, l. c, p. 2. 7. Yalère-Maxime, V, 8, 4 : « lumen et decus patriae •. 8. Salluste, Jug., XV, 4-5; XXIX, 2. On lit dans le De viris illustribus, 72 : (Scau- rus) « praelor adversus lugurlham, tamen eius pecunia victus ». Scaurus ayant été préteur en 119 au plus tard, ce n'est pas dans l'exercice de cette magistrature qu'il fut hostile à Jugurtha, car on n'eut à s'occuper de celui-ci à Rome qu'en JUGUllTHA MAltllE DE LA NUMIDIE. 151 voulait pas se compromettre en faisant cause commune avec ceux qui profitaient des scandaleuses largesses du Numide, peut-être aussi parce qu'il estimait que la République ne pouvait laisser Jugurtha agir à sa guise dans un royaume vassal. On n'a pas de motifs de croire qu'il ait eu d'autres sentiments quand, vers le milieu de l'année 112, il débarqua à Utique. Les commissaires écrivirent aussitôt à Jugurtha, lui ordon- nant de venir sans aucun retard, pour entendre ce qu'ils avaient à lui dire de la part du Sénat. Après avoir beaucoup hésité, il tenta de prendre Cirta d'assaut', car il eût voulu s'emparer d'Adherbal avant d'aller trouver ceux qui l'appelaient et auxquels il n'osait pas désobéir. Mais il échoua. Accom- pagné d'une faible escorte de cavaliers, il partit pour Utique. Là, les menaces les plus graves lui furent faites au nom du Sénat, s'il ne renonçait pas à assiéger Cirta. Il crut sans doute que ce ne seraient que des menaces, ou bien la passion l'emporta chez lui sur la crainte d'une rupture, que, pourtant, il était loin de souhaiter. Après de longues discussions, les commissaires se rembarquèrent sans avoir rien obtenu-. Informés de l'insuccès de cette entrevue, les Italiens qui se trouvaient dans Cirta et y prenaient une part active à la défense pensèrent que toute résistance était désormais inutile. Si l'on capitulait, ils ne doutaient pas que le prestige de Rome ne garantit leur sûreté. Ils invitèrent donc Adherbal à rendre la ville et à se livrer lui-même, sous la seule condition qu'il aurait la vie sauve : le Sénat déciderait du reste. Malgré ses 117 (Bloch, l. c, p. 13-14). Mais si, à cette dernière date, Scaurus n'était plus pré- teur, il avait encore rang d'ancien préteur : il ne devint consul qu'en 115. Les mots « tamen eius pecuuia victus » peuvent se rapporter à une époque posté- rieure : c'est, selon Salluste, en 111 seulement que Scaurus se vendit à Jugurtha. 1. En déployant son armée autour de Cirln, dit Salluste (XXV, 9 : « exercitu circumdato »), ce qui est certainement inexact : v. supra, p. 125. 2. Jug., XXV, 5-11. Voir aussi Diodore, l. c. 152 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. pressentiments, le malheureux prince céda, car il comprit que, s'il refusait de suivre ce conseil, on l'y contraindrait*. Jugurtha le fit aussitôt périr dans les tortures^. Puis ses soldats, se répandant à travers Cirta, tuèrent tous ceux qu'ils rencontrèrent en armes, marchands italiens aussi bien que Numides. Ils obéissaient, dit-on, au roi', égaré par un de ces accès de fureur qui le dominaient parfois*. 1. Jwj., XXVI, 1-2. 2. Ibid., XXVI, 3. Diodore (l. c.) raconte qu'Adherbal se présenta à son frère en suppliant, renonçant à la royauté et ne demandant que la vie, mais que Jugurtha le fit égorger. Autres mentions du meurtre d'Adherbal par Jugurtha : Strabon, XVII, 3, 12; Tite-Live, Epil. L LXIV; Eutrope, IV, 26, 1. 3. Salluste, Le.:» lugurtha ... omnis pubères Numidas atque negotiatores promiscue, uti (juisque armatus obviam fuerat, inlerflcit. » Selon Diodore {l. c), Jugurtha tua, après les avoir torturés, tous les Italiens qui avaient comballu pour son frère : il y aurait donc eu des exécutions en règle, et non pas des meurtres dans les rues. 4. On a doute que des Italiens aient été tués (Ihne, L c, p. 123, note), ou ou a supposé que quelques-uns seulement le furent à l'insu de Jugurtha (Bloch, l. c, p. 43). Mais il est certain que ce massacre fut imputé à Jugurtha, et que ce fut là la véritable cause d'une guerre dont le Sénat ne voulait pas. Une décision si grave aurait-elle été prise sur un faux bruit? CHAPITRE II DÉBUT DE LAGUERRE CONTRE JUGURTHA I En massacrant les Italiens de Cirta, Jugurtha accula Rome à la guerre. Tout autre parti semblait dorénavant impossible. D'autant plus que les ennemis de la noblesse trouvaient là une occasion très favorable pour mener campagne contre elle : au peuple indigné, ils pouvaient dire que le Numide avait osé commettre ce crime inouï parce qu'il s'était assuré l'impunité en achetant les maîtres de la République. Le meneur des démocrates fut C. Memmius, qui, élu tribun de la plèbe au milieu de l'année, devait entrer en charge au mois de décembre : orateur que Cicéron qualifie de médiocre*, homme politique sans doute dépourvu de convictions fermes, car, douze ans plus tard, il se présenta aux élections consulaires comme candidat de l'aristocratie, ce qui lui valut d'être assommé par ses anciens amis. Mais, en 112 et dans les années suivantes, les nobles n'eurent pas d'adversaire plus violent et plus acharné. Le Sénat tardait à prendre une décision, par suite, dit Salluste, de l'obstruction de ceux que Jugurtha avait attachés à 1. Brutus, 36, 136 : ■• C. L. Memmii ... oratores médiocres, accusalores acres atque acerbi. » Salluste écrit, au contraire (Ju^., XXX, 4) : « Ea terapestate Romae Memmi facundia clara pollensque fuit. » Ce jugement sert d'introduction à un discours que notre auteur attribue à Memmius, mais qu'il a composé lui-même : dans ces conditions, il ne pouvait que dire du bien de l'éloquence du tribun. 154 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. sa cause. Memmius dénonça ces manœuvres au peuple et, ainsi, les fit échouer. Un sénatus-consulte assigna aux futurs consuls l'Italie et la Numidie', c'est-à-dire la direction de la guerre dans cette contrée. L. Gaipurnius Bestia ayant été l'un des deux élus, c'est à lui qu'échut la Numidie ^ On leva une armée et l'on fît les préparatifs nécessaires pour la transporter en Afrique ^ A ces nouvelles, Jugurtha chargea un de ses fils et deux autres ambassadeurs de se rendre auprès du Sénat pour détourner l'orage; il les avait bien pourvus d'or. Comme ils approchaient de Rome, Calpurnius Bestia, entré en charge le l'^' janvier 111, demanda à l'assemblée si ces députés devaient être admis dans la ville. Il fut décrété que, s'ils ne venaient pas pour livrer le royaume de Numidie et le roi lui-même, ils eussent à quitter l'Italie dans les dix jours. Ce qu'ils firent*. La guerre fut déclarée à Jugurtha ^ II Cette guerre, beaucoup de Romains clairvoyants ont voulu et voudraient encore l'éviter ; ils n'ont pas besoin de l'or de Jugurtha pour comprendre qu'elle est inopportune et qu'elle sera très dure. 1. Jag., XXYII, 3. Une loi, présentée en 123 par C. Gracchus, avait décidé que le Sénat désignerait, avant les élections consulaires, les deux départements (provinciae) qui seraient attribués aux futurs consuls. Ceux-ci se les répartissaient, par la voie du sort ou à l'amiable, dès leur entrée en charge, parfois même auparavant. 2. Jag., XXVII, 4 : « Galpurnio Numidia... obvenit. » Ce terme indiquerait un tirage au son plutôt qu'un partage amiable. 3. Ibid., XXVII, 5. 4. Ibid., XXVIII, 1-3. 5. Salluste n'en dit rien, Tite-Live. Epit. l. LXIV : « lugurthae bellum indic- tum. » Paul Orose, V, 15, 1 : « lugurthae Numidarum régi bellum consensu popuii Romani senatus indixit ». Valère-Maxime, VU, 5, 2 : « P. Scipio Nasica..., qui consul lugurthae bellum indixit. • L'un des consuls de Tannée 111 s'appelait ainsi (P. Cornélius Scipio Nasica). Mais Wirz {GUederung des Bell. Jag., p. 6) suppose, avec quelque vraisemblance, qu'il y a là une confusion et que ce fut un personnage de même nom qui se rendit en Numidie, à" la tète d'une délégation, pour déclarer la guerre à Jugurtha. DEBL'T DE LA GUERRE CONTRE JUGL'RTHA. 155. Au début de cette année 111, deux ans se sont à peine écoulés depuis une grave défaite subie en Thrace, un an depuis le désastre que les Cimbres ont infligé, dans le Norique, au consul Papirius Carbo. Si des hommes politiques s'inquiètent des menaces qui grondent au delà des Alpes, ils ne se trompent pas : en 109, en 107, en 103, ce seront de nouveaux désastres, infligés en Gaule à des armées romaines. Quand, en Europe, l'horizon est si gros d'orages, convient-il de s'engager encore dans cette lointaine Numidie, où l'on n'a rien à gagner? On sait, depuis le temps d'Hannibal, que ces barbares d'Afrique ne sont pas des ennemis à dédaigner. Ils se déplacent rapidement, du moins quand les guerres qu'ils font ne sont pas des migrations ou des expéditions dans lesquelles ils emmènent leurs familles et leurs troupeaux \ Les fantassins supportent, au besoin, de longues marches, à une vive allure ; la cavalerie, nombreuse, a des montures agiles et résistantes à la fatigue. Hommes et bêtes ont le pied sûr et passent partout. L'armement sommaire des indigènes ne les charge pas. Ils n'ont guère autre chose à porter ; ils se nourrissent, comme leurs chevaux, de ce qu'ils trouvent et ils dorment en plein air-. Accoutumés au climat, ils en endurent les excès et les variations brusques. Ils ont, en général, une excellente vue, un instinct topographique remarquable, la mémoire des lieux, l'habileté à tirer du terrain tous les avantages qu'il peut offrir. Comme les Espagnols, ils sont très propres à la guérilla, à la petite guerre où l'on épuise l'adversaire en le harcelant. Ils savent épier ses mouvements et en donner avis avec une incroyable rapidité. Ils font le vide autour de lui, bouchant ou empoisonnant les sources et les puits, coupant les récoltes, emmenant les troupeaux, interceptant les lignes de communi- 1. Voirt. V, p. 59; t. VI, p. 61. 2. Voir t. II. p. 363-4. 156 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. cations, massacrant ceux qui s'attardent, ceux qui se détachent pour chercher de l'eau ou du fourrage '. Ils dressent des embus- cades, où quelques-uns des leurs attirent les imprudents par des simulacres d'attaque et de fuite. De jour et surtout de nuit, ils se jettent à l'improviste sur des troupes qui se lassent d'avoir à se garder sans cesse, leur font le plus de mal possible dans de courtes escarmouches, s'éloignent dès qu'on leur tient tête et reparaissent bientôt sur un autre pointa Ils opèrent aussi promptement des razzias sur le territoire appartenant ou soumis à l'ennemi ^ Il leur arrive, du reste, de se laisser surprendre eux-mêmes, car ils ont des détentes et des nonchalances de barbares ^. S'ils préfèrent la guérilla aux grandes batailles ', ils ne les craignent pas, étant braves. Leur roi peut même juger néces- saire de risquer une de ces batailles, qui offrent la chance d'une victoire immédiate et décisive : il doit, en effet, ne pas se montrer insensible aux plaintes de ses sujets, sur lesquels pèse l'armée ennemie et qui demandent à en être délivrés au plus tôt; il doit tenir compte aussi du désir qu'ont la plupart de ses compagnons d'armes de retourner chez eux. Mais les Africains choisissent leur temps et leur terrain, entraînant à leur suite l'adversaire qui cherche en vain à les saisir; se présentant tout à coup sans être attendus"; protitant à l'occasion des ténèbres de la nuit, qui permettent la surprise et, en cas d'échec, favorisent la fuite"; préférant les lieux 1. Textes cités t. II, p. 365, n. 1» et 10 ; Salluste, Jug., LV, 8 : Bell. Afric.,\n, 5-6 ; etc. 2. Voir t. Il, p. 365, n. 8: p. 366, n. i; Salluste, Jug., LIV, 9-10: LV, 8; LVI, 4-6; Bell. Afric, LXIX, 1 et 4; LXXIII, 3; Tacite, Ann., III, 21 et 74; Ammien Marcellin, XXIX, 5, 7; Corippus, Joh., 1, 526 et suiv.; etc. 3. T. II, p. 366, n. 2. 4. Salluste, /uj., XGVIII, 6, et XCIX, 1-2. César, Bell, civ., II, 38, 4-5. Tacite, Ann., IV, 25. 5 Bell. Afric, VII, 6; LXXIII, 2-3. Tacite, Ann., III, 74; IV, 25. Ammien Mar- cellin, XXIX, 5, 7. 6. Jug., XXXVIII, 4; LVIIl, 1; XGVII, 3; voir aussi XLI.X, 4-5. 7. Ibid., XXI, 2; XXXVIII, 4; XGVII, 3. Nicolas de Damas, dans Fragm. hist. Graec, III, p. 462, n" 134. Frontin, Slralag., II, 1, 13. I)1']I51:T de la OUERRE contre JL'GL-RTIIA. Ib7 accidentés aux plaines', où on les voit venir de plus loin. Leur tactique de combat est toujours la même^ : comme les Romains, nos armées l'ont connue en Algérie et au iMaroc; des fusils ont seulement remplacé les javelots, qui, chez les vieux Africains, jouaient dans cette lactique le même rôle que les flèches chez les Parthes^ C'est l'attaque tumultueuse par charges successives. Des essaims de cavaliers, auxquels peuvent se mêler des fantassins \ aussi prompts à la course que les chevaux, se précipitent de tous côtés vers l'ennemi et, arrivés à une courte distance, — trente ou quarante mètres, — ils lancent ensemble leurs javelots. Si l'adversaire fléchit, il ne reste qu'à l'enfoncer et à le culbuter. S'il tient bon ou s'il avance, les assaillants font demi-tour et, toujours au galop, se retirent à quelque distance en arrière; quand ils sont accompa- gnés d'infanterie, celle-ci, au lieu de fuir avec la même vitesse qu'eux, retarde la poursuite par de nouvelles décharges de traits et leur permet de se reformer plus aisément ^ Parfois, une réserve, composée des troupes les plus solides et les mieux armées, leur sert de soutien et de centre de ralliement \ Puis, reprenant leur élan, ils exécutent une nouvelle charge, et ainsi de suite, jusqu'à ce que l'ennemi soit rompu, ou jusqu'à ce que ce résultat ne puisse plus être espéré et que la fatigue, le manque de javelots de rechange, l'avance de l'adversaire les contraignent à abandonner la lutte. 1. Procope, Bell. Vand., II, 12, 4; II, 13, 21, 2. Pour cette tactique, conf. t. Il, p. 364-5. Outre les textes de Polybe et d'Appien cités ibid., p. 365, n. 1, voir Salluste, Jug., L, 4-6; XCYII, 4; Paul Qrose, V, 15, 11 et suiv.; Rell. Afric, LXIX, 4, et LXX, 3-4; Hérodien. VI, 7, 8; Ammien Marcellin, XXIX, o, 25; Claudien, Bell. Gildon., 433 et suiv.; Procope, Bell. Vand., H, il, 27; Suidas, s. u. Mavpo-JTioi (peut-être d'après Arrien). Pour l'époque du moyen-àge : Ibu Khaldoun, Prolégomènes, trad. de Slane, II, p. 76. Au xix" siècle : Pellissier, Annales algériennes, I, p. 527 et suiv. 3. Voir t. VI, p. 47 et suiv. 4. Salluste, Jug., LIX. 3. Bell. Afric, XIV, 2; LXIX, 4 ; LXXII, 1-2. Ce mélange de cavaliers et de fantassins n'était, du reste, pas propre aux Alricains. On le retrouve, par exemple, chez les Germains (César, Bell. Gall., I, 48, 5). 0. Bell. Afric, XIV, 3 ; LXXI, 3-4. 6. GorippQs, Joh., V, 80 et suiv. Conf. Ibn Khaldoun, Prolég., II, p. 77. GsELL. — ,\t"rique du NorJ. VIL 11 d58 HOME ET LES ROIS AFRICAINS. Ils se retirent alors définitivement, d'ordinaire avec peu de pertes', car ils ont évité le corps à corps, dans lequel ils n'auraient, pour la plupart, pu faire usage que d'un coutelas. Quand ils ne profitent pas de cet échec pour déserter, ils sont capables d'affronter une nouvelle bataille le lendemain ou quelques jours après. Lorsque l'échec a pris les proportions d'une véritable défaite, ce peut être la fuite rapide dans des lieux où l'ennemi éprouvera de grandes difficultés à les suivre, dans les âpres montagnes, dans les steppes désolées, en attendant l'occasion de reprendre l'offensive. Ou bien on ira s'enfermer dans des bourgs, des villes fortes, juchés sur des hauteurs qu'il est aisé de défendre : repaires qui sont à la fois des points d'appui pour la guérilla et des magasins de vivres. Voilà la guerre que Rome doit faire en Afrique. Elle peut envoyer dans cette contrée des troupes nombreuses : ce qui est nécessaire, car la supériorité, d'ailleurs incontestable, de l'armement des Romains sur celui des barbares n'est pas telle qu'elle permette, comme aujourd'hui, une très grande disproportion numérique entre les combattants; d'autre part, un grand déploiement de forces est le meilleur moyen de décourager les résistances. Quoiqu'on ne puisse indiquer des chiffres précis^, il est certain que la République a entretenu des armées importantes en Numidie pendant la guerre de Jugurtha. Le gros de ces troupes se compose de fantassins, citoyens romains, Latins, Italiens \ pourvus de bonnes armes offensives et défensives, équipés, instruits et disciplinés pour livrer des batailles rangées, où ils se groupent en masse compacte sur un terrain choisi, uni, autant que possible, et incliné vers l'ennemi, en avant du camp, qui servira au besoin de refuge. Soldats 1. Salluste, Jug., LU, 4; LVI, G; LXXIV, 3; etc. 2. Voir cependant infra, p. I6i, n. 1. 3. Jug., XXXIX, 2; XLIII, 4; LVIII. o; LXXXIV, 2; CV, 2. DF.BUT DE LA GLKHRE CONTRE JLGUUTllA. 159 plus solides qu'agiles, qui, après avoir lancé, — à 23 mètres, — leur lourd javelot, doivent vaincre le glaive en main, dans une lutte corps à corps. Les troupes légères, moins nombreuses, vélites qui servent dans les légions', auxiliaires plus ou moins dévoués, originaires de Ligurie% des îles Baléares % etc., ont un rôle subordonné à l'action de l'infanterie de choc : elles engagent la bataille que celle-ci doit gagner, et, quand il y a lieu, elles se lancent à la poursuite des vaincus. La cavalerie, restreinte, se compose surtout d'alliés et d'auxiliaires étrangers*. Les fantassins sont accoutumés aux marches et, quoique pesamment chargés % ils font de 2o à 30 kilomètres par jour. Parvenue au lieu où elle doit passer la nuit, l'armée peut établir en quatre heures un camp dont les dispositions défen- sives lui donnent toute sécurité, — naturellement quand il n'y a pas défaut de surveillance ou trahison. Mais cette organisation militaire, qui, ailleurs, a permis aux Romains de vaincre des ennemis redoutables, est mal adaptée aux guerres africaines. Comme il importe d'assurer la liaison avec l'Italie, d'où viennent les troupes de renfort et de remplacement, ainsi qu'une partie des vivres et du matériel, ou fait plus volontiers campagne en été ^ que dans les mois d'hiver", où la navigation 1. Jug., XL VI, 7; voir aussi CV, 2. 2. Ibid., XXXVIU. 6; LXXVII, 4 (quatre cohortes); XCIH, 2: C, 2. Appien. A'um.. p 163, colL Didot. 3. Jug., CV, 2 (frondeurs). 4. Aaxilia demandés à des rois et peuples alliés : Jug., XLIII, 4; LXXXIV, 2. Escadrons de Tliraces : ibid.. X.KXVllI, 6 (conf. Appien. l. c). Cavaliers numides et gélules : v. infra, p. 163 . Mais il y avait aussi des cavaliers romains dans l'armée de Métellus {Jug., LXV, 2), des cavaliers latins et italiens dans relie de Marius (ibid., XGV, 1). Sous les ordres de Mélellus, Salluste {ibid., XLVl, 7) men- tionne, d'une part, des équités auxiliarii, d'autre part, des équités sans épiihète : ces derniers étaient probablement des Romains et des Italiens. De même, les ''.avaliers d'élite qui formaient la gaide de Marius : ibid., XCVIII, 1. 0. Ils portent une vingtaine de kilogrammes. 6. C'est, d'ailleurs, pendant la belle saison que les Romains ont l'habitude de faire la guerre en Europe. 7. En 109, la campagne d'hîver du légat Aulus Albinus fut désastreuse. Marius fit une expédition dans l'hiver de 106-1U3, mais, autant qu'il semble, assez loin à 160 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. est dangereuse et, sauf nécessité ', suspendue. Pendant l'été, les journées sont plus longues et les pistes plus praticables, les rivières plus faciles à franchir, car il ne pleut guère. Mais les chaleurs sont pénibles et parfois funestes à des hommes non habitués au climat africain et qui marchent en portant un lourd fardeau, armes, outils, objets de campement, vivres. Les étapes sont irrégulières, souvent plus longues qu'il ne conviendrait, parce qu'on ne trouve pas partout de l'eau : les sources ont un faible débit, s'épuisent mêmer en cette saison où l'on a besoin de boire largement". Parfois, l'eau manque tout à fait sur le trajet à parcourir; on doit s'imposer la gêne d'en emporter des provisions pour plusieurs jours. La rapidité des opérations est entravée par les bagages qui accompagnent les troupes. Les soldats romains ont bien plus d'exigences maté- rielles que les indigènes. Il leur faut du blé, de l'huile, de la viande, des tentes. Tout ce dont les hommes ne se chargent pas se transporte à dos de bête, faute de routes permettant l'emploi de lourds chariots^ et, comme on ne peut pas être sûr de trouver des ressources suffisantes dans les régions oîi l'on s'engage, on doit, au départ, se munir abondamment de toutes les choses nécessaires, rassembler surtout un grand nombre d'animaux de bât: ce qui n'est pas toujours aisé, les indigènes se prêtant mal ou se dérobant aux réquisitions. Dans ce pays inconnu, où l'on ne dispose que de guides suspects, — la perfidie des Numides est proverbiale, — où l'on s'éclaire mal, — car on a peu de cavalerie, — les troupes s'inquiètent, s'exaspèrent en pensant qu'à tout moment, dans la marche comme au repos, elles ont à craindre les surprises l'intérieur des terres, et non pas dans la région pluvieuse du Tell : Juij., ClII, 1, et GlY, 1. La campagne africaine de César fut faite aussi en hiver, dans une région où, même en cetlo saison, les pluies sont d'ordinaire peu abondantes. 1. En 106, Marias fit prendre à ses troupes leurs quartiers d'hiver « in oppidis maritumis » [de la Nuniidie orientale], « propler conineatum » : Jug., G, 1. L'activité maritime dut donc rester assez grande au cours de cet hiver. 2.Conf. t. III, p. 44, n. 3. DKHUT DE LA (il'KllUE (lONTIlE JUGIIKTIIA. 161 d'un ennemi insaisissable, qu'aucune liberté d'allures ne leur est possible, que les communications avec l'arrière sont coupées ou risquent de l'être, que tout homme qui s'écarte de la colonne ou du camp est un homme perdu. La prise des villes exige des efforts disproportionnés aux résultats. La plupart occupent des sites qui rendent difficile l'établissement des chaussées d'approche; le bois nécessaire pour faire les galeries, les tours, les échelles manque souvent aux alentours et il faut l'apporter de loin. Quand on est venu à bout de la résistance des assiégés, on peut trouver dans la place quelques approvisionnements de blé, mais le reste du butin est généralement très maigre et ne dédommage pas les soldats de leurs fatigues. Et ces villes ne sont pas assez importantes pour que leur chute amène la fin de la guerre. C'est d'une grande victoire sur un champ de bataille qu'on peut espérer des conséquences décisives. Cette rencontre, les Romains doivent la chercher, car ils y auront la supériorité de l'armement et de la discipline; si la fortune leur est favorable, ce sera pour les troupes le prompt retour dans la patrie, pour le général la gloire du triomphe. Mais les Africains, quand ils n'évitent pas la bataille, la livrent contrairement aux règles qui sont, en quelque sorte, classiques : on les accuserait volon- tiers de tricher au jeu de la guerre ^ Leur tactique déroute et épuise les Romains. Ceux-ci, s'ils ne sont pas surpris et accablés avant d'avoir pu prendre leur ordre de combat, résistent à l'épouvantait des charges répétées et, grâce à leurs casques, boucliers et cuirasses, se protègent assez bien contre la grêle de javelots qui s'abat sur leurs rangs serrés'. Mais c'est, d'ordinaire, tout le succès qu'ils obtiennent, puisque l'ennemi refuse d'en venir aux 1. Voir les réflexions, un peu naïves, que fait à ce sujet l'auteur du Bellum Africum, LXXIII, 2-3. 2. Conf. t. II, p. 305, n. 2. 162 HOME ET LES llOIS AFRICAINS. mains. S'ils se précipitent pour l'atteindre, ils ne peuvent guère lutter de vitesse avec lui, et une telle offensive est très dangereuse, car leur salut est dans la masse compacte des compagnies (manipules) qui constituent la légion; que cette masse se fractionne dans l'ardeur de la course et dans la pour- suite d'adversaires qui se dispersent, ces derniers auront vite fait de se retourner et de tomber, en les enveloppant, sur les petits groupes isolés '. Les batailles ne terminent donc rien. La guerre traîne. On a pu, au prix de grandes peines, s'avancer loin dans le pays ennemi, s'emparer de nombreuses bicoques. Mais, quand la belle saison est passée, on revient en arrière pour prendre les quartiers d'biver dans la province ou à proximité du littoral. Tout au plus laissera-t-on, dans quelques villes, des garnisons qu'on abandonnera à elles-mêmes : si les habitants ne les trahissent pas% elles sauront se maintenir, car les ennemis ne sont guère habiles aux sièges'', mais elles ne jtourront jouer aucun rôle actif. Au printemps suivant, il faudra aller les dégager et recommencer des opérations irritantes et presque stériles. A ces difficultés, des soldats excellents et bien commandés n'auraient pas échappé. Mais, à l'époque de Jugurlha, les armées romaines étaient en décadence. Les hommes que l'on enrôlait quittaient avec répugnance leurs foyers, pour aller combattre dans des guerres longues et lointaines, où le salut de la République n'était pas en cause, où l'on avait en perspec- tive des fatigues très dures et des profits très médiocres. Trop souvent, les troupes manquaient de discipline, et même de courage. Trop souvent aussi, elles étaient mal conduites, par des personnages de cette aristocratie, alors entièrement 1. Salluste, Jug., L. 4-6. César. Bell, civ., II, 38, 6. Bell. Afric, XV, 1; LXXI. 34. 2. Comme ce fut le cas à Vaga, au temps de la jçuerre de Jugurlha : Jug., LXYI-LXVII. 3. Ce que constate Procope, Bell. Vand., Il, 22, 20. DÉBUT l)K LA Gl'ERRE CONTRE JUGURTHA. 163 maîtresse de TKtat, qui avait droit à tous les honneurs sans avoir besoin d'en être digne : chefs dépourvus d'autorité et d'expérience, ne sachant même pas faire la guerre tradition- nelle, incapables à plus forte raison d'adopter les méthodes dillérentes qu'exigeait la guerre en Afrique, qu'exigeait égale- ment la guerre en Espagne, où la manière de combattre des indigènes ressemblait beaucoup à celle des Africains, où Rome eut les mêmes déboires. Ajoutons que les Romains, durant leur longue lutte contre Jugurtha, ne purent ou ne surent pas trouver les concours qui leur furent si précieux dans d'autres guerres africaines. Ils eurent dans leurs armées des Numides' et des Gétules-, mais certai- nement en petit nombre. Le frère de Jugurtha, Gauda, qui se joignit à eux % était un faible d'esprit, incapable de leur rendre service. Au début des hostilités, ils dédaignèrent les offres du roi de Maurétanie\ Pour combattre Syphax, ils avaient eu l'aide de Masinissa; pour combattre Juba P% César aura plus tard celle de Bocchus le Jeune, roi des Maures. Aucun prince puissant ne fit cause commune avec eux contre Jugurtha, ne les guida dans leur inexpérience du pays et des hommes, ne mit à leur disposition les troupes légères, surtout les cavaliers, qui auraient rempli les tâches auxquelles les lourds légionnaires romains étaient peu aptes, ne seconda leurs opérations en prenant leurs ennemis à revers. C'est dans ces conditions militaires défavorables que s'engagea et se poursuivit la guerre des Romains en Numidie. Ils ne la firent qu'à contre-cœur, obligés de punir Jugurtha des atteintes qu'il avait portées à leur honneur, mais n'ayant aucun désir 1. Salluste, Jug., LXVIII, 2, et LXIX, 1 (cavaliers). Athénée, V, 64, p. 221, d (cavaliers). Salluste, l. c, XXXII, 3; C, 3 (déserteurs). Dion Gassius, fr. 87, 4 {vieni). 2. Bell. Afric, XXXII, 3: XXXV, 4; LVI, 4. 3. V. infra, p. 220 I. 4. Infra, p. 214. 164 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. de conquérir son royaume. Ils la souhaitaient aussi courte que possible. Pour ceux qui n'étaient pas disposés à se contenter d'une soumission plus ou moins sincère et à se procurer des profits personnels par l'exploitation du barbare, .lugurtha mort ou prisonnier, telle devait être la lin de cette fâcheuse aventure. En mettant de côté les scrupules, le meilleur moyen d'obtenir ce résultat était de re^courir à la trahison. Ce fut, du reste, ainsi que se termina l'afîaire. Mais, auparavant, il fallut combattre longtenips, car Jugurtha, échappant aux traîtres, sut soutenir la lutte ouverte que le souci de leur prestige imposa aux Romains. III L'année 11 1 devait être déjà assez avancée quand la guerre commença. Il avait fallu réunir une forte armée', qui, par la Sicile, avait été amenée dans la province romaine". Le consul L.Calpurnius Bestia la commandait. liai des démo- crates à cause de la part qu'il avait prise à la réaction contre l'œuvre des Gracques % il n'était pas un de ces incapables qui abondaient dans l'aristocratie : il avait de la vigueur physique, du jugement, du sang-froid et quelque expérience de la guerre'. Il s'était choisi' pour lieutenants des person- 1. Jug., XXVIl. 4. Elle comptail au moins trois légions (ibid., X.XXVIII, 6), peut- être quatre. Paul Orose (V, 15, 0) dit que le successeur de Bpslia, le consul Pos- tumius, — le(iuel ne paraît pas avoir enrôlé de troupes nouvelles, — avait une armée de 40 OUO hommes : indication empruntée sans doule à Tite-Live, qui a dû la prendre dans un annaliste; on ne sait quel crédit elle mérite. 2. Jug., XXVIII, 6. J'ignore si un passage mutilé (I. 55) de la loi agraire votée en 111 (avant la moisson : 1. 9a) se rapporte à des gens de cette armée : « ... prae- fectus milesve in provinciam ... » 3. Tribun en 121, il avait fait rappeler d'exil P. Popillius La?nas, un grand ennemi des Gracques : Gicéron, Brutus, 34, 128. 4. Jug., X.WIll, 5. Ge qui ne s'accorde pas avec des propos que Plutarque {Marias, 9) prête à Marins : celui-ci aurait qualifié Bestia et son successeur Albinus de gens dépourvus d'expérience militaire. Selon Gicéron {l. c), Bestia aurait été un « vir acer et non indiserlus ». Il avait probablement rempli une mission en Afrique quelques années avanl son consulat : v. supra, p. 65. 5. Jug., XXVllI, 4 : « Calpurnius ... légat sibi bomines nobiles, factiosos, ... in DÉIUT 111' LA GUERRE CONTRE JUGIUTIIA. 16îi nages importants : parmi eux était le prince du Sénat, ^•Emilius Scaurus, dont il fit son confident et son conseiller V l/armée, entrant en Numidie; prit quelques villes-. Elle n'alla sans doute pas loin; en tout cas, la grande cité de Vaga (Jîéja), très proche delà province, ne tomba pasen son pouvoi^^ Et cette campagne eut une fin rapide, dont la cause unique aurait été, selon Salluste^ Tachât de Calpurnius et de Scaurus par le roi. Jugurtha n'avait d'abord espéré qu'une suspension d'armes, dont il aurait profité pour faire agir ses amis à Rome. Mais ce fut la paix qu'il voulut obtenir, quand les émissaires, par les- quels il était entré en relations avec le consul, lui eurent apporté des nouvelles encourageantes : s'il y mettait le prix, il s'assurerait, non seulement la bienveillance de Calpurnius, mais aussi celle de Scaurus, qui, jusqu'alors, lui avait témoigné la plus grande hostilité. Il se décida donc à traiter personnellement l'afTaire avec eux. Une trêve lui fut accordée, à condition qu'il fournirait du blé. Le questeur Sextius fut envoyé à Vaga pour en prendre livraison : c'était un otage entre les mains des Numides, tandis que Jugurtha se rendait au camp romain. Le roi parut devant un conseil présidé par Calpurnius, se justifia brièvement et ofTrit de se soumettre. Puis, dans un entretien secret, il s'accorda sur toutes les conditions avec Calpurnius et Scaurus. Le lendemain, le conseil, réuni de nouveau, approuva ces conditions en bloc et reçut la soumission de Jugurtha '. Celui-ci livra ce qu'on exigeait : trente éléphants, du bétail, de nombreux chevaux et une somme d'argent assez faible". quibus fuit Scaurus. » C'était oflieiellement le Sénat qui désignait ces légats, mais sur la présentation du magistrat ou promagistrat auquel ils étaient adjoints. 1. Jug., XXIX. 2. 2. Ibid., XXVUI. 7. 3. Ibid., XXIX. 4. 4. Ibid., XXVIII,5; XXIX, 1-2. 5. Ibid., XXIX, 3-5. Tite-Live, Epit. l. LXIV : « Calpurnius Bestia consul ... pacem cum lugurtha iniussu populi ac senatus fecit. » 6. Juy., XXIX, G. 166 ROME ET LES ROIS AFRICALNS. Naturellement, il était entendu qu'on lui laisserait son royaume. Cependant, une ville importante et maîtresse d'un vaste terri- toire, la vieille colonie phénicienne de Leptis la Grande, entre les deux Syrtes, s'était détachée de lui, dès le commencement des hostilités; elle avait envoyé des députés au consul, puis à Rome, pour solliciter le titre de cité amie et alliée : ce qu'elle obtint'. Elle ne retomba plus au pouvoir des rois numides. Caipurnius Bestia retourna en Italie, peut-être vers le début de l'automne^ : on avait besoin de lui pour présider les élec- tions % car son collègue Scipion Nasica était mort. Les troupes restèrent en Numidie, en attendant la ratification du Sénat. L'oisiveté ne pouvait guère être favorable à la discipline; les chefs ne songeaient qu'à faire argent de tout, les uns se laissant corrompre par Jugurtha et lui rendant ses éléphants, d'autres vendant les trausfuges, d'autres pillant des indigènes qui ne se montraient nullement hostiles*. Que les conditions de la paix qui venait d'être conclue fussent peu glorieuses pour la République, c'est incontestable. Que Bestia et Scaurus aient accepté l'or de Jugurtha, c'est possible % bien qu'il ne faille pas oublier que ces deux person- nages, le premier surtout, avaient des ennemis acharnés, tout disposés à leur imputer les pires méfaits. Mais il était sans doute fort difficile de prouver leur vénalité, et on ne la prouva pas. Deux ans plus tard, à une époque où il y eut un véritable 1. Juuitc, pendant le reste d'une journée très chaude d'été et le commencement de la nuit, parcourir une trentaine de kilomètres et livrer une bataille fort longue et fort dure. Il est également inadmissible que Rutilius, d^itaché en avant, à l'entrée de la plaine, après que Métellus eut pris le temps de ranger son armée (ibid., XLl.X, 6; L, 1), ait pu, jusqu'à la tombée de la nuit (LUI, 3), faire une marche d'environ cinq heures, établir un grand camp, vaincre Bomilcar. Il faut donc remplacer le chilTreXX par un chillre beaucoup moins élevé, par exemple VII (cbilfre proposé au xvi" siècle par Ciacconius et accepté par Tissot et d'autres). LKS CAMPAIJNKS DE METELLUS. cl 185 186 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. plutôt une croupe très allongée, qui courait jusque dans le voisinage du Muthul' et que revêtaient des oliviers sauvages, des myrtes et d'autres espèces d'arbres s'accommodant d'un sol aride et sablonneux. La plaine intermédiaire était déserte, faute d'eau, sauf les bords du fleuve, plantés d'arbres, garnis de troupeaux, parsemés de champs cultivés ^ C'est sur la colline que Jugurlha déploya son armée. Il garda le commandement de toute la cavalerie et des meilleurs fantassins et les plaça du côté de la montagne. Bomilcar, avec les éléphants et le reste de l'infanterie, prit position du côté du MuthuP. Malgré l'accueil qu'il avait reçu jusqu'alors, Métellus, dans sa marche à travers la Numidie, prenait des précautions contre la possibilité d'une attaque soudaine. Avec des cohortes légères, des archers et des frondeurs, il se tenait à l'avant-garde. A l'arrière-garde, Marius commandait la cavalerie romaine. Les légions de citoyens romains, les alliés latins et italiens, qui formaient le gros de la colonne, étaient couverts sur leurs flancs par les cavaliers auxiliaires et par les vélites \ S'avançantdans cet ordre, l'armée descendait vers la plaine, après avoir traversé la montagne parallèle au Muthul, et se dirigeait vers la rivière; la colline occupée par les Numides était à droite de sa route. Il faisait déjà grand jour\ Bien qu'il prît soin d'ordinaire de s'éclairer^, le consul ignorait que Jugurtha fût venu l'attendre avec des forces très nombreuses. Les Numides se dissimulaient le mieux possible dans les broussailles, qui n'étaient cependant pas assez hautes pour les masquer entièrement; après quelque hésitation, Métellus 1. Après un combat livré devant le camp que Rutilius avait établi au bord du Muthul, un grand nombre de Numides s'enfuirent sur la colline : Jug., LUI, 3. 2. Jug., XLVIII. 3-4; voir aussi XLIX, 1. 3. Ibid., XLIX, 1. 4. Ibid., XLVI, 6-8. Le convoi devait être au milieu de cette formation de marche en bataillon carré, qui a été adoptée aussi par les Français dans leurs guerres d'Algérie. 5. Puisque Métellus put distinguer les Numides sur la colline. 6. Jag., XLVI, 6 : « late explorare omnia ». LES CAMPAGNES DE MKTRLLUS. 187 reconnut leur présence'. Il se trouvait dans une situation grave : trop éloigné sans doute du camp où il avait passé la nuit précédente pour y retourner en retraversant la montagne, — retraite qui, d'ailleurs, eût ressemblé à une fuite — ; engagé dans une plaine sans eau, que dominait l'ennemi; ayant encore plusieurs milles à parcourir avant d'atteindre la rivière, au bord de laquelle pourrait être établi son nouveau camp ; forcé d'accepter une bataille où les siens souffriraient cruellement de la soif et de la chaleur, car on était dans une journée d'été -. Il commanda à ses troupes de s'arrêter et il les disposa en ordre de combat, les tournant face à la colline : les légions sur trois lignes', les frondeurs et les archers entre les manipules, la cavalerie aux ailes. Puis, s'engageant dans la plaine, il reprit sans hâte sa marche vers le Muthul, le front tourné en flanc et l'aile gauche formant la tête : en cas de nécessité, un quart de tour à droite devait suffire pour que toute l'armée fît de nouveau face à l'ennemi. Le légat Rutilius fut détaché en avant avec des cohortes légères et une partie de la cavalerie, pour aller établir un camp sur la rivière et assurer ainsi aux Romains eau et refuge. Marins prit place au centre, en arrière de la première ligne; Métellus à l'aile gauche, menant ainsi la marche '". Jugurtha attendit que l'aile droite romaine (formant arrière- garde) eût dépassé son aile gauche. Alors, il envoya 2 000 fantassins occuper la montagne d'où Métellus était descendu, afin d'empêcher les ennemis de s'y retirer et de s'y retrancher. Cette précaution prise, il donna le signal du combat. Les Numides se précipitent de tous côtés. Ils couvrent de 1. Jug., XLIX, 5. 2. Ibid., L, 1 ; LI, 3. 3. Sans doute formées des hasiati, des principes et des triarii. Conf., p. ex., . m, p. 231 et 273. i.Jug., XLIX, 5-6; L, 1-2. 188 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. traits les Romains et portent le désordre dans leurs rangs, sans s'approcher assez pour que ceux qui ne craignent pas d'aller à eux puissent les rejoindre et faire usage de leurs armes. Puis, fidèles à leur tactique séculaire, ils se retirent, en s'éparpillant devant les escadrons lancés à leur poursuite. Quand ils se sentent en nombre, ils reviennent à la charge et enveloppent ces cavaliers par des attaques de queue ou de flanc. S'ils continuent à fuir, la colline favorise leur retraite, car leurs chevaux ont l'habitude de passer à travers les broussailles, tandis que ceux des Romains s'embarrassent dans ce terrain difficile. La bataille dure longtemps ainsi, confuse, indécise, et la journée est déjà très avancée. Les Numides, accablés, eux aussi, par la fatigue et la chaleur, deviennent moins pressants, malgré les objurgations de Jugurtha, qui, allant et venant, cherche à les ranimer; une grande partie de l'infanterie se retire sur la colline pour prendre du repos. Métellus a profité de cette accalmie pour rallier peu à peu ses soldats et rétablir les rangs. Il forme un groupe de quatre cohortes légionnaires, qu'il lance à l'assaut de la colline. L'ennemi est délogé et s'enfuit pour ne plus revenir'. Il était temps, car la nuit allait tomber : les Romains, harassés, torturés par la soif, auraient-ils pu continuer à combattre dans l'obscurité, au milieu d'une plaine qui ne leur offrait aucun refuge? Rutilius s'était hâté vers le Muthul. Bomilcar, on l'a vu, occupait sur la colline, avec des troupes d'infanterie et les éléphants, une position à droite de Jugurtha, plus près de la rivière. Il ne descendit dans la plaine que quand le légat l'eût dépassé. S'étant avancé lentement, il rangea ses troupes en ordre de combat-. Non point contre Rutilius, qu'il ne s'efforça pas de rejoindre et qui eut ainsi le temps de préparer le camp 1. Jag., L, 3 LU, 4. 2. Ibid., LU, 0. .LES CAMPAGNES UE MÉTELLUS. 189 au bord du Mulhul. Mais sans doute contre Métellus : soit en barrant la route à l'armée ennemie, si elle continuait sa marche, soit en s'apprêtant à tomber sur sa gauche, après que Jugurtha l'aurait rompue de front, et à lancer les éléphants à sa pour- suite. Cependant la bataille entre le roi et le consul faisait rage, accompagnée de clameurs retentissantes. Bomilcar craignit que Rutilius n'en perçût les échos et qu'il ne se portât au secours des siens. Pour l'en empêcher, il déploya ses lignes et marcha vers le camp. Les Romains qui s'y trouvaient virent soudain un grand nuage de poussière. Ils crurent que c'était un effet du vent, caries arbres qui couvraient la campagne leur masquaient la vue. Bientôt, comme ce nuage se maintenait à égale hau- teur et se rapprochait de plus en plus, ils reconnurent la vérité; s'armant promptement, ils se rangèrent en avant du camp. Le combat s'engagea. Les éléphants, sur lesquels Bomilcar comptait beaucoup, s'embarrassèrent dans les branches des arbres, se dispersèrent et furent enveloppés; quatre furent pris et les autres tués, au nombre de quarante. A la vue de ce désastre, les Numides s'enfuirent; la plupart purent s'échapper, grâce à la colline, qu'ils regagnèrent, et à la nuit, qui était venue. Les vainqueurs étaient exténués de leur marche, du travail qu'avait exigé le camp, enfin du combat. Pourtant, comme Métellus tardait à venir, ils allèrent à sa rencontre, en bon ordre et avec précaution, car ils se défiaient des ruses afri- caines. La nuit était noire quand les deux corps arrivèrent à peu de distance l'un de l'autre. Des deux côtés, on se crut d'abord en présence de l'ennemi, et cette méprise aurait pu avoir les conséquences les plus funestes, si des cavaliers, envoyés en éclaireurs, ne l'avaient dissipée'. 1. Jug., LU, 6— LUI, 8. GsELL. — Afrique du Nord. VII. \ 3 190 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. Telle fut la bataille du Muthul, un des événements de la guerre de Jugurtha que Salluste a racontés en détail'. Il dispo- sait certainement de récits faits par des témoins oculaires - ; peut- être même avait-il eu lui-même l'occasion de visiter les lieux^ Mais, comme il ne dit ni d'où venait iMétellus, ni où il allait, ni d'où venait Jugurtha, ni sur quelle rive du Muthul Romains et Numides se rencontrèrent, il est fort malaisé d'indiquer avec précision où la bataille fut livrée. On peut cependant affirmer que le Muthul est l'oued Mellègue*. Formé de rivières qui naissent en Algérie, entre Khenchela etTébessa, cet oued se dirige vers le Nord-Est, passe à dix kilomètres à l'Ouest du Kef et va se jeter, près de Souk el Arba, dans la Medjerda, dont il est le principal affluent; par un rare privilège, il a de l'eau en toute saison. Or le Muthul venait du Sud, dit Salluste', et, en plein été, il avait un débit suffisant pour les besoins d'une armée; il ne devait pas être éloigné de Sicca, — aujourd'hui le Kef, — la première ville qui se soumit à Métellus après sa victoire ^ On sait, d'autre part, que le consul était entré en Numidie du côté de Vaga (Béja), ce qui permet de conjecturer' qu'avant la bataille, il avait parcouru les Grandes Plaines, où l'oued Mellègue rejoint la Medjerda. Enfin, le nom Muthul, dans lequel les lettres th représentent un son sifflant, doit être rapproché du nom Musu- lani, Musulami , Musiilamii^, que des documents de l'époque 1. Nous n'avons pas d'autres sources. Allusions à cette bataille dans Ïite-Live, Epit. l. LXV (c'est une des deux batailles que ce passage mentionne); dans Velléius Palerculus, II, II, 2, et dans Paul Orose, V, 15, 7. 2. On peut penser, si l'on veut, aux mémoires de Itutilius : v. supra, p. 126. 3. Comme le suppose Tissot, Géogr., I, p. 65. 4. Ce que Tissot a reconnu (l. c, p. 64 et suiv.). Conf. Toussaint, Bull, archéol. du Comité, 1898, p. 197; OEhler, Jahreshefte, XII, 190'.), p. 328; Gsell, Atliis archéol. de V Algérie, feuille 18 (Souk-Arrhas), n» 519; le même, Inscr. lai. de l'Algérie, I, p. 267. 5. Jug., XLVIIÎ, 3 : • flumen oriens a meridie ». 6. Ibid., LVI, 3. 7. Conf. supra, p. 183. 8. Pour ces formes, voir Gsell, Inscr., I, 2856. LES CAMPAGNES DE METELLUS. 191 impériale donnent à une grande peuplade, établie précisément sur l'oued Mellègue *. Il y a donc lieu de croire que Métellus venait de la vallée moyenne de la Medjerda et se dirigeait du côté de Sicca, pour recevoir la soumission de cette ville importante et des villes voisines ^ Il ne suivait pas le cours même du Muthul, étroi- tement resserré en amont des Grandes Plaines; dans ces gorges où l'on étouffe pendant la saison chaude, la marche eût été fort pénible pour son armée, dangereuse aussi, car Jugurlha eût eu beau jeu à lui tendre une embuscade ^ Entre les Grandes Plaines et le pays du Kef, à l'Est et à l'Ouest de l'oued Mellègue, se trouve une région très accidentée, d'accès difficile, moins difficile pourtant à l'Ouest, sur la rive gauche, qu'à l'Est, sur la rive droite. C'est dans les montagnes situées à gauche de la rivière que dut s'engager Métellus; d'ailleurs, s'il était parvenu vers l'extrémité occidentale des Grandes Plaines, aux environs de Chemtou et de Ghardimaou, son chemin le plus court pour gagner Sicca était de couper à travers ces montagnes, puis de franchir l'oued Mellègue \ A moins qu'une trahison n'ait révélé à Jugurtha tout l'ordre .de marche du consul, l'itinéraire que celui-ci suivit était tellement indiqué par la nature qu'on pouvait le prévoir sans peine : le roi sut fort bien où il fallait attendre les Romains au passage. Et si ceux-ci venaient du 1. Je ne puis accepter l'hypothèse de M. A. Levi (Atene e Roma, VI, 1925, p. 188-203), qui identifie le Muthul avec Toued Bou Xamoussa (appelé plus bas oued Mafragh), au Sud-Est de Bône. Pour cette rivière et ses noms antiques, voir Gsell, Atlas, l' 9 (Bône), n" 181. Le lieu où M. Levi veut placer la bataille se trouve vers le n° 237 de mon Atlcui, même feuille. 2. Winckler (Rev. tunisienne, XIV, 1907, p. 497) suppose que Métellus, parti de la région des Grandes Plaines, se dirigeait vers Cirta, la principale ville du royaume de Jugurtha. Mais il eût été fort imprudent de la part du consul d'aller si loin, avant de s'être assuré la possession de la Numidie orientale, et alors que la saison des opérations militaires était déjà fort avancée. Était-il, du reste, besoin d'entreprendre une expédition de cette envergure, puisque Métellus espérait que la trahison lui livrerait promptement Jugurtha"? Enfin, si Cirta eut été son objectif, il eût fait un détour inutile en passant par l'oued Mellègue. 3. Toussaint, l. c, p. 197. 4. Veith, apud Œhler, dans Jahreshefle. XII, p. 336. 192 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. Nord ou du Nord-Ouest pour aller vers Sicca, la bataille ne put être livrée que sur la rive gauche du Muthul; autrement, Métellus, après avoir traversé une montagne parallèle à la rivière, n'aurait pas eu à sa droite l'armée numide, occupant une longue croupe perpendiculaire à cette rivière. Dans la partie de son cours qui s'étend depuis le voisinage du Kef jusqu'aux Grandes Plaines, la rive gauche de l'oued Mellègue n'offre aucune plaine : c'est donc en amont que l'emplacement de la bataille doit être cherché. Deux hypothèses ont été proposées' ; ni l'une, ni l'autre ne s'accordent entiè- rement avec les indications topographiques de Sallaste^ Selon Tissot^ la montagne (mo?is) serait le djebel Ouergha*, à quatre lieues environ à l'Ouest du Kef, et la colline {collis), une hauteur voisine, appelée koudiat Abdallah. Le djebel Ouergha court à peu près parallèlement à l'oued Mellègue, sur la rive gauche, à une distance variant de 4 à 8 kilomètres. Il est boisé; la montagne dont parle Salluste était nue. IMais il n'y a pas là une objection péremptoire, pas plus que dans l'état actuel des rives de l'oued Mellègue, entièrement dépourvues des arbres qui bordaient le Muthul. Ce qui est plus grave, c'est que le koudiat Abdallah n'est nullement une croupe très allongée, se détachant transversalement du milieu du djebel Ouergha; il le flanque au Sud-Ouest, atteignant presque la même hauteur, presque orienté de même et ne dépassant pas 1. Pour ce qui suit, voir la carte de la Tunisie au 100 000° (feuilles Sidi Youssef et Djebel Harraba; cette dernière figure dans V Atlas archéol. de la Tunisie, 2' série). Voir aussi Atlas archéol. de VAlgérie, f° 19 (El Kef). — Sur celte question topograpliique, consulter Tissot, Géogr., I, p. 67-71; Toussaint, B. a. Comité, 1898, p. 197-8; Winckler, Beo. tunis., XIV, 1907, p. 493-503; OEliler, Jahreshefte, XII, 1909, p. 327-340 (avec des remarques et des photographies de Veith), et ibid., XIII, 1910, Beiblatt, p. 258-9 (avec des remarques de Veith). 2. Nous avons vu (p. 184, n. 3) que l'une de ces indications est certainement fausse : la distance de vingt milles qui, selon les manuscrits, aurait séparé la montagne de la rivière. 3. Auquel se rallient Winckler et OEhler (ce dernier avec quelques réserves). 4. Sic sur la carte de la Tunisie au 100 000» ( • Hemeur mta Ouargha ■ dans Tissot). LES CAMPAGNES UE MÉTELLL'S. 193 une longueurcle deux kilomètres. Ses pentes sont beaucoup trop escarpées. et ravinées pour que les chevaux numides, malgré leur agilité, aient pu les monter et les descendre aisément. La colline de Salluste n'est sûrement pas le koudiat Abdallah. A la rigueur, on pourrait penser à l'identifier avec des plis de terrain qui s'étendent entre le koudiat et l'oued Mellègue', et admettre que la montagne est le groupe de hauteurs formé par le djebel Ouergha et le koudiat Abdallah : Mélellus aurait pu venir par la dépression qui sépare le djebel du koudiat. Mais il resterait une autre objection très forte et même, semble-t-il, décisive : le terrain situé entre ces hauteurs et l'oued Mellègue n'est pas une plaine, où Ton puisse ranger une armée sur trois rangs, faire galoper des chevaux, faire avancer des éléphants : c'est un sol extrêmement raviné, tout à fait impropre à servir de champ de bataille-. Selon Toussaint, cette bataille aurait été livrée plus au Sud- Ouest, à huit lieues du Kef. Il y a là une chaîne appelée djebel Bou Akkous, parallèle à l'oued Mellègue, dont elle est éloignée d'environ 23 kilomètres. Ce serait le mons traversé par Métellus. Entre cette montagne et l'oued, se dresse une série d'autres hauteurs, djebel el Ouasta, djebel Lajbel, koudiat es Senoubeur, dont l'ensemble représenterait le collis. Enfin, une vaste plaine s'étend à l'Est du djebel Lajbel. A quoi l'on peut objecter" : 1° que la ligne du djebel el Ouasta, etc., loin d'être une croupe continue, se détachant du djebel Bou Akkous, est une suite de montagnes isolées; 2° que le djebel Bou Akkous est trop éloigné de l'oued pour être identifié au mons*. 1. Veith, apud OEhler, Jahreshefte, XII, p. 332. 2. Toussaint, L. c, p. 198. Veith, i. c. 1 a plaine dont parle Salluste {planities : Jug., XLVIII, 4; in planum : XLIX, 6; campi : L, 6) devait naturellement être un terrain à peu près uni. Il convient de ne pas rapporter à cette plaine les termes asperitas et insolentia loci (L, 6), qui s'appliquent à la colline. 3. Contre l'hypothèse de Toussaint, voir OEhler et Veith, Jahreshefle, Xlll, Beiblatt, p. 258-9. 4. Puisque le chiffre de vingt milles, qui se lit dans Salluste, doit être forte- ment réduit. 194 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. Cette question exigerait donc une nouvelle étude topogra- phique; naturellement, elle ne pourra être résolue que si la description de Salluste offre la rigoureuse exactitude nécessaire pour guider les recherches sur le terrain. Métellus resta quatre jours dans le camp du Muthul pour donner aux siens un repos bien gagné'. On ne sait si la bataille lui avait causé de grosses pertes. Mais il est certain que peu d'ennemis avaient été tués ou faits prisonniers. La plupart s'étaient enfuis; leur agilité ou la rapidité de leurs montures auraient suffi à les sauver, si la nuit, l'épuisement, l'ignorance des lieux n'avaient empêché le vainqueur de les poursuivre ^ Beaucoup d'entre eux désertèrent, profitant de cette occasion favorable : chez les Numides, remarque Salluste % personne, sauf les cavaliers royaux, ne suit le roi dans sa fuite. Jugurtha y remédia en formant une armée nouvelle, plus nombreuse encore que la première et qui, quoi qu'en dise l'historien^, ne fut sans doute pas d'une valeur très inférieure, car les Numides devaient à leur genre de vie les qualités qui les rendaient aptes à faire la guerre africaine, même sans instruction militaire préalable. Le roi rassemblait toutes ces troupes dans des lieux boisés et que la nature protégeait contre une offensive ennemie. Le grave échec qu'il avait subi ne l'avait donc pas abattu. Quant aux Romains, ils avaient, par leur fermeté et le sang- froid de leur général, évité un effroyable désastre. La bataille du Muthul fut célébrée comme une grande victoire; à Rome, le Sénat décréta des actions de grâces aux dieux immortels \ 1. Jug., LIV, 1. 2. Ibid., LU, 4; LUI, 3. 3. Ibid., LIV, 4. 4. Ibid., LIV, 3. 5. Ibid., LV, 1-2. LES CAMPAGNES DE MÉTELLUS. 195 III Mais cette victoire, Métellus n'ignorait pas qu'elle avait plus coûté aux Romains que la défaite aux barbares' : si éloigné de l'Italie, il ne pouvait aisément réparer ses pertes, tandis que Jugurtha l'avait pu sans peine; il savait, par des transfuges et des espions, avec quelle activité le roi se préparait à continuer la guerre ^ Il ne voulut plus s'exposer à une bataille dont le temps et le lieu ne dépendraient pas de lui et dont il n'espé- rerait pas un résultat décisif. Il adopta une autre méthode ^ En prouvant aux Numides que leur souverain était incapable de les défendre, en les contraignant à se détacher de lui, il ruinerait le prestige de Jugurtha et encouragerait des traîtres à le livrer. 11 résolut donc de ravager sans pitié les campagnes, d'enlever les bourgs et les villes qui ne seraient pas trop difficiles à prendre et de les mettre à sac, de terroriser les populations par des tueries, d'assurer leur soumission en se faisant livrer des otages et en établissant sur quelques points des garnisons. Dans les pays dont il se rendrait ainsi maître, il trouverait une partie des vivres et des moyens de transport nécessaires pour les opérations ultérieures; les villes occupées seraient des points d'appui et des centres de ravitaillement. Et le butin, si médiocre qu'il pût être, stimulerait ses soldats. Cette manière de faire la guerre, analogue à celle dont Bugeaud usa en Algérie, exigeait une aisance de mouvements à laquelle les légions n'étaient guère habituées. II fallait former des colonnes très légères, ne donnant pas à ceux sur lesquels 1. Après cette bataille, Métellus vit, dit Salluste (LIV, 5) « iniquorn certamen sibi cum hostibus, minore detrimento illos vinci quam suos vincere ». 2. Jug., LIV, 2. 3. Ibid., LIV, 0-6. 196 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. elles fondraient le temps de se préparer à la résistance, réduisant le convoi au minimum, vivant, autant que possible, des ressources du pays ennemi. Pas plus que le consul, Jugurtha ne voulait prendre l'initiative d'une nouvelle bataille : celle qu'il venait de perdre lui avait appris que les troupes'romaines, désormais bien commandées, étaient devenues solides et savaient résister aux attaques tumultueuses des Africains. IMais, sous peine d'être bientôt abandonné de tous, il devait s'opposer à la dévastation de son royaume. Renonçant à la grande guerre, il fit la guérilla. 11 laissa le gros de son armée dans les lieux oîi il l'avait réunie et emmena avec lui ses meilleurs cavaliers. En marchant de nuit par des chemins détournés, il put tomber soudain sur des Romains dispersés dans la campagne ; il en tua ou en prit un grand nombre et se retira aussi promptement qu'il était venu'. Ce fut une leçon pour Métellus. L'éparpillement de ses forces l'exposait à des surprises : il les groupa en deux corps, commandés l'un par lui-même, l'autre par Marins. Ils opéraient et campaient séparément, mais à une faible distance, de manière à pouvoir se prêter appui en cas de besoin. Quand il fallait chercher du blé ou du foin, c'étaient, non plus de petits détachements, mais des colonnes de cavalerie et d'infan- terie qui accompagnaient les convois \ Cependant Jugurtha gâtait les fourrages et empoisonnait les sources, là où il prévoyait que les Romains passeraient. Il suivait par les hauteurs soit Marins, soit Métellus; sans leur livrer bataille, il ne leur laissait aucun repos, se montrant et disparaissant, menaçant, harcelante Salluste dit vaguement que Métellus s'était jeté sur les 1. Jug., LIV, 7-10. 2. Ibid., LV, 4-7. 3. Ibid., LV, 8. LES CAMPAGNES DE MÉTELLUS. 197 régions les plus riches de la Numidie'. Après la bataille du Muthul, Sicca lui avait ouvert ses portes^. Il est probable que les opérations qui remplirent la fin de l'été et l'automne n'entraînèrent pas les Romains très loin de cette ville, qu'ils firent campagne au Sud de la Medjerda, dans le centre et l'Ouest de la Tunisie, sans pénétrer en Algérie. Quant aux lieux boisés et difficiles où Jugurtha avait fui après sa défaite et où il avait rassemblé une nouvelle armée, on peut supposer qu'ils étaient dans l'Algérie orientale, également au Sud de la Medjerda. L'hiver était proche". Les razzias de Métellus n'avaient pas eu le résultat qu'il en attendait : Jugurtha restait debout. Le consul voulut frapper un grand coup avant que la mauvaise saison ne l'obligeât à suspendre les hostilités. Il alla assiéger Zama, une des principales villes de laNumidie, « citadelle delà partie du royaume où elle était située » *. Il comptait bien, selon notre auteur'^, que le roi voudrait l'empêcher de s'en emparer et qu'ainsi, une bataille s'engagerait sur le terrain que lui-même aurait choisi, dans des conditions favorables aux Romains ^ L'affaire de Zama est le second épisode de la guerre que Salluste juge digne d'un récit détaillé'. L'ancien proconsul de VAfrica nova devait connaître cette Zama, qui était certai- nement dans sa province^ « Etablie en plaine » ^, elle ne peut, 1. Jug., Liv, 6. 2. Ibid., LVI, 3. 3. Conî. Jug., LXI, 1 et 2. 4. Ibid., LVl, 1. 3. Ibid. 6. Nous verrons pourtant que Métellus se laissa surprendre devant Zama par Jugurtha. Peut-être voulait-il seulement, en s'emparant d'une ville aussi impor- tante, agir sur l'imagination des indigènes. Cet exploit eût produit plus d'elîet que toutes les razzias de détail auxquelles les Romains se livraient depuis la bataille du Muthul. 7. Jug., LVII-LX. C'est là notre unique source (courte mention dans Florus, I, 36, 1, d'après Salluste). 8. 11 est même permis de supposer que la capitale du royaume de Juba devint le chef-lieu de la province : Salluste y aurait résidé (conf. supra, p. 126). ». Jug.,h\\l, 1. 498 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. nous l'avons dit', avoir été l'une des deux villes de ce nom dont l'emplacement a été déterminé grâce à des inscriptions et qui occupaient des hauteurs. Mais si, comme il est très probable, elle était identique avec la Zama qui servit de capitale à Juba P"", avec Zama la Royale, Zama Regia, men- tionnée dans des documents plus récents, il convient de la chercher dans la Tunisie centrale, entre le Kef et Maktar. Prévenu de la marche de Métellus par des déserteurs, Jugurtha le devance, amène aux gens de Zama des transfuges, qui les aideront à se défendre et dont il est sûr, car ces traîtres n'espèrent aucun pardon du consul. Il promet de venir secourir la ville avec son armée et se retire dans des lieux oii sa présence puisse être ignorée ^ Bientôt il apprend que Marius s'est détourné de son chemin avec quelques cohortes, pour aller chercher du blé à Sicca. Il s'y rend de nuit, accompagné de cavaliers, trouve les Romains en train de sortir de la ville et tombe sur eux, tandis qu'il crie aux habitants de les attaquer par derrière. Mais Marius se dégage par des charges vigoureuses et, les Numides ayant pris la fuite, il peut sans encombre rejoindre Métellus, arrivé devant Zama^ A défaut de défenses naturelles, cette grande ville était protégée par de bons remparts et bien pourvue d'armes et d'engins de guerre \ Le consul disposa son armée tout autour, puis ordonna un assaut général, qui fut énergiquement repoussé. Grosses pierres, pieux garnis d'étoupe enflammée, poix brûlante mêlée de soufre, pleuvent sur ceux qui cherchent à saper les murs ou qui montent aux échelles; des traits, lancés à la main ou par des machines, vont atteindre ceux qui se tiennent plus loin^ 1. T. III, p. 255-8; t. V, p. 268-9. 2. Jug., LVI, 2-3. 3. Ibid., LVI, 3-6; LVII, 1. 4. Ibid., LVII, 1. 5. Ibid., LVII, 2-6. LES CAMPAGNES DE METELLUS. 199 Durant ce combat, Jugurtlia survient avec des forces impor- tantes. Métellus eût dii l'attendre, puisque, — si nous en croyons Salluste, — Tattaque de Zama était destinée à le con- traindre à une bataille. Cependant, le camp romain était fort mal gardé et le roi put y pénétrer à l'improviste. Pris de panique, la plupart des soldats qui y ont été laissés s'enfuient; beaucoup sont tués ou blessés. Quarante hommes seulement se rallient et, sur une butte, ils résistent héroïquement, repoussant les Numides qui s'approchent. Tandis qu'il dirige l'assaut, Métellus entend derrière lui les cris des ennemis; tournant alors son cheval, il voit venir les fuyards. Il envoie aussitôt vers le camp toute la cavalerie, puis Marins à la tète des cohortes des alliés. Les gens de Jugurtha, qui cherchent à s'échapper, sautent par-dessus les retranchements ou se précipitent dans les passages étroits des portes. Beaucoup périssent; les autres peuvent se retirer avec le roi. A la tombée de la nuit, Métellus ramène ses troupes, sans avoir réussi dans son attaque contre Zama'. Le lendemain, il déploie tous ses cavaliers en dehors du camp, du côté où Jugurtha peut venir, et il laisse dans le camp même les forces nécessaires à la défense. Il retourne ensuite devant la ville et recommence l'assaut. Le roi reparaît. Il se jette sur les Romains qui, après quelque désarroi, lui tiennent tête. Chez les Numides, les cavaliers combattent mêlés à de l'infanterie; au lieu de charger et de revenir en arrière, comme ils le font d'ordinaire, ils s'avancent en mettant le désordre dans les rangs de leurs ennemis et en les livrant ainsi, à moitié vaincus, aux agiles fantassins qui les accompagnent. Les Romains subissent ainsi de grandes pertes, sans pourtant se laisser enfoncer'. Pendant ce temps, la lutte continue, acharnée, autour de 1. Jug., LVIII. 2. Ibid., LIX. 200 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. Zama. Du côté où estiVIarius, les défenseurs du rempart peuvent voir la bataille engagée par Jugurtha; ils la suivent avec passion, manifestant leurs sentiments par des gestes et des cris. Pour détourner tout à fait leur attention sur ce spectacle, le légat ordonne qu'on leur laisse quelque répit. Puis, soudain, il reprend vigoureusement l'assaut. Déjà des soldats, montés sur des échelles, atteignent presque la crête des murs, quand les assiégés s'en aperçoivent, accourent et lancent sur les Romains des projectiles de toute sorte. Plusieurs échelles se rompent; ceux qui étaient dessus sont précipités à terre, et les autres s'enfuient. Ailleurs, les tentatives d'assaut n'ont pas meilleur succès. La nuit met fin à ces combats'. Le temps était venu de clore la campagne. Métellus s'éloigna de Zama-. Il mit des garnisons dans quelques villes qui étaient en état de résister à des attaques et il évacua le reste de la Numidie. L'armée alla prendre ses quartiers d'hiver dans la province d'Afrique, à proximité des fi-ontières ^ Un peu plus tard, nous trouvons Métellus en un lieu que Salluste appelle Tisidium '* et qui est sans doute celui que des documents postérieurs appellent Thisiduum, ou Chisiduum % aujourd'hui Krich el Oued, à sept kilomètres au Nord-Est de Medjez el Bab. Le consul s'y était établi avec une légion ^ Nous ignorons l'emplacement des autres camps ; l'un d'eux fut confié à Marius ^ 1. Jug., LX. 2. Ibid., LXI, 1. 3. Ibid., LXI, 1-2. 4. C'est la qu'il manda Juprurlha : ibid., LXII, 8. 5. CI. L., VIII, p. 1436 (où l'identiflcalion est proposée par Schmidt), n° 14763 : « [TJhisiduenses ». Conf. ibid.. 13188 : « Thisiduensi ». « Ghisiduo », sur la Table de Peutinger (conf. Géographe de Ravenne, III, 5). Atlas archéol. de la Tunisie, {' Medjez el Bab, n" 28. — Je ne crois pas qu'il y ait lieu, comme le pensent M. Pais (Hiv. di Jilol. dassica, XV, 1887, p. 207) el Schmidt (au Corpus), d'identifier Tisidium, Thisiduum avec une ville que les manuscrits de Strabon (XVII, 3, 12) appellent TiaiaoO; et que ce géographe mentionne avec des villes de Numidie, détruites au cours de guerres. Thisiduum était dnns la province romaine, et nous n'avons aucune raison de croire qu'elle ait été détruite. 6. Jug., LXVIII, 2 : « legionem cum qua hiemabat ». 7. Ibid., LXIV, 5. LES CAMPAGNES DE METELLUS. 201 IV La guerre ne pouvait recommencer qu'au printemps. Cepen- dant Métellus désirait en finir. Ayant, en somme, échoué par les armes, il recourut de nouveau à ces menées dont il avait fait l'essai avant son entrée en campagne. Il s'adressa à Tliomme auquel Jugurtha témoignait le plus d'amitié, à ce Bomilcar que le roi avait emmené à Rome, qu'il avait chargé de l'assassinat de Massiva et dont il avait assuré la fuite, afin de le faire échapper à des poursuites judiciaires. Métellus le décida à une entrevue secrète S où il lui donna sa. parole que, s'il livrait Jugurtha, mort ou vivant, le Sénat lui accorderait l'impunité, en lui conservant tous ses biens. Le Numide, que des scrupules n'embarrassaient pas, se laissa aisément persuader, car il craignait que, si la paix était conclue avec les Romains, ceux-ci ne fissent de son supplice une des conditions du traité -. Les affaires de Jugurtha n'étaient nullement désespérées; la tentative infructueuse de Métellus sur Zama aurait même dû accroître sa confiance : il est probable que cet échec avait eu un grand retentissement en Numidie. Mais, — au dire de Salluste, -— Bomilcar, montrant à son maître la situation sous les cou- leurs les plus noires, le circonvint si bien qu'il le jeta dans un profond découragement et l'amena à renoncer à la lutte. Par des députés, Jugurtha fit savoir à Métellus qu'il était prêt à lui obéir en tout, à lui livrer, sans aucune condition, sa personne et son royaume. Aussitôt, le général convoque tous les personnages d'ordre 1. Si nous en croyons Sallusle (Jug., LXI, 5). C'était là une démarche extrê- mement dangereuse pour Bomilcar : comment eùt-il pu se justifier auprès de Jugurtha, si le roi eût été informé de cette entrevue? 2. Jug., LXI, 3-5. 202 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. sénatorial qui sont à l'armée et, en outre, quelques autres qu'il lui paraît opportun de consulter'. Sur un décret de ce conseil, il commande à Jugurtha de lui remettre 200 000 livres d'argent, tous ses éléphants, une partie de ses chevaux et de ses armes -. Ces ordres ayant été exécutés sans retard, Métellus exigea que tous les déserteurs lui fussent amenés, enchaînés \ Ce qui fut fait, sauf pour quelques-uns, qui purent s'enfuir à temps en Maurétanie, auprès du roi Bocchus*. Ceux qui furent remis àiMétellus^ périrent dans d'horribles supplices ^ Enfin Jugurlha lui-même fut mandé à Tisidium, pour y recevoir de nouveaux ordres \ Alors un revirement se fit dans son esprit. Il craignit le châtiment qui lui était sans doute réservé et, après de longues journées d'hésitations, il résolut de recommencer la guerre ^ Il avait sacrifié de grandes ressources en pure perte. Il s'en créa d'autres, avec l'activité et l'intelligence qu'il savait montrer quand son moral n'était pas déprimé : recrutant des soldats, achetant ou faisant fabriquer des armes, accroissant les défenses de ses places fortes. Par des menaces ou des promesses, il s'efforçait de ramener à lui les villes qui s'étaient soumises à Métellus; il essayait même de corrompre à prix d'argent les 1. Probablement des tribuns militaires, des commandants supérieurs des troupes alliées, peut-être même (juelques-uns des plus anciens centurions. 2. Jug., LXII, 1-5. Paul Orose (V, 15, 7; sans doute d'après Tite-Live) et Dion Cassius (fr. 87, 1) mentionnent aussi des otages (300, selon Orose); Orose, du blé et d'autres vivres. 3. C'étaient surtout ces Thraces et ces Ligures qui avaient trahi lors de l'expé- dition d'Aulus Postumius : v. supra, p. 171. Conf. Appien, i\um., p. 103, coll. Didot. 4. Jug., LXII, 6-7. 5. Au nombre de plus de 3 000, selon Paul Orose, l. c. 6. Appien, l. c. Pour ces exécutions, voir aussi Dion Cassius, l. c. 7. Jug.. LXII, 8. 8. Ibid., LXII, 8-9. Dans un fragment de Dion Cassius (87, 1), il est dit que Métellus ne conclut pas la paix, parce que Jugurlha refusa de se rendre auprès de lui et parce que Marins et Gnœus (rvaîo:) s'y opposèrent. Le second nom est évidemment altéré et parait devoir être corrigé en Tavêa; (voir, entre autres, Wirz, Glicderung, p. 31, n. 1) : il s'agirait du frère de Jugurtha, Gauda, qui était à l'armée romaine. Mais nous ignorons les causes de cette opposition, si vraiment elle se produisit. LES CAMPAGNES DE METELLUS. 203 g-arnisons romaines'. Sauf les points que ces garnisons occu- paient, il recouvra, semble-t-il, presque tout son royaume : durant l'hiver, il put cantonner une partie de ses troupes très près de la province d'Afrique et des camps ennemis^. Métellus sortit de charge à la fin de l'année 109, mais il garda la Numidie, que le Sénat lui attribua, avec le titre de proconsul, dès le début de l'année suivante, lors du partage des provinces^ : du reste, en ne la désignant pas, avant les élec- tions, comme une des deux provinces qui seraient confiées aux futurs consuls, l'assemblée avait implicitement manifesté son intention de proroger Métellus. On était encore dans la saison d'hiver*^ quand survint un événement que Salluste a raconté en détails L'une des garnisons romaines laissées en Numidie occupait Vaga. Les principaux citoyens de la ville cédèrent aux prières du roi et formèrent une conspiration. Prenant pour prétexte une fête, — peut-être une sorte de carnaval % — qui donnait lieu à de grandes réjouissances dans toute l'Afrique \ ils invi- tèrent dans des maisons différentes les centurions, les tribuns militaires^ et le commandant de la place, T. Turpilius Silanus". Tous, sauf Turpilius, furent tués par leurs hôtes, en plein repas. Puis le peuple, entraîné par les conjurés, attaque les soldats, ^ui, dans ce jour de fête, se promènent cet à là, sans 1. Jug., LXVI, I. 2. Ibid., LXX, 4. 3. Ibid., LXII, 10 : « Romae senatus de provinciis consultus Numidiam Metello decreverat. » 4. Ibid., LXVIII, 2. 5. Ibid., LXVI-LXIX. 6. Voir t. YI, p. 122. 7. Jug., LXVI, 2. 8. On peut douter qu'il y ait eu à Yaga, sous les ordres du Latin qu'était Turpilius, des tribuns militaires, citoyeus romains. 9. Selon Plutarque {Marias, 8), ce Turpilius occupait auprès de Métellus un poste de conliance, avec le titre de praefectus Jabrum. C'est sans doute une erreur (conf. Madvig, Kleine philol. Schriften, p. 548, n. 1) : Turpilius, qui était citoyen latin (u. infra), et non romain (quoi qu'en dise Appien, Num., p. 163, coll. Didot), devait être à l'armée comme commandant d'un continrent latin. 204 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. aucune précaution. Privés de leurs chefs, ils ne savent que faire : la citadelle, où sont leurs armes, a été occupée; ils trouvent les portes de la ville fermées; du haut des maisons, les femmes et les enfants leur lancent des pierres et d'autres projectiles. Ils sont massacrés'. Un seul Italien put sortir de Vaga sain et sauf : ce fut le commandant Turpilius. On ne sait, dit Salluste^, s'il dut son salut à la pitié de son hôte, à quelque accord avec les conjurés, ou au hasard. Selon Plutarque', on l'épargna parce qu'il s'était montré humain envers les habitants. Métellus reçut dans ses quartiers d'hiver, sans doute à Tisi- dium*, la nouvelle de ce désastre. Un châtiment terrible et immédiat était nécessaire. A la légion qu'il a avec lui, il joint tous les cavaliers numides dont il dispose et, partant au coucher du soleil, il arrive le lendemain, vers la troisième heure, — c'est-à-dire vers neuf heures du matin, — dans une plaine entourée de hauteurs. Ses troupes, épuisées, se refusent à aller plus loin. Il les ranime, en leur apprenant que Vaga n'est plus qu'à un mille "* et qu'elles tiennent presque la vengeance et le butin. Il ordonne à la cavalerie de se déployer en avant, aux fantassins de suivre en rangs très serrés et de cacher leurs enseignes, et il se dirige vers la ville. Les habitants crurent d'abord, — avec raison, — que c'était Métellus, et ils fermèrent les portes. Puis, comme ils voyaient, en tête, des cavaliers numides et que ceux-ci s'avançaient sans 1. C'est a tort que Plutarque et Appien {II. ce.) indiquent que les habitants de Vaga reçurent Jugurtha et lui livrèrent les Romains. 2. Jug., LXVII, 3. 3. L. c. 4. Entre Krich el Oued, emplacement de Tisidium, et Béja (Vaga)^ la distance est de 43 kilomètres à vol d'oiseau. Cela répond as«ez bien, — avec les haltes nécessaires, — au temps que Métellus mit pour aller de son camp à un lieu voisin de Vaga : environ 15-16 de nos heures, depuis le coucher du soleil jusqu'à la troisième heure du jour suivant (on était en hiver, peut-être en février). 5. S'il s'agit, comme il est probable, de la plaine de l'oued Béja (à l'Est-Sud- Est de Vaga), il restait près de trois milles à parcourir pour atteindre la ville. LES CAMPAGNES DE MÉTELLUS. 205 faire de dégùts dans la campagne, ils pensèrent que c'était Jugurtlia; joyeux, ils allèrent à sa rencontre. Mais, tout à coup, à un signal donné, cavaliers et fantassins s'élancent, taillent en pièces la foule éparse devant les murs, courent aux portes, s'emparent des tours. La riche cité fut livrée au pillage' et peut- être détruite-; le sénat tout entier, condamné à mort^ Turpilius, mis en jugement et déclaré coupable par Métellus, fut décapité; comme il était citoyen latin, on le battit d'abord de verges^, traitement qui était épargné aux citoyens romains. Salluste dit que cet officier n'avait pas donné de bonnes excuses de sa conduite^; il estime que, de toute façon, Turpilius s'était déshonoré en ne partageant pas le sort de tous ceux qu'il commandait ^ Un auteur copié par Plutarque' fait ici inter- venir Marins, dont l'historien latin ne parle pas. Métellus, affîrme-t-il, eût désiré absoudre un homme dont la famille avait des liens d'hospitalité avec la sienne, mais Marins, siégeant comme assesseur, insista violemment pour la condam- nation; peu de temps après, l'innocence de Turpilius aurait été reconnue. C'est dans le même hiver'* que Jugurtha échappa à un complot ourdi par deux Numides du plus haut rang, Bomilcar et Nabdalsa^ Le premier était devenu suspect au roi, à cause des conseils de soumission qu'il lui avait donnés. De son côté, il sentait bien que Jugurtha lui en voulait, et il ne 1. Jug., LXIX, 3 : « Civitas magna et opulens cuncla poenae aut praedaefuit. » 2. Parmi les villes qui furent détruites dans des guerres africaines, Strabon (XVII, 3, 12) en indique une que les manuscrits appellent O'j'axa. La correction Oj'aya, proposée par Letronne, est très vraisemblable. 3. Appien. l. c. 4. Jug., LXIX, 4. La condamnation à mort de Turpilius est mentionnée par Appien, l. c. 5. Jug., L c. : « sese parum expurgat ». 6. Ibid., LXVII, 3. 7. Marius, 8. 8. Jug., LXX, 4. 9. Nom certainement libyque. La forme indigène devait être Nabdalsan, ou peut-être Nabdadsan : conf. Gsell, Inscr. lat. de l'Algérie, I, 138. GsELL. — Afrique du Nord. VII. 14 206 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. pensait plus qu'à le perdre. Il trouva un complice dans Nab- dalsa, personnage de noble naissance, très riche, populaire, auquel le souverain avait coutume de confier une partie des affaires de l'État' et qui commandait alors un corps d'armée dans le voisinage de la province romaine. Après que les deux conjurés eurent fixé ensemble une date pour l'exécution de leur dessein, Nabdalsa retourna à son camp. Mais, au jour dit, il ne parut point, effrayé des risques qu'il courait. Bomilcar, très inquiet, lui envoya une lettre de reproches, où il faisait allusion à des promesses de Métellus. Cette lettre fut remise à Nabdalsa. Mais, pendant qu'il dormait, elle tomba entre les mains de son secrétaire, qui partit aussitôt pour la montrer au roi. Nabdalsa chercha vainement à rejoindre cet homme et, quand il vit qu'il était trop tard, il alla trouver Jugurtha, afin de l'apaiser : il avait, prétendait-il, été devancé par un serviteur perfide dans la révélation qu'il s'apprêtait à faire lui-même. Jugurtha feignit de le croire, redoutant que le supplice de Nabdalsa ne provoquât une sédition. Mais il fit périr Bomilcar et d'autres complices de ce dernier-. Depuis lors, il n'eut plus de repos : il se défiait de tout et de tous. Pour ne pas laisser aux conspirateurs le temps d'agir, il se déplaçait sans cesse et évitait de passer deux nuits de suite dans le même lieu; parfois, il se réveillait en sursaut et saisis- sait ses armes. La terreur le rendait presque fou ^ Bientôt, il n'eut plus autour de lui aucun de ses anciens amis; ceux qu'il n'avait pas fait périr se réfugièrent, par crainte, soit auprès des Romains, soit auprès du roi Bocchus \ 1. Conf. t. V, p. 142, n. 3. 2. Récit de cette conspiration dans Salluste, Jug., LXX-LXXII. — Frontia (Stral., I, 8, 8) parle, sans doute à tort, de lettres que Métellus aurait écrites à des amis du roi et que celui-ci aurait interceptées. Jugurtha aurait mis à mort tous ces Numides. 3. Jug.. LXXII, 2; LXXVI, 1. 4. Ibid., LXXIV, 1. LES CAMPAGNES DE METELLL'S. 207 V Informé par des transfuges de la découverte du complot et de la mort de Bomilcar, Métellus se prépara à reprendre les hostilités'. La campagne de l'année 108 nous est fort mal connue : le seul épisode que Salluste raconte est l'expédition de Thala; il omet le reste ou le mentionne très brièvement. Jugartha, dit-il, n'osait plus compter sur ses lieutenants, car il se souvenait des trahisons passées et en craignait de nouvelles. Mais il lui était difficile de conduire la guerre à lui seul. D'ailleurs, sa volonté vacillait sans cesse. Rien ne le contentait. Il passait d'un plan à un autre, tantôt marchant à l'ennemi, tantôt s'enfonçant, comme un fuyard, dans des déserts, n'ayant pas plus de confiance dans la valeur de ses sujets que dans leur fidélité^ Enfin, Métellus le contraignit, — par surprise, semble- t-iP, — à accepter une bataille, qui fut livrée on ne sait où. Là où se trouvait le roi, la lutte dura quelque temps; partout ailleurs, ses troupes furent aussitôt vaincues et dispersées. Les Romains s'emparèrent de beaucoup d'enseignes et d'armes, mais firent peu de prisonniers, car les Numides surent, comme à l'ordinaire, se mettre rapidement hors de leur atteinte ^. 1. Jug., LXXIII, 1. 2. Ibid., LXXIV, 1. 3. Ibid., LXXIV, 2 : « Sed inter eas moras repente sese Métellus cum exercitu ostendit. » 4. Jug., LXXIV, 2-3. Conf. Tite-Live, Epit. l. LXV : • Métellus ... duobus proeliis Iu°;urtham fudit. » De ces deux batailles, la première est sans doute celle du MuthuI, la seconde pourrait être celle dont nous parlons ici, d'après Salluste. Il faudrait supposer que Tite-Live avait joint dans son récit la campagne de 108 à celle de 109, car il racontait ensuite la défaite du consul Silanus par lesGimbres, laquelle eut lieu en 109. Paul Orose, V, 15, 7 : (Jugurlha) « duobus proeliis victus »; après quoi, cet auteur mentionne l'offre de soumission qui se plaça entre les deux campagnes de 109 et de 1U8. Velléius Paterculus, II, 11,2 : « ... Metello, qui bis lugurtham acie fuderat. » Dans Julius Obsequens (§ 100), on lit, à l'année 108 : « Contra lugurtham prospère dimicatum. • Mais il peut s'agir ici de l'ensemble des opérations de cette année-là, et non pas d'une bataille particulière. 208 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. De plus en plus découragé, Jugurtha, traversant de vastes solitudes, se rendit à Thala, avec les transfuges et des cava- liers* : c'était à peu près tout ce qui lui restait de son armée- depuis sa défaite. Dans cette ville de Thala, grande et riche, établie sur un terrain qui n'était peut-être pas escarpé^, mais défendue par de solides murailles^, il avait en réserve de grosses sommes d'argent et faisait élever ses jeunes lils\ Plusieurs sources' permettaient à une nombreuse population d'y vivre. Mais, tout à l'entour, s'étendaient des déserts; le fleuve le plus proche, — Salluste ne le nomme pas, — était à cinquante milles (74 kilo- mètres) ^ Nous avons dit" que ces indications ne permettent guère d'identifier la Thala de Jugurtha avec un lieu situé à environ 35 kilomètres au Nord-Est de Tébessa, à 72 kilomètres au Sud du Kef, lieu qui porte aujourd'hui le nom de Thala et oii il y eut dans l'antiquité une ville importante, appelée déjà de même. Nous avons dit aussi que, thala signifiant source en berbère, ce nom a dû être assez répandu. Gomme Salluste déclare que le site de Thala ressemblait à celui de Capsa*, aujourd'hui Gafsa, c'est dans la même contrée que Capsa, dans le Sud tunisien, que plusieurs savants ont cherché la ville de Jugurtha. Un « Bled Thala », entre Gafsa et le golfe de Gabès, a paru fournir un précieux indice. Mais c'est là une illusion, car il s'agit, en réalité, d'un Bled Tabla, nom arabe, et non pas berbère, 1. Jug., LXXV, 1. 2. Conf. t. V, p. 277, n. 4. 3. Jug., LXXVl, 2. 4. [bid., LXXV, 1. 5. Elles étaient, dit Salluste (LXXXIX, 6), à peu de distance des murs : par conséquent, elles cessèrent sans doute d'être à la disposition des habitants pendant le siège. 6. Jug., LXXV, 2. Il n'y a aucune bonne raison de croire que le chiffre des milles soit altéré dans les manuscrits. 7. T. Y, p. 276-8. 8. Jug., LXXXIX, 6. LES CAMPAGNES DE MÉÏELLL'S. 209 désignant une forêt très étendue d'acacias gommifères * : cette dénomination ne remonte donc pas aux temps antiques^ Et les divers lieux qui, dans le Bled Tahla ou dans le voisinage, ont été identifiés avec la Thala de Salluste, sont situés à moins de cinquante milles d'une rivière pérenne et dépourvus, soit des sources que mentionne l'historien, soit de ruines attestant l'existence d'une grande cité^ Les données dont nous disposons ne suffisent pas pour fixer l'emplacement de Thala. Métellus, ayant appris que Jugurtha s'y trouvait, résolut d'aller l'y prendre : l'espoir de terminer ainsi la guerre le poussait à cette expédition dont il ne se dissimulait pas les difficultés. Où était-il alors? Salluste omet de le dire. Le proconsul décide que le chargement des bêtes de somme sera réduit à une provision de blé pour dix jours, à des outres et autres récipients propres à contenir de l'eau. Il réquisitionne dans les campagnes le plus grand nombre possible d'animaux de bat et leur fait porter des vases de toute sorte, la plupart en bois, recueillis dans les cabanes des Numides. Aux indigènes des régions voisines, qui se sont soumis à lui après la défaite et la fuite du roi, il ordonne d'apporter autant d'eau qu'ils le pourront, en leur fixant le jour et le lieu du rendez-vous. Lui- même va s'approvisionner au fleuve qui coule à cinquante milles de Thala; puis il poursuit sa marche. Parvenu à l'endroit où il a convoqué les Numides et où ceux-ci, par excès de zèle, ont apporté plus qu'il ne leur a demandé, il établit son camp. Tout à coup, s'abat une pluie si forte qu'elle peut suffire très largement 1. Voir, entre autres, Privé, Bail, archéol. du Comité, 1895, p. 97. 2. Wilmanns, au C. I. L., VIII, p. 28. Reinacii, apud Tissot, Géogr., II, p. 635. 3. Il me paraît inutile de discuter en détail les identifications qu'ont proposées des érudits et qui ne répondent pas aux conditions du problème. A « Henchir Thala », ou Ksar Gréouch, dans le Bled Tahla : Pellissier, Description de la régence de Tunis, p. 137 et 304. A Henchir Feguira A lima, à une vingtaine de kilomètres plus au Sud-Sud-Ouest : Ghevarrier, Arch. des missions, i" série, V (1879), p. 245. A Henchir Gherchara, à l'extrémité orientale du Bled Tahla : Du Paty de Glam, Bev. de géographie, 1889, II, p. 346-353. A Ksar Sened, plus près de Gafsa : Winckler, Bev. tanis., HI, 1896, p. 523-7, et XV, 1908, p. 335, n. 2. 210 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. aux besoins de l'armée. Par un sentiment religieux, les soldats préfèrent l'eau du ciel à celle qu'on leur offre et cet événement exalte leur courage, car ils ne doutent plus que les dieux ne veillent sur eux '. Le lendemain, on arriva devant Thala, à la grande stupéfaction, dit Salluste, des habitants, qui pensaient que la situation de leur ville devait les mettre à l'abri d'une telle entreprise, mais qui se préparèrent pourtant à résister-. Il peut sembler étonnant qu'ils n'aient rien su de ce qui les menaçait, qu'en particulier, ils aient ignoré le rendez-vous donné par Métellus à une foule de paysans, en un lieu qui n'était qu'à une journée de marche de Thala. En tout cas, le roi eut le temps d'échapper à Métellus. Il sortit de nuit, avec ses enfants et une grande partie de ses trésors ^ C'était ce qu'il avait de mieux à faire, même au risque de paraître abandonner lâchement ses fidèles sujets. Métellus exécuta de grands travaux de siège : fossé et retranchement tout autour de la place; galeries couvertes en bois pour permettre sur divers points l'approche des remparts; établissement d'une terrasse, où l'on poussa des tours. La ville fut prise après quarante jours de durs efforts et de combats. Mais le meilleur du butin avait été détruit par les transfuges. Lorsqu'ils virent la brèche s'ouvrir sous les coups des béliers, ils transportèrent dans la demeure royale l'or, l'argent, les objets les plus précieux, et là, après s'être gorgés de vin et de nourriture, ils livrèrent aux flammes ces trésors, le palais et eux-mêmes, n'attendant aucune grâce des vainqueurs \ Thala fut peut-être détruite par Métellus \ La chute de cette grande 1. Jag., LXXV, 2-9. 2. Ibid.. LXXV, 9-10. 3. Ibid., LXXVI, 1. 4. Ibid., LXXVI, 2-6. Conf. Florus, I, 36, 11. 5. Salluste ne le dit pas. Straboa (XVII, 3, 12) indique Thala (0â).a) parmi les villes détruites au cours des guerres dont l'Afrique avait eu à souffrir depuis le temps de Jugurtha. LES CAMPAGNES DE MÉTELLUS. 211 cité était assurément un succès pour lui : elle diminuait encore le prestig-e de Jugurtha, qui n'avait même pas tenté de la défendre. Ce n'était cependant pas la fin, tant souhaitée, de la guerre. L'expédition de Thala exigea près de deux mois. L'orage, accompagné d'une pluie torrentielle, dont parle Salluste, est, non pas une preuve \ mais une raison de croire qu'elle n'eut pas lieu au plus fort de l'été sec d'Afrique. Peut-être fut-elle entreprise plus tôt, et non plus tard, car nous allons voir qu'après sa sortie de la ville et avant la fin de l'année, Jugurtha eut le temps de recruter une armée chez les Gétules, de l'instruire, puis de rejoindre Bocchus à la tête de cette armée, enfin de marcher avec lui sur Cirta. Métellus s'empara certainement d'autres villes importantes au cours de sa campagne de l'an 108. Il put même se rendre maître de Cirta, la capitale de Syphax, de Masinissa, de Micipsa, d'Adherbal. Salluste ne dit pas comment il y entra, s'il dut l'assiéger et la prendre d'assaut, ou s'il reçut sa soumission sans avoir besoin d'employer la force. Il y déposa son butin, ses prisonniers et ses bagages 2, et il établit son camp à peu de distance ^ C'est là, au cœur de la Numidie, qu'il prit ses quartiers d'hiver, et non plus, comme l'année précédente, dans la province. Ce qui suffit à prouver, à défaut des indications précises que Salluste nous refuse, combien la supériorité militaire des Romains s'était affirmée dans cette seconde année du commandement de Métellus; il est vrai que ce n'était pas ce qui importait le plus. La renommée du proconsul était grande en Afrique. A l'époque de la prise de Thala, il en reçut un témoignage qui venait de loin. Des députés de Leptis, amie de Rome depuis 1. Comme le croit Wirz, Gliederung, p. 21. 2. Jug., LXXXI, 2. 3. Ibid., LXXXIl, 1. 212 ROME ET LES HOIS AFRICAINS. trois ans ', se présentèrent et lui exposèrent que leur ville était troublée par les menées d'un certain Amilcar, homme de noble naissance, contre lequel l'autorité des magistrats et des lois restait impuissante. Ils le supplièrent d'envoyer chez eux une garnison et un gouverneur : sinon, les Romains risquaient de perdre de fidèles alliés. Métellus accéda à cette demande : quatre cohortes de Ligures se rendirent à Leptis, sous le commande- ment d'un jeune officier, C. Annius^, qui devait plus tard être proconsul en Espagne et y combattre Sertorius. VI L'Est et le centre de la Numidie étaient au pouvoir des Romains. Jugurtha, moins découragé sans doute que Salluste ne le dit, chercha et trouva ailleurs les moyens de continuer la lutte. Après s'être enfui de Thala, il avait fait des levées chez les Gétules. Il dressa ces barbares à la discipline et à une guerre régulière ^ D'autre part, il sut gagner par des dons et, plus encore, par des promesses ceux qui entouraient Bocchus, et décider ainsi ce prince à faire cause commune avec lui '*. Bocchus régnait sur toute la Maurétanie " depuis dix ans au moins \ 11 était alors d'un âge mûr, puisqu'une de ses filles avait' auparavant, — on ne sait quand, — épousé Jugurtha" et que, deux ans plus tard, un de ses fils commandait des troupes ^ 1. V. supra, p. 166. 2. Pour cet épisode, voir Jug., LXXVII, 1 et 4. 3. Ibid., LXXX, 1-2. — C'est sans doute à tort que Florus (I, 36, 12) dit qu'après avoir pris Thala, Métellus poursuivit Jugurtha à travers la Gétulie : « ... flnium suorurn reguique fugitivum per Maures [ce qui est certainement inexact] atque Gaetuliam sequebatur. • 4. Jug., LXXX, 3. h. Ibid., XIX, 7 : « Mauris omnibus rex Bocchus imperitabat. » Voir aussi Plutarque, Marins, 10. 6. 11 régngit déjà au temps de Micipsa, mort en 118 : Jug., CX, 8. 7. Ibid., LXXX, 6. Plutarque, Marius, 10; Sylla, 3. Florus, 1, 36. 17. Jean d'Antioche, dans Fragin. hist. Graec, IV, p. 561, n" 64. 5. Jug., CI, 5; CV, 3. LES CAMPAGNES DE METELLUS. 213 11 avait des vices qu'on reprochait à beaucoup d'Africains : cruauté, perfidie, versatilité, mélange d'orgueil et de bassesse'. Quoiqu'il fût souvent mené par ses conseillers, il prétendait être maître dans ses Etats et avait l'ambition de les agrandir. Le mariage qui fit de Jugurtha son gendre ne créa pas entre eux des liens très forts : comme le remarque Salluste-, ce n'était pas là chose d'importance chez les indigènes, volontiers polygames et peu attachés à leurs femmes. Il montra même à l'égard du roi numide des sentiments hostiles. Bien qu'il n'eût eu jusqu'alors aucun rapport avec les Romains % il leur envoya une ambassade au début de la guerre qu'ils engagèrent contre Jugurtha, — en 111, — pour demander au Sénat alliance et amitié*. Dans l'hiver de 109-108, des déserteurs que Jugurtha s'apprêtait à livrer à Métellus % des Numides de haute condition, qui redoutaient d'être condamnés à mort par leur souverain % allèrent se mettre en sûreté auprès de Bocchus. Les deux rois en vinrent-ils à une guerre ouverte? Il faudrait le croire, si un propos que, selon Salluste^ et aussi Appien % Bocchus aurait tenu vers la fin de l'année 106, était conforme à la vérité. Il avait précédemment, disait-il, conquis une partie de la Numidie, celle qui confinait à son royaume, en en expulsant Jugurtha ^ Mais c'était 1» un mensonge, destiné à excuser sa conduite envers les Romains, qu'il venait de combattre, après une expédition de Marins dans la Numidie occidentale, dans la contrée que Bocchus affirmait appartenir, 1. On a supposé que le roi Bocchus est représenté sur des deniers de Faustus Cornélius Sulla, Dis du dictateur : L. Millier, Numism. de ^ancienne Afrique, IIJ, p. 36-37,90; Babelon, Monnaies de la Républ. rom., I, p. 421. Je n'en crois rien. 2. Jag., LXXX, 6-7. Gonf. ici, t. Y, p. 53. 3. Jug., XIX, T. 4. Ibid., LXXX, 4. 5. Ibid., LXn, 7. 6. Ibid., LXXIV, 1. 7. Ibid., en, 13. 8. Num., p. 163, coll. Didot. 9. Salluste, Le.:* Numidiae partem, unde vi lugurtham expulerit, iure belli suam factam. » 214 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. non plus à son voisin, mais à lui-même. En réalité, la Mulucha (aujourd'hui la Moulouia) ', qui séparait la Maurétanie et la Numidie au temps de Alicipsa-, les séparait encore à l'époque de la guerre de Rome et de Jugurtha^; en 106, c'est à proximité de cette rivière que Jugurtha fit déposer, dans un château fort, de grosses sommes d'argent, sous la garde d'hommes sûrs, qui étaient ses sujets, des Numides, et non pas des Maures*. Mais ce qui est certain, c'est que Bocchus convoitait la Numidie occidentale et que Jugurtha dut s'engager à la lui abandonner, si, grâce à lui, il obtenait une paix le laissant en possession de son trône. Peut-être lui fit-il cette promesse dès l'année 108', pour l'entraîner. Bocchus était, d'ailleurs, mal disposé à l'égard des Romains : ceux-ci l'avaient offensé en déclinant son offre d'alliance % soit, comme le dit Salluste, parce que des gens vendus à Jugurtha avaient manœuvré pour faire écarter cette proposition, soit plutôt parce que le Sénat avait jugé qu'il pouvait se passer des services du Maure, qui n'aurait pas manqué d'en réclamer le prix". Maintenant, Bocchus avait lieu de craindre, — et son gendre le lui fit comprendre **, — que Rome, après avoir abattu Jugurtha, n'annexât la Numidie : il ne se souciait pas d'avoir une telle voisine, qui, vraisem- blablement, ne s'en tiendrait pas là. Vers la fin de l'automne ou le début de l'hiver % ils réunirent leurs armées en un lieu convenu, — évidemment dans l'Ouest de l'Algérie, — échangèrent des serments de fidélité et se diri- gèrent vers Cirta. Jugurtha comptait, ou s'emparer de cette 1. Sur ce fleuve frontière, voir t. V, p. 91-93. 2. Jug., ex, 8. 3. Ibid., XIX, 7; XGII, 5. 4. Ibid., XCII, 6; XCIII, 4; XGIV, 4. 5. Selon Salluste (Jug., XGVII, 2), elle n'aurait été faite que plus tard, en 106. 6. Jug., LXXX, 5. 7. Ihne, Rom. Geschichle, V, p. 150, n. 2. 8. Jug., LXXXI, 1. 9. Cette date approximative résulte de l'ensemble du récit de Salluste. LES CAMPAGNES DE METELLUS. 215 ville, qui en valait bien la peine, ou, si Métellus venait la secourir, engager Bocchus dans une bataille qui ne laisserait plus au Maure le choix entre une rupture et un accord avec Rome '. Métellus attendit les deux rois dans son camp retranché, voisin de Cirta. Avant de combattre son nouvel ennemi, il voulait se donner le temps de le connaître; il désirait choisir lui-même le lieu et l'occasion de la bataille^ : on était dans une saison où les Romains n'aimaient pas à faire campagne. Peut-être aussi espérait-il que les choses pourraient s'arranger, sans recours aux armes. C'est alors (peu après le début de l'année 107?) qu'il apprit que son ancien lieutenant Marins, devenu consul, avait été chargé par le peuple du commandement en Numidie^ Cette nouvelle lui causa une très vive douleur, qu'il ne sut pas dissimuler. Son devoir était d'attendre, à la tête de l'armée, l'arrivée de son successeur. Il estima qu'il serait bien sot de soutenir, à ses risques et périls, une guerre qui, désormais, était l'affaire d'un autre*; il suffisait qu'un ingrat, le supplantant cyni- quement, vînt profiter de ses deux années d'heureux efforts ^ Il envoya des députés à Bocchus, l'invitant à ne pas devenir sans raison l'ennemi du peuple romain et lui montrant combien il serait dangereux pour lui de s'associer à la cause 1. Jag., LXXXI, 1-4. 2. Ibid, LXXXH, 1. 3. Il avait appris auparavant l'élection de Mariusau consulat {Jug., LXXXII, 2) : probablement vers la fin de l'automne de l'année 108. Mais, le Sénat n'ayant pas, avant cette élection, désigné la Numidie comme province consulaire, Métellus n'avait pas lieu de douter que lui-même ne fût prorogé au début de l'année 107, et peut-être le fut-il en effet : v. infra, p. 224. 4. Jug., LXXXII, 2-3; LXXXlll, 1. 5. Beaucoup de gens, dit Salluste {ibid., LXXXII, 3), expliquaient sa douleur, « quod iam parla Victoria ex manibus eriperetur ». Eutrope, IV, 27,4 : « Gum iam finem bello positurus esset, successum est ei a G. Mario. • Velléius Pater- culus, II, 11, 2 : « belli paene patrati a Metello ». Plutarque, Marius, 10 : Métellus, « ayant terminé la guerre et n'ayant plus qu'à s'emparer de Jugurtha », s'indigne que Marius vienne lui ravir la couronne. 216 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. désespérée de Jugurtha, combien, au contraire, une alliance avec Uome pourrait lui être avantageuse*. C'était là une manière de convier le roi à livrer son gendre et allié : quelle revanche pour Métellus, si, au moment où Marins allait débarquer en Afrique, prétendant faire mieux que lui, il avait offert à sa patrie, avec Jugurtha enchaîné, la fin d'une guerre qu'on l'accusait d'avoir prolongée par impéritie et par amour du pouvoir! Mais Bocchus aiïectà de ne pas comprendre. Il répondit que, tout en désirant la paix, il avait pitié de Jugurlha : une entente serait facile si l'on admettait le roi numide au traité qu'on offrait à lui-même. Métellus repoussa cette demande. Cependant il ne rompit pas les négociations. Les hostilités restèrent suspendues^. Quand Marins vint prendre possession de son commandement, Métellus ne voulut pas se rencontrer avec lui; il chargea le légat Rutilius de lui remettre l'armée'. Il avait montré de grands talents militaires. Dans les condi- tions oii il fit cette guerre pénible et ingrate, nul ne l'aurait mieux conduite. Si, en deux ans, il ne parvint pas à la ter- miner, en s'emparant ou en se débarrassant de Jugurtha, Marins, le plus ardent à le lui reprocher, n'y réussit pas davantage dans le même délai : ce fut seulement dans la troi- sième année de son commandement que la trahison le rendit maître du roi et délivra la République du cauchemar numide. « Etant parti pour Rome, Métellus, dit Salluste*, fut, contre son attente, accueilli avec un très grand enthousiasme; l'envie s'étant apaisée, il était également cher à la plèbe et au Sénat. » Ce n'est pourtant pas ainsi que les choses se passèrent. Le Sénat lui alloua sans doute les fonds nécessaires à son triomphe, dès son arrivée en Italie, vers la fin du printemps de 1. Jag., LXXXIII, 1. 2. Ibid., LXXXIII, 2. 3. Ibid., LXXXVI, 5. Plutarque, Marins, 10. 4. Jmj., LXXXVIII, 1. LES CAMPAGNES DE METELLUS. 217 l'année 107. Mais ce décret ne suffisait pas. Les proconsuls ne pouvaient, à leur retour, pénétrer dans la ville sans perdre le haut commandement militaire, Vimperium, qui leur était indis- pensable pour triompher. Il fallait que le peuple votât, sur la proposition des tribuns, une loi spéciale, autorisant le futur triomphateur à conserver Vimperium dans Rome le jour de son triomphe. Or, pour Métellus, cette loi se fit attendre de longs mois, pendant lesquels il dut rester au delà du pomerium, limite officielle de la ville. Un ou plusieurs tribuns opposaient leur veto : on peut supposer qu'ils soutenaient que Métellus n'avait pas droit à l'honneur suprême, puisqu'il n'avait pas ter- miné la guerre et ramené son armée. Nous sommes mal ren- seignés sur cette affaire. Nous savons seulement que, dans une assemblée du peuple, qui se tint nécessairement en dehors du pomerium, Métellus parla au sujet de son triomphe' : son discours demeura classique et des grammairiens en ont cité des passages^. Il avait à répondre au tribun C. Manlius% c'est-à-dire, peut-être, au tribun Manlius Mancinus, qui, quelque temps auparavant, avait fait voter le plébiscite confé- rant à Marins, et, par conséquent, enlevant à Métellus le commandement de la guerre contre Jugurtha*. Entre autres choses, on reprochait au proconsul sa conduite envers des pro- vinciaux^; nous ignorons de quoi il s'agissait. Il repoussa ces attaques d'une manière très hautaine. Au mois de décembre de l'année 107, Manlius etses collègues 1. Aulu-Gelle, XII, 9, 4 : « Quinlus Métellus Numidicus in oratione, quam de triumpho suo dixit. » 2. Aulu-Gelle, /. c, et VII (VI), 11. Priscien, Instit., YIII, 17, édit. Hertz, I, p. 382. 3. Aulu-Gelle, VII, il, 2 : « Verba haec sunt Metelli adversus C. Manlium, tribunum plebis, a quo apud populum in contione laeessilus iactatusque fuerat dictis petulantibus. » Priscien, /. c. : « ... in oratione, qua apud populum C. Manlio, tribuno plebis, respondit. » 4. Mais ce Manlius porte le prénom de Titu^, non de Gaius, dans les manus- crits de Salluste : Jug., LXXIII, 7. 5. Priscien, l. c. 218 ROME KT LES ROIS AFRICAINS. sortirent de charge, et l'entente dut se faire entre leurs succes- seurs pour le vote de la loi. Métellus eut sa journée de gloire, en l'an 106, on ne sait pas à quelle date exacte'. Il triompha « des Numides et du roi Jugurtha ))^; il reçut le surnom de Numidicus^. Mais plus d'un Romain se dit peut-être qu'il manquait un personnage au grand spectacle : le roi marchant devant le char du vainqueur. 1. L'année 647 de Rome (= 648 de l'ère varronienae) est indiquée dans un fragment des Actes triomphaux, où le mois et le jour manquent : C. I. L., I, 2' édit., p. 49; E. Pais, Fasti Iriumphales, p. 212. 2. Actes triomphaux, L c. : « [de Numideis et] rege lugurlha » (la restitution est certaine). Scholia Bobiensia à Gicéron, Pro Archia, 6 (p. 161, édit. Hildebrandt): « de Jugurtha triumphavit ». Velléius Paterculus, II, il, 2. De viris ilLustr., 62. Eutrope, lY, 27, 6. Salluste n'a pas jugé nécessaire de mentionner e.xpressément ce triomphe. .3. Actes triomphaux, l. c. Gicéron, Brûlas, 35, 135; Ad Altic, I, 16, 4. Tife-Live, Epit. l. LXIX. Velléius Paterculus, /. c, et II, 15, 3-4. De viris illustr., L c. Etc. CHAPITRE IV LES CAMPAGNES DE lYlARIUS ET LA FIN DE LA GUERRE Au cours de l'année 109, Marins s'était mis hors de pair. Partout, dans les marches et les expéditions en pa3-s ennemi, à la bataille du Muthul, à l'assaut de Zama, il avait été pour Métellus le plus utile des auxiliaires, plutôt même un associé qu'un second. Fort ambitieux, il désirait ardemment le consulat, dont sa naissance médiocre paraissait l'écarter'; déjà cinq années s'étaient presque écoulées depuis qu'il avait exercé la préture-, intervalle qui eût été long pour un Métellus. Il pensa à une candidature dès la iin de la campagne, quand l'armée romaine fut revenue prendre ses quartiers d'hiver dans la province d'Afrique \ Comme il était superstitieux, un heureux présage semble avoir beaucoup encouragé ses espé- rances : un jour qu'étant à Utique. il otTrait un sacrifice, un haruspice, après avoir inspecté la victime, lui annonça les plus hautes destinées \ 1. Salluste, Jug., LXIII, 2 et 6-7. 2. Cicérou (De offic. III, 20, 79) : • C. Marius cum a spe coasulatus longe abesset et iam septiraum annuin post praeturam iaceret, neque petiturus umquam consulaturn videretur ... - Marius avait été prêteur en 114 et il devint consul en 107 : six années s'écoulèrent donc entre ses deux magistratures. 3. Coof. Jug., LXIV. o. 4. Ibid., LXIII, 1, et LXIV. I. Après avoir indiqué (LXIL 10) que Métellus fut 220 ROME ET LES IIOIS AFRICAINS. Il ne pouvait plus être candidat pour l'année 108, les élections ayant lieu en automne'. Mais il voulut se donner le temps d'assurer son succès pour l'année 107 et, dès l'hiver, il demanda au général un congé, afin de retourner à Rome-. Bien qu'il appréciât comme il convenait les mérites de son lieutenant, Métellus, entiché de sa noblesse, jugea la requête déplacée : sur un ton amical, il conseilla à Marins de ne pas s'exposer à un échec, facile à prévoir. Ne pouvant le convaincre, il lui promit de consentir à son vœu lorsque le service le permettrait ^ Comme, dans la suite. Marins réitérait ses instances, il lui aurait répondu qu'il serait temps pour lui de briguer le consulat quand son propre fils s'y présenterait. Or ce fils de Métellus, alors à l'armée, avait environ vingt ans : il devait attendre encore vingt-trois ans l'âge légal de la magistrature suprême*. Mari us fut profondément blessé de la morgue et de l'injustice de son chef, mais il ne renonça pas à son dessein. Pour se concilier les soldats, il relâche, dit-on, la discipline dans le camp d'hiver où il commande". Devant les chevaliers et autres gens d'affaires, nombreux à Utique, qui ont intérêt au rétablissement de la paix, il se fait fort de s'emparer de Jugurtha en peu de jours, si on lui confie roulement la moitié des troupes; les choses traînent, assur'^-t-il, parce que le général veut jouir plus longtemps de son commandement ^ Il met aussi de son côté le frère de Jugurtha, Gauda, qui, s'étant déclaré pour les Romains, est à l'armée \ Micipsa l'ayant prorogé [en janvier 108], Salluste raconte le sacrifice d'Ulique, en débutant par les mots « per idem tempus ». Plutarque {Marias, 8) place ce sacrifice plus tard, lorsque Marius passa par Utique pour aller à Rome briguer le consulat [dans l'automne de 108]. — I*line l'Ancien, XI, 189 : « Defuit et C. Mario (iecur), cura immolaret Uticae. » 1. F. supra, p. 166, n. 2. 2. Jag.. LXIV, 1. 3. Ibid., LXIV, 2-3. 4. Ibid., LXIV, 4. Voir aussi Plutarque, .Uart'us, 8; Dion Cassius, fr. 87, 3. 5. Jug., LXIV, 5. 6. Ibid., LXIV, 5-6. Velléius Paterculus, II, 11, 2. 7. Jug., LXV, 1. LES CAMPAGNES UE MARIL'S. 221 institué son héritier en seconde ligne ', (iauda a droit au trône de Numidie, dont Jugurtha doit être écarté ; il se considère déjà presque comme un souverain; débile de corps et d'esprit, il n'en est pas moins très orgueilleux. Or il a été offensé par Métellus. Il avait demandé à siéger auprès du consul dans les circonstances solennelles et à disposer d'un escadron de cavaliers romains, qui lui aurait servi de garde et d'escorte. Mais Métellus lui avait refusé le siège, parce que cet honneur n'était accordé qu'aux rois reconnus officiellement par le peuple romain ; la garde, parce qu'il eût été humiliant pour des Romains de former la suite d'un Numide-. Selon Dion Cassius^ il avait même refusé à Gauda de placer sous ses ordres les indigènes qui avaient déserté l'armée de Jugurtha. Marins flatte ce prince au cerveau peu solide : si lui-même, remplaçant Métellus, est chargé de la direction de la guerre, Jugurtha sera vite pris ou tué, et Gauda recevra aussitôt le royaume de ses pères '*. Ces intrigues et évidemment aussi le mécontentement que causait, à l'armée comme à Utique, la durée des hostilités, avaient leur répercussion à Rome : Gauda, les chevaliers, les négociants, les soldats écrivaient à leurs amis pour se plaindre de la manière dont Métellus menait la guerre, pour demander que Marius devînt consul et fût chargé du commandement en Afrique '. Il n'est guère douteux que Métellus n'ait eu vent de ces menées : elles ne pouvaient que l'irriter contre son légat. Et l'acharnement avec lequel Marius aurait exigé la condamnation de Turpilius après l'affaire de Vaga^ les aurait tout à fait brouillés, si l'on en croit Plutarque '. En tout cas, il n'y avait 1. V. supra, p. 141. 2. Jug.. LXV, 2. 3. Fr. 87,4. 4. Jug., LXV. 3. D. Ibid., LXV, 4-5. Plutarque, Marius, 7. 6. V. supra, p. 205. 7. Marius, 8. GsELL. — Afrique du Nord. VII. 15 222 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. plus entre eux ni amitié, ni confiance. Cependant, malgré les instances nouvelles de Marias ', iMétellus le retint encore pendant plusieurs mois : il ne voulait sans doute pas renvoyer à Rome un homme dont il prévoyait les attaques et craignait le succès. Salluste^ anticipe quand il mentionne le départ de Marius et son élection au consulat avant de raconter les événements mili- taires de Tannée 108. En fait, ce départ précéda de fort peu les élections, qui, conformément à l'usage, durent être faites en automne. Quelles tâches le proconsul assigna-t-il à Marius au cours de sa seconde campagne? Nous l'ignorons. On peut supposer qu'il le tint dans une demi-disgrâce, évitant de lui donner des occasions d'accroître sa renommée. Il ne semble pas qu'il l'ait emmené dans l'expédition de Thala^ Marius restait naturellement en relations avec ses amis de Rome, et il put connaître la date des élections avant qu'elle ne fût annoncée officiellement (dix-sept jours au minimum avant les comices *). Il obtint enfin l'autorisation de partir^ douze jours avant ces élections. Il se trouvait alors en pleine Numidie, car, malgré sa hâte extrême, il lui fallut deux jours et une nmV pour atteindre Utique, où il s'embarqua. Quatre jours après, il était en Italie". 1. Jug., LXXni, 2. 2. Jug., LXXIII, 2 et 6-7. 3. Ua passage de Salluste (LXXXIX, 6) paraît bien indiquer que la gloire de cette expédition appartenait tout entière à Métellus. 4. Il fallait que sa candidature fût posée à celte date, mais Marius avait pu en charger un mandataire. 5. Ciceron (De offic, III, 20, 79) dit que Marius se rendit à Rome, chargé d'une mission par Métellus. C'est là certainement une erreur. Il obtint simplement un congé. Velléius Paterculus, II, 11, 2 : « commeatu pelito »; conf. Salluste, Jug., LXIV, 1 : " pptundi gratia missionem rogat »; ibid., LXXIII, 2 : « Marium (Métellus) ... domum dimittit. » G. Ce qui peut représenter un parcours de 2.50 à 300 kilomètres; Marius était capable de ce raid. Pour un raid dans lequel Hanuibal aurait fait environ 200 kilomètres en 13 ou 14 heures, voir t. II, p. 278, n. 2 (conf. t. III, p. 264). Trajet de 400 kilomètres parcouru, dit-on, en deux jours par deux cavaliers indi- gènes : Azan, L'Émir Abd el Kader, p. 156. 7. Plutarque, Marius, 8. LES CAMPAGNES DE MAHIUS. 223 Conduit par un tribun à une assemblée du peuple, il critiqua violemment iMétellus et promit, s'il recevait le commandement, de prendre Jugurtha mort ou vif. Les lettres venues d'Afrique, l'agitation entretenue par des tribuns ennemis de la noblesse avaient préparé sa victoire-. On vota pour lui avec un véri- table enthousiasme \ Mais, avant les comices, le Sénat avait, selon la loi, désigné les deux provinces qui seraient attribuées aux futurs consuls, et la Numidie n'en était pas : elle devait rester à Métellus, qui, au début de l'année suivante, bénéficierait d'une nouvelle proro- gation. C'est ce que Marins et ses partisans ne pouvaient admettre : dans les conditions où elle avait été faite, son élec- tion au consulat impliquait son envoi à la tête de l'armée de Numidie, Un tribun, Manlius Mancinus *, demanda au peuple de désigner celui qui, conformément à sa volonté, ferait la guerre à Jugurtha; la plupart des suffrages se portèrent sur Marins ^ Il semble bien qu'aux termes du plébiscite, il ait été chargé, non pas seulement, comme ses prédécesseurs, de la province de Numidie^ pour la durée de son consulat, mais de la guerre contre Jugurtha', sans limitation de temps, par conséquent jusqu'à l'achèvement de cette guerre : on ne voit pas qu'il ait eu besoin d'une prorogation en 106, au terme de son consulat, ni l'année suivante. Le plébiscite proposé par le tribun Manlius ne fut pas voté 1. Platarque, l. c. Cicéron, De offic, l. c. Pour les attaques contre Métellus, voir aussi Dion Cassius, fr. Sl,^; De viris illastr., 67. 2. Jug., LXXIII, 3-5. 3. Ibid., LXXIII, 6-7. Plutarque, Marius, 9. 4. On a vu (p. 217, n. 4) que les manuscrits de Salluste lui donnent le prénom de Titus. 5. Jug., LXXIII, 7. 6. Ibid., LXXXIV, 1 : « postquam ei provinciam Xumidiam populus iussit »; LXXXII, 2 : (Métellus) « cerlior fit provinciam Nuraidiam Mario datam ». 7. On lit dans un éloge officiel de Marius (G. /. L., I, 2" édit., p. 195, n" XVIII) : « Extra sortem bellum cum lugurta rege Numidiae gessil. . Mêmes termes dans Salluste, Jug., LXXIII, 7 : « populus ... cum lugurtha bellum gerere ... .Marium iussit »; LXXXV, 10 (prétendu discours de Marius) : . bellum me gerere cum lugurtha iussistis ». 224 ROME ET LES IlOlS AFRICAINS. aussitôt après l'élection ' et ne pouvait l'être, eu égard aux délais exigés pour la présentation ^ Nous ignorons si d'autres raisons le retardèrent, si le vote eut lieu avant ou après le l^"" janvier 107, jour de l'entrée en charge de Marins ^ Si ce fut après, on peut supposer qu'au début de l'année, le Sénat prorogea Métellus : décret que le plébiscite aurait, en fait, annulé \ Que ce décret ait été rendu ou non, Marins savait bien que la plupart des sénateurs lui étaient hostiles. Devenu l'homme, sinon le chef du parti démocratique, il ne ménageait pas les nobles, fier d'opposer ses mœurs simples et rudes, ses travaux et ses services, son expérience militaire, à leur vie de paresse et de débauche, à leur incapacité et à leur orgueil ^ Mais il agissait plus encore qu'il ne parlait. Il s'occupait avec ardeur de préparer la guerre qu'il allait conduire. Il récla- mait un supplément d'hommes pour les légions, demandait des troupes aux Italiens, aux rois et aux peuples alliés, recrutait parmi les Latins d'excellents soldats, dont la plupart avaient déjà été ses compagnons d'armes; il décidait des vétérans à se 1. Métellus apprit successivement que Marius était élu consul, puis qu'il était chargé du commandement en Numidie : Jiig., LXXXII, 2. 2. Au moins dix-sept jours. 3. Maniius Mancinus était soit un des tribuns qui furent en charge du 10 décembre 109 au 9 décembre 108, soit un des tribuns de l'exercice suivant. Dans le premier cas. il eût fallu qu'entre les élections consulaires et sa sortie de charge, un intervalle suffisant se fût écoulé pour qu'il pût présenter sa loi. Dans le second cas, peut-être devons-nous, malgré le prénom Titus qu'on lui attribue, l'identifier avec un tribun G. Maniius, qui, en 107, s'opposa au triomphe de Métellus (y. supra, p. 217). Entré en charge le 10 décembre 108, il eût pu difficilement présenter et l'aire voter la loi avant la fin de l'année. 4. Après la mention du vote du peuple sur la proposition du tribun Maniius Mancinus, se trouve dans Salluste (LXXIII, 7) une phrase malheureusement mutilée : « Sed paulo ... decreverat; ea res frustra fuit. » Le sujet de decreveral était certainement senatus. On rétablit d'ordinaire ainsi cette phrase : « Sed paulo [ante senatus Metello Numidiam] decreverat. » Mais peut-être s'agit-il du décret relatif aux provinces qui seraient attribuées aux futurs consuls : ce décret devint pour moitié caduc, puisque l'un des consuls, Marius, ne prit pas posses- sion de l'une des deux provinces désignées (l'une de ces provinces était la Gaule, où se rendit le consul L. Cassius Longinus; la seconde était probablement l'Italie). 5. Jug., LXXXIV, 1. Plutarque, Marius, 9. Voir le long discours que Salluste attribue à Marius, parlant dans une assemblée du peuple : Jug., LXXXV. LES CAMPAGNES DE MAHIL'S. 225 rengager pour le suivre '. Le Sénat, malgré son aversion pour le consul, n'osait rien lui refuser. Il lui accorda même avec plaisir le supplément de légionnaires, dans la pensée que l'obligation de servir refroidirait les sympathies du peuple à l'égard de Marins. Mais ce calcul se trouva faux, tant étaient grands l'enthousiasme de la foule, l'espoir d'une prompte victoire^ le désir de prendre part au butina Marius renonça, du reste, pour les levées de légionnaires, au recrutement forcé ^ et à la règle qui, sauf en cas de danger extrême, écartait de l'armée les citoyens ne possédant rien, ou presque rien. Il n'enrôla que des volontaires, acceptés sans aucune condition de cens*. Naturellement, ce furent surtout des gens qui, pauvres ou misérables à Rome, escomptaient les profits qu'ils tireraient du service militaire. « Les uns, dit Salluste^, attribuèrent la décision de Marius à l'insuffisance du 1. Jug., LXXXIV, 2. 2. Ibid., LXXXIV, 3-4. 3. Qui, en principe, ne fut pas aboli. 4. Jug., LXXXVL 2 : « Ipse interea milites scribere, non more maiorum neque ex ciassibus, sed uti cuiusque lubido erat, capite censos plerosque. » Aulu-Gelle, XVL 10, 14 : « Capile censos ... primus C. Marius, ut quidam ferunt, bello Cim- brico, ... vel potius, ut Sallustius ait, bello lugurthino milites scripsisse traditur. » Florus, l, 36, 13 : « Marius auctis admodum copiis, cum pro obscuritate generis sui capite censos sacramento adegisset ... » Valère-Maxime, H, 3, \ : (auparavant, les capite censi, dont la trop grande pauvreté était suspecte, n'étaient pas enrôlés) « sed banc diutina usurpatione forraatam consuetudinem C. Marius capite censum legendo militem abrupit. » Voir aussi Plutarque, Marius, 9. — Donc, d'après Salluste (et je ne vois pas de raisons suffisantes pour l'accuser d'erreur), le recrutement se faisait auparavant en prenant pour base le système de classes entre lesquelles les citoyens étaient répartis selon leur fortune; Les capite censi (« ne comptant que pour leur tète •) étaient en principe les citoyens qui, trop pauvres pour être compris dans les cinq classes de la constitution servienne, en formaient une sixième et dernière. Au second siècle avant notre ère, ceux d'entre eux qui possédaient au moins 4 000 as pouvaient être recrutés pour le service légionnaire; les autres, sauf en cas d'extrême nécessité, ne servaient que dans la flotte (Polybe, YL 19, 2-3). Aulu-Gelle (XVI, 10, 10-11) indique deux catégories de gens qui n'étaient enrôlés qu'exceptionnellement : ceux qui n'avaient pas plus de 1 500 as et ceux qui n'en avaient pas plus de 375. Il réserve à cette dernière catégorie le terme capile censi, qui avait d'abord un sens plus large. C'est de ces capite censi à fortune maxima de 375 as qu'il est question dans le même auteur (XVI, 10, 14), et sans doute aussi dans les autres, à propos des enrôlements de Marius. 5. Jug., LXXXVI, 3. •226 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. nombre des citoyens de bonne condition; d'autres, à un calcul d'ambition de la part du consul, qui devait sa renommée et son élévation à cette espèce d'hommes et savait que quiconque aspire au pouvoir trouve ses meilleurs partisans parmi les plus pauvres : ceux-ci, n'ayant rien à perdre, n'ont rien à ménager et regardent comme honnête tout ce qui leur rapporte. » Il était peut-être inexact de dire que Marins n'aurait pas pu réunir le nombre de légionnaires dont il avait besoin, — 20 000, approximativement, — en ayant recours au système de recrutement usité jusqu'alors. Mais il était très vrai que les citoyens riches et aisés ne se souciaient pas de quitter leur foyer pour aller combattre au loin, et qu'ils avaient grand désir de retourner chez eux le plus promptement possible : ce n'étaient pas là des dispositions d'esprit qui pussent faire d'eux de bons soldats. Marins n'avait point tort de leur préférer des gens qui se trouveraient bien à l'armée et qu'il tiendrait sous sa main. Eut-il dès cette époque la pensée de se créer une sorte de clientèle guerrière, qui l'aiderait à réaliser les plus hautes ambitions politiques? Ce n'est pas inadmissible, mais ce nest nullement certain : des raisons d'ordre militaire pouvaient suffire à expliquer sa conduite. Quoi qu'il en soit, ce nouveau mode de recrutement devait avoir pour l'Etat romain des consé- quences très importantes, sur lesquelles on a souvent insisté : constitution d'armées de métier', ayant l'expérience et le goût de la guerre, qui rendirent possibles de vastes conquêtes, en Orient comme en Occident; séparation de la vie civile et de la vie militaire; appui donné par les soldats, sans aucun scrupule de légalité, à des chefs ambitieux, auxquels ils étaient person- nellement attachés et dont ils attendaient de larges récompenses. Marins ne fut pas embarrassé pour trouver des volontaires*; i. Auparavant, il y avait dans les légions de vieux soldais, restés au service ou rengagés, mais ils ne formaient sans doute qu'une faible minorité. 2. Il n'eut certainement pas besoin d'accueillir des esclaves, comme le prétend Plutarque, Marius, 9. LES CAMPAGNES DE MARIUS. 227 il recruta même plus d'hommes que le décret du Sénat ne lui en accordait ^ Il s'était fait précéder en Afrique par un de ses légats, A. Manlius^ qui avait transporté des vivres, de l'argent pour la solde, des armes et d'autres choses nécessaires à la guerre ^ Quand il eut terminé ses levées et ses préparatifs, — qui durent exiger plusieurs mois, — il partit lui-même avec ses nouvelles troupes et, après une heureuse traversée, débarqua à Utique\ Nous avons dit • que le légat Hutilius lui fit remise de l'ancienne armée, probablement dans la région de Cirta. Ce fut sans doute vers la fin du printemps. Marius devait rester environ deux ans et demi en Numidie ^ Les forces dont il disposait étaient certainement très impor- tantes, mais il est impossible d'indiquer un chiffre, même approximatif. On nous dit que Marins accrut l'effectif de la légion, qu'il le porta à 0 200 hommes ' (auparavant, cet effectif 1. Jag., LXXXYI, 4. 2. Pour son nom, voirJu^., LXXXVI. 1: C, 2; Cil, 3; Appien, A'umid., p 163, coll. Didot. Dans Pline l'Ancien (XXXIII, 21), citant Feaestella, il est appelé Manilius. On ne connaît pas d'autres légats de Marius. 3. Jug., LXXXVI, 1. 4. Ibid., LXXXVI, 4. 5. P. 216. 6. Il se trouvait encore en Afrique lorsqu'il fut élu consul pour l'année 104, peu de temps après la bataille d'Orange (6 octobre 105) : Sallîiste, Jug., GXIV, 1-3: Plutarque, Marius, 11. On savait alors à Rome que Jugurtha était entre ses mains. Il était de retour en Italie avec son armée le 1" janvier 104 (Jug., CXIV, 3). Après l'expédition de la Mulucha, Salluste nous le montre allant prendre ses quartiers d'hiver (Jag., XGVII, 3; G, l) et recevant à Cirta les premières ouver- tures du roi Bocchus (GlI, 1). Ce ne fut certainement pas dans l'automne de l'année 105, car il est impossible de faire tenir dans le début de cet automne les très longues négociations qui aboutirent à la livraison de Jugurtha par Bocchus. L'expédition de la Mulucha se place donc en 106. Auparavant, eut lieu la prise de Capsa, à la fin d'un été (XG, 1), par conséquent dans une autre année que cette expédition lointaine, qui dura nécessairement plusieurs mois. On peut admettre que Marius s'empara de Capsa vers le mois de septembre ou le mois d'octobre de l'année 107. Depuis sa venue, il avait, dans l'été de 107, fait une campagne au cours dé laquelle il avait vaincu Jugurtha prés de Cirta. Pour la chronologie des campagnes de Marius, conf. H. V. Ganter, Classical Journal, VI, 1910-1911. p. 294-5. 7. Festus (p. 453, édit. Lindsay) : « Sex milium et ducentorum hominum legionem primus Gains Marius conscripsit. • 228 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. était de 4 200 fantassins en temps ordinaire*). Nous ne savons pas quand il prit cette mesure : peut-être lors de la guerre de Jugurtha, dans son premier consulat, — les soldats ne lui manquaient pas alors pour élargir les cadres — ; peut-être seulement plus tard. Il n'y a pas lieu de faire remonter à l'époque où Marins commanda en Numidie des réformes profondes dans l'organi- sation de la légion, qu'on lui a attribuées avec une grande vraisemblance, mais qui datent probablement de la guerre contre les Teutons et les Cimbres : suppression des troupes légères, appelées vélites; uniformité d'armement pour tous les légionnaires^; abandon de l'ordre de bataille sur trois lignes % formées des hastati^ des principes et des triarii; substitution, comme unité tactique, de la cohorte de 600 hommes au mani- pule de 120 ou de 60 hommes (ce qui donna aux troupes plus de cohésion, de solidité pour la résistance, de force massive pour l'attaque). Lors de la guerre de Jugurtha, des vélites sont mentionnés dans l'armée de Marins \ comme dans celle de Métellus^ De même, la formation de combat en manipules*. Il se peut, cependant, que, dès cette époque, la cohorte, groupe de trois manipules ', ait été parfois constituée en une unité tactique, à la place du manipule; mais cette formation excep- 1. Parfois davantage (3 000 et même plus), quand les nécessités l'exigeaient. Voir Marquardt, Rom. Staatsverwaltung, 2^ édit., II, p. 334. 2. Marius, qui modifia le piium au temps de la guerre contre les Cimbres (Plutarque, Marius, 25), put alors en généraliser l'emploi dans la légion; voir cependant les réserves faites à cet égard par M. Gouissin, Les armes romaines, p. 278-9. 3. Ordre adopté encore par Métellus à la bataille du MuthuI : i'. supra, p. 187. 4. Jug., CV, 2 : « velitaribus armis », ce qui suppose la présence de vélites dans l'armée. 5. Ibid., XLVI, 7. 6. Dans l'armée de Métellus, à la bataille du MuthuI : i6id., XLIX, 6. Dans celle de Marius : ibid., G, 2 (ordre de marche qui' peut se transformer aussitôt en ordre de combat). 7. Ce groupement de trois manipules, constituant ensemble une cohorte, était usité dès une époque antérieure, en dehors de la formation de combat : Marquardt, l. c, II, p. 433-6. LES CAMPAGNES DE MARIUS. 229 tionnelle ' n'aurait pas été inventée par Marius, puisque Salluste la mentionne à propos de la bataille du i\[uthul, livrée par Métellus -, et que certains indices permettent même de remonter plus haut^ C'est bien Marins qui donna une aigle à chaque légion, mais seulement en 104, quand il commandait en Gaule *. En somme, il ne paraît pas qu'en Numidie, il ait adopté des méthodes de guerre différentes de celles qu'il y avait appliquées auparavant sous ce Métellus, pour lequel il se montrait si sévère. On peut, si Ton veut, — ce n'est qu'une hypothèse, — croire qu'il imagina alors un moyen de faciliter aux soldats le port des vivres et autres objets qu'ils devaient prendre avec eux : le tout, empaqueté, était attaché au sommet d'une sorte de fourche, que l'on appuyait sur une épaule '. Les hommes ainsi chargés furent appelés plaisamment les mulets de Marins ^ Ce souci d'alléger le poids des bagages eût été, mieux encore qu'ailleurs, justifié en Afrique, où la chaleur rendait la marche pénible et où, pourtant, les conditions de la guerre exigeaient la rapidité de l'allure et l'aisance dans les mouvements. II A la nouvelle de l'arrivée de Marins, les rois de Maurétanie et de Numidie s'étaient retirés, chacun de son côté, dans des 1. Du moins pour la légion, car il semble bien que, chez les alliés, les cohortes aient toujours été, non seulement des corps de troupes, mais aussi des forma- tions de combat. 2. Jug., LI, 3 : (Métellus) « cohortes legionarias qualtuor advorsum pedites hoslium conlocat. • Gonf. supra, p. 188. Dans l'armée de Marius, des cohortes légionnaires sont mentionnées à propos de la garde du camp : Jug., G, 4. 3. Voir Schulten, Numantia, III, p. 135. 4. Pline l'Ancien, X, 16. Gonf. Jullian, Hist. de la Gaule, III, p. 74, n. 6. 5. Pseudo-Fronlin, Strat., IV, 1, 7. Festus, s. v. Aerumnulas et Muli Mariant (p. 22 et 134, édit. Lindsay). 6. Evidemment parce que les mulets étaient des animaux porteurs de bagages. Plutarque {Marius, 13) donne une autre explication. 230 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. régions d'accès difficile. Jugurtha estimait qu'il n'était pas opportun de livrer bataille : il préférait attendre que les Romains, prenant confiance, se fussent dispersés; il tomberait alors sur eux par des coups de surprise*. Après avoir complété les légions et les cohortes auxiliaires, le consul se mit en campagne. Nous devons nous contenter ici des indications rapides et vagues de Salluste : « .AJarius, dit-iP, se, dirige vers une région fertile; les soldats y font un riche butin, qu'il leur abandonne entièrement. Puis il attaque des villes et des bourgs, situés dans des positions peu fortes et mal défendus ; il livre çà et là de nombreux combats, d'ailleurs sans importance. » 11 faisait ainsi l'éducation de ses conscrits, qui, en peu de temps, valurent leurs aînés ^ Sachant bien ce qu'il devait craindre de Jugurtha et de Bocchus, il les surveillait de très près; de son côté, il ne négligeait aucune précaution. Certaines de ses troupes pou- vaient être, au besoin, aussi mobiles que les ennemis. Des Gétules, recrutés par le roi numide, et Jugurtha lui-même faisaient des razzias dans des pays soumis aux Romains : plus d'une fois, ils furent attaqués à leur retour et durent s'enfuir en abandonnant leur butin". Marins vainquit même Jugurtha dans un engagement plus sérieux, non loindeCirta\ Quant à Bocchus, il restait dans l'inaction, et il est probable qu'il regagna bientôt ses Etats. Il avait envoyé au consul de nom- breux messages, l'assurant qu'il voulait l'amitié du peuple romain et qu'on n'avait rien à redouter de lui. Son esprit indécis penchait-il vers la paix? Ou était-ce une feinte, pour endormir la vigilance de Marins? Salluste déclare ne pas le savoir ^ 1. Jug., LXXXVII,4. 2. y6td., LXXXVII, 1. 3. Ibid., LXX.XVII, 2-3. 4. Ibid., LXXXVIil, 2-3. 5. Ibid., LXXXVIil, 3 : (Marius) « regein liaud procul ab oppido Cirta armis exuerat. • 6. Ibid., LXXXVIil, 5. LES CAMPAGNES DE MARIUS. 231 Cependant le temps s'écoulait et Marins n'avait remporté que des succès secondaires, répondant mal aux espérances que sa renommée et ses promesses avaient éveillées à Rome. Comme naguère Métellus, il voulut hâter le dénouement en s'attaquant à des villes de quelque importance : Jugurtha, s'il les laissait tomber, s'affaiblirait beaucoup en perdant ses meilleurs points d'appui; dans le cas contraire, il devrait accepter la bataille. Le consul put se rendre maître d'un certain nombre de villes et bourgs fortifiés, soit en employant la violence, soit par des menaces ou des promesses. Mais Jugurtha ne parut pas pour les défendre'. On apprit même qu'il était loin et occupé à d'autres affaires'-. Marins se décida alors à marcher sur Capsa. C'est la seule opération militaire de l'année 107 à laquelle Salluste accorde un récit détaillée Nous avons dit* pour quelles raisons Capsa, aujourd'hui Gafsa, dans le Sud de la Tunisie, était devenue une grande cité. Dans une contrée sèche, inculte et presque déserte, c'était un nœud de routes naturelles; l'abondance des eaux de source avait permis le groupement d'une population nombreuse et la création d'une oasis. La ville était défendue, non seulement par les vastes solitudes qui l'entouraient, mais aussi par de bons remparts; les habitants se montraient fort attachés à Jugurtha, qui les avait exemptés d'impôts ^ L'entreprise que tentait Marins paraissait ardue. La saison n'était guère favorable : l'été tirait sur sa fîn^ Dans les cam- pagnes de Numidie, les Romains ne pouvaient plus trouver du blé à réquisitionner, car, sur l'ordre de Jugurtha, les agricul- i. Jug., LXXXVIII, 4; LXXXIX, 1-2. 2. Ibid., LXXXIX, 2 : « Ubi illum procul abesse et aliis negotiis intentum accepit (Marius) ... » Salluste ne donne aucune précision à ce sujet. 3. Jug., LXXXIX-XCI. Brèves mentions dans Florus, 1,36, 14 (d'après Salluste) et dans Paul Orose, V, 15, 8. 4. T. V, p. 278-9. 5. Ibid., LXXXIX, 4-5. Pour les trésors royaux qui auraient été conservés à Capsa, voir t. V, p. 156. 6. Jug., XG, 1 : « Aestatis extremum erat. » 232 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. teurs avaient transporté dans des lieux fortifiés tout le produit de la récolte'; les ressources en eau étaient plus maigres qu'à toute autre époque de l'année. Marins comprenait pourtant qu'il ne devait pas clore cette campagne sans un exploit qui frappât les imaginations. Il y allait de son prestige auprès de l'armée, des Africains et du peuple romain. En s'emparant de cette lointaine Capsa, que sa position semblait rendre imprenable et même inaccessible, de cette cité fameuse qu'Hercule passait pour avoir fondée-, il ferait oublier la gloire de Métellus, conquérant de Thala : la situation des deux villes était, dit Salluste, la même\ Il mon- trerait aux Gétules, chez lesquels Jugurtha recrutait désormais les meilleurs de ses soldats, qu'il ne craignait pas de s'engager dans leurs steppes désolées, pour atteindre et détruire un de leurs grands marchés. Notre auteur n'indique pas d'où partit Marins. Mais on peut admettre, d'après le récit de la marche du consul, qu'il se trouvait à environ 250 kilomètres de Capsa*. Pour présenter une hypothèse, supposons qu'il était alors entre Cirta et Sicca, vers Madaure. Il ordonna à son lieutenant, A. Manlius, de se rendre, avec des cohortes armées à la légère, à la ville de Laris % où il avait un dépôt d'argent et de vivres, et il annonça qu'il le rejoindrait dans peu de jours, après une tournée de pillage. Cette ville est sans doute celle que des documents postérieurs appellent Lares^ ou Laribus, et dont les ruines (Henchir Lorbeus) sont à 18 kilomètres au Sud-Est de Sicca (le Kef)". Marins donnait ainsi le change sur ses véritables 1. Jug., XC, 1. Sur ce passage, conf. t. V, p. 144, 198. 2. T.V, p. 278, n. 10. 3. Jug., LXXXIX, 6. 4. En comptant environ 150 kilomèlres jusqu'au fleuve, où il arriva le sixième jour. Il était alors accompagné de troupeaux et d'un convoi de bagages, et il dut faire tout au plus trente kilomètres par jour. Pour la marche rapide à partir du fleuve, on peut compter une centaine de kilomètres : v. infra. 5. Jug., XC, 2 : « ad oppidum Laris • {= Lares, accusatif pluriel). 6. Voir C. /. L., VIII, p. 209; Allas archéol. de la Tunisie, f» Ksour, n" 70. LES CAMPAGNES DE MARIUS. 233 desseins, qu'il ne révéla à personne. Il désirait peut-être faire croire que, la campagne étant terminée, il allait se rapprocher de la province romaine, par conséquent se diriger, à la suite de Manlius, de l'Ouest vers l'Est. Mais c'est une autre direction qu'il prit, probablement celle du Sud-Est. Il avait réuni les approvisionnements que permettaient les circonstances et ramassé surtout beaucoup de bétail, dont il avait confié la garde aux cavaliers auxiliaires ^ Ses préparatifs faits, il partit et, le sixième jour^, c'est-à-dire après une marche d'environ 150 kilomètres^, il atteignit le fleuve Tanaïs\ Ce fleuve qui, en fin d'été, put fournir de l'eau à plusieurs milliers d'hommes, n'est pas mentionné ailleurs. Il devait être à une centaine de kilomètres de Capsa, car les troupes romaines, partant du Tanaïs et s'avançant rapidement, mirent deux nuits pleines (en fin d'été) et une partie d'une troisième nuit pour arriver dans le voisinage immédiat de la ville. Comme l'a montré ïissot% il s'agit vraisemblablement de l'oued ed Derb % rivière pérenne qui passe à cette distance au Nord de Gafsa '. 1. Jug., XG, 2. 2. Ibid., XGI, 1. 3. F. supra, p. 232, n. 4. 4. Jug., XC, 3 : « Pergit ad flumen Tanain ». Telle est la leçon des meilleurs manuscrits. Dans d'autres, Tanaim, Tanaym. 5. Géogr., I, p. 86. Voir aussi La Blanchère, Nouv. Arch. des missions, VII (1897), p. 27. 6. Qui naît à l'Est de Tébessa et, se dirigeant vers le Sud-Est, porte successi- vement les noms d'oued el Hatab, oued Fouçana, oued ed Derb, de nouveau oued el Hatab, puis, sous le nom d'oued Fekka, tourne vers le Nord-Est. Marins l'aurait atteint dans la région de Kasserine. 7. On pourrait à la rigueur penser à l'oued Safsaf, dont les gorges se trouvent à la distance voulue, au Nord-Ouest de Gafsa. Cette rivière avait dans l'anti- quité plus d'eau que de nos jours : un aqueduc romain le prouve (Gsell, Atlas archéol. de VAlgérie, f* 40, Fériana, n° 154). Je doute cependant qu'à la fin de l'été, elle ait pu satisfaire aux besoins de l'armée romaine. — D'autres ont pensé à l'oued Leben, au Nord-Est de Gafsa (Du Paty de Clam, Rev. de géographie, 1889, II, p. 442; Bodereau, La Capsa ancienne, la Gafsa moderne, p. 180). Mais il faudrait supposer que Marins, quand il décida son expédilion et envoya par feinte Manlius à Laris, se trouvait du côté de la province romaine. Cela n'est pas vraisemblable. 234 HOME ET LES ROIS AFRICAINS. Pendant sa marche vers le fleuve, Marins a distribué chaque jour à ses troupes le bétail nécessaire à leur nourriture et ordonné qu'on fasse avec les peaux des outres, qui serviront à des provisions d'eau'. Auprès du Tanaïs, il établit un camp, couvert par un léger retranchement, et il y laisse ses bagages. Au coucher du soleil, il repart; les hommes et les bêtes de somme ne portent que de l'eau, prise à la rivière-. Après avoir marché toute la nuit, il s'arrête pour la journée. Il fait de même la nuit et le jour suivants ^ La troisième nuit, bien avant l'aurore, il parvient à une hauteur située à deux milles seulement de Capsa*. Là, il cache ses troupes le mieux qu'il peut, et il attend ^ Par une bonne fortune vraiment extraordinaire*, la marche de l'armée romaine (dont le but, à partir du Tanaïs, ne pouvait pas être douteux), puis sa présence tout près des murs restèrent ignorées à Capsa' : il eût suffi d'un cavalier pour donner l'alarme, et Marins risquait gros en courant cette chance, car il n'avait ni les moyens, ni le temps de procéder à un siège en règle ^ Au lever du jour, un grand nombre d'habitants sortent de la 1. Jug., XCI, i. 2. Et naturellement aussi des vivres. 3. La marche de nuit convenait à la saison, encore chaude, et avait plus de chances qu'une marche de jour de passer inaperçue. Les camps de repos, occupés dans la journée, durent être établis dans des lieux qui n'étaient pas visibles de loin. 4. Jag., XCI, 3 : «... pervenit in locum tumulosura, ab Capsa non amplius duum milium intervallo. » 11 s'agit soit du koudiat Assalah, au Nord de Gafsa, soit du djebel Béni Younès (ou djebel Dekrla), au Nord-Ouest delà ville : Tissot, Géogr., II, p. 669 [y lire « nord-ouest », au lieu de « nord-est »]; Winckler, Rev. tunis., XV, 1908, p. 338. Voir Atlas archéol. de la Tunisie, î' Gafsa. 5. Jug., XCI, 2-3. 6. Aussi extraordinaire que celle dont Métellus avait, dit-on, bénéficié lors de son expédition de ï^ala : v. supra, p. 210. 7. Il est évident que Marius avait avec lui des indigènes qui connaissaient bien le pays. Nous devons admettre qu'il évita de suivre une piste fréquentée. D'autre part, aucune source ne se trouvait sur son chemin, puisqu'il fit au fleuve des provisions d'eau. Mais ces deux données me paraissent insuflisantes pour reconstituer son itinéraire. 8. Salluste (XGII, 2) reconnaît la témérité de Marius en cette circonstance. LES CAMPAGNES DE MARIUS. 235 ville, sans aucun soupçon : c'étaient, peut-on croire, des gens qui, comme de coutume, allaient travailler dans les jardins'. Alors le consul ordonne à toute la cavalerie et aux plus agiles des fantassins de courir vers Capsa et d'en occuper les portes; lui-même les suit rapidement, en défendant à ses soldats de perdre du temps à piller. Surpris, épouvantés, voyant qu'une partie des leurs, répandus en dehors des murs, étaient déjà au pouvoir de l'ennemi, les citadins furent contraints de se rendre-. Marins n'avait perdu aucun des siens ^ Il fît brûler la ville ^ et massacrer ceux qui étaient en âge de porter les armes; tout le reste de la population fut vendu, et le butin partagé entre les soldats. C'était, Sallusteen convient', violer les lois de la guerre. Mais les Romains ne pouvaient s'embarrasser d'une ville si éloignée de leurs bases, et il fallait empêcher Jugurtha d'en faire usage. Il fallait surtout agir en sorte que cet heureux coup de main eût un immense retentis- sement et parût presque un coup de foudre dévastateur, lancé par une puissance surhumaine. A cet égard, Marius semble avoir obtenu les résultats qu'il souhaitait " : la terreur répan- due à travers la Numidie.,', la confiance et l'affection de ses soldats, un surcroît de popularité à Rome. III Entre l'expédition de Capsa et celle de la Mulucha, dont nous allons parler, Salluste omet de dire qu'un hiver s'écoula. On ne sait dans quelle région Marius établit ses troupes 1. Conf. t. V, p. 204, n. 5. 2. Jug., XCl, 4-3. 3. Ibid., XCII, 1. 4. Mentioa de la destruction de Capsa dansStrabon, XVII, 3, 12. 5. Jug., XCI, 6-7. 6. Ibid., XCII, 1-2. 7. Selon Tissot (Géogr., II, p. 670), un vague souvenir de Marius se serait con- servé à Gafsa jusqu'à nos jours. 236 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. pendant les mois où il ne fit pas campagne. Il est vraisemblable qu'il suspendit les opérations peu de temps après la prise de Capsa, à l'entrée de la mauvaise saison, et qu'il ne les reprit qu'au printemps : non plus comme consul, mais comme proconsul, puisqu'il sortit de charge à la fin de l'année 107. Quelques phrases vagues du Dellum lurpxrthinum peuvent se rapporter à l'une et à l'autre de ces deux périodes, séparées par plusieurs mois d'hivernage : « Encouragé par l'heureux succès de son expédition, le consul ' se dirige vers d'autres villes; il en prend quelques-unes, que les Numides défendent; il en brûle d'autres, plus nombreuses, que le sort de Capsa a fait déserter. Partout, ce n'est que deuil et carnage. Il se rend ainsi maître de beaucoup de places, le plus souvent sans perdre de soldats'-. » Puis Salluste nous montre Marins mar- chant à la conquête d'une forteresse voisine de la Mulucha, affaire qu'il expose en détail. La Mulucha, aujourd'hui la Moulouia, au Nord-Est du Maroc % est très éloignée des lieux où les Romains avaient combattu et hiverné jusqu'alors. Si l'on suppose que Marins prit en 107-106 ses quartiers d'hiver dans la région de Cirta, — comme Métellus l'avait fait en 108-107, — il aurait eu 800 kilomètres à parcourir pour atteindre ce fleuve. Il est à croire que ce ne fut pas seulement une longue promenade militaire : traversant des pays qu'il n'avait pas encore soumis, il eut sans doute des résistances à vaincre; il dut sans doute aussi s'arrêter plus d'une fois pour se constituer des points d'appui, des centres de ravitaillement, des postes maintenant ses commu- 1. On a vu (p. 173, n. 3) que Salluste se sert du terme consul même pour désigner un proconsul. 2.Jug., XCII, 3-4. 3. Voir t. V, p. 91-93. Il n'y a aucun compte à tenir des hypothèses qui identi- fient la Mulucha de Salluste, soit avec l'oued Mellègue (le Muthul du même auteur : v. supra, p. 190), soit avec l'oued Sahel, ou Soummame, qui se jette dans la Méditerranée près de Bougie : Rinn, Rev. afric, XXIX, 1883, p. 187 et suiv.; de Vaquières, Bull, de l'Acad. d'Hippone, XXI II, 1889, p. 120; Mercier, Bull, archéol. du Comité, 1886, p. 475-6. LES CAMPAGNES DE MARIUS. 237 nications avec la Numidie orientale et la province. Après la prise du château de la Mulucha, il ne paraît pas être revenu aussitôt vers la région de Girta, où il avait l'intention d'hiverner. Un certain temps dut, en effet, s'écouler entre le siège du château, pendant lequel Sylla arriva à l'armée, encore novice dans les choses de la guerre', et une bataille livrée à quelques journées à l'Ouest de Girta, bataille où le même Sylla exerçait un commandement très important : il avait pu, dans l'intervalle, devenir un excellent officiera L'expédition dura donc plusieurs mois; elle remplit la plus grande partie de la campagne de l'année 106, peut-être la campagne tout entière. Selon sa coutume, Salluste n'en raconte qu'un épi- sode, qui prend ainsi un relief exagéré. Quoi qu'en dise notre auteur^, ce ne fut pas seulement le désir de s'emparer des « trésors » de Jugurtha, déposés dans le château fort, qui amena Marius jusqu'à la Mulucha. Après avoir fait éprouver à la Numidie orientale la puissance des armes romaines, il convenait de la montrer à cette Numidie occidentale, qui, pendant plusieurs années, avait constitué tout le royaume de Jugurtha, au temps où celui-ci avait dû partager l'héritage de Micipsa avec Adherbal. Marius voulut sans doute aussi donner une leçon à Bocchus, On a vu* que le roi de xMaurétanie s'était, dès l'année 108, allié à son gendre, sans toutefois se décider à engager les hostilités contre les Romains. G'est seulement après l'expédition de la Mulucha que Salluste^ place la promesse faite par Jugurtha à Bocchus de lui céder le tiers de la Numidie, « si les Romains étaient expulsés de l'Afrique, ou, tout au moins, si la guerre se terminait sans que ses Etats fussent diminués ». 1. Jag., XCYI. 1. 2. Bureau de la Malle, VAlgérie (Paris, 1852), p. 155-6. 3. Jug., XCII, 6. 4. P. 212 et suiv. 5. Jtig., XCVII, 2. GsELL. — Afrique du Nord. VII. 16 238 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. Mais, comme nous l'avons déjà indiqué', il est à croire que cette promesse fut faite plus tôt : pour que Bocchus, précé- demment en mauvais termes avec Jugurtha, fût devenu son allié, il fallait bien qu'il eût espéré un gros profit de cette volte- face. L'arrangement conclu entre les deux rois dut être connu de Marins; peut-être même Bocchus prit-il soin de l'en informer. Or Rome ne pouvait admettre que Jugurtha, son ennemi, disposât ainsi d'une partie importante d'un royaume qu'elle prétendait avoir octroyé jadis à Masinissa et sur lequel elle tenait à conserver une sorte de droit supérieur de propriété. Il est donc permis de supposer que Marins voulut s'avancer jusqu'aux extrémités de la Numidie, jusqu'à la limite des véritables Etats de Bocchus, pour faire comprendre au Maure que la République ne renonçait nullement à ce droit et qu'elle était capable de le soutenir par les armes. Venons-en à l'épisode du château. Non loin de la Mulucha, « haud longe a flumine Mulucha », dit Salluste-, se dressait, dans un pays plat, une montagne rocheuse, dont les flancs étaient à pic et dont le sommet offrait un espace suffisant pour une petite place forte; on y avait accès par un seul chemin, très étroit, bordé de précipices. Une source existait en ce lieu, où Jugurtha avait fait porter des provisions abondantes de blé et tenait en réserve de grandes sommes d'argent. Des gens assez nombreux et bien armés assuraient la défense ^ Un rempart s'élevait du côté du sentier \ mais on n'avait pas jugé nécessaire d'établir une enceinte continue au-dessus des escarpements '. Nous ne tenterons pas, d'après ces données, de retrouver l'emplacement de la fameuse forteresse : il y a en Afrique 1. P. 214. 2. Juq., XCII, 5. 3. Ihid., XCII, 5-7. 4. Ibid., XCIV, 4-6. 0. 11 n'y avait certainement pas de rempart du cAté où le Ligare et ses com- pagnons pénétrèrent dans la place forte : Jug., XCIV, 3 et 5; voir aussi XCIII, 4. LRS CAMPAGNES DE MARIUS. 239 beaucoup de tables rocheuses qui répondent à la description de l'historien, et ce n'est pas l'indication « non loin du fleuve Mulucha » qui peut permettre de faire un choix, Salluste employant les termes haud longe, haud procul d'une manière très large. Les efforts de Marius pour s'emparer de ce château furent d'abord infructueux. Des travaux d'approche n'étaient possibles que dans le sentier, et les assiégés les détruisaient sans peine en les incendiant ou en les écrasant sous des pierres. Après bien des jours de tentatives inutiles, Marius se demandait avec anxiété s'il ne devrait pas renoncer à son entreprise. La fortune vint à son aide. Un Ligure, simple soldat d'une cohorte auxiliaire, étant sorti du camp pour chercher de l'eau, aperçut des escargots dans les rochers, au pied de la forteresse, du côté opposé à celui où l'on se battait. Il les recueille, puis il grimpe peu à peu pour en trouver d'autres et, ainsi, il atteint presque le sommet de la montagne. Là, se voyant seul, il est pris du désir d'aller plus haut encore, non pour continuer sa chasse, mais par curiosité. Après une escalade difficile, il parvient au bord du plateau qu'occupent les Numides. Comme leur attention est absorbée par le combat, notre homme peut faire à loisir toutes les obser- vations qu'il juge utiles. Puis il redescend, non plus au hasard comme il est monté, mais en examinant bien le chemin qu'il prend. Marius, qu'il va trouver aussitôt, accueille ses offres de service. Il lui adjoint le lendemain cinq hommes agiles, pris parmi les trompettes et les sonneurs de cor, et quatre centurions, qui, au lieu de leur lourd et bruyant équipement, ne portent qu'un bouclier africain en cuir et une épée, attachés sur le dos. Le Ligure les conduit et les aide aux mauvais passages. Enfin, la petite troupe achève sa pénible et dangereuse ascen- sion. De ce côté, le plateau est désert : comme le jour précé- dent, tous les Numides sont tournés vers les assiégeants. 240 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. Des gens qui ont été chargés de suivre des yeux le Ligure et ses compagnons viennent informer Marins du succès de l'esca- lade. Alors le général, se jetant lui-même en plein danger, ordonne à ses troupes de s'avancer en formant la tortue; plus loin, les machines, les archers, les frondeurs lancent une grêle de projectiles sur les ennemis. Ceux-ci, enhardis par leurs succès antérieurs, se tiennent devant le rempart, insultant Marins et les siens. Ils combattent avec ardeur. Tout à coup, les trompettes et les cors sonnent par derrière. Ils provoquent une panique qui, des femmes et des enfants, spectateurs de la lutte, se transmet aux défenseurs eux-mêmes. Les Romains pressent plus vivement leur attaque, passent sur les blessés et les morts et atteignent le rempart; la forteresse est prise d'assaut '. C'est au temps de ce siège ^ que L. Cornélius Sulla, le futur dictateur, arriva au camp. Elu questeur en 108, à l'ùge légal de trente ans, il avait été attribué par le sort au consul Marius, qui l'avait laissé en Italie pour recruter des cavaliers. Il les lui amena alors, car, son année de charge expirée, il restait attaché, en qualité de proquesteur, au consul de 107, devenu proconsul '\ Dans sa jeunesse, Sylla avait mené une vie fort dissipée, mais sans perdre au milieu des plaisirs sa vigueur physique, ni l'ambition de la gloire. C'était un aristocrate, — il appartenait à une vieille famille patricienne, d'ailleurs déchue, — d'allure distinguée et d'esprit très cultivé. Il ne montrait cependant aucune morgue : il sut vite séduire les soldats, avec lesquels il 1. Pour cette airaire du château de la Mulucha, voir Salluste, Jug., XCII, 4-9; XGIII et XGIV. Frontin {Strat., III, 9, 3) reproduit Salluste, que Florus (I, 36, 4) abrège en une phrase. 2. Jug., XGV, 1 : « dum ea res geritur ». Plutarque {Sylla, 3) fait erreur quand il dit que Sylla vint avec Marius en Afrique. 3. 11 est qualifié de qwiestor par Salluste (.\GV, 1) et d'autres (Tite-Live, Epit. l. LXVI; Velléius Paterculus, II, 12, 1; Valère-Maxime, VI, 9. 6; De viris illustr., 75; voir aussi Plutarque, Sylla, 3, et Appien, Numid., p. 163, coll. Didot). Paul Orose (V, 1.5, 18) le qualifie à tort de legatus. LRS CAMPAGNES DE MARIUS. 241 causait et plaisantait familièrement, qu'il aidait même volon- tiers de sa bourse. Intelligent et actif, il ne tarda pas à acquérir les connaissances militaires qui lui manquaient. La sympathie qu'il inspirait et le courage dont il faisait preuve contribuèrent encore à lui donner une réelle autorité ^ Marins avait, dit-on-, regretté que le sort lui eût imposé pour questeur un homme qui s'était fait surtout la réputation d'un débauché. Il changea d'avis en le voyant à l'œuvre et lui accorda toute sa confiance. Sylla devint pour le proconsul un excellent lieutenant. Sa finesse, sa facilité de parole, l'adresse avec laquelle il savait au besoin dissimuler sa pensée, faisaient aussi de lui un fort bon diplomate. A ces qualités, il joignait une foi profonde dans sa destinée ; se croyant le favori de la chance, il ne négligeait rien pour la seconder. Mais son égoïsme avait des dehors élégants : il se gardait de médire des autres; il rendait plus de services qu'il n'en voulait recevoir; il affectait de ne pas tenir à l'argent, ce qui ne l'empêcha pas de rapporter d'Afrique, au bout d'un an, une assez belle fortune ^ IV Que fit Jugurtha pendant la longue campagne de Marins dans la Numidie occidentale? Sallusten'en dit rien \ Il ne mentionne pas non plus un événement que nous connaissons par Paul Orose (d'après Tite-Live)'^ et par Dion Cassius", Les Romains per- 1. Jug., XCV-XCVI. Conf. Plutarque, Sylla, 2 et 3. 2. Valère-Maxime, l. c. 3. Plutarque, l. c, 1. 4. Avant le récit, très inexact, qu'il donne d'une bataille livrée à Marins, près de Girta, par les rois de Numidie et de Maurétanie, Paul Orose (V, 15, 9) dit que Jugurtha, s'élant allié à Bocchus, reçut de lui de grandes forces de cavalerie, avec lesquelles il harcela l'armée ennemie. Mais, selon Salluste, c'est seulement après la prise du château de la Mulucha que Bocchus se décida à entrer en guerre contre Rome. 5. Y, 15, 10. 6. Fr. 87, 5 : probablement aussi d'après Tite-Live. 242 HOME ET LES IIOIS AFRICAINS. dirent Girta, qu'ils possédaient certainement à la fin de l'année 108', qu'ils possédaient probablement aussi au printemps de 106; car on a peine à croire que Marins eût osé entreprendre sa grande expédition vers l'Ouest, s'il n'avait plus été maître de cette ville importante, qui assurait sa domination sur une bonne partie de la Numidie et ses communications du côté de la province. C'est donc, autant qu'il semble, durant l'été de 106 que Cirta se détacha de lui, alors qu'il en était fort éloigné; nous n'avons aucun détail à ce sujet. La chose était grave et exigeait le prompt retour de l'armée romaine, coupée de ses bases. Marius, revenant en arrière, se dirigea donc vers Cirta ^ : pour aller, dit Sallusle% mettre son armée en quartiers d'hiver dans des lieux voisins du littoral, et, tout d'abord, pour recouvrer la ville même de Cirta, ce que Salluste n'indique pas. Une autre conséquence de la campagne dans la Numidie occidentale fut l'entrée en guerre de Bocchus. Cette expédition était pour lui un avertissement et une menace. Loin de l'inti- mider, comme Marius l'avait certainement espéré, elle le décida à accueillir enfin les prières de Jugurtha, qu'appuyaient les pressants conseils de son entourage, acheté de nouveau par le roi numide\ Il réunit une armée nombreuse et rejoignit son gendre % qui avait avec lui des forces de cavalerie, composées surtout de Gétules''. Ils résolurent d'attaquer Marius, en marche vers Cirta. Salluste raconte ici deux batailles, séparées par un intervalle de deux jours ', et dont la seconde fut livrée à peu de distance 1. V. supra, p. 211. 2. Jug., GII, 1 : (Marius) « perveait in oppidum Cirtam, quo initio profeclus intenderat. » 3. Ibid., XCVII, 3; G, 1. 4. Ibid., XCVII, 1-2. 5. Ibid., XGVII, 3. 6. Gonf. Jug., XGIX, 2. 7. Ibid., GI, 1 : « quarto die ». Dans les indications de cette sorte, les Romains comptaient le jour initial el le jour final. \ \ LES CAMPAGNES DE MARIUS. 243 de Cirta, car trois jours seulement' s'écoulèrent entre cette rencontre et l'audience que Marins accorda à des députés de Bocchus dans Cirta, où il était entré, soit ce jour-là même, soit la veille ou l'avant-veille. La seconde bataille se déroula dans de larges plaines^, par conséquent en dehors du pays accidenté qui s'étend jusqu'à une quarantaine de kilomètres à l'Ouest de la ville : au delà d'Oued-Athménia, peut-être dans la région de Châteaudun-du-RhumeP. Dans l'intervalle des deux batailles, Marins s'était avancé par un pays plat, comme l'atteste son ordre de marche en grand bataillon carré*. Il avait donc traversé les vastes plaines où s'élèvent aujourd'hui Sétif, Saint-Arnaud, Navarin, Saint-Donat. La première bataille put être livrée à l'Ouest de Sétif ^ : les données dont nous disposons sont si vagues qu'il est vain, à mon avis, de rechercher les deux collines, voisines l'une de l'autre, où l'armée romaine passa la nuit. On peut supposer que Marins, venant de l'Ouest, avait passé par la vallée du Chélif, puis par Berrouaghia et Aumale, et qu'après avoir longé la chaîne des Bibans, il avait débouché dans la plaine de la Medjana''. Savait-il que les deux rois s'avançaient pour le rejoindre? En tout cas, une bataille s'engagea sans qu'il eût prévu le temps et le lieu où il aurait à la soutenir. Il était en marche', quand, au déclin du jour, Bocchus et 1. Jug., GII, 2 : « ... post diern quintum quam iterum barliari maie puçnaverant. » 2. Ibid., CI, 11 : « in cainpis patentibus ». Remarquer pourtant qu'avant la bataille, l'armée romaine ne vit pas de très loin les ennemis, qui s'avançaient vers elle de divers côtés {ibid, CI, 1-2). 3. Pour les questions topographiques relatives à ces deux batailles et à la marche de Marius, voir d'intéressantes observations de Poulie, Bec. de Constantine, VII, 1863, p. 47 et suiv. Mais je crois qu'il a trop cherché à préciser. 4. Jug., C, 1-2. 5. Les Romains furent surpris par l'attaque soudaine des barbares : d'où l'on peut conclure qu'ils n'étaient pas dans des lieux très découverts; du reste, Salluste mentionne deux collines proches du champ de bataille. 6. C'est là une route tracée par la nature entre l'Algérie occidentale et l'Algérie orientale : voir E.-F. Gautier, Structure de l'Algérie, p. 138 et suiv. (conf. ici, t. V, p. 281). 7. Oq s'étonne qu'à la fin du jour, il fût ainsi en marche, et non pas dans un 244 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. Jugurtha fondirent sur lui, avec leur cavalerie ; l'infanterie maure, commandée par un fils de Bocchus, Volux, était restée en arrière'. Les rois avaient choisi cette heure tardive dans la pensée que la nuit les protégerait, s'ils étaient vaincus, et qu'elle ne les gênerait pas, s'ils étaient vainqueurs, car ils connaissaient les lieux. Ils apparurent au moment même où, de divers côtés, des éclaireurs venaient annoncer l'ennemi au proconsul. Avant que les Romains aient pu se mettre en ligne, rassem- bler les bagages et recevoir des ordres, ils voient se précipiter sur eux une foule de cavaliers maures et gétules, non pas en ordre de combat, mais par pelotons groupés au hasard et tourbillonnant. Surpris et troublés, ils se défendent comme ils peuvent, dans une confusion complète ; beaucoup sont enve- loppés et tués. Pourtant, les vieux soldats donnant l'exemple, des cercles se forment, font de partout face aux assaillants et résistent à leurs charges ^ Marins a conservé son sang-froid. Il se porte çà et là avec les cavaliers d'élite qui constituent sa garde; il secourt ceux qui plient, se jette sur les groupes enne- mis les plus denses, paie bravement de sa personne. La nuit est tombée, mais les Africains, obéissant à leurs rois, combattent avec encore plus d'acharnement. Alors le proconsul, pour se ménager un refuge, fait occuper deux collines, proches l'une de l'autre : la première a une source abondante, mais elle est trop petite pour recevoir un camp; l'autre offre, au contraire, un emplacement propice : élevée et escarpée, elle n'exige que peu de retranchements. Marins ordonne à Sylla de passer la nuit près de la source avec la cavalerie ; lui-même parvient à rallier ses soldats et les conduit rapidement à la seconde colline. La difficulté du terrain force Jugurtha et camp, qu'il aurait établi pour y passer la nuit. Peut-être, pour éviter la chaleur, faisait-il des marches de nuit. i.Jag., Cl. 5. 2. Ibid., XGVIl, 3-5. LES CAMPAGNES DE MAIUUS. 245 Bocchus à interrompre la bataille, mais ils ne permettent pas aux leurs de s'éloigner. Les barbares entourent les deux collmes, allument des feux et, se regardant déjà comme vainqueurs, ils se divertissent bruyamment pendant la plus grande partie de la nuit^ Marins a prescrit le plus profond silence ; il a même interdit les sonneries réglementaires. Vers le point du jour, comme les Maures et les Gétules, cédant à la fatigue, se sont endormis, il fait soudain sonner toutes les trompettes, et les troupes s'élancent en poussant de grands cris. Réveillés en sursayt, les ennemis s'affolent et sont mis en déroute sans avoir combattu. Ils perdent quantité d'enseignes et d'armes, et plus d'hommes que dans les batailles précédentes, car le sommeil et la terreur ont empêché beaucoup d'entre eux de s'enfuira Marins avait réussi à échapper à un désastre, à un massacre de son armée ou à une capitulation aussi honteuse que celle d'A. Postumius. Mais il savait bien lui-même qu'il n'avait pas mis les rois hors d'état de recommencer leur attaque. Il prit désormais de grandes précautions contre de nouvelles surprises. Dans sa marche sur Cirta à travers les plaines, il disposa son armée en bataillon carré : formation qui n'était pas, du reste, une nouveauté et qui, en Afrique, avait déjà été adoptée par Métellus^ A droite, était Sylla avec la cavalerie; à gauche, A. Manlius avec les frondeurs, les archers, les cohortes de Ligures ; en tête et en queue, des tribuns commandaient des manipules non chargés de bagages et tout prêts à combattre ; les transfuges, dont la vie ne paraissait pas précieuse et qui connaissaient bien le pays, étaient détachés en éclaireurs. Les camps que l'on établissait étaient fortement retranchés et gardés avec la plus grande vigilance. Marins stimulait tout 1. Jiig., XCVIII. 2. Ibid., XCIX. 3. V. supra, p. \i 246 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. le monde par son exemple, par ses éloges ou ses blâmes'. Trois jours après la première bataille, l'armée était en marche, quand, de partout, des éclaireurs accoururent, annon- çant ainsi les ennemis. Jugurtha avait partagé ceux-ci en quatre corps, dans la pensée que l'un au moins d'entre eux pourrait prendre à revers les Romains, assaillis de quatre côtés à la fois. Mais son espoir fut déçu, car Marins, comprenant le danger, n'adopta pas l'ordre de bataille ordinaire ; maintenant ses dispositions de marche, qui le couvraient partout, il fit faire halte et attendit. La lutte s'engage d'abord à droite, c'est-à-dire au Sud, là où Sylla commande. Des groupes de cavaliers maures s'avan- cent au galop. Sylla laisse en place, comme barrière, une partie de ses cavaliers, qui se protègent contre la grêle des javelots et tuent quiconque s'approche. Avec le reste, réuni en masse compacte, il charge les ennemis. A l'Ouest, Bocchus fait avancer son infanterie, que Volux lui a amenée depuis la dernière bataille. A l'Est, où se tient Marins, Jugurtha lui-même lance de grandes forces de cavalerie sur les troupes qui, dans l'ordre de marche, formaient la tête de l'armée romaine. Mais, quand il est informé que, de l'autre côté, Bocchus a ouvert l'attaque, le roi numide, accompagné de quelques hommes, va rejoindre les fantassins maures. Là, se portant vers les Romains, il leur montre son glaive ensanglanté et leur crie en latin qu'il vient de tuer Marins, que toute résistance de leur part est inutile^. Consternés, ils paraissent près de céder, tandis que les barbares redoublent d'efforts. Le moment est critique. C'est alors que Sylla, vainqueur de ceux qu'il a chargés, revient et prend en flanc l'infanterie de Bocchus. Celui-ci se replie aussitôt. Jugurtha, qui ne veut pas s'avouer vaincu, est enveloppé par les cavaliers du questeur; tous ceux 1. Jag., C. 2. Pour cet épisode, voir, outre Salluste, Frontia, Slrat., II, 4, 10. LES CAMPAGN'ES DE MARIUS. 247 qui l'entourent sont tués et il s'échappe avec peine à travers les traits. A ce moment, accourt Marins ; il a mis en fuite la cavalerie de Jugurtha et, ayant appris que, du côté opposé, les siens sont en danger, il vient les soutenir. Maintenant, Maures et Gétules sont partout en déroute. Les Romains les poursui- vent dans la plaine, faisant une foule de morts et de prison- niers \ Tel est le récit que Salluste nous a laissé de ces deux batailles et qui, dans ses grandes lignes, est sans doute exact, quoique nos autres sources ne nous permettent pas de le con- trôlera Un récit très différent se lit dans Paul Orose' ; cet auteur a dû l'emprunter à Tite-Live, qui, lui-même, l'aura pris dans quelque annaliste*. Près de Cirta, que les Romains s'apprêtent à prendre d'assaut, Jugurtha et Bocchus viennent attaquer Marins avec 60 000 cavaliers numides et maures. La bataille, acharnée, dure trois jours. L'armée de Marins, enveloppée par les ennemis, résiste difficilement, dans l'obscurité que font des nuages de poussière, dans les souffrances de la soif et de la chaleur. Le troisième jour, sa situation semble désespérée, quand, tout à coup, la pluie tombe abondamment. Elle rafraîchit la température et permet aux combattants de se désaltérer ; elle est funeste aux Africains, car elle mouille leurs javelots, qui, glissant entre leurs mains, deviennent inutiles, et leurs boucliers en cuir d'éléphant, qui s'alourdissent et se gon- flent comme des éponges. Les barbares doivent prendre la fuite. Dans une nouvelle bataille, les deux rois disposent de 90 000 hommes, que les Romains exterminent. ^ 1. Jug., CI. 2. Simples mentions de la victoire de Marins sur Jugurtha et Bocchus dans Diodore de Sicile, XXXVI, I; Tite-Live, Epit. l. LXVI; Entrope, IV, 27, 4. Voir aussi Florus, I, 36, 15 (d'après Salluste). 3. V, 15, 10-18. 4. Conf. supra, p. 133-4. 248 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. Ces chiffres et les détails donnés sur la première bataille ne méritent aucune créance, et nous devons nous en tenir au récit de Salluste. Cette fois, la victoire était décisive. Les gens de Cirta le com- prirent; ils se hâtèrent de capituler'. Ainsi se terminait, à la gloire de Marius, une expédition engagée fort imprudemment, qui avait fait du puissant roi de Maurétanie un ennemi déclaré de Home, tandis qu'entre l'armée romaine, aventurée dans l'Ouest de la Numidie, et la province d'Afrique, la grande ville de Cirta avait pu recouvrer sa liberté. V Les deux batailles que nous venons de raconter furent livrées avant la saison d'hiver, peut-être au mois d'octobre. Marins resta encore plus d'un an en Afrique. Salluste ne mentionne dans l'intervalle qu'un seul fait de guerre : une expédition que le proconsul entreprit au cours de l'hiver de 106-105. Jugurtha n'avait pas désarmé'. Mais, soit qu'il se tînt dans les steppes gétules^ soit qu'il se rapprochât du littoral*, il n'avait plus que des troupes peu nombreuses^ et il comprenait sans doute qu'il lui était impossible de reprendre TofTensive sans l'appui de Bocchus. Ce dernier, découragé par sa double défaite, s'était prompte- ment décidé à traiter. Quatre jours après la seconde bataille, des députés arrivèrent à Cirta et prièrent Marius d'envoyer à leur 1. Dion Cassius, fr. 87,5. Salluste {Jug., Cil, 1) dit simplement que Marius, vainqueur, parvint à Cirta. Voir aussi Appien, Numid., p. 16:^, coll. Dtdot. 2. Selon Plutarque (Marias, 10; conf. Sylla, 3), Jugurtha se réfugia auprès de Bocchus, qui le reçut comme un suppliant, plus par honte que par bienveillance. Mais cela ne se concilie pas avec le récit détaillé de Salluste. ^ 3. Conf. Dion, fr. 87, 5. 4. JuÉ^.,CYI-CVII. 5. Ibid., CVll, 3. LA FIN DE LA GUERRE CONTRE JUGURTHA. 249 maître deux hommes avec lesquels il pourrait s'entretenir en toute confiance. Le général fit aussitôt partir SyllaetA. Manlius '. Les détails que Salluste donne sur cette conférence, et sur les négociations auxquelles le questeur participa dans la suite, ont peut-être été empruntés aux mémoires de Sylla^. Les deux Romains jugèrent bon de ne pas attendre que Bocchus leur exposât les raisons pour lesquelles il les avait fait appeler. Sylla prit donc aussitôt la parole, Manlius s'étant effacé devant son compagnon, plus jeune, mais plus disert. Il félicita le roi de préférer la paix a une guerre qui lui avait déjà été et qui ne pourrait que lui être funeste; l'amitié du peuple romain lui serait, au contraire, fort avantageuse : il l'obtiendrait si, comme il en avait les moyens, il réparait ses erreurs par des services. A quoi Bocchus répondit qu'il avait jadis envoyé à Rome une ambassade pour solliciter cette amitié, mais qu'on lui avait opposé un refus. S'il avait pris les armes, c'était pour défendre son royaume : il n'avait pu supporter que Marins ravageât la partie de la Numidie qui était devenue sienne par le droit de la guerre, puisque ses armes en avaient chassé Jugurtha^ Du reste, il était prêt, si Marius y consen- tait, à envoyer des députés au Sénat ^. 1. Jug., Cil, 2-3. Appiea {l. c.) s'accorde avec Salluste. Selon Dion {l. c), les députés envoyés à Cirta auraient demandé à Marius, de la part de leur souverain, le royaume de Jugurtha; ayant essuyé un refus, Bocchus se serait décidé à traiter, simplement. Venant après ses deux défaites, cette exigence de Bocchus eût été folle. 2. Gonf. supra, p. 126. Naturellement, le discours de Sylla a été composé par Salluste. Mais celui-ci peut avoir reproduit des arguments indiqués dans sa source. 3. Sur cette assertion, u. supra, p. 213-4. 4. Jug., Cil, 3-14. Appien [Numid., p. 163, coll. Didot) n'est plus ici d'accord avec Salluste. C'est Bocchus qui, dans son récit, prend d'abord la parole pour rendre Marius responsable de la guerre que lui, Bocchus, a faite aux Romains, car Marius l'a dépouillé de la contrée qu'il avait conquise lui-même sur Jugurtha. Manlius (et non Sylla) lui répond que les Romains ont jadis enlevé cette contrée à Syphax par le droit de la guerre et qu'ils l'ont donnée à Masinissa. Ils ont le droit de la reprendre, car il n'est pas juste qu'un ennemi, comme Jugurtha, détienne ce que Rome a concédé à un ami, ni que Bocchus croie pouvoir enlever à Jugurtha ce qui appartient à Rome. Nous ignorons si ce langage fut vraiment tenu à Bocchus. Mais il est certain qu'il explique très bien les motifs de l'expé- dition de Marius dans l'Ouest, en 106 : v. supra, p. 237-8. 250 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. Le discours que Salluste prête à Sylla semble exprimer d'une manière exacte les sentiments du gouvernement de Rome à l'égard de Bocchus. C'était désormais le roi maure qui pouvait perpétuer une guerre dont on souhaitait ardemment la fin; c'était lui qui pouvait la terminer aussitôt, en livrant Jugurtha. S'il comprenait ce qu'on attendait de lui, il ne conviendrait pas de lui tenir rigueur de sa conduite passée; on n'avait guère à craindre qu'il fût dangereux à l'avenir, car ses Etats resteraient loin de la province romaine, même si on lui permettait d'y joindre la Numidie occidentale; au revers du royaume numide, il serait, en cas de besoin, un utile allié. Quant à Bocchus, ses défaites lui avaient appris qu'il n'était pas de son intérêt de soutenir Jugurtha contre Rome, et il espérait bien que celle-ci récompenserait sa trahison en lui abandonnant la partie de la Numidie qu'il avait exigée de son gendre. 11 devait cependant continuer à feindre des sentiments amicaux vis-à-vis de Jugurtha, pour disposer de lui et le remettre, l'heure venue, aux Romains, Mais cette infamie, qui ne répu- gnait guère à sa conscience, ne soulèverait-elle pas l'indigna- tion de ses sujets, et surtout celle des Numides qui allaient passer sous ses lois^? Il y avait là un très gros risque, qui justifiait des hésitations. Selon ses dispositions d'esprit et les avis, intéressés ou non, de ses conseillers, Bocchus pencha longtemps tantôt d'un côté, tantôt de l'autre. S'il se décidait pour la trahison, il fallait qu'il parût obéir à la nécessité, en laissant les Romains s'emparer de Jugurtha, sans se donner le rôle odieux de le leur amener lui-même ^ L'offre que, dans son entrevue avec Sylla et Manlius, il fit 1. Conf. Jug., CXI, 2 (discours de Bocchus à Sylla) : « ... metuere ne fluxa fide usus popularium animos avorteret, quis et lugurtha carus et Romani invisi erant. » Dureau de la Malle (L'Algérie, p. 170-1) suppose que ces populares étaient les Numides qui, récemment encore, appartenaient à Jugurtha. 2. Plus tard, Bocchus devait se montrer fier d'avoir trahi son gendre et allié. Mais il n'avait plus rien à ménager. LA FIN DE LA GUERHE CONTRE JUGURTHA. 251 d'envoyer une ambassade au Sénat, fut accueillie par Marins. Mais Bocchus n'y donna pas suite : Jugurtha, informé de cette conférence, aurait largement payé certains de ses conseillers pour le faire changer d'avis \ Marins avait établi les quartiers d'hiver de son armée sur le littoral, afin de mieux assurer ses subsistances* : sans doute dans des lieux qui n'étaient pas trop éloignés de Cirta% où il revint après une expédition que Salluste mentionne en quelques mots *, quoiqu'elle ait été assez longue (au minimum six semaines). Laissant à Sylla le commandement des troupes qui restaient dans leurs camps d'hivernage % le proconsul emmena des cohortes légères et une partie de la cavalerie. Il alla assiéger une « tour royale » ®, dont la garnison était entièrement composée de transfuges. Cette forteresse se trouvait, dit Salluste, dans une région déserte^; Appien * ne nous renseigne guère mieux en indiquant que Marius se rendit alors chez les Gétules. L'entreprise échouai Cependant, Bocchus s'était ravisé, écoutant peut-être des conseillers que Jugurtha n'avait pas pu séduire, — ou qu'avaient séduits des agents secrets des Romains ^'\ Il avait choisi dans son entourage cinq hommes dont le dévouement et l'intelligence lui inspiraient confiance, et il leur avait ordonné de se rendre auprès de Marins^', puis, si ce dernier le voulait bien, à Rome, i. Jug., cil, 15. 2. Ibid , G, 1. 3. Par exemple, vers Rusicade (Philippeville) et vers Hippone. 4. Jug., cm, 1, et GIV, 1. 5. Ibid., GUI, 4 : « SuUam ..., quem consul in e.xpeditione proficiscens pro praetore reliquerat ». 6. Ibid., cm, 1 : « turrim regiara ». 7. Ibid. : « in loca sola ». 8. Namid., p. 164, coll. Didot. 9. Si, au chapitre civ, 1, on lit « infecto ... negotio », et non pas « confecto ». Les deux leçons se trouvent dans les manuscrits. 10. Quelques mois plus tard, un prince numide, tout dévoué aux intérêts de Rome, se trouvait auprès de Bocchus : v. infra, p. 255. il. Dont Bocchus ignorait alors l'expédition. Il envoya ses députés « ad hiberna Romanorum » {Jug., CIll, 4), où ils trouvèrent Syila. 252 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. avec pleins pouvoirs pour terminer la guerre à tout prix. Mais, en route, ces députés furent assaillis et dépouillés par des brigands gétules. Ils arrivèrent en piteux état auprès de Sylla, qui les accueillit généreusement et leur donna d'utiles conseils. Ils durent attendre une quarantaine de jours le retour de Marins'. Rentré à Cirta et informé de la venue des députés^, le proconsulles convoqua, en même temps que Sylla, le préteur L. Billienus, gouverneur de la province romaine^, et tous les personnages d'ordre sénatorial qui se trouvaient alors en Afrique. Il fit connaître à cette assemblée les demandes de Bocchus. Sylla et la majorité furent d'avis d'accorder la trêve que le Maure sollicitait et de permettre aux députés d'aller à Rome. Trois d'entre eux partirent, avec un questeur qui était venu apporter la solde. Les deux autres retournèrent auprès de Bocchus, auquel ils vantèrent les bons procédés dont Sylla avait usé envers eux*. A Rome, les ambassadeurs excusèrent leur maître, que Jugurtha, disaient-ils, avait entraîné, et ils sollicitèrent amitié et alliance. On leur répondit « que le Sénat et le peuple romain avaient coutume de n'oublier ni un service, ni une injure ; mais que, puisque Bocchus se repentait, on lui pardonnait sa faute; que l'alliance et l'amitié lui seraient accor- i. Jug., cm, 2-7. Conf. Appien, l. c. : Bocchus envoie de nouveaux députés pour demander la paix à Marins et pour obtenir de Sylla qu'il appuie cette requête. Ces gens sont dépouillés en chemin par des brigands. Sylla les reçoit et leur donne l'hospitalité jusqu'à ce que Marins revienne de chez les Gétules. — Plularque, Sylla, 3 : Sylla recueille des envoyés du roi, échappés à des brigands numides. Il les renvoie comblés de présents et sous bonne escorte. 2. On peut s'étonner que Sylla n'ait pas avisé plus tôt son général de l'arrivée de ces députés. 3. Il est impossible de lire (Jag., CIV, 1) : « illosque [les députés de Bocchus] et Sullam ab Utiea venire iubet, item L. Billienum praetorem .. En eiïet, Sylla et les députés étaient dans un camp assez rapproché de Cirta. II convient de placer ab Utka après item, et de rapporter ces mots à L. Billienum : celui-ci, en sa qualité de gouverneur de VAfrica, résidait à Utique. 4. Jug., CIV, 1-3. — Selon Diodore {XXXIV-V, 39), Bocchus envoya à Marins des députés pour s'excuser d'avoir fait la guerre aux Romains et pour conclure la paix. .Marins leur aurait répondu que leur roi devait envoyer une ambassade au Sénat, et Bocchus aurait suivi ce conseil. LA FIN DE LA GUEIUIE CONTRE .lUGURTHA. 263 dées quand il les aurait méritées*. » Si telle fut bien la réponse officielle, il est à croire que, dans des entretiens privés, on fit comprendre aux barbares ce qu'on attendait de leur roi. Lorsqu'il connut le résultat de l'ambassade, Bocchus écrivit à Marins pour le prier de lui envoyer Sylla, qui aurait pleins pouvoirs pour traiter -. Le questeur emmena une escorte lui permettant d'aller vite, des cavaliers, des frondeurs baléares, des archers, une cohorte de Pélignes qui avait échangé ses armes habituelles contre l'équipement plus léger des vélites ^ Le cinquième jour \ il traversait de vastes plaines ^ S'il était parti de Cirta, il aurait pu faire environ quarante lieues et se trouver dans la région de la Medjana. Tout à coup, les Romains virent s'avancer vers eux un grand nombre de cavaliers. Ils crurent d'abord avoir affaire à des ennemis et s'apprêtèrent à combattre. Des éclai- reurs les rassurèrent. C'était le fils de Bocchus, Volux, qui, sur l'ordre de son père, venait au-devant de Sylla avec un millier d'hommes. Ce jour-là et le lendemain, ils firent route ensemble, sans 1. Jug., GIV, 4-5. — D'après Diodore {l. c), le Sénat aurait répondu aux ambas- sadeurs que Bocchus serait bien traité s'il se conciliait Marins; or Marins désirait ardemment que Jugurlha lui fût livré. Mention de l'ambassade envoyée à Rome par Bocchus, dans Dion Gassius, fr. 87,5. 2. Jug., GV, 1. La demande de Bocchus ne pouvait signifier qu'une chose : qu'il mettrait Sylla à même de s'emparer de Jugurtha. — Dans Appien (/. c), Bocchus, décidé à livrer Jugurtha, mais voulant dissimuler son dessein, fait lever une armée chez ses voisins, les Éthiopiens. Il prie Marius de lui envoyer Sylla, avec lequel il conférera. — Selon Plutarque (Marias, 10, et Syila, 3), Bocchus aurait écrit à Marius qu'il ne lui livrerait pas Jugurtha, réfugié auprès de lui. Mais il aurait invité secrètement Sylla à venir, ne voulant pas livrer lui-même son gendre aux Romains et désirant que ce fût Sylla qui s'emparât du roi numide, Sylla aurait communiqué l'affaire à Marius et, avec son autorisation, se serait rendu auprès de Bocchus. — Dans un extrait de Dion (fr. 87,6), Marius reçoit des députés de Bocchus (il ne s'agit pas, autant qu'il semble, de l'ambassade qui alla ensuite à Rome et qui est mentionnée dans l'extrait 87,5); il leur déclare qu'il ne s'entendra point avec leur roi, si celui-ci ne lui livre pas Jugurtha. — Le récit de Salluste est assurément bien plus vraisemblable. 3. Jug., GV, 2. 4. « Quinto die », c'est-à-dire quatre jours après le jour du départ. 5. Jug., GV, 3 : « in campis p&tentibus ». GsELu. — Afrique du Nord. VII. 17 254 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. alarme. Mais, le soir du second jour, alors que le camp était établi, le jeune prince accourt soudain auprès du questeur, le visage bouleversé, et l'informe que, d'après les renseignements qu'il reçoit, Jugurtha n'est pas loin '. Il l'engage à s'enfuir secrètement avec lui au cours de la nuit. Sylla refuse de commettre cette lâcheté; il consent, cependant, sur le conseil de Volux, à évacuer le camp, dans lequel il laisse le plus de feux possible. Il fait marcher ses troupes toute la nuit. Au lever du soleil, les soldats, fatigués, s'apprêtent à prendre du repos dans un nouveau camp dont ils tracent l'enceinte, quand des cava- liers maures viennent annoncer que Jugurtha a pris position en avant, à une distance d'environ deux milles. Les Romains se croient trahis par Volux. Sylla, bien qu'il ait la même pensée, protège le prince contre ceux qui crient vengeance. Il lui ordonne de sortir du camp, puisqu'il se conduit en ennemi. Volux se justifie en pleurant : Jugurtha a eu l'habileté de découvrir leur marche ; mais, comme il a peu de gens avec lui et que toutes ses espérances, toutes ses ressources dépendent de Bocchus, il n'osera sans doiite rien faire ouvertement en présence du fils de ce Bocchus. Le mieux est de traverser son camp, sans se cacher. Lui-même est prêt à accompagner seul Sylla, en envoyant ses Maures en avant, ou en les laissant au lieu oii ils se trouvent. Sylla accepte; Volux et les Romains passent sans accident sous les yeux de Jugurtha, surpris et hésitant. Peu de jours après, ils arrivent à leur destination-, au camp de Bocchus'. Si l'on évalue à une quinzaine de jours la marche de Sylla (en admettant pour point de départ Cirta), le roi maure devait être alors dans quelque lieu de la province d'Alger* : non point 1. Selon Dion (fr. 87, 5), Bocchus ayant envoyé une ambassade à Rome, Jugurtha se serait retiré dans les parties les plus désertes de son propre royaume. Si cela est vrai, il serait ensuite revenu dans le Tell. 2. Pour ce récit, voir Jug., GV, 3-6; GVl et GVII. 3. Mention de ce camp : ibid., GIX, 3. 4. Peut-être, si l'on veut risquer une hypothèse, dans la vallée du Ghélif. Du camp de Bocchus, Aspar alla en très grande hâte (et, naturellement, à cheval) LA FIN UK LA GUERRE CONTRE JUGURTHA. 255 dans ses propres Etats, où la trêve conclue avec les Romains ne lui aurait pas imposé l'obligation de rentrer, mais dans la partie de la Numidie dont Jugurtha lui avait fait abandon et que Marius avait parcourue l'année précédente. Deux Numides de haut rang, familiers de Bocchus, étaient alors à son camp. L'un, Aspar, envoyé par Jugurtha à la nouvelle que le roi de Maurétanie avait sollicité la venue de Sylla, était chargé d'épier ce qui allait se passer et de défendre les intérêts de son maître'. L'autre, Dabar, descendait de Masinissa, sans faire partie de la famille royale des Massyles, son père Massu- grada- étant né d'une concubine ^ Dans mainte circonstance, il avait fait preuve de dévouement aux Romains, auxquels il pouvait inspirer pleine confiance. Bocchus l'envoya aussitôt à Sylla. Il se disait prêt à faire ce que Rome voudrait, et il demandait au questeur de fixer lui-même le jour et le lieu d'une conférence ; il restait dans les mêmes dispositions d'esprit que lors de leur première entrevue, mais, ne pouvant se dispenser d'admettre à cette conférence le représentant de Jugurtha, il priait Sylla de ne pas s'en alarmera Salluste^ se demande si le roi n'hésitait pas encore entre Jugurtha et les Romains. Cependant, pour attirer son gendre dans le guet-apens auquel il était sans doute déjà résolu, il devait nécessairement l'associer à un simulacre de au camp de Jugurtha, et il revint aussi rapidement, au bout de huit jours {Jug., CXII, 2). Fort peu de temps auparavant, Jugurtha avait campé en un lieu que Sylla atteignit après six jours et une nuit de marche accélérée, c'est-à-dire à. environ 270 kilomètres de Cirta (si tel avait été le point de départ du questeur). On pourrait en conclure que Bocchus était alors à environ 500 kilomètres à l'Ouest de cette ville, si Jugurtha occupait encore le même camp : ce qui, d'ailleurs, n'est pas certain. 1. Jug., CVIU, i. Appien (Vumid., p. 164, coll. Didot) l'appelle "Atiap. 2. Halévy (Joam. asiat., 1884, I, p. 144, n° 107) a fait remarquer que, par une coïncidence curieuse, ces deux noms, Dabar et Massugrada, se retrouvent sur une inscription libyque (DBR et son fils MSKRD'). 3. Ce Massugrada, « ex gente Masinissae » {Jug., CVIII, 1), pouvait être flls ou petit-flls de Masinissa. 4. Jug., CVIII, 1-2. 5. Ibid., CVIII, 3. 256 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. négociations tendant à la conclusion de la paix. Sylla répondit qu'il dirait peu de choses devant Aspar et ne s'expliquerait sur le reste que dans un entretien secret; il indiqua la réponse que Bocchus devrait lui faire dans l'entrevue publique. Quand celle-ci eut lieu, il déclara que Marins l'avait envoyé pour savoir si le roi voulait la paix ou la guerre. Suivant ses instructions, Bocchus l'invita à revenir dans dix jours : il n'avait, dit-il, pris encore aucune décision, mais, à cette date, il donnerait sa réponse. Là-dessus, ils se séparèrent, chacun rentrant dans son camp*. Bien avant dans la nuit, Sylla est mandé secrètement par Bocchus; ils n'admettent auprès d'eux que des interprètes sûrs et Dabar. Le Maure, d'après Salluste^, affirme qu'il renonce à toute possession au delà de la Mulucha, frontière de ses Etats et de ceux de Micipsa; il ne permettra pas à Jugurtha d'entrer chez lui et ne prendra plus aucune part à la guerre que Rome mène contre le roi numide. Si Sylla, qu'il admire et dont il souhaite par-dessus tout l'amitié, a quelque autre chose à lui demander, son désir sera satisfait. A quoi Sylla aurait répondu qu'en exécutant ces promesses de neutralité, Bocchus agirait simplement selon son intérêt, mais qu'il ne ferait rien qui lui vaudrait la reconnaissance des Romains victorieux. Cela lui serait pourtant facile, puisque, ayant Jugurtha sous la main, il pouvait le leur livrer. Il obtiendrait ainsi sans peine leur amitié, leur alliance et la partie de la Numidie qu'il souhaitait. D'abord, Bocchus fait mine de refuser : il ne peut trahir son parent, son allié; il craint de s'aliéner ses sujets, qui aiment Jugurtha et haïssent Rome. Puis, cédant aux instances répétées de Sylla, il lui promet de faire tout ce qu'il voudra; il concerte avec lui les mesures propres à tromper le roi de Numidie ^ 1. Jug., CIX, 1-3. 2. C'est-à-dire, peut-être, d'après les mémoires de Sylla. 3. Jug., CIX, 4; CX et CXI. LA PIN DE LA GUERRE CONTRE JUGURTHA. 257 Le lendemain, il appelle Aspar et lui dit que Sylla, par l'intermédiaire de Dabar, l'a avisé que la paix pourra être conclue après des négociations entre les parties; qu'il aille donc s'informer des intentions de son souverain'. Tout joyeux, Aspar se rend au camp de Jugurtha, reçoit ses instructions et revient en hâte, au bout de huit jours. Jugurtha le charge d'annoncer à Bocchus qu'il consentira à ce qu'on exigera de lui. Mais il a peu de confiance en Marins et, souvent, les traités conclus avec des généraux romains n'ont pas été ratifiés. Il demande donc à son beau-père, dans leur intérêt commun, de réunir une conférence où toutes les parties en cause seront convoquées, sous prétexte de négocier la paix, et où Bocchus lui livrera Sylla. Quand un personnage de cette importance sera en son pouvoir, le Sénat et le peuple romain ne voudront pas l'abandonner entre des mains ennemies et consentiront à traiter-. Bocchus et les Romains, lorsqu'ils se furent emparés de Jugurtha par une insigne perfidie, purent s'excuser en affirmant qu'ils avaient simplement fait au Numide ce que celui-ci pré- tendait faire à Sylla. Cela ne prouve pas, cependant, qu'on ait imputé calomnieusement à Jugurtha cette proposition, séduisante pour Bocchus, auquel elle offrait l'espoir d'une paix avantageuse avec Rome, tout en lui épargnant le risque d'une révolte de ses sujets. Mais Rome se déshonorerait-elle au point de traiter dans ces conditions? Il se peut que Jugurtha l'ait cru, ou bien qu'il ait vu là un moyen infaillible de forcer Bocchus à lui être fidèle, en le brouillant à jamais avec les Romains. Le Maure, après avoir beaucoup réfléchi, finit par promettre. \.Jug., CXII, 1. — Diodore, XXXIY-V, 39 : Bocchus fait venir Jugurtha, sous prétexte de conférer avec lui sur des affaires qui les intéressent tous deux. Plutarque dit à tort que Jugurtha se trouvait auprès de Bocchus : v. supra, p. 248, n. 2. 2. Jug., CXII, 2-3. 258 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. Etait-il alors sincère? ou voulait-il attirer plus sûrement Jugurtha? En, attendant le jour fixé pour la conférence, il voyait tantôt Sylla, tantôt Aspar, leur témoignait une égale amitié et leur donnait les mêmes espérances'. Dans la dernière nuit, il appela ses amis, puis, changeant aussitôt d'idée, les renvoya et se livra dans le silence à de longues méditations-. Enfin, il fit venir Sylla et régla avec lui les détails du guet- apens. Le jour suivant, à la nouvelle de l'approche de Jugurtha, Bocchus, comme pour lui faire honneur, se porte à sa rencontre avec une petite escorte et le questeur. Il s'avance jusqu'à un tertre que les gens mis en embuscade peuvent voir aisément. Jugurtha s'y rend aussi, sans armes, comme il a été convenu, accompagné de quelques amis. Soudain, à un signal donné, il est enveloppé de tous côtés. Les siens sont massacrés. Lui- même est remis enchaîné à Sylla, qui le conduit à Marins ^ Salluste dit que, « vers le même temps » % les généraux 1. Jug., CXIII, 1-2. On lit dans un extrait d'Appien (Namid., p. 164, coll. Didot) : « Bocchus lui-même, Magdalsès, ami de Bocchus, et un aiïranchi d'un Garlha- ginois[?], Cornélius, tendirent un piège à Apsar, ami de Jugurtha, que celui-ci avait laissé auprès de Bocchus pour surveiller ce qui se passait. » Il s'agit là d'une intrigue dont Salluste ne parle pas. 2. Jug., CXIil, .3. Plutarque (Marius, 10; Sylla, 3) dit que, pendant plusieurs jours, Bocchus se demanda s'il livrerait Jugurtha, ou bien Sylla. 3. Jug., CXIII, 3-6. — Jugurtha livré par Bocchus à S.vlla : Diodore, XXXIV-V, .39; Plutarque, //. ce; Tite-Live, Epit. l. LXVI; Velléius Paterculus, II, 12, 1: Valère-Maxime, VIII, 14, 4; Florus, I, 36, 17; De viris illuslr., 75; Eutrope, IV, 27, 4; Paul Orose, V, 15, 18. — On croit d'ordinaire que la remise de Jugurtha à Sylla est représentée sur un denier du fils du dictateur, Faustsis Cornélius Sulla : Babelon, Monnaies de la Rép. rom., I, p. 421, n° 59; H. A. Grueber, Coins of the Roman Republic in the Brilish Mu^ieum, I, p. 471, n° 3824 et pi. XLVII, flg. 18. Babelon décrit ainsi le revers de cette monnaie : « Sylla en magistrat romain, assis sur une estrade; devant lui, le roi Bocchus, agenouillé, lui présente une branche d'olivier; derrière lui, également agenouillé, Jugurtha en captif, les mains liées derrière le dos •. Le récit de Salluste prouve que les choses ne se passèrent nullement ainsi. Je crois que cette monnaie rappelle quelque autre événement de la vie de Sylla (eu Orient?; comparution devant Sylla d'un sup- pliant et d'un prisonnier). Mais la remise de Jugurtha était représentée sur un monument que Bocchus fit placer au Capitole, une quinzaine d'années après la fin de la guerre de Numidie : v. infra, p. 208. 4. Jug., C.XIV, 1 : • per idem tempus ». LA FIN DE LA GUERRE CONTRE JUGURTHA. 2b9 Caepio et Manlius furent vaincus en Gaule ' : il s'agit du désastre d'Orange, qui survint le 6 octobre 103'. « Mais, ajoute-t-iP, après que l'on eut annoncé que la guerre de Numidie était terminée et que Jugurtha prisonnier était amené à Rome, Marins, absent, fut élu consul, » L'historien paraît bien indiquer ici que la nouvelle de la prise de Jugurtha arriva à Rome après celle de la bataille d'Orange, et nous savons par ailleurs^ que l'élection de Marins fut une conséquence de cette bataille. On en pourrait conclure que Jugurtha ne fut pas livré à Sylla avant la fin de l'été ou le début de l'automne. Mais Salluste ne se pique pas d'une grande précision chronologique, et peut-être l'année était-elle alors moins avancée'. Il est certain, cependant, que les négociations avec Bocchus, poursui- vies en Numidie et à Rome, retardées par diverses causes, durèrent plusieurs mois. Si l'événement qui les termina, — la capture de Jugurtha, — eut lieu dès l'été. Marins serait resté en Afrique pour régler les affaires de Numidie, jusqu'au jour où son élection le rappela aussitôt en Italie, peu de temps avant la fin de l'année 105. Il ramena son armée "^ et triompha le jour même où il prit possession du consulat, le 1*"" janvier 104 ^ Dans le butin étalé sous les yeux du peuple, la quantité des lingots et des monnaies ne répondit probablement pas à l'attente de ceux qui se souvenaient des largesses attribuées au roi numide : « 3 007 livres d'or, 5 775 d'argent, 17 028 drachmes d'argent», dit Plutarque ^ Mais, devant le char du triomphateur, marchait, 1. « Advorsum Gallos ». Les Gimbres, qui remportèreat cette victoire, étaient des Germains, mais ils avaient sans doute avec eux des Gaulois. 2. Date du calendrier officiel. 3. Jug., CXIV, 3. 4. Plutarque, Marias, 11 et 12. 5. Le récit de Plutarque (l. c, 10 et 11) autorise à croire que la prise de Jugurtha fut connue à Rome quelque temps avant le désastre d'Orange. 6. Plutarque, l. c. 12, 7. Salluste, Jug., GXIV, 3. Velléius Paterculus, II, 12, 1. Plutarque, L c. Pour ce triomphe de Marins, voir Pais, Fasti triumphales, p. 214. 8. L. c. Ces chiffres doivent provenir d'un document officiel. 260 HOME ET LES ROIS AFRICAINS. accompagné de deux de ses fils, ce Juguriha ' qui avait, pendant sept ans, tenu tête à la République et fait passer des légions sous le joug, ce barbare dont le nom devait, à travers les siècles, éveiller chez les Romains des sentiments de honte et d'effroi 2. Ceux qui acclamaient alors Marins mettaient en lui tous les espoirs de la patrie, menacée par les Germains, et, pour forti- fier leur confiance dans l'avenir, ils exagéraient la glorification d'un passé tout récente Pendant les trois années de son com- mandement, Marius avait remporté quelques brillants succès, mais non pas une victoire décisive. Cette guerre, longue et coûteuse, se terminait sans honneurni profit pour Rome. C'était, il est vrai, beaucoup qu'on eût pu la terminer, et Marius avait largement contribué à ce résultat : s'il n'eût pas su vaincre Jugurtha et Bocchus, Bocchus n'eût pas trahi Jugurtha. Il n'y avait pas lieu d'être très fier de la façon dont on s'était emparé du Numide. Marius le fut pourtant. Car cet exploit lui appartenait, son questeur ayant agi d'après ses ordres \ Sylla, qui avait mené d'une manière fort habile des négociations délicates et dangereuses, paraît s'être montré tout d'abord discret dans la revendication de ses mérites. Marius le choisit comme 1. Tite-Live, Epit. l. LXVII : « la triumpho C. Marii ductus aate currum eius Jugurtha cum duobus flliis. • Même indication dans Eutrope (IV, 27, 6) et Paul Orose (Y, 15, 19), qui dépendent de Tite-Live. Mentions de Juguriha seul : Plutarque, Marius, 12, et Sylla, 3; Velléius Paterculus, L c; Valère-Maxiine, IV, 2, 11; Pline l'Ancien, XXXIII, 12: Florus, I, 36, 17; De viris illustr., 67. C. I. L., I, 2° édit., p. 195, n° XVIII : « (Jugurtham) triumphans in secundo consulatu ante currum suum duci iussit »; conf. ibid., n° XVII. 2. Naturellement, l'œuvre célèbre de Salluste y contribua. Pour le souvenir de Jugurtha,' voir, p. ex., Horace, Odes, II, 1, 28, et Épodes, 9, 23-24; Properce, V, 6, 66: Ovide, Pont., IV, 3, 45; Lucain, IX, 600; Glaudien, Bell. Gildon., 92; Consul. Stilich., I, 371; Bell. Goth., 126-8; Sext. cons. Honorii. 381. 3. Suétone (Jules César, 11) nous fait connaître un monument de ce triomphe : • Tropaea Gai Marii de lugurlha deque Cimbris et Teutonis olim a Sulla disiecta reslituit ». 4. Conf. C. /. L., I, p. 195, n° XVIII : « Marius ... bellum cum lugurta rege Numidiae gessit, eum cepit. » Eutrope, IV, 27, 4 : (Marius) « bello terrainum posuit capto lugurlha per quaestorem suum, etc. ». C'est bien ainsi que Salluste présente les choses. LA FIN DE LA GUERRE CONTRE JUGIRTHA. 261 lieutenant en 104 ' , preuve qu'ils ne se brouillèrent pas après leur retour d'Afrique. Cependant Sylla fît graver sur un chaton de bague une image où il était représenté recevant Jugurtha des mains de Bocchus, et ce fut désormais le seul cachet dont il se servit". Parmi les aristocrates qui jalousaient ou haïs- saient Marins, on murmura, puis on dit hautement qu'il avait usurpé la gloire de Sylla, comme celle de Métellus, puisque Métellus, lors de son rappel, avait presque achevé la défaite de Jugurtha^ et que Sylla avait achevé la guerre \ Mais, si quelque mécontent avait tenu de tels propos sur le passage du triomphateur, il aurait eu sans doute à s'en repentir. Ce jour-là, Marins, chef du parti populaire, triomphait aussi de la noblesse, qui avait disposé de la République depuis le meurtre de G. Gracchus. Le démocrate Salluste termine son livre en constatant cette victoire : « En ce temps, la cité fondait sur lui son espoir et sa puissance. » Jugurtha n'a plus de rôle à jouer dans la fin du drame : Salluste ne dit même pas qu'il ait figuré au triomphe, et ce sont d'autres historiens qui nous apprennent quelle fut sa mort. Après la cérémonie, il fut conduit au Tullianum, à la prison qui se cachait sous le Capitole. Sa raison s'était égarée. Ceux qui l'entraînent lui arrachent sa tunique, lui déchirent une oreille, pour s'emparer de la boucle qui y est attachée, le poussent nu au fond du caveau, dont l'humide fraîcheur le fait frissonner. « Par Hercule, s'écrie-t-il en souriant, que votre bain est froid ! » Pendant six jours, il lutta contre la faim ■'. On finit par l'étrangler, sur l'ordre de Marius ^ Ses fils furent épargnés. Une quinzaine 1. Plutarque, Sylla, 4. 2. Plutarque, Marias, 10; Sylla, 3. Valère-Maxime, VIII, 14, 4. Pline rAncien, XXXVII, 9. Jean d'Aatioctie, dans Fragm. hist. Graec, IV, p. 561, n" 64. 3. Conf. supra, p. 215, n. 5. 4. Plutarque. II. ce. 5. Récit de Plutarque, .Varias, 12. 11 ne dit pas que Jugurtha ait été ensuite étranglé. 6. Eutrope, IV, 27, 6 : « lussu consulis in carcere strangulatus est ». Tite-Live, Epit. l. LXVII : . in carcere necatus est .; Paul Orose, V, 15, 19 : « in carcere 262 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. d'années plus tard, l'un d'eux était interné à Vénusie, en Apulie. Un chef des Italiens révoltés contre Rome l'emmena en Campanie et, l'ayant revêtu de la pourpre royale, le montra à des Numides qui faisaient partie d'une armée romaine. Beaucoup d'entre eux, comme il l'espérait, rejoignirent celui qu'ils regar- daient comme leur souverain, et les autres parurent si disposés à suivre cet exemple qu'on s'empressa de les renvoyer chez eux*. Tant le souvenir de Jugurtha était resté cher aux indigènes ! VI Salluste n'a pas cru devoir indiquer comment les affaires d'Afrique furent réglées après la guerre. Nous n'avons là-dessus aucun renseignement précis. Mais il est certain que Rome n'agrandit pas la province d'Afrique : en l'année 46, elle était encore telle qu'elle avait été constituée un siècle plus tôt^. On était trop inquiet de ce qui se passait au delà des Alpes pour s'im- poser le souci de garder, de l'autre côté de la Méditerranée, un pays barbare, qui eût exigé l'entretien d'une armée et coûté plus qu'il n'eût rapporté. Leptis la Grande, qui avait aban- donné Jugurtha au début des hostilités, ne fut pas rattachée à la province : cité amie et associée du peuple romain, elle resta séparée de VAfrica par le royaume numide ^ Quant à la succession de Jugurtha, Gauda y avait des droits qu'il tenait du testament de Micipsa : celui-ci l'avait, on s'en souvient, désigné comme son héritier en seconde ligne, à défaut de ses deux fils et de son fils adoptif\ Il s'était montré fidèle strangulatus est ». Voir aussi Lucain, IX, 600; Sidoine Apollinaire, Lettres, VIII, 11, 11. 1. Appien, Bell, ciu., I, 42, où ce fils de Jugurtha est appelé 'OSOvra;. Le nom est peut-être altéré. 2. V. supra, p. 9. 3. Supra, p. 9-10. 4. Voir p. 141. LA FIN DE LA GUERRE CONTRE JUGURTHA. 263 aux Romains. Les promesses que lui avait faites Marius * furent sans doute tenues, et le titre de rex^ que deux inscriptions latines donnent à Gauda^ paraît bien attester qu'il devint véritablement roi. Marius, dit Gicéron ', « vint en suppliant vers ceux auxquels il avait donné des royaumes » : or Hiempsal, dans les Etats duquel il s'enfuit en 88 avant J.-C.*, était fils de Gauda-. On pourrait, il est vrai, supposer que ce dernier était déjà mort en 105 et qu'Hiempsal commença à régner dès cette époque. Il faudrait alors admettre que, dans les ins- criptions citées, le terme rex^ appliqué à Gauda, signifie» prince royal », et non « roi » : ce qui n'est guère probable®. Peut-être tous les États de Masinissa (déduction faite de la part qu'en reçut Bocchus) ne furent-ils pas remis à Gauda! On verra qu'en 62 et en 47-46 avant notre ère, il y avait en Afrique un royaume numide à l'Ouest des possessions d'Hiempsal et de Juba I", maître de Cirta'; il est possible que ce second royaume ait été formé dès l'année 105, par un partage ana- logue à celui que le Sénat avait institué, vers 117, entre Adherbal et Jugurtha : division qui eût été pour les Romains une garantie de sécurité. Des Gétules qui avaient combattu sous les ordres de Marius reçurent de lui le droit de cité romaine* et des terres, situées 1. Sapra, p. 221. 2. C. /. L., II, 3417. Gsell, Inscr. lat. de l'Algérie, I, 1242. 3. Post redit, ad Qairites, 8, 20 : « ... quibus régna ipse dederat, ad eos iiiops supplexque venisset. » 4. V. infra, p. 276-8. 5. Inscriptions citées. 6. Car l'inscription C. /. L., II, 3417 qualifie de reges des descendants et un ascendant de Gauda qui furent véritablement des rois. Dans l'autre inscription, le titre de rex est donné à un vrai roi, Hiempsal, fils de Gauda. 7. V. infra, p. 290 et suiv. Strabon (XVII, 3, 9) dit que le pays des Masœsyles, — lequel s'étendait de la Mulucha (Moulouia) au cap Trêton (cap Bougaroun, au Nord-Nord-Ouest de Goastantine), — fut possédé, après Syphax, par Masinissa, puis par Micipsa et les successeurs de celui-ci; « de notre temps, par .luba, père du Juba qui est mort récemment ». Mais, en ce qui concerne Juba l", Strabon fait erreur. 8. Sans doute en vertu d'une loi : conf. Mommsen, Rom. Staatsrecht, III, p. 135, et le décret de Pompéius Strabo, rendu en 89 avant J.-C. (Dessau, Inscr. lat. sel., 264 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. en dehors de la province, peut-être autour de Thibaris et d'Uchi la Grande, dans la région de Dougga*. Le roi Bocchus obtint le titre d'allié et ami du peuple romain ^ Dans un discours que Salluste prête à Sylla, le questeur de Marius promet au Maure la cession par Rome de la contrée que Jugurtha lui a déjà abandonnée^ : le tiers de la Numidie'. On peut en conclure que Bocchus reçut ce prix de sa trahison. Jusqu'où étendit-il ses Etats vers l'Est? Si l'on mesure le littoral depuis la Mulucha, frontière entre Bocchus et Micipsa, jusqu'à la Tusca, frontière de la province romaine, le tiers de la distance tombe e4itre l'embouchure du Chélif et Ténès^ Mais le royaume de Jugurtha avait sans doute moins de profondeur à l'Ouest (dans l'Algérie occidentale et centrale) qu'à l'Est, où il enveloppait VAfrica; au delà de VAfrica, il se prolongeait en bordure des Syrles. S'il s'agit du tiers du royaume pris en bloc, la cession faite à Bocchus a pu reculer sa frontière sur la Méditerranée bien au delà du Chélif. Cette frontière resta cependant en deçà de l'embouchure de l'Ampsaga (l'oued el Kebir, au Nord-Ouest de Constantine), car c'est seulement en 46 qu'un successeur de Bocchus, Bocchus le Jeune, devint maître du pays jusqu'à l'Ampsaga, lors de la disparition du second royaume numide''. Celui-ci, nous l'avons dit, se déve- 1. F. supra, p. 10. 2. Plutarque, Marins, 32. Ce que, d'après Salluste, Bocchus avait demandé {Jug., LXXX, 4; Cil, 13; CIV, 4) et ce que Sylla lui avait promis {ibid., CXI, 1). 3. Jug., CXI, 1. 4. Ibid., XCVll, 2. 5. Un auteur, copié par Pomponius Mêla (I, 29) et par Pline l'Ancien (V, 19), mentionnait un fleuve frontière qu'il appelait Mulucha, et qui, d'après le contexte, pouvait répondre au Chélif. Il donnait, du reste, au sujet de ce fleuve, des indi- cations qui conviennent à la Moulouia, appelée dans l'antiquité Mulucha. On s'est demandé (E. Gôbel, Die Westiciiste Afrikas im Allerlum, Leipzig, 1887, p. 93) si celte confusion n'aurait pas eu pour cause le fait que le Chélif aurait, comme la Moulouia, servi de frontière : il aurait limité à l'Est les États de Bocchus, agrandis par la cession du tiers de la Numidie. Confusion qui serait fort expli- cable, si le Chélif avait vraiment porté, lui aussi, le nom de Mulucha, ou, du moins, un nom très analogue. Voir t. V, p. 92-93. 6. Voir t. VIII, l. I, ch. v, § I. LA FIN DE LA GUERRE CONTRE JUGURTHA. 265 loppait à l'Ouest de Cirta, qui appartenait au premier royaume. Il devait être assez vaste : autrement, Cicéron' n'aurait pas pris la peine de le mentionner dans cette phrase où il indique l'itinéraire suivi par Vatinius en 62 pour se rendre d'Italie en Espagne : « Ne te souviens-tu pas d'avoir passé par la Sardaig-ne, puis par l'Afrique, ensuite... par le royaume d'Hiempsal, par le royaume de Mastanesosus [c'est le royaume en question] et d'être parvenu au détroit par la Maurétanie? » On a supposé que Bocchus l'Ancien reçut en 105 le littoral jusqu'à Saldas (Bougie) ^ Mais cette hypothèse ne s'appuie sur aucun argument solide ^ et, pour laisser plus de place à ce royaume de Mastanesosus, nous serions disposé à reporter la frontière plus à l'Ouest. On ne saurait rien affirmer à cet égard \ 1. In Vatinium, 5, 12. 2. Mommsen, Hist. romaine, trad. Alexandre, V, p. 117, n. 1 ; VIII, p. 24, n. 1. L. Mùller, Numism. de l'ancienne Afrique, III, p. 38 et 80. 3. Strabon (XVII, 3, 12) mentionne, entre Césarée (Cherchel) et le cap Trêton, un grand port, « qu'on appelle Salda ». Et il ajoute : « C'est la limite entre le territoire de Juba [il s'agit de Juba II] et celui des Romains, car cette contrée a été partagée de diverses manières, les possesseurs en ayant été nombreux et les Romains les ayant eus soit pour amis, soit pour ennemis, de telle sorte qu'il leur est arrivé de donner ou d'enlever des territoires aux uns et aux autres, de manières variables. » Ce texte donnerait plutôt des raisons de croire que la limite orientale du royaume de Bocchus l'Ancien ne concordait pas avec celle de Juba IL Il convient d'ajouter qu'il contient une inexactitude : le royaume de Juba se ter- minait, non pas à Saldas, mais à l'Ampsaga (voir t. VIII, 1. II, ch. ii, § I). 4. Si, comme il est vraisemblable, Bocchus se trouvait, lors de la visite de Sylla, sur la partie de la Numidie que Jugurtha lui avait cédée, cette région devait s'étendre vers l'Est jusque dans le département d'Alger : v. supra, p. 254. loi (Cherchel) servit de capitale à un Bocchus, avant de devenir la résidence de Juba II sous le nom de Caesarea : Solin, XXV, 16. Mais il s'agit du Bocchus con- temporain de César, plutôt que du Bocchus contemporain de Marins. CHAPITRE V L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE DE MARIUS A CÉSAR Nous ne savons presque rien sur ce qui se passa dans l'Afrique du Nord pendant plus d'un demi-siècle *, entre la guerre de Jugurtha et l'expédition de Jules César contre les Pompéiens. Nous ne pouvons même pas reconstituer avec certi- tude la liste des souverains indigènes et les limites de leurs Etats. Que leurs règnes aient été troublés par des révoltes et des guerres, c'est ce que nous permettent de croire quelques brèves indications, qui nous sont parvenues par hasard. D'autres textes, un peu plus nombreux, concernent les rapports de ces prmces avec les Romains. Après la Numidie, la Mauré- tanie étail; entrée dans la sphère de la République. Mais comme, à cette époque, des partis hostiles se disputèrent souvent le gouvernement de Rome, les rois africains durent choisir entre ces factions, et il leur arriva d'être, de gré ou de force, entraînés dans leurs luttes. 1. Pour cette période, on peut consulter : J. Biereye, Res Numidarum et Maiirorum. annis inde ab a. DCXLVIII usque ad a. DCCVIII ab U. C. perscribantur, Halle, 1885; E. Gôbel, Die Westkiisle Afrikas im Altertum und die Gescfiichte Maaretaniens bis zum Tode seines letzten Kunigs, Leipzig, 1887. Voir aussi L. Muller, ^'umi.■). Celui-ci cite Tanusius dans sa Vie de César (chap. 22). On peut supposer qu'il s'est aussi servi de lui dans son Serloriax. Il s'agit sans doute de Tanusius Geminus, contemporain de Jules César et auteur à'Annales très étendues (conf. t. V, p. 21). Plutarque a-t-il consulté les Histoires de Salluste, ouvrage qui ne commen(.ait qu'avec l'année 78, mais qui, à propos de Sertorius, rappelait des événements antérieurs (conf. infra, p. 270, n. .t; p. 273. n. 1)? A mon avis, nous n'en avon.< pas la preuve, du moins en ce qui concerne les affaires d'Afrique. Remarquons que, pour le retour de Sertorius en Espagne, Plutarque ne donne pas des détails que nous lisons dans un fragment de Salluste {infra, p. 273, n. 1). Le nom indigène qui est transcrit dans Plutarque sous la forme "lq)6a (au génitif) l'était peut-être dans Salluste sous une forme assez différente (leplas? : v. infra, p. 271) ; ce qui e.vclurait l'hypothèse d'un emprunt du premier au second. — Pour les faits que nous allons raconter, conf. A. Schulten, Sertorius (Leipzig, 1926), p. 47 et suiv. 2. Plutarque, Sertorius, 7. Allusion dans Florus, II, 10, 2; voir aussi Paul Orose, V, 23, 2. 3. Plutarque, l. c, 7-8. 4. Conf. t. I, p. 523, n. 1. 5. Plutarque, l. c, 8. Salluste, Hist., I, 100-102, édit. Maurenbrecher. Florus. Le. L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE DE MARIUS A CÉSAR. 271 Il renonça pourtant à ce projet et retourna en Afrique. Les Ciliciens l'avaient quitté ; ils étaient allés rejoindre un prince que Plutarque appelle Ascalis, fils d'Iphthas, et l'aider à reconquérir la royauté chez les Maures'. Sertorius se mit, au contraire, du côté des adversaires d'Ascalis^. Qu'était ce prince, qui, comme nous allons le voir, restait, malgré la révolte d'une bonne partie de ses sujets, maître de Tingi, la cité la plus importante de la Maurétanie, et qui fut soutenu par les Syllaniens? On sait quelles attaches étroites Bocchus avait eues avec Sylla. On sait aussi que, précisément en ce temps-là, Bogud, fils de Bocchus, fut le zélé auxiliaire de Pompée, envoyé par Sylla en Afrique pour combattre les Marianistes et leurs alliés numides. Il est donc permis de croire que, si Ascalis avait été un ennemi de la famille de Bocchus, un usurpateur, il n'aurait pas bénéficié de l'appui des Sylla- niens. D'autre part, s'il n'avait été qu'un vassal du roi de Maurétanie, il serait malaisé d'expliquer comment celui-ci lui aurait abandonné la principale ville de son royaume. Le père d'Ascalis, « Iphthas », se confond peut-être avec unc< Leptasta », qui est mentionné dans un fragment des Histoires de Salluste^ et qui régnait en Maurétanie. Il y aurait lieu de corriger dans ce texte Leptasta en leptasta, ou plutôt en leptas : un copiste aurait pris l'I initial pour une L et répété par erreur les deux lettres ta\ Le même nom se retrouve dans des inscriptions libyques, puniques et latines % sous les formes IFTN, YPT'N, 1. Plutarque, L c, 9 : "Ao-xaltv tov "Icp6a y.aTaîovte;; ètiI Tr,v Ma^pouaitov paaiXecav. 2. Plutarque, l. c. 3. II, 20, édit. Maurenbrecher : « ... quern ex Mauritania rex Leptasta prodi- tionis insimulatum cuin custodibus miserat ». On ignore de quoi il s'agit. Si ce roi était le père d'Ascalis, Salluste racontait ici un fait antérieur à l'époque à laquelle commençaient ses Histoires. 4. La répétition serait de date très ancienne, puisque le grammairien Priscien, qui nous fait connaître ce passage de Salluste, a lu Leptasta : il indique que cette forme latine correspond à la forme grecque AeuxiffTr; (Gramm. lat. de Keil, II, p. 143). 5. Voir Gsell, Inscr. lat. de V Algérie, I, au n° 735. 272 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. lepta ', leptan^ leptha. Il s'agirait donc de deux princes, appa- rentés ou non à Bocchus, qui pourraient avoir régné après celui-ci dans la partie occidentale de ses Etats, tandis qu'un fils de ce Bocchus, Bogud, aurait régné dans la partie orientale, au delà de la Mulucha. Mais nous ne nous dissimulons pas la fragilité de ces hypothèses. Ayant débarqué en Maurétanie, Sertorius fut accueilli avec joie par les rebelles ^ On ne saurait dire s'il y avait entente entre lui et les Marianistes, qui détinrent la province d'Afrique jusqu'au jour où ils furent vaincus par Pompée et qui eurent pour allié un roi numide, Hiarbas, pour ennemis un autre roi numide, Hiempsal, et le Maure Bogud. En tout cas, Sertorius, vainqueur d'Ascalis dans une première rencontre, se heurta à des troupes que Sylla envoya, — peut-être d'Espagne % — pour prêter leur appui à ce prince, et que commandait un général appelé Paccianus. Ce dernier fut battu et tué ; les siens se joignirent à Sertorius, qui, après un siège, s'empara de Tingi, où Ascalis et ses frères s'étaient réfugiés*. On raconte qu'auprès de cette ville, il fit ouvrir un tertre qui passait pour contenir les ossements du géant Antée, l'adversaire malheureux d'Hercule ; on ajoute qu'il y trouva, en efîet, un corps de soixante coudées de longueur ^ Maître de tout le pays environnant, il traita bien les indigènes 1. Gsell, l. c, 1581 : leptae, au génitif; ibid., 1582 : Leptae, par une erreur semblable à celle que nous admettons ici. 2. Plularque, Sertorius, 9. 3. Plutarque ne le dit pas. On pourrait se demander si ces troupes ne furent pas fournies par l'armée de Pompée : vainqueur de Domitius et d'Hiarbas et revenu à Utique. il les aurait envoyées par mer à Tingi. Selon l'auteur du Bellum Africain (XXII, 2), Pompée aurait eu à s'occuper de la Maurétanie pendant sa campagne d'Afrique. 11 est vrai que ce qu'il dit de celte intervention est certai- nement inexact : (Pompeius) <■ Siciliam, Africam, Numidiam, Mauretaniam mirabili celeritate armis recepit. » 4. Plutarque, l. c. 5. Plutarque, L c. La découverte du squelette d'Antée par Sertorius était, au témoignage de Strabon (XVIl, 3, 8), racontée par l'historien romain Tanusius (TavJaiô;; il n'y a pas lieu de corriger Faoivtoî, ou i^a/.ojiTTio;). Sur ce prétendu tombeau d'Antée et son emplacement, voir t. VI, p. 221. L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE DE MARIUS A CÉSAR. 273 et n'exigea pas d'eux plus qu'ils n'étaient disposés à lui donner. Mais les Lusitaniens lui envoyèrent alors des députés pour le prier de venir se mettre à leur tête. Il répondit à cet appel et retourna en Espagne * ; sept cents Maures qu'il avait enrôlés l'accompagnèrent ^ La chronologie de ces événements ne peut pas être fixée avec précision : ils se répartissent probablement entre l'année 81 et le début de l'année suivante. L'Afrique ne revit plus Sertorius. Il périt assassiné, en 72. Quelques-uns des officiers romains qui avaient participé à ce crime s'enfuirent en Maurétanie, après que leur armée eut été vaincue par Pompée, mais des indigènes les tuèrent ^ L'histoire des Maures se dérobe ensuite à nous. En 49, au commencement de la guerre civile entre César et Pompée, la Maurétanie était partagée en deux royaumes, que séparait la Mulucha^. Celui de l'Est avait pour souverain Bocchus ^ ; celui de l'Ouest, Bogud^ Nous ne saurions dire quand ces princes commencèrent à régnera Bogud, lorsqu'il mourut, en 31, était encore un homme vigoureux et capable de faire campagne ^ : ce 1. Plutarque, Sertorius, 9; 10; 11. Ua fragment des Histoires de Salluste (I, 104, édit. Maurenbrecher) se rapporte à ce passage de Maurétanie en Espagne : « Sertorius, levi praesidio relicto in Mauritania, nactus obscuram noctem aestu secundo furtim aut celeritate vitare proelium in transgressu conatus est. » 2. Plutarque, l. c, 12; conf. ibid., 13 et 19. 3. Plutarque, l. c, 27. 4. Pline l'Ancien, V, 19 (d'où il résulte que les deux royaumes avaient les mêmes limites que, plus tard, les deux provinces romaines de Maurétanie, séparées par la Mulucha). 5. Ce Bocchus, qui régna jusqu'en 33, eut pour capitale loi, aujourd'hui Cherchel (supra, p. 265, n. 4). Mais on ignore s'il résidait déjà dans ce lieu en 49 et si c'était sa seule capitale. 6. Ce qu'atteste, outre Pline (L c), le récit des événements auxquels ces deux rois furent mêlés : voir au tome VIII. 7. Strabon écrit (XVII, 3, 7) : « Peu de temps avant nous (pitxpbv izpo r,|j.àiv), les rois Bogud et Bocchus possédaient cette contrée. » On aura peine à admettre, avec Unger (Philologus, N. Polge, IX, 1896, p. 247), qu'en s'exprimant ainsi, Strabon ait voulu dire, d'une manière précise, que la Maurétanie fut partagée entre ces deux princes peu de temps avant sa propre naissance (vers 64 avant J.-C). 8. Strabon, VIII, 4, 3. Dion Cassius, L, il, 3. 274 ROME ET LES llOIS AFRICAINS. qui permet de supposer qu'il ne parvint pas au trône longtemps avant le milieu du i" siècle ^ Eu égard à lidentité des noms, il est assez vraisemblable que ce Bocchus et ce Bogud appar- tenaient à la même famille que le Bocchus contemporain de Jugurtha et le Bogud dont il fut le père-. Mais cela n'est pas sûr et il est bien plus douteux encore que le Bocchus et le Bogud qui furent contemporains de César aient été frères. De quand datait la division en deux royaumes des Etats réunis à la fin du second siècle sous l'autorité de Bocchus l'An- cien? Peut-être de la mort de ce Bocchus, et l'on pourrait pro- poser pour le royaume de l'Ouest une liste de rois comprenant Iphthas, Ascalis, puis Bogud ; pour le royaume de l'Est, un autre Bogud, fils de Bocchus l'Ancien, puis Bocchus le Jeune. Peut-être d'une époque plus récente ^ Nous sommes ici en pleine incertitude ^ : les textes ne nous apportent que des ren- 1. Selon Dion (XLI, 42, 7), c'est en 49 seulement que Bocchus et Bogud furent reconnus rois, par César et les sénateurs qui siégeaient à Rome. Si leur règne avait commencé longtemps auparavant, ils auraient sans doute obtenu plus tôt du gouvernement romain leur reconnaissance officielle. 2. Au début de 49, on proposa dans le Sénat d'envoyer Faustus Cornélius SuUa en Maurétanie (César, Bell, civ., I, 6, 3). Le choix de ce personnage ne se comprend guère que si les deux rois maures avaient des raisons de famille pour faire bon accueil au fils du dictateur Sylla, de l'ami de Bocchus l'Ancien. 3. En l'année 62, Vatinius gagna l'Espagne en parcourant l'Afrique septen- trionale de l'Est à rOuest {v. supra, p. 265). Après avoir traversé les royaumes d'Hiempsal et de Mastanesosus, • ad fretum per Mauretaniam venit », dit Gicéron {In Vatinium, 5, 12). Le singulier Mauretaniam prouve-t-il qu'à cette époque, il n'y ait eu dans la Maurétanie qu'un seul royaume? J'en doute fort. Un autre passage de Gicéron {Pro Si/lla, 20, 56) n'est guère plus probant : il nous apprend qu'ea 64, Sittius était en affaires « cum Mauretaniae rege » (un peu plus loin, 20, 58, parlant encore des affaires de Sittius, l'orateur semble indiquer que celui-ci fut en rapports avec plusieurs rois : « ... ut in provinciis et regnis ei maximae pecu- niae deberentur »). Le Bellum Alexandrinuni (Ll, 1) montre combien il serait imprudent de tirer de ces textes des conclusions très précises. On y lit que Gassius, qui commandait en Espagne au temps de la guerre civile, reçut l'ordre de se rendre « per Mauretaniam ad fines Numidiae ». Or, il y avait à cette époque deux royaumes de Maurétanie, celui de Bogud et celui de Bocchus. 4. Aussi ne faut-il pas s'étonner que d'autres hypothèses aient été présentées pour la série des rois maures. Par exemple, L. Miiller (A'umism., III, p. 87) croit que la division en deux royaumes fut faite lors de la mort de Bocchus 1", vers 80; à l'Est, auraient successivement régné deux autres Bocchus : Bocchus II (80?-50?) et Bocchus 111 (50?-33) ; à l'Ouest, deux princes appelés Bogud : Bogud I" (80?-50?) et Bogud 11 (.ï0?-38). Bocchus 11 et Bogud 1" auraient été fils de Bocchus I", et pères, l'un de Bocchus III, l'autre de Bogud 11. L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE DE MARIUS A CÉSAR. 275 seigaements insuffisants, et nous ne disposons pas d'autres documents, car les seuls rois maures qui soient mentionnés sur des monnaies avant Juba II, contemporain d'Auguste, sont le dernier Bocchus et le dernier Bogud '. Nous dirons plus tard le rôle que ces deux souverains jouèrent dans les guerres civiles romaines aux temps de César et d'Octave. Le reste de leur vie est inconnu. Strabon^ mentionne, d'après un auteur grec^ une expédition que Bogos, roi des Maures, — sans doute ce Bogud, — fit contre des Éthiopiens qui occupaient le littoral de l'Océan, au Sud de ses Etats. Gela pour nous apprendre que, de ce pays, il envoya des roseaux et des asperges gigantesques à sa femme : peut-être à cette Eunoé qui aurait accordé, on ne sait où ni quand, ses faveurs à Jules César*. D'autres guerres eurent lieu dans l'Ouest de l'Afrique septentrionale : c'est tout ce que nous permet de dire une brève indication relative au Gampanien Sittius. Cet aventurier, ayant rassemblé en Maurétanie des bandes composées d'Italiens et d'Espagnols, fit, pendant de longues années, — de 64 à 47 avant J.-C, — le métier de condottiere, intervenant dans les querelles des rois et soutenant tantôt l'un, tantôt l'autre % II En Numidie, Gauda, devenu sans doute roi après la victoire des Romains sur son frère Jugurtha^, mourut avant l'année 88, 1. Voir t. V, p. 160-161. 2. XVII, 3,5. 3. 'I?'.7.pâTr,î sur les manuscrits. On a proposé de corriger 'T^-.y.pixr,^. Cet Hypsicrate était un historien contemporain de César. Conf. t. V, p. 21. 4. Suétone, Jules César, 52 : . Dilexit et reginas, inter quas Eunoen Maurara Bogudis uxorem, cui maritoque eius plurima et immensa tribuit, ut Naso scripsit. » 5. Appien, Bell, civ., IV, 54. Voir t. Y, p. 148; t. VIII, 1. I, ch. ii, § I. — Peut- être Maures et Numides s'étaient-ils combattus. Dion Cassius (XLI, 42, 7) indique que Bocchus et Bogud étaient ennemis de Juba I", même avant de s'attacher, dans la guerre civile, à la cause de César, 6. V. supra, p. 263. 276 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. car c'était alors son fils Hiempsal ' qui détenait la souverai- neté, tout au moins dans la partie de la Numidie qui confinait à la province d'Afrique -. Ces deux princes se montrèrent, autant qu'il semble, des alliés fidèles, ou plutôt des vassaux dociles de Rome : nous savons par Appien^ que des auxiliaires numides furent envoyés en Italie pour participer à la guerre sociale. Du reste, le Sénat s'assurait contre des trahisons possibles. On mentionne un fils du roi des Numides, un Adherbal *, qui séjourna à Rome comme otage vers le début du I" siècle. M. Livius Drusus^ le prit chez lui, espérant, dit-on, que le roi lui paierait secrètement une sorte de rançon, si ce jeune homme recouvrait sa liberté ^ Nous n'avons pas à raconter comment, après l'occupation militaire de Rome par Sylla, en 88, Marins put échapper à la mort. De Minturnes, il gagna cette Afrique ' où il avait jadis acquis tant de gloire, où nombreux étaient ceux qui avaient servi sous ses ordres, où régnait le fils de ce Gauda auquel il avait donné la Numidie**, Il prit terre, non pas dans la province, mais bien plus au Sud, dans l'île de Méninx (Djerba) ^ Là, il apprit que son fils •", proscrit comme lui-même, était sauf et qu'en compagnie de 1. Supra, p. 263, n. 5. 2. Plutarque, Marias, 40. Appien, Bell, civ., I, 62. V. infra, p. 277-8. 3. Bell, civ., I, 42. 4. Il n'est pas autrement connu. Conf. t. V, p. 123, n. 2. 5. Celui qu'on accusa d'avoir livré Magudulsa à Bocchus : v. supra, p. 269. 6. De viris illustr., 66 : <■ Adherbalem, fllium régis Numidarum, obsidem domi suae suppressit [corr. surapsit?], redemptionem eius occultam a pâtre sperans. • 7. Plutarque, Marias, 40. Appien, Bell, civ., l, 62. Tite-Live, Epit. l. LXXVll. Paul Orose, Adv. pagan., V, 19, 8. De viris illustr., 67. Velléius Paterculus, II, 19, 4. Valère-Maxime, I, 3, 5. Cicéron, Pro Sestio, 22, 50; In Pisonem, 19, 43; Post redit, ad Quirites, 8, 20. Lucain, II, 88-90. 8. Conf. supra, p. 263. 9. Plutarque, L c. Solin, XXVII, 40 : « Mené insula post Minturnenses paludes C. Mario fuit latebra. » Cicéron {Pro Sestio, 22, 50) dit, sans plus préciser : « ... cum omnes portus terrasque fugeret, in oras Africae desertissimas perve- nisse. • C'est à tort qu'un scoliaste de Cicéron (Schol. Bobiensia à Pro Plancio, 26, p. 131 de l'édit. Hildebrandl) dit que Marins se rendit aussitôt à Carlhage. 10. Son fils adoptif. L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE DE MARIUS A CÉSAR. 277 Cornélius Célhég-us, il se rendait auprès d'Hiempsal, pour demander aide '. Encouragé par ces nouvelles, il quitta Méninx et se dirigea vers la province, alors gouvernée par un certain Sextilius -, qui n'avait éprouvé de lui ni bien, ni mal. Il débarqua sur l'emplacement de Carthage. Un licteur ne tarda pas à se présenter, lui faisant défense, au nom de Sextilius, de pénétrer en Afrique : sinon, le préteur, se conformant au décret du Sénat, le traiterait en ennemi des Romains. Comme Marius, accablé de douleur, restait silencieux, l'homme lui demanda quelle réponse il devait transmettre à son chef. Cette réponse, — authentique ou légendaire, — on la connaît : « Annonce-lui donc que tu as vu Gains Marius fugitif, assis sur les ruines de Carthage \ » L'illustre exilé reprit la mer* et retourna vers la petite Syrte, au delà de la province '. Il se trouvait à terre de ce côté, quand il fut rejoint par son fils. Bien résolu à n'agir que selon son intérêt, mais ne sachant pas encore quel parti prendre, Hiempsal avait reçu le jeune Marius avec honneur. Cependant, quand celui-ci voulut partir, le roi inventa divers prétextes pour le retenir et, par conséquent, pour pouvoir, le cas échéant, disposer de lui. Le Romain, raconte Plutarque, dut son salut à l'amour que sa beauté inspira à l'une des concubines d'Hiempsal ; cette femme lui fournit les moyens de s'enfuir avec ses compagnons ^ Il parvint auprès de 1. Plutarque, l. c. Pour la fuite de Marius le fils en Afrique, conf. Plutarque, Marius, 35; Appien, Bell, civ., I, 62; Tite-Live, Epit. l. LXXYIl; Schol. Bobiensia à Cicéron, Cum sénat, grat. egit, 38, p. 58, Hildebrandt. 2. Sic dans Plutarque. Dans Appien {L c.) il est appelé à tort Sâ;-:'.o:. 3. Plutarque, Marius, 40. Conf. Manilius, IV, 47; Velléius Paterculus, II, 14, 9; Lucain, II, 91-93. 4. II n'est pas vraisemblable qu'il ait fait un séjour à Carthage, comme le prétend Velléius Paterculus, Le.:* ... inopemque vitam in tugurio ruinarum Carthaginiensium toleravit. • 5. Appien, /. c. 6. Parmi lesquels Appien (l. c) indique Céthégus, Granius, Albinovanus et Laetorius. Granius, mentionné dans ce passage, n'était pas le Granius qui s'était rendu en Afrique avec son beau-père, le vieux Marius (Plutarque, Marius, 35; 37; 40; conf. Velléius, l. c.) : il y avait deux Granii parmi les proscrits (Appien, Bell, civ., I, 60). 278 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. son père'. Un mauvais présage^ aurait décidé les deux Marins à se jeter aussitôt dans une barque de pêcheur, pour gagner l'île de Cercina (Kerkenna),qui était proche. Bien leur en prit. Ils venaient à peine de lever l'ancre, quand ils virent arriver au galop sur le rivage des cavaliers, envoyés par Hiempsal ^ L'exil de Marins ne dura guère. Sylla était parti en Orient pour combattre Mithridate. En Italie, la guerre civile avait éclaté entre les consuls de l'année 87, dont l'un, L. Cornélius Cinna, appartenait au parti démocratique. Marius décida d'aller rejoindre Cinna, qui l'appelait*. Avec des cavaliers indigènes^ qu'il avait pu recruter, il constitua un corps d'un millier d'hommes. Il les débarqua en Étrurie, au port de Télamon^. Quelques semaines après, il entrait dans Rome, qu'il remplissait de meurtres. La mort le surprit au début de son septième consulat, en janvier 86. Mais les Marianistes conservèrent l'Italie jusqu'au retour de Sylla, au printemps de 83, et ce fut seulement dans l'automne de 82 que leur heureux ennemi remporta une victoire définitive. En Afrique, la province romaine avait été, dès l'année 84 \ le théâtre d'une lutte entre démocrates et aristocrates : nous n'en connaissons pas les détails. Un des chefs de la noblesse, 1. En s'enfuyant par terre, car les cavaliers numides qui faillirent le rejoindre, après qu'il eut lui-même rejoint son père, avaient été évidemment envoyés par le roi à sa poursuite. Appien (ibid., I, G2) dit cependant que le jeune Marius et ses compagnons vinrent par mer. Paul Orose (V, 19, 8) commet quelque confu- sion quand il écrit: (Marius) « in Africam transfugit sollicilatoque ex.Utica filio, ubi in custodia observabatur, continuo Romam regressus, etc. » 2. Deux scorpions qui se combattaient sur la plage. Marius était très super- stitieux : cette anecdote peut donc être vraie. 3. Plutarque, Maria?, 40. 4. Tite-Live, Epit. l. LXXIX. Velléius, II, 20, 5. De viris illustr., 67. Voir aussi Appien, Bell, civ., I, 64. 5. Plutarque (Marius, 41) dit : « des cavaliers maures » (Maupovatwv), ce qui est sans doute une expression impropre. Ces indigènes devaient (^Ive des Numides ou des Gétules. 6. Plutarque, l. c. 7. Cette date résulte des indications de VEpitome de Tite-Live (l. LXXXIV) et de la Vie de Crassus par Plutarque (chap. 6). L'AFRIQUE SEPTENTRIONALK DR MARIUS A CÉSAR. 279 Q. Caecilius Métellus Pius, y était venu* et avait pu y réunir une armée assez importante'^. C'était le fils du Métellus qui, de 109 à 107, avait conduit la guerre contre Jugurtha; lui- même avait alors fait campagne sous les ordres de son père ' : il n'était donc pas un inconnu pour les Africains*. Il fut rejoint par M. Licinius Crassus. Ce jeune homme avait échappé aux proscriptions de Marius et de Cinna, dont son père et son frère avaient été victimes; il s'était réfugié en Espagne et s'y était caché longtemps; puis, ayant appris la mort de Cinna (qui survint au printemps de 84), il était sorti de sa retraite et avait guerroyé quelque temps dans la péninsule, à la tète de 2 500 hommes qu'il avait levés'. Il passa ensuite avec eux en Afrique, pour prêter main-forte à Métellus. Mais les deux chefs ne s'entendirent pas ^ Métellus fut chassé par C. Fabius Hadrianus^ investi du gouvernement de la province par les Marianistes ^ Il s'enfuit en Ligurie et, bientôt, rejoignit Sylla, débarqué à Brindes ^ Quant à Crassus, il s'était séparé de Métellus. Quittant, lui aussi, l'Afrique, il alla trouver Sylla'", probablement avant que 1. On ne sait quand; en tout cas, après le retour de Marius et de Cinna à Rome (Plutarque, Marius, 42; Appien, Bell, civ., 1,68; Granius Licinianus, 35, p. 19-23, édit. Fiemisch; etc.). 2. Plutarque, Crassus, 6. 3. Salluste, Jag., LXIV, 4. Pseudo-Frontin, Stratag., IV, 1, 11. Conf. supra, p. 220. ,4. Pius tard, en 65, quand Catilina, après son gouvernement d'Afrique, fut accusé de concussions, Métellus Pius intervint en faveur des provinciaux : V. supra, p. 29, n. 3 et 4. 5. Plutarque, Crassus, 4-6. 6. Plutarque, l. c.,6. 7. Tite-Live, Epit. l. LXXXIV. 8. Des auteurs anciens se demandaient en quelle qualité cet Hadrianus gou- vernait l'Afrique (u. supra, p. 18, n. 3). Cicéron (Verrines, Âct. II, v, 36, 94) et VEpitome de Tite-Live (l. c.) lui donnent le titre de praetor (conf. Diodore de Sicile, XXXVIII, 11 : o-TpaTr,yôc). Mais, dans l'usage courant, on appelait praeiores les propréteurs aussi bien que les préteurs (supra, p. 19). Paul Orose (V, 20, 3) dit qu'Hadrianus était pro praetore (ce qu'il était, du reste, certainement dans la seconde année de sou gouvernement). — Sur Fabius Hadrianus, voir Pallu de Lessert, FusUs des provinces africaines, I, p. 22-23. 9. Appien, Bell, civ., I, 80. 10. Plutarque, Crassus, 6. 280 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. celui-ci ne fût revenu eu Italie. Hadrianus resta donc maître de VAfrica. II périt en 82 ', brûlé vif dans sa demeure officielle d'Utique, lors d'une émeute de citoyens romains, qui, dit Cicéron, châtièrent ainsi sou intolérable cupidité-. Selon Paul Orose, il s'était conduit en tyran, s'appuyant sur des esclaves ^ Les auteurs de cette exécution sommaire n'eurent jamais à en rendre compte en justice' : évidemment, Sylla, devenu tout puissant à Rome, ne pouvait trouver mauvais qu'on eût ainsi débarrassé l'Afrique d'un gouverneur marianiste. Le meurtre d'Hadrianus n'entraîna pas la perte de la province pour le parti démocratique. Dans l'automne de cette même année 82, ce fut tout d'abord en Afrique que se retira le consul Cn. Papirius Carbo, désespérant de vaincre les Syllaniens en Italie'. Mais il ne tarda guère à passer en Sicile*^; puis, à la nouvelle que Pompée débarquait dans l'île, il s'enfuit à Cossura (Pantelleria), comptant gagner de là l'Egypte; capturé, il fut amené à Pompée, qui le fit exécuter '. Cependant, en Afrique, de nombreux réfugiés marianistes s'organisaient à Clupea^ (dans la péninsule du cap Bon), sous le 1. C'est la date que donne VEpilome de Tite-Live (1. LXXXVI). Paul Orose (l. c.) indique l'année 83. 2. Verrines, Act. II, i, 27, 70 : « ... quod eius avaritiam cives Romani ferre non potuerunt. » — Valère-Maxime, IX, 10. 2 : « cum Hadrianus cives Romanos, qui Uticae consistebant, sordido imperio vexasset ... » Tite-Live, i. c. : « propter cru- delitatem et avaritiam ». 3. Adv. pagan., Y, 20, 3 : « Fabius Hadrianus ... regnum Africae servorum manu adfectans, a dominis eorum ... incensus est. » D'après Pseudo-Asconius (apud Cicéron, édit. Orelli, V, 2, p. 179), c'étaient des esclaves de la ville d'Utique, et Hadrianus se serait assuré leur appui, dans l'intention de massacrer les premiers personnages de cette ville : « Corruplo servitio civitatis illius, de prin- cipum nece conspirasse dicitur. • 4. Cicéron, l. c. Valère-Maxime, l. c. Diodore, XXXVIII, 11. 5. Plutarque, Sylla, 28. Appien, Bell, civ., I, 92; conf. ibid., 95. 6. Appien, l. c , l, 96. Conf. Plutarque, Pompée, 10. 7. Plutarque et Appien, II. ce. Tite-Live, Epit. l. LXXXIX. Paul Orose, V, 21, 11. Etc. 8. Schol. Bobiensia à Cicéron, Pro Sestio, 130, p. 103, Hildebrandt. Voir aussi Schol. Gronov. à Cicéron, Pro lege Manil., 28, dans l'édition de Cicéron parOrelli, V, 2, p. 441. L'AFIUQUE SEPTENTRIONALE DE MAHIUS A CÉSAR. 281 commandement de Cn. Domilius Ahénobarbus ', jeune homme - d'une illustre famille, mais qui, devenu gendre de Cinna ^, s'était rangé dans le parti démocratique et avait été proscrit par Sylla^; ses amis vantaient la pureté de ses mœurs et son patriotisme ^ Il eut pour allié Hiarbas, roi des Numides ^ Nous ignorons qui était cet Hiarbas' . Hiempsal, on l'a vu*, régnait en 88 avant J.-C. Appien' nous apprend qu'il fut ensuite détrôné par les Numides, et que ce fut Pompée, — vainqueur des Marianistes en Afrique, — qui le rétablit. De même, Salluste*** indique qu'Hiempsal fut rétabli par Pompée. Selon Plutarque", Pompée, après avoir fait prisonnier le roi Hiarbas, donna la royauté à Hiempsal : en réalité, il la lui rendit, et ce passage de Plutarque, combiné avec les textes d'Appienetde Salluste, permet de croire qu'Hiempsal avait été dépouillé de son royaume au profit d'Hiarbas. 1. Plutarque, Pompée, 10. Eutrope, V, 9, 1. Paul Orose, V, 21, 13. 2. Il périt « in ipso iuventae flore » : Valère-Maxime, VI, 2, 8. 3. Paul Orose, V, 24, 16. Domitius fut, par conséquent, beau-frère de Jules César. 4. Tite-Live, Epit. l. LXXXIX. 5. Helvius Mancia, apud Valère-Maxime, l. c. 6. Tite-Live, L c. : « In Africa Gn. Domitium proscriptum et Hiarbam regem Numidiae, bellum molientes ... > Voir aussi Eutrope, V, 9, 1 ; Plutarque, Pompée, 12. 7. 'làpïia? dans Plutarque, l. c. ; corr. 'Iâp6a;. Ce nom, que les Latins écrivent avec ou sans H, se retrouve dans la légende de Didon (t. I, p. 383, 386, 390-1). Il était d'origine phénicienne, s'il est identique à YHRB'L. nom qui se lit dans une inscription de Byblos (C. /. S., Pars prima. I, n° 1, 1. 1; Dussaud, dans Mélanges Hartwig Derenbourg, p. 151). Peut-être le même nom, sous la forme corrompue Earbal, — ou [I]earbal, — dans une inscription latine d'Afrique : Gsell, Inscr. lat. de l'Algérie, 1, 3229. — Dans Paul Orose (V, 21, 14) est mentionné Hiertas, roi de Numidie {« Hiertam Numidiae regem »), qui fut, comme Domitius, l'adversaire malheureux de Pompée et que celui-ci mit à mort après l'avoir fait prisonnier. Dautres textes donnant les mêmes indications au sujet d'Hiarbas, il y a tout lieu d'admettre que, dans Orose, le mot Hiertam est altéré et doit être remplacé par Hiarbam. C'était ce dernier nom qu'on lisait dans Tite-Live, source d'Orose (passage cité note précédente). Dans Eutrope (V, 9, 1), qui dépend aussi de Tite-Live, nous lisons : « Hiardam, regem Mauretaniae, etc. •; on voit que le nom du roi est ici légèrement corrompu et qu'il y a erreur au sujet du royaume. 8. Supra, p. 276-7. 9. Bell, civ., I, 80. 10. Hist,, l, 53, édit. Maurenbrecher : « Id bellum excitabat metus Pompei victoris, Hiempsalem in regnum restituentis. » il. Pompée, 12. 282 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. D'après l'auteur du De viris Ulustribus\ c'est à un Masi- nissa que Pompée rendit la Numidie, après l'avoir enlevée à Hiarbas. On croit généralement que le nom de Masinissa figure ici par erreur, au lieu de celui d'Hiempsal. Mais il paraît difficile d'expliquer comment une telle erreur aurait pu s'introduire, et l'existence, en ce temps-là, d'un roi numide portant le nom de Masinissa, — ou un nom très voisin, — n'est point inadmissible. Un peu plus tard, il y avait certainement, entre la Maurétanie et le royaume numide possédé par Hiempsal, puis par .Tuba Y\ un autre royaume numide; en 62 avant J.-C, il appartenait à un prince appelé par Cicéron Mastanesosus; en 47-46, à un prince appelé par Appien Mao-avio-jr^;-. Cette division de la Numidie en deux royaumes, oriental et occidental, pouvait remonter à une époque antérieure : peut-être aji lendemain de la guerre de Jugurtha% peut-être à la mort de Gauda. Le « Masinissa » du De viris illustribus et Hiempsal auraient régné simultanément, le premier dans l'Ouest, le second dans l'Est de la Numidie ; on ne saurait dire s'ils étaient parents. L'un et l'autre auraient été détrônés, et Hiarbas, les remplaçant, serait devenu souverain de toute la Numidie \ Un indice permet de supposer qu'il choisit pour capitale la ville de Bulla Regia % auprès de la Medjerda". Dans la guerre \. Chap. 77 : (Pompée) « Numidiam Hiarbae ereptam Masinissae restituit. » 2. V. infra, p. 290 et suiv. 3. Hypothèse que nous avons indiquée plus haut, p. 263. 4. M. Lenschau (dans la Beal-Encyclopàdie, VIII, p. 1388) se demande si Hiarbas n'était pas un chef gétule. Il fait remarquer que, dans Virgile (Enéide, IV, 326), le roi légendaire larbas est qualifié de Gaelulas : ce qui convenait peut-être, en réalité, au roi historique. li est superflu de discuter cette hypothèse (Ovide, Fastes, III, 552, qualifie de Maurus le Gaetulas larbas de Virgile, tout en le donnant pour chef à des Numidae). On peut supposer qu'en 81, des Gélules s'accor- dèrent avec Hiarbas pour soutenir les Marianistes {v. infra, p. 287), mais cela ne prouve pas qu'Hiarbas ait été lui-même un Gétule. 5. S'enfuyant devant Pompée, qui venait de la région d'Utique, puis devant Bogud, qui venait de la Maurétanie, Hierlas [lisez Hiarbas] retourna à BuUa, dit Paul Orose (V, 21, 14 : « Bullam reversum »). — Si l'on peut supposer que Bulla fut la capitale d'Hiarbas, il n'en faut pas conclure qu'elle ne faisait pas partie auparavant du royaume d'Hiempsal, puisque, — du moins à notre avis, — Hiempsal fut dépouillé de ses États par Hiarbas. 0. Pour cette ville, voir t. V, p. 262. L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE E MARIUS A CÉSAR. 283 civile qui déchirait la République romaine, il se mit du côté des Marianistes : ceux-ci avaient dû le voir avec plaisir supplanter cet Hiempsal qui, en l'année 88, avait eu une altitude si équivoque à l'égard de Marins et qui, depuis lors, s'était peut-être allié ouvertement au parti aristocratique. III Il importait à Sylla de ne pas laisser ses ennemis en possession d'une contrée d'où Rome tirait une partie des blés qui la nourrissaient. Après avoir été son meilleur auxiliaire en Italie, Pompée, vers la fin de l'année 82, avait occupé la Sicile : il fut chargé daller vaincre Domitius et Hiarbas. Cette expédition, qui ne nous est guère connue que parPlutarque', eut lieu en 81, probablement à l'automne-. Agé de vingt-cinq ans^. Pompée n'avait encore exercé i. Vie de Pompée, 11-13. On ne sait quelle est la source de Plutarque. Quelques indications dans VEpitome de Tite-Live (l. LXXXIX), Eutrope (Y, 9, 1), Paul Orose (Y, 21, 13-14), le De viris illustribus (77). Zonaras (X, 2) ne donne rien qui ne soit dans Plutarque. 2. Lors de la bataille que Pompée livra à Domitius, la pluie, accompagnée d'un vent violent, tomba pendant de longues heures (v. infra). En Tunisie, on peut avoir de ces temps entre octobre et mai, mais non pas entre mai et octobre. Cette bataille ayant suivi de très près le débarquement de Pompée, celui-ci aurait entrepris son expédition soit avant la lin du printemps, soit après le commencement de l'automne ; la seconde hypothèse est, je crois, préférable, eu égard aux préparatifs très importants qu'il dut faire. La période d'opérations militaires fut très courte. Mais Pompée ne quitta pas tout de suite l'Afrique et, de retour en Italie, il n'obtint peut-être pas aussitôt le triomphe. 11 le célébra le 12 mars (Granius Licinianus, 36, p. 31, édit. Fiemisch). Le célébra-t-il en 80 ou en 79? On ne saurait le dire. Les textes lui attribuent, lors de ce triomphe, soit 24 ans (Tite-Live, fîpti. l. LXXXIX: Eutrope, Y, 9, 11), soit 25 (Granius, L c), soit 26 (De viris illuslr., 77) : ils ne permettent donc pas une conclusion. L'ne loi autorisant, autant qu'il semble, Pompée à rentrer à Rome avec Vimperium, con- dition nécessaire pour triompher, fut proposée lorsque Sylla était consul (Salluste, hisi., II, 21, édit. Maurenbrecher), par conséquent au cours de l'année 80, mais cette indication ne nous permet pas non plus de choisir, pour la date du triomphe, entre le 12 mars 80 et le 12 mars 79. M. E. Pais (Fasti triumphales, p. 233) incline pour 80; d'autres préfèrent 79. 3. Plutarque (Pompée, 12) dit qu'il était dans sa 24° année. Mais cet auteur, — comme d'autres, du reste, — donne à plusieurs reprises des indications inexactes sur l'âge de Pompée, qui était né le 29 septembre 106. Voir à ce sujet Drumann, Geschichte Roms, 2' édit. par Groebe, lY, p. 332. 284 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. aucune magistrature. Mais, avant son départ pour la Sicile, le Sénat l'avait investi de Vimperium, afin qu'il pût commander légalement une armée'. Une décision de cette assemblée et une lettre du dictateur l'invitèrent à passer en Afrique-. Il est douteux que des pouvoirs plus étendus lui aient été conférés, qu'il ait reçu alors Vimperium consulaire, au lieu de Vimperium prétorien. Un passage de Cicéron' semblerait indiquer qu'il n'obtint le titre de pro consule que plus tard, quand on lui confia la tâche de combattre Sertorius, et un autre texte affirme qu'il triompha de l'Afrique en qualité de pro praetore''. D'autre part, une monnaie d'or, frappée en mémoire de son triomphe africain, lui donne le titre de pro co{n)s{ule) ■'. lly a là une contradiction qu'il est malaisé d'expliquer ^ Il prit la mer avec six légions complètes, 120 vaisseaux de guerre et 800 transports. Le débarquement se fit, partie à Utique, partie à Carthage'. Utique, capitale de la province 1. Tite-Live, Epit. l. LXXXIX : « In Siciliam cum imperio a seaalu missus. » Cicéron, De imp. Cn. Pompai, 21, 61 : « ... imperium atque exercilum dari, Siciliam pennilti atque Africam beliumque in ea provincia administrandum. » 2. Plularque, Pompée, 11. Conf. Appien, Bell, civ., I, 80; Cicéron, L c. 3. Cicéron, ibid., 21, 62 (avec le contexte). Voir aussi Plularque, Pompée, 13. 4. GraniusLicinianus, 36, p. 31, édit. Flemisch : « Pompeius ... eques Romanus ... pro praetore ex Africa triumphavit. » Cet auteur dépend d'un abrégé de Tite- Live. 5. Babelon, Monnaies de la Répabl. rom., II, p. 342, n" 6; Grueber, Cnns of the Roman Republic, II. p. 464, n» 20, et pi. CX, flg. 13. Au droit, la tête de l'Afrique, coiffée d'une dépouille d'cléphanl et accompagnée de l'inscription Magnas; au revers, Pompée sur un quadrige, avec l'inscription procos. 6. Il me paraît impossible d'admettre (avec Mommsen, Rom. Staatarecht, II, 2" édit., p. 634, n. 3) que Pompée se soit qualifié ici de pro consule par une usur- pation de titre. Il faudrait donc supposer que cette monnaie date d'une époque où il était véritablement proconsul; elle aurait, par conséquent, été frappée un certain nombre d'années après le triomphe qu'elle rappelle : on s'est demandé (Eckhel, Fr. Lenormant, Grueber) si elle n'est pas contemporaine du troisième triomphe de Pompée, en 61. Voir Pais, Fasti triumphales, p. 518-9. — Une autre hypothèse ne serait peut-être pas inadmissible, mais elle contredirait nettement l'assertion de Granius Licinianus. Pompée, venu en Afrique avec le titre de pro praetore, y aurait reçu du Sénat celui de pro consule, qu'il aurait possédé régu- lièrement lors de son triomphe. C'est précisément dans l'année de son expédition d'Afrique, où il fit fonction de gouverneur de la province, qu'une Icx Cornelia accorda le titre de pro consule à des gouverneurs qui, auparavant, n'avaient droit qu'au titre de pro praetore : v. supra, p. lil-20. 7. Plularque, Pompée, 11. — Lors de son séjour à Carthage, Pompée éleva des L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE DE MARIUS A CÉSAR. 285 romaine en même temps que cité libre, paraît donc n'avoir fait aucune difficulté pour accueillir le jeune général'. Sept mille hommes de troupes marianistes s'empressèrent de passer à lui^: peut-être se trouvaient-ils dans un camp très voisin de ce lieu^ Plutarque raconte que, parmi les soldats qui débarquèrent à Carthage, quelques-uns eurent la chance de découvrir un trésor important; du moins, ce fut le bruit qui courut. Une véritable fièvre s'empara de leurs compagnons d'armes, persuadés que ce sol était plein de richesses, enfouies avant la catastrophe où la ville avait sombré. Et, pendant plusieurs jours, des milliers de gens firent des fouilles en tous sens. Pompée, ne pouvant les en empêcher, prit le parti d'en rire et d'attendre qu'ils revinssent à la raison. Il les conduisit alors à l'ennemi*. La rencontre eut lieu non loin d'Utique^ Malgré la défection d'une partie de son armée, Domitius disposait encore d'environ vingt mille combattants*^; il est à croire que la plupart étaient des Numides, sujets d'Hiarbas. Il les avait rangés derrière un ravin escarpé. Mais comme, depuis le matin, il tombait une pluie abondante et qu'il faisait grand vent, il renonça à livrer bataille ce jour-là et ordonna la retraite vers le camp. Pompée, jugeant l'occasion propice, s'avance rapidement, traverse le ravin et tombe sur ces troupes, autels aux divinités auxquelles le sol de la ville punique était consacré (conf. Gastinel. Rev. archéol., 1926, I, p. 50 et 70). Car c'est ainsi, je crois, qu'il faut interpréter trois mots d'un passage où TertuUien (De pallio, 1) rappelle un certain nombre d'événements concernant Carthage, depuis sa destruction jusqu'à l'époque d'Auguste. On y lit : « post Gracchi obscena omina et Lepidi violenta ludibria, post trinas Pompei aras et longas Caesaris moras ». 11 me semble que TertuUien a voulu bien balancer les membres de .«a phrase, sans souci de l'ordre chronologique : au grand César, il a opposé le grand Pompée (d'autres ont cru qu'il s'agit ici du second fils de Pompée, Sexlus, mais n'ont pas donné de bons arguments à l'appui de leur opinion). 1. La guerre terminée. Pompée accorda le droit de cité romaine à des gens d'Ulique qui avaient combattu de son côté : Gicéron, Pro Balbo, 22, 51. 2. Plutarque, Pompée, 11. 3. Gonf. supra, p. 34. 4. Plutarque, /. c. 5. Paul Orose, V, 21, 13. 6. Plutarque, Pompée, 12. GsELL. — Afrique du Nord. VII. 19 286 HOME ET LES KOIS AFRICAINS. marchant en désordre, aveuglées par la pluie qui leur fouette le visage. La tempête gêne aussi les Syllaniens et les empêche de se bien voir : leur chef est près d'être tué par un soldat qui, ne le reconnaissant pas, lui demande le mot d'ordre et auquel il tarde à répondre. Cependant, les Marianistes sont bientôt mis en déroute; trois mille seulement, dit-on, échappent au massacre'. Salué imperator par les vainqueurs. Pompée leur déclare qu'il n'acceptera pas ce titre tant que le camp de Domitius restera debout. Avec eux, il s'élance vers les retran- chements : il a enlevé son casque pour ne pas courir le même danger que tout à l'heure. Le camp est pris aussitôt-. Domitius est tué : en combattant, selon Paul Orose^; mis à mort par Pompée après avoir été fait prisonnier, selon une autre ver- sion \ Les villes de la province se soumettent ou sont empor- tées d'assauts Hiarbas, qui semble bien avoir participé à cette bataille^, s'était enfui. Pompée le poursuivit. Du côté de la Maurétanie, accourut alors Bogud, fils de ce roi Bocchus qui s'était montré si fier de l'amitié de Sylla : il venait combattre l'allié des Marianistes. Hiarbas se heurta à lui, perdit dans cette rencontre 1. PhUarque, /. c. Selon Paul Orose (l. c), l'armée de Pompée aurait tué 18 000 ennemis. 11 est certain, en tout cas, qu'elle en tua beaucoup : « ... Africa, quae magnis oppressa hostium copiis eorum ipsorum sanguine redundavit », dit Gicéron, De inip. Cn. Pompei, 11, 30. 2. Plutarque, L c. Le même, Apophth., Cn. Pompeius, 4 (Coll. Didot, Plutarque, Moralia, t. I, p. 247). 3. L. c. : « Domitius ..., dum inter primores pugnal, occisus est. » Orose a du trouver celte indication dans Tite-Live. Cependant VEpitome et Eutrope, auteur dépendant de Tite-Live, mentionnent la mort de Domitius en des termes qui feraient plutôt supposer que Pompée l'avait ordonnée. Epit. l. LXXXIX : « Cn. Pompeius in Africa Cn. Domitium ... et Hiarbam ... victos occidit »; Eutrope, V, 9, l : « Domitium ... occidit. » Plutarque (/. c.) dit brièvement : « Le camp est pris et Domitius meurt. • 4. Helvius Mancia, s'adressant à Pompée, apud Valére-Maxime, VI, 2, 8 : « Vidi [aux Enfers] cruentum Cn. Domitium Ahenobarbum dellentem, quod ... tuo iussu esset occisus. » 5. Plutarque, Pompée, 12. 6. Cela n'est pas absolument certain, car l'expression dont se sert Plutarque l. c), 'làppav Tov (7u(i,u.axn^«'f» Aojjletu.), peut signifier simplement qu'Hiarbas était l'allié de Domitius. L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE DE MARIUS A CÉSAR. 287 toutes ses troupes et, revenant en arrière, alla s'enfermer dans BuUa. Mais la ville se rendit à Pompée, qui, maître d'Hiarbas, le fit périr*. Jugeant utile d'inspirer aux barbares la crainte des Romains, il n'évacua pas aussitôt la Numidie ; il trouva même le temps d'y chasser le lion et l'éléphant ^ Hiempsal fut remis en posses- sion de ses États ^ Peut-être aussi Masinissa, si l'on tire cette conclusion d'une phrase du De viris illustribus que nous avons cherché à expliquer plus haut*. Des Gétules avaient, un quart de siècle auparavant, reçu des terres de Marins, en récompense des services qu'ils lui avaient rendus pendant la guerre contre Jugurtha '. Il est probable qu'en 81, eux-mêmes ou leurs fils s'étaient rangés du côté des Marianistes. Après la victoire des Syllaniens, ils perdirent leur indépendance et devinrent sujets d'Hiempsal". Cette campagne, si brillante et si efficace ', fut très rapide : Pompée n'aurait mis que quarante jours à détruire ses ennemis, à soumettre la province d'Afrique et à régler ce qui concernait les rois ^ Étant revenu à Utique, il reçut une lettre de Sylla, lui ordonnant de licencier son armée % sauf une seule légion, et d'attendre dans cette ville l'arrivée de l'ancien préteur qui le 1. Paul Orose, V, 21, 14. Brèves mentions dans Plutarque, dans VEpilome de Tite-Live et dans Eutrope, II. ce. 2. Plutarque, Le. 3. V. supra, p. 281. 4. P. 282. 5. V. supra, p. 263-4. 6. Bdll. Afrie., LVI, 3. —Dans un fragment de Sailuste (cité p. 281, n. 10), il est question d'une guerre cau-;ée par la crainte qu'inspirait la victoire de Pompée, lequel venait de rétablir Hiempsal. Nous ne savons pas de quoi il s'agit. D'évé- nements qui se seraient passés alors en Maurétanie? 7. Pline l'Ancien (VII, 96) la résume ainsi : « Africa tota subacta et in dicionem redacta. » Cicéron, De imp. Gn. Pumpei, 21, 61 : ■• bellum maximum confecit »; conf. ibid., 11, 30. 8. Plutarque, Pompée, 12 (il indique ce cliiiïre de quarante jours, mais ea ajoutant : « dit-on »). Conf. Bell. Afric., XXII, 2 (cité supra, p. 272, n. 3. 9. « Ce qui impliquait le refus du triomphe », remarque Mommsen, Hist. roni., trad. Alexandre, V, p. 342. 288 HOME ET LES ROIS AFRICAINS. remplacerait'. Il en conçut un vif mécontentement, qu'il dissi- mula. Quant aux soldats, invités par lui à partir, ils manifes- tèrent bruyamment leur indignation contre le dictateur. Ils déclarèrent qu'ils n'abandonneraient pas leur général et ne souffriraient pas qu'il se fiât à ce tyran. Pompée essaie d'abord de les calmer, puis, ne pouvant les convaincre, il descend de son tribunal et, tout en pleurs, se retire sous sa tente. Les mutins vont l'y chercher et le ramènent. Une bonne partie de la journée se passe en instances réciproques. A la fin. Pompée jure qu'il va se tuer si on lui fait violence et il parvient ainsi à apaiser le tumulte. Si cette scène fut telle qu'on nous la raconte^, il s'y montra excellent comédien. Les premières nouvelles venues d'Afrique firent croire à Sylla que Pompée s'était séparé de lui. Mieux informé, il se rassura, mais jugea prudent de céder. Le vainqueur retourna avec son armée en Italie. Tous s'empressèrent de lui apporter leurs félicitations et de lui faire cortège. Sylla lui-même alla à sa rencontre et le salua du nom de Magnus, que les soldats lui avaient peut-être déjà donné en Afrique ^ Cependant, à Pompée qui demandait le triomphe, le dictateur et des sénateurs influents opposaient la loi : cet honneur ne pouvait être accordé qu'à des consuls et à des préteurs. Loin de renoncer à son ambition, il insista', sur le ton de la menace plus que de la prière, et eut raison de la mauvaise volonté de Sylla'. En 80 ou en 79, le 12 mars ^, il triompha ex Africa^. 1. Conf. supra, p. 22. 2. Plutarque, Pompée, 13. 3. Plulîirque, l. c. (et Stirtorius, 18); conf. Pline l'Ancien, Vil, 96; monnaie d'or mentionnée supra, p. 284. Pour ce surnom, voir Drumann-Groebe, /. c, IV, p. 342-4. 4. Plutarque, Pompée, 14; conf. Appien, Bell, civ., I, 80. Nous ne savons pas au juste comment se déroula l'alTaire. En tout cas, la question du retour de Pompée en Italie avec son armée et celle de son triomphe étaient connexes, ce qui n'apparaît pas dans le récit de Plutarque. D'après un fragment des Histoires de Salluste (II, 21, édit. Maurenbrecher), Sylla aurait joué un double jeu, 5. V. supra, p. 283, n. 2. 6. Sur ce triomphe, voir Plutarque, Pompée, 14; Appien, Bell, civ., I, 80; Tite- L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE DE MARIUS A CÉSAR. 289 Ayant ramené beaucoup d'éléphants des écuries royales, il avait voulu en atteler quatre à son char, mais la porte de la ville se trouva trop étroite pour les laisser passer et on dut les remplacer par des chevaux'. IV Après sa restauration, Hiempsal régna encore au moins vingt ans : des textes le mentionnent en 75, en 63 et en 62 avant notre ère^ Juba% son fils*, jeune encore en 63% était roi en 50®, sans doute depuis quelques années". Les Etats dHiempsal et de Juba s'étendaient très largement au Sud et à l'Ouest de la province romaine. Nous avons vu* qu'en 88, Hiempsal possédait le littoral de la petite Syrte. Redevenu roi, il recouvra naturellement cette région. En 46, Juba était maître de Thaenae, ville située vers l'entrée septen- trionale de la petite Syrte et tout près de la frontière romaine ^ Plus loin vers le Sud-Est, son royaume touchait le territoire de Leptis, entre les deux Syrtes "\ D'autre part, il bordait la province à l'Ouest du Byzacium (région d'Hadrumète, aujour- Live, Epit. l. LXXXIX; Granius Licinianus, 36, p. 31, édit. Fiemisch; Eutrope, V, 9, 1; De viris illustr., 77; Cicéron, De imp. Cn. Pompei, 21, 61; Bell. Afric, XXII, 3; Velléius Paterculus, II, 40, 4; Pline l'Ancien, VII. 96. 1. Plutarque et Granius, II. ce. Pline l'Ancien, VIII, 4. Conf. E. Pais, Dalle guerre puniche a Cesare Augusto, p. 227 et suiv. 2. Cicéron, De lege agraria, I, 4, 10-11 ; II, 22, 58 (eu lo et en 63). Suétone, Jules César, 71 (vers 63). Cicéron, In VaLiniuin, 5, 12 (en 62). 3. Ce nom parait être libyque, plutôt que ptiénicien (conf. t. I, p. 388-9). YWB'Y en écriture punique, sur des monnaies : L. Mùller, Numism., III, p. 42-43, n"' 50 et suiv. "looa; en grec (Plutarque, Appien, Dion Cassius, Élien, Athénée, etc.), plus rarement "Io-J6a; (Strahon). luba, en latin (monnaies, inscriptions, auteurs). 4. C. /. L., II, 3417; Cicéron, Leg. agr., II, 22, 59; Suétone, /. c. ; Dion Cassius, XLI, 41, 3. 5. Cicéron, i. c. : « adulescens ». 6. Dion, l. c. 7. Voir Bell. Afric, XCVII, 3. 8. P. 10, 277-8. 9. Voir t. y, p. 247, n. 6. 10. V. ibid., p. 200, n. 9, et ici, p. 9-10. 290 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. d'hui Sousse)'. La capitale, — ou plutôt une des capitales, — de ce Juba était Zama-, dont l'emplacement exact est inconnu, mais qui doit certainement être cherchée dans la Tunisie centrale ^ Le culte du roi Hiempsal se célébrait encore sous l'Empire à Thubursicu Numidarum, dans l'Algérie orientale ^ : c'est une raison de croire qu'IIiempsal et son fils avaient possédé ce lieu ^ Enfin, la vieille capitale de Syphax, de Masi- nissa, de iMicipsa, Cirta (Constantine) appartenait au royaume de Juba et en était même la ville la plus riche ^ Ce royaume ne confinait cependant pas à la Maurétanie. Une grande partie de l'ancien pays des iMaséesyles était en d'autres mains. A la fin du second siècle, Bocchus avait pu s'annexer, à l'Est de la Moulouia. un vaste territoire dont on igfnore la limite orientale" ; on ignore également si cette limite varia dans le demi-siècle qui suivit. Mais on sait qu'entre les États des successeurs de Bocchus et ceux d'Hiempsal et de Juba, s'inter- posait un autre royaume. Nous nous sommes demandé^ s'il n'existait pas déjà avant l'année 81, et s'il n'avait pas pour maître le Masinissa qui, selon l'auteur du De viris Hlustribus, fut restauré par Pompée, après avoir été remplacé pendant quelque temps par Iliarbas. En tout cas, l'existence de ce roya'.ime intermédiaire est attestée en 62 par un passage de 1. Comme l'attrste la marche de Considius à travers le royaume de Juba, pour aller d'Acholla à Hadrumète : BelL. Afric, XLIII. 2. T. V, p. 269, ri. 2. 3. Ibid., p. 208-9. — C'est probablement aussi dans la Tunisie centrale qu'étaient fixés ces Gétules, qui avaient reçu des terres de Marins et qui, après l'e-xpédition de Pompée, furent assujettis à Hiempsal: v. supra, p. 10. 4. Gsell, Inscr. lut. de l'Algérie, I, 1242. 5. Il est vrai que, longtemps après sa mort, Hiempsal était adoré aussi à Tubu- suptu, non loin de Bougie (C. /. L., VIII, 8834), dans une région qui, sans doute, n'appartint jamais à ce roi. Mais elle avait appartenu à des descendants d'Hiempsal, Juba II et Ptolémée, qui avaient pu y introduire le culte de leur ancêtre. A Thubursicu, ce culte ne put guère s'implanter qu'entre la mort d'Hiempsal et la constitution de la nouvelle province d'Afrique, c'est-à-dire sous Juba I". 6. Voir t. V, p. 273, n. 12. 7. V. supra, p. 264-5. 8. P. 282. L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE DE MARIUS A CESAR. 291 Cicéron', que nous avons cité ^ Le souverain en était alors « Mastanesosus ». Il faut peut-être l'identifier avec un roi africain de cette époque, dont on a des monnaies, à légendes néopuniques; elles indiquent ainsi son nom(les voyelles él,ant omises) : A1STNÇN^ On pourrait, cependant, supposer qu'elles appartiennent au prince appelé dans le De viris « Masinissa », ou à un roi, détrôné en 46, qu'Appien appelle Maa-avàa-o-AiÇ (équivalent grec delà forme latine Masinissa). La célébrité du grand Masinissa aurait fait imputer son nom à un prince numide qui, en réalité, aurait porté un nom légèrement différent*. Peut-être même ne doit-on pas exclure l'hypothèse que ces noms ne désignent qu'un seul personnage, dont le règne aurait commencé avant 81 et se serait terminé en 46. A nioins que l'on ne préfère admettre une succession de trois rois : Masinissa, Mastanesosus, puis un nouveau Masinissa, le Masanassès d'Appien. Ce Masanassès était père du roi Arabion^, qui, en 44, se trouvait en âge de commander des troupes; il avait donc dû naître lui-même au moins une quarantaine d'années plus tôt. Il fut, dit Appien", l'allié de Juba. Victorieux de celui-ci, Jules César donna le territoire de Masanassès àBocchus, souve- rain de la Maurétanie orientale, et à Sittius, qui en reçut la partie la meilleure. D'autres textes' nous apprennent que, lors de l'expédition de César, Bocchus et Sittius se jetèrent sur les Etats de Juba et s'emparèrent de Cirta, qui fut ensuite donnée par le dictateur à Sittius. Il en résulte que le royaume de Masanassès s'étendait entre la Maurétanie et Cirta, et qu'à l'Est, 1. In Vatinium, 5, 12. 2. P. 265. 3. Voir t. V, p. 160. 4. En punique, le nom de Masinissa s'écrivait MSNSN : voir t. III, p. 178, n. 1. 5. Appien, Bell, civ., IV, 54. 6. L. c. 7. Bell. Afric, XXV, 2-.3; XXXVl, 4. Appien, Bell, civ., II, 96. Dion Cassius, XLIII, 3, 1-4. 292 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. il était assez voisin de Girta, puisque Sittius reçut à la fois la ville et une partie du royaume. Ce royaume, Bocchus et le con- dottiere, venant de la Maurétanie, l'avaient nécessairement traversé pour pénétrer chez Juba et ils l'avaient conquis: César ne fit que leur en confirmer la possession. Quelles en étaient exactement les limites? Nous l'ignorons. Il était certainement moins important que celui d'Hiempsal et de Juba, qui s'étendait de Cirta jusqu'au delà de la petite Syrte. Souverain puissant, Juba paraît avoir imposésa politique à son « allié » Masanassès. Aussi ne savons-nous sur le royaume occidental de Numidie et sur ses maîtres que ce qui vient d'être dit. Nous sommes un peu mieux renseignés sur la Numidie orien- tale. Hiempsal, qui se laissa détrôner et ne fut rétabli que par la grâce de Pompée, ne se distingua sans doute pas comme homme de guerre. Mais, de même que son grand-père Masta- nabal ' et son petit-fils Juba II, il eut le goût des lettres : c'est à un ouvrage écrit en punique, dont il était, semble-t-il, l'auteur -, que Salluste a emprunté un récit sur les prétendues origines des peuples africains ^ z Juba P' n'eut pas les mêmes soucis intellectuels. Très désireux de se montrer sous un aspect avantageux, il portait de riches vêtements* et prenait grand soin de ses cheveux et de sa barbe"; sa coiffure était un laborieux échafaudage déboucles étagées^ F-n cela il se conformait, du reste, aux modes de son pays : monarque africain, il ne se piquait pas de ressembler aux Grecs et aux Romains. Orgueilleux et violent', il vidait volontiers ses querelles les armes à la main. Nous le voyons 1. Voir t. V!, p. 91. 2. Voir t. I, p. 331-2. 3. Jug., XVIII. 4. Bell. Afric, LVII, 5. 5. T. VI, p. 18 et 21. 6. Voir son portrait sur ses monnaies : L. Mûller, Numism., III, p. 42. Une tôte qui peut le représenter a été trouvée à Cherchel, où régna son fils Juba II : voir t. VI, p. 21, n. 1. 7. Gomme il le prouva plus tard, lors de la guerre entre César et les Pompéiens. L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE DE MARIUS A CÉSAR. 293 entreprendre dans le Sud une longue expédition contre des tribus rebelles', peut-être contre des Gétules% se jeter sur le territoire de Leptis ' ; nous savons qu'il était brouillé avec les deux rois maures Bocchus et Bogud*. Il ne se contenta pas d'orner Zama, sa capitale, d'édifices luxueux, palais et temples'; il en fit une place très forte, entourée d'un triple rempart» et capable de lui assurer un abri inexpugnable en cas de revers. Hiempsal paraît n'avoir donné aucun motif de méconten- tement à la République romaine, qui lui accorda le titre de roi ami^ Des auxiliaires numides sont mentionnés dans l'armée de César au commencement de la guerre des Gaules*. C'est peut-être sous ce prince que le monnayage numide commença à subir l'influence de Rome ' ; sous Juba P', on constate avec certitude l'emploi du système métrologique romain pour des monnaies d'argent, dont la plupart indiquent en latin le nom et le titre du souverain". Nous avons parlé" d'un accord conclu, en 75 avant J.-C, entre Hiempsal et le consul C. Aurélius Cotta, au sujet de terres du domaine public dont le roi était concessionnaire dans la province d'Afrique. Lors d'un séjour à Rome, en 64- 63, Juba, qui n'était encore que prince royal, fit, sans trop se 1. Éliea, Nat. anim., VII, 23. Cette expédition, heureuse pour Juba, aurait duré une année entière. 2. Conf. t. V, p. 165-6. 3. V. infra, p. 295. 4. Supra, p. 273, n. 5. — En 49, le bruit courut que Juba, en marche vers Utique. avait été rappelé dans son royaume par une guerre avec des voisins : César, Bell, civ., II, 38, 1 ; Appien, Bell, civ., II, 45. 5 Vitruve VIII, 3, 24. Deux de ces édilices sont peut-être représentes sur des monnaies de Juba : Mùller, Numism., III, p. 42-43, n°' 50, 51, 57; conf. ici t. VI, p. 86. 6. Vitruve, l. c. Conf. t. V, p. 269. 7. Gicéron, Leg. agrar., II, 22, 58 : « régi amico ». 8. César, Bell. GalL, II, 7, 1 ; II, 10, 1 ; II. 24, 4. 9. La chose est douteu.-^e : voir t. V, p. 159-160. 10. T. V, p. 160; VI, p. 118. 11. Supra, p. 80. 294 ROME ET LES ROIS AFRICAINS. cacher, les largesses nécessaires pour que cette convention ne fût pas abrogée '. Ce n'était sans doute pas seulement pour traiter cette affaire qu'il était venu en Italie. Un certain Masintha, — ainsi l'ap- pelle Suétone-, — jeune -Numide de rang élevé, appartenant peut-être même à la famille royale, avait eu un différend grave avec HiempsaP et s'était réfugié à Rome. Hiempsal le fit récla- mer par Juba^ et obtint une sentence favorable à sa demande. Pourtant Jules César avait soutenu la cause de Masintha avec beaucoup d'ardeur ; il s'était même emporté, au cours des débats, jusqu'à faire à Juba l'affront de le saisir par la barbe. Grâce à lui, Masintha put échapper au jugement qui le livrait au roi numide : César l'arracha des mains de ceux qui l'appré- hendaient, le cacha longtemps dans sa maison, et quand, en 61, 1. Cicéron, Leg. agrar., II, 22, 59. 2. Jules César, 71. Masintha est probablement le même nom que Masinissa, th représentant le son d'une sifflante (conf. supra, p. 190), et peut-être ce Numide, qui fut si hautement et si chaleureusement protégé à Rome, se raltachail-il par sa naissance à l'illustre Masinissa. Jeune homme en 61, il ne saurait être iden- tifié avec le Masinissa qui, selon le De viris illustribus, fut rétabli dans sa royauté en 81. Client de Jules César, il doit sans doute être distingué du Masanassès (Masinissa), qui, lors de la guerre civile, se mit du côté de Juba et des Pompéiens. Mais il n'est pas inadmissible qu'il ait été identique à un Masinissa dont parle Vitruve(VIlI,3, 25) : « Gaius Iulius Masinissae filius ... cum pâtre Caesare militavit. Is hospitio meo est usus, etc. » Si l'on ne corrige pas ce passage, les mots cum pâtre Caesare signifient « avec César le père », c'est-à-dire avec César le dictateur, père de César (Auguste), actuellement régnant (conf. Mommsen, Gesammelte Schriften, IV, p. 37, n. 4). Mais des éditeurs ont proposé de corriger soit cum pâtre Caesari militavit, soit cum pâtre snb Caesare militavit. L'ami de Vitruve possédait un vaste domaine dans le centre de la Tunisie, près de Zama. Mais cela n'autorise pas à croire qu'il fût originaire de cette partie de l'Afrique, car, ce domaine, il avait pu le tenir d'une libéralité de Jules César, maître de la Numidie après sa victoire sur Juba (conf. t. V, p. 208). Ses prénom et nom, Gaius Iulius, prouvent que lui-même ou son père devait au dictateur le droit de cité romaine. 3. Suétone {l. c.) se sert des termes « stipendiarium pronuntiatum » pour indiquer la condamnation qui frappa Masintha à Rome. On peut supposer que ce Numide s'était déclaré indépendant et avait refusé de payer le tribut qu'Hiempsal exigeait de ses sujets. 4. C'est en 61 que César emmena Masintha en Espagne. Auparavant, il l'avait caché longtemps, pour le soustraire à l'e-xécution de la sentence qui avait terminé le procès. Il est à croire que, quand il intervint pour lui en justice, il était homme privé, non magistrat : or il fut préteur pendant l'année 62. Le procès peut donc se placer lors du séjour que Juba fit à Rome à la fin de 64 et au début de 63. L'AFIUOUE SEPTENTRIONALE DE MARIL'S A CÉSAR. 29n après sa préture, il alla gouverner l'Espagne ultérieure, il le prit avec lui et l'emmena dans sa litière '. On conçoit quelle rancune Juba dut garder au futur dictateur. Quelques années plus tard, alors qu'il avait succédé à son père, Rome eut à intervenir dans une autre affaire qui le con- cernait. Il avait envahi le territoire de Leptis, entre les deux Syrtes -, et l'avait pillé. Cette cité était alliée et amie du peuple romain ^ Elle se plaignit au Sénat, qui désigna des arbitres. Ceux-ci donnèrent tort à Juba. Il rendit ce qu'il avait pris*, mais, en 49, il ne s'était pas encore réconcilié avec les Lepti- tains^ Sa conduite dans ce conflit ne pouvait que déplaire aux Romains, et peut-être prêta-t-il à la critique dans d'autres cir- constances, qui nous sont inconnues. En 50, le tribun Curion, qui s'était fait l'agent de César, pré- senta un projet de loi, tendant à la confiscation du royaume numide'^ : nous ignorons les raisons ou les prétextes qu'il invo- qua. Nous ignorons aussi pourquoi cette proposition n'aboutit pas. La haine des Césariens aurait dû, semble-t-il, rendre Juba s)'mpathique à leurs adversaires. Il n'en était rien pourtant. Après plusieurs années de règne, Juba n'avait pas encore obte- nu du Sénat le titre d'allié et ami du peuple romain. Et même, au début de la guerre civile, les ennemis de César lui refusè- sèrent ce titre'. Il allait bientôt leur faire comprendre qu'ils avaient besoin de lui. 1. Suétone, l. c. 2. J'ai moutré, t. V, p. 200, a. 9, qu'il s'agit bien ici de Leptis la Grande, et non pas de Leptis la Petite, située non loin d'Hadrumète. 3. V. supra, p. 9. 4. Bell. Afric, XGVIl, 3. 5. César, Bell, civ., II, 38, 1 : (Curion. lors de son expédition en Afrique) • audit lubam revocatum finitimo bello et controversiis Leptitanorum restitisse in regao. » Leptis et Juba devaient, du reste, mettre bientôt lin à leur querelle : Bell. Afric, l. c. 6. César, Bell, civ., II, 25, 4. Dion Cassius, XLI, 41, 3. Lucain, IV, 689-091. 7. César, L c, I, 6, 3-4. NDEX ALPHABÉTIQUE Acholla, cité libre dans la province d'Afrique : 35, 38, 39. Adherbal, fils de Micipsa : 138; roi de Numidie : 141, 142; détr<^né par Jugurtha : 143; implore l'assistance de Rome : 143-4; rétabli par une commission romaine : 146; vaincu dans une nouvelle guerre : 147-8; s'enfuit à Cirta, où Jugurtha l'assiège : 148-9; son dernier recours à Rome : 149; il capitule et est mis à mort par Jugurtha : 151-2. Adherbal, prince numide, otage à Rome: 276. M. Aemilias Scaurus, son caractère : 150. Chef d'une commission envoyée en 112 en Afrique : 150-1; lieutenant, en 111, du consul Bestia en Numidie : 165. Soupçonné d'avoir été acheté par Jugurtha : 165; peut-être à tort : 166-7 ; échappe à toute poursuite : 177. Auteur de mémoires : 126. Afarek, indigènes romanisés : 4. Afer, hypothèses sur ce nom : 2-5. Affermage des impôts dans la province d'Afrique : 52-53; des dîmes et taxes de dépaissance sur les terres publi- ques : 88. Africa, origine et histoire de ce nom : 2-7. Ager publicus populi Romani dans la province d'Afrique : 74 et suiv. ; accroissements et diminutions : 91; disparition : 91-92. Agri privati vectigalesque dans la pro- vince : 67, 82. Agri quaestorii, terres publiques vendues à Rome par les questeurs : 80-81. Ammaedara (Haïdra), camp de la légion d'Afrique au début de l'Empire: 16, 17. Annone, ravitaillement de Rome en blé : 102-3. Antée, prétendu tumulus d' — , ouvert par Sertorius : 272. Aourîgha, peuplade : .3-4. Appien, sur la guerre de Jugurtha : 134. L. Appuleius Saturninus, tribun en 103, fait attribuer des terres à des vété- rans en Afrique : 68, 77. Arabion, fils du roi numide Masinissa : 291. Arboriculture dans la province d'Afrique : 103-5. Architecture punique dans la province romaine : 112-3. Armateurs romains à Clique : 71, 103. Armée romaine d'Afrique sous la Répu- blique : 32-35. Arpentage. Voir Centuriation. Ascalis, roi maure : 271-2. Aspar, homme de confiance de Jugurtha auprès de Bocchus : 255, 257. Autels des Philènes, limite : 125, 128. B C. Baebius, tribun en 111 av. J.-C. : 168. Baléares dans l'armée romaine com- battant en Numidie : 159, 253. Banquiers romains en Afrique : 69, 70, 71. Béni Ifrène, peuplade : 5. 298 INDEX ALPHABÉTIQUE. L. Billienus. prétour, g-ouverneur de la province d'Afrique en lOfl-lOoav. J.-C. : 22, 252. Blé produit par la province : 100-1 ; exporté à Rome : 101-3. Bocchus l'Ancien, roi de Mnurélanie : 202, 200, 212-3; beau-père de Jujruriha : 212. A fait aux Romains des offres d'alliance contre son gendre : 213; convoite la Numidie occidentale : 213-4; en 108, s'allie à Juguriha -.214; marche avec lui vers Cirta : 214-5; en négociations avec Métellus : 215-6; en rapports avec Marius : 230. Jugurtha lui promet la Numidie occidentale : 237-8. — entre en campagne en 100 contre Marius, avec Jugurtha : 242; vaincu deux fois : 243-8. Ses négo- ciations avec les Romains : 248-253; il fait venir Sylla : 2.53, 254; ses entrevues avec lui : 255-6, 258; il lui livre Juguriha : 258. 11 obtient des Romains la Numidie occidentale : 204-5. Fin de S'in régne : 207-9. Bocchus le Jeune, roi de la Maurélanie orientale : 20i. 265, 273-5, 291. Bogud, prince maure au début du pre- mier siècle av. J.-C. (?) : 267-8:—, fils de Bocchus l'Ancien : 269, 271, 272, 274, 280. Bogud, roi de la .Maurélanie occidentale, contemporain de César : 273-5. Bomilcar, .Numide, ami de Juguriha, l'accompagne à Rome, où il fait assas- siner Massiva : 169; commande une partie de l'armée à la bataille du Muthul : 186, 188-9; s'entend avec Métellus : 201 ; amène Jugurtha à traiter : 201; conspire contre lui : 205-6; mis à mort par Jugurtha : 206. Bulla Begia, capitale du roi numide Hiarbas (?) : 282. Cadastre dans l'Afrique romaine : 11, 12-14, 10, 18. Q. C'iecilius Métellus Numidicus. Voir Métellus. Q. Caecilius Métellus Plus, fils du pré- cédent, fait campagne en Numidie avec son père : 220; en 84, combat les Marianistes en Afrique : 278-9: en 65, patron d".\fricains accusateurs de Catilina : 29. Calama, ville de Numidie : 172. Calendrier officiel, à peu près en ordre lors de la guerre de Jugurtha : 173. L. (Jaliiurnias Bestia, commissaire en Alrique.(?) : 05; consul en 111, chargé de combattre Jugurtha : 154, 164; soupçonné de connivence avec lui : 165; conclut un trailé : 165-6; rentre à Rome : 166; accusé de corruption et condamné : 177. Capitalion, impôt dans la province d'Afrique : 52. Capite cens?, enrôlés par Marius dans les h'gions : 225. Capsa (Gafsa), ville : 231 ; bien décrite par Sailuste : 125. Marius marche sur — : 231-4; il la prend et la détruit : 235. Cartilage, colonie fondée à — par Gaïus Gracchus: 58-63; elle est supprimée : 6.3-65. Marius à — : 65, 277; Ponjpée à — : 65. 284-5. Cimetière antique de Bir ez Zitoun, à — : 114-5. Cassius Dionysius, d"Utique, traduit en grec Magon : 99, 116. L. Cassius Longinus, préteur en 111. va chercher Jugurtha pour le conduire à Rome : 167-8. Catilina, proconsul d'Afrique : 19, 20. 24; poursuivi pour concussions : 29- .30, 121. Cenxears adjugent les revenus des terres publiques d'Afri([uc : 88-89. Cenluriation. opération d'arpentage chez les Romains : 11-13; dans l'Afrique romaine, sous la- République : 13-14. Vestiges de centuriations antiques en Afrique : 15-18. Cerc na (Kerkenna), île où Marius pros- crit se réfugie : 278. Céréales dans la province d'.Vfrique : 100-1. Cereres, déesses adorées dans la province romaine : 110. Chevaliers romains dans la province : 69-70, 71, 121, 220; propriétaires fon- ciers : 93. Cirta (Constanline), non visitée par Sailuste : 125. Résidence de Micipsa : 136-7, 142. Jugurtha y assiège Adher- bal : 148-151; il devient maître de — : 1",2. — occupée en 108 par Métellus : 211; Mélellus prend ses quartiers d'hiver à proximité : 215. Victoire de INDEX ALPHABÉTIQUE. 299 Marius en 107, près de — : 230. — perdue pour les liomains : 241-2. De la Numidieoccidenla le, Mari us revient vers — : 242, 245; il livre deux bnlailk's non loin de— : 242-8. — se soumet à Marius : 24^8. Marius y reçoit des députés de Boccluis : 248; puis d'autres : 252. — appartient à Juba I": 290. Cités de stipendiarii : 55, 57. Cités libres dans la province d'.\.frique : 38-40; ont un territoire propre : 41; sont exemples d'impôts: 41-42; four- nissent-elles à Rome des conlingenls militaires ou des secours maritimes? : 33; elles jouissent d'une pleine auto- nomie municipale : 42 ; sont fortifiées : 35. Rome leur concède des terres lui appartenant : 43. Elles sont sous la protection de Rome : 44; mais soumises à son autorité supérieure : 45. Clupea, ville : 120, 280. Cohortes auxiliaiies dans l'armée ro- maine : 159, 180, 198, 199, 212, 230, .245, 251, 253. — légionnaires : 188, 228-9. Constantine. Voir Cirta. Conventus, groupes de citoyens romains dans des cités libres d'Afrique : 45-46, 73. L. Cornélius Sisenna, historien : 127. L. Cornélius Sulla. Voir Sylla. Cornificius, proconsul d'Afrique, ami de Cicéron : 30, 70. Cothon, port intérieur à Hadrumète : 33. Culture (modes de) des terres dans la province d'Afrique : 96-97. Curion, tribun en 50, propose la confis- cation du royaume de Juba I" : 295. Curubis, ville fortifiée par les Pom- péiens : 36. Dabar, prince numide, auprès de Boc- chus : 235, 256. Décemvirs, assistant Scipion Émilien pour l'organisation de la province d'Afrique : 1-2. 78, 80. Decumae. Voir Dîmes. Déserteurs de l'armée numide chez les Romains : 195, 207, 221, 245; de l'armée romaine chez les Numides : 171, 202, 208, 210, 251. Dieux puniques adorés dans la province d'Afrique : 109-111. Dîmes exigées sur des terres publiques • 83, 84, 87-88. Diodore de Sicile, sur la guerre de Jugurlha : 127-8, 1.33. Dion Cassius, sur la guerre de Jugurtha • 134. Domaines impériaux dans les limites de l'ancienne province d'Afrique : 91-92. — privés dans cette contrée sous l'Empire : 93; sous la République : 93-94. Cn. Domitius Ahenobarbus, chef des Marianistes en Afrique : 281 ; vaincu et tué par Pompée : 285-6. Douanes dans la province romaine : 119. Duumvir, chargé de l'exécution, en Afrique, de la loi agraire de l'année 111 av. .J.-C. : 75-77, 82. Élections, date des — au con.sulat : 166; au tribunat : 61. Éléphants mis par Micipsa à la disposi- tion de Rome : 137. — de Jugurtha : 165, 166, 186, 188, 189, 202; des rois numides en 81 av. J.-C. : 289; de Bocchus l'Ancien : 209. Élevage dans la province d'Afrique : 105. Esclaves dans la province : 96, 97. Eudoxe de Gyzique, explorateur : 267. Eunoé, femme du roi maure Bogud et maîtresse de César : 275. Fa6ius/fadmnus,gouverneur de l'Afrique en 84-82, brûlé à Utique : 18, 19, 71, 97, 121, 279, 280. Ferme des impôts et revenus publics. Voir A_ffermaye. Fermes dans les campagnes de la pro- vince : 36, 37. Fossa regia, limite de la province d'Afrique : 9, 31. M. Fulvius Flaccus, collègue de Gains Gracchus au tribunal : 60, 61. Gauda, fils du roi Mastanabal : 138; ses droits éventuels à la royauté : 300 INDEX ALPHABÉTIQUE. 141. Il se joint aux Romains dans la guerre contre son frère Jugurtha : 1G3, 220; offensé par .Métellus : 221; promesses que lui fait Marins : 221. Il devient sans doute roi après la guerre : 262-3, 275. Gélules au service de Jugurtha : 212, 230. 242, 247. — , auxiliaires de Marius, qui les récompense : 10, 163, 26.3-4, 287. —, brigands : 252. Gouverneurs de la province d'Afrique : 18-21 ; leurs auxiliaires : 26-27. Leurs attributions judiciaires : 30; mili- taires : 31. — subordonnés à des con- suls ou proconsuls, commandant en Numidie : 21-22. C. (= Gains) Gracchus (= C. Sempronius Gracchus), (jucsteur en Sardaigne : 137-8 ; étant tribun, fonde une colonie à Carthage : 58-63 ; sa mort : 64. Grandes Plaines, sur la Medjerda, proba- blement parcourues par Métellus : 183. 190, 191. Gulussa, roi de Numidie : 135, 136; père de Massiva : 169. H Hadrumèle (Sousae), cité libre : 38, 39; possède un territoire étendu : 41; est fortifiée : 35; son port intérieur et son arsenal : 33. Monnaie d' — , qu'on prétend de l'époque républicaine : 42. Romains établis à — : 70, 73. Hiarbas, roi en Numidie : 281 ; a peut- être détrôné Hiempsal et Masinissa : 281, 282; allié des Marianistes : 281, 286; vaincu par Bogud et mis à mort par Pompée : 286-7. Hiempsal /", fils de Micipsa : 138; roi de Numidie : 141-2; assassiné par ordre de Jugurtha : 143. Hiempsal //, fils de Gauda : 263; roi de Numidie : 263, 265, 276; sa conduite en 88 envers les deux Marius : 277-8; détrôné par Hiarbas (?) : 281 ; rétabli par Pompée : 287; fin de son règne : 289. Fidèle allié de Rome : 293; conclut une convention en 75 avec un consul, au sujet de terres publi- ques : 77-78, 80, 293. Livre punique d' —, utilisé par Salluste : 120, 292. Culte d' — après sa mort : 290. ■■ Hierlas », roi en Numidie; corriger Hiarbas : 269. fJippo Diarrhytus (Bizerte), ville : 117. I Ifrîlciya, contrée à l'époque arabe : 6. Ifrîkos, héros légendaire : 4. Jfnraces, peuplade : 3. Impôts perçus par Rome dans la pro- vince dAfrique : 48, 49-52; mode de perception : 52-53. Indigènes de la province romaine, appelés Afri : 3, 46. Condition de leurs pères sous la domination punique : 46-47. Condition que Rome leur fait en 146 av. J.-C. : 47-48; sont des si/pcfidiarit : 48; impôts qu'ils doivent : 49-52; comment ils sont administrés : 53-57; non astreints au service militaire : 34. Inscriptions italiques (?) dans la vallée de l'oued Miliane : 68-69. — latines dans la province d'Afrique : 115-6. — puniques dans cette province : 108. loi (Cherchel), capitale de Bocchus le Jeune : 265, 273. Iphthns, roi maure : 271, 274. lunonia, nom donné à la colonie romaine de Carthage : 62, 109. Juba I", fils d'Hiempsal : 289; prince royal, vient à Rome : 80, 29-3-4; succède a son père en Numidie : 290; ce qu'on sait de son règne antérieu- rement à 49 av. J.-C. : 292-3, 295. Jugurtha, fils de Mastanabal : 138; son caractère : 139-140. Envoyé devant Numance : 140; adopté par Micipsa : 140. Roi de Numidie : 141 et suiv. Chronologie de la guerre de Rome contre — : 164, 171. 173, 181. 197. 200, 211. 227, 231, 235, 237, 248, 259. — livré par Bocchus à Sylla : 258; au triomphe de Marius : 259-260; sa mort : 261-2. Langue grecque dans la* province d'Afri- que : 116-7. — latine dans celte pro- vince : 115-6; parlée par Jugurtha : 140, 246. — punique dans la pro- vince : 108-9. INDEX ALPHABETIQUE. 301 Lares, ville de Numidie : 232. Légats du gouverneur de la province d'Afrique : 25, 26. ■• Leptnsta », roi maure, peut-être iden- tique à Iphthas : 271-2. Leptis la Grande, ville, devient en 111 amie et associée de Kome : 9-10, 40, 160. Mélellus lui envoie une gar- nison : 44, 211-2. Son diirérend avec Jul.H I" : 44, 29.3, 295. Sufètes à — : 42; monnayage 43. Leptis la Petite, cité libre : 35, 38, 39. Monnaies à légende grecque, frappées par — : J17. \:6'jr„ At'ê'js;, emplois divers de ces noms : 3-4, 7-8. Libyphéniciens, nom appli(|ué aux indi- gènes de la province d'Afrique : 107. M. Liciiiius Crussus combat les Maria- nistes en Afrique : 279. Ligures dans l'armée romaine com- battant en Numidie : 159, 171, 212, 239-240, 245. Livius Drusus, tribun en 122 av. J.-C. : 66. Livius Drusus, tribun en 91; sa conduite envers le Maure Magudulsa : 269; envers le prince numide Adherba! : 276. Loca extracUisa, relicta, dans les opéra- tions de cenluriation : 12, 83. Lois agraires concernant la province d'Afrique : 74-75, 77-78. Loi agraire de l'année 111 av. J.-C. : 7.5-77. Lucullus. gouverneur de la province d'Afrique : 121. M Madère, Ile connue au temps de Serto- rius : 270. Magdalsès, Maure, conseiller du roi Bocchus : 258. Voir Magudulsa. Magon, Carlliaginois, auteur d'un traité d'agriculture traduil en latin el en grec : 99, 116. Magudulsd, Maure, exécuté par Bocchus : 269. Peut-être identique à Magdalsès : voir ce iimt. C. Mamilius Liinetanus, tribun en 109 av. J.-C. : 174. Manciann (Lx), concernant l'exploitation de domaines africains : 86, 98. Manipules dans la légion romaine, au G^ELL. .-Vfruiue du Nord. VII. lemps de la gueire de Jugurtha : 228. A. Maiilius, lieutenant de Marins en Numidie : 227, 232, 245; — et Sylla vont conférer avec Bocchus : 249. C. Munlius, tribun en 107, hostile à Métellus : 217. T. Manlius Mtincinus, tribun en 108 ou 107, fait voter une loi conférant à Marius le commandement en Numidie : 217, 223. Peut-être identique au précé- dent : 217, i24. G. Marius. son caractère : 181-2. Lieu- tenant de Métellus en Numidie : 179- 180, 186; son lôle à la bataille du Muih.ul 187; il commande une colonne mobile : 196; aiUiqué par Jiiguriha sous Sicca : 198; son rôle df-vant Zama : 198, 199, 200; en quartiers d'hiver : 200. Son attitude au procès de Turpilius : 20-'î. Son désir de se présenter au consulat : 219-220; il se brouille avec Métellus : 220-2; il obtient de retourner à Borne : 222. Klu consul : 223; chargé de la guerre contre Jugurtha : 22.3-4; ses préparatifs à Borne : 224-7; il débarque à Uli(|ue : 227. Ses opérations mili- taires contre Jugurtha : 230 et suiv.; ses négociations avec Bocchus : 248 et suiv. Son triomphe sur Jugurtha : 2.59-260. Son couflit avec Sylla en 91 av. J.-C. : 268. Proscrit en 88, il s'enfuit en Afrique : 276-8; il retourne en Italie : 278. Marius le Jeune, proscrit, s'enfuit en Numidie : 276-8. Masinissa, roi de Numidie aux m'- 11° siècles; son attitude envers Rome : 135. Masinissa, roi de la Numidie occiden- tale (?), détrôné par Hiarbasf?) : 282; rétabli en 81 par Pompée : 287, 290, 291, 294. Masinissa, roi de la Numidie occidentale en 47-46 av. J.-C. : 282, 290, 291-2. 294. Masinissa, prince numide, mentionné par Vitruve : 294. Masintha, prince numide, ennemi , d'Hiempsal II et protégé de Jules César : 294. Massiva, prince numide, assassiné à Borne par ordre de Jugurtha : 169. 20 302 INDEX ALPHA HKTIQUE. Massugrada, prince de la famille du grand Masinissa : 2r)5. Mastanab'il, roi de Nuniidie : 133, 13(i; père de Jnj^iirtha el de Gauda : 138. Miistane.^osas, roi de la Numidie occi- dentale en 62 av. J.-C : 263, 282, 291. Meçialepolis, ville africaine : il7. C. Meiiimius, tribun en IH av. J.-C. 153-4, 168; accusateur de l'ex-consul Calpurnius Bestia : 177. Meninr, (I)jerba), île où Marius proscrit débarque : 276. MeixanLis on Afri(]ue : 69. Métellus (= Q. Caecilius Melellus Numi- diciis), son caractère : 178. Élu consul pour l'année 109, après le 1" jan- vier : 174; chargé de la o^uerre contre Jujîurtlia : 179 et suiv. Son retour à Home en 107 et son triomphe : 216-8. Micipsa, roi de Numidie : 135, 136-7; son attitude envers Rome : 137-8; ses fils : 138; sa coniluite envers Jugurtha: 138-9, 1411-1; son testa- ment : 141, 142; sa mon : 138, 141. Mines, non e.\ploitées dans la province d'.\frique : 105. Monnaies romaines importées dans la province : 107. Monnayage dans les cités libres de la province : 42-43, 117. Muli Mariani, sobri(iuet donné aux soldats de Marius : 229. Mulucha (Moulouia), lleuve, limile entre la Maurétanie et la .Numidie au ii« siècle av. J.-C. : 236, 256. 264. Prise par Marius d'un chàleau forl, voisin de la — : 238-240. Mulhul, rivière, près de laquelle Ju- gurtha livre bataille à Métellus : 184-190; c'est l'oued Mellègue : 190-1. N A'abJa/sa, noble numide, conspire contre Jugurtha : 205-6. Neapolis (iNabeul), ville africaine : 117, 120. Négociants romains et italiens dans la province d'Afrique : 69, 70, 71, 220. Numides dans les armées romaines com- battant Jugurtha : 163. Conf. Déser- teurs. Occupation {droit d') chez les Uomains : 83-86. Olivier, culture de 1' — dans la pro- vince romaine : 104. L Opimius, chef d'une commission char- gée de régler les alfaires de Numidie : 145-7; accusé de corruption et con- damné : 177. Oxyntas (?), fils de Jugurtha : 262. Pnccianus, chef svllanien, vaincu par Sertorius en .Maurétanie : 272. Pagi., circonscriptions financières et peut-être administratives dans la pro- vince romaine : 51, 53, 54. Pùpirius Carbo, commissaire en Afri- que (?) ; 65. Cn. Papirius Carbo, chef des Maria- nisles, se réfugie eu 82 en Afrique : 280. Paul Orosc, sur la guerre de Jugurtha : 133-4. Pèche dans la province d'Afrique : 105. Pélignes, cohorte de — dans l'armée de Marius : 253 Pheradi Maius. ville africaine : 117-8. Piiatcrie en .Méditerranée : 22, 23, 31, 37 Pline fAncien reproduit pour la pro- vince d'Afri(|uu un document du règne d'Augu.-^le : 40. Plutarque, sur la guerre de Jugurtha : 134; sur l'expédition de Serlorius en Maurétanie : 270; sur l'expédition de l'oinpée en Afri(iue : 283. Pompée, chargé, en 81, d'une expédition en Afrique : 22, 283-4; renouvelle la consécration du sol de Carthage : 65, 283; sa victoire sur les Marianistes et sur le roi Iliarbas : 283-7; envoie- t-il des troupes contre Sertorius en Maurétanie? : 272. Il reçoit à Utique l'ordre de licencier son armée, sauf une légion : 32, 287-8; il obtient le triomphe : 288-9. Ses pouvoirs en Afrique cn 67, lors de son comman- dement contre les pirates : 22-24, 37; en 57-56, lors àe sa potestas rei Jru- mentariae : 24. Il n'a pas eu le gou- veruement de l'Afrique de 55 à 49 av. INDEX ALPHAHETirjUE. 303 J.-C. : 2,1. Auleur, en 52, d'une loi sur le gouvernement des provinces ; 20. M. Porcius Cato, consul en 118, meurt en Afrique : 21,60, 142. Posidonius d'Apamée, source de Snlluste dans le récit de la p:uerre de Jugur- tha : 127, 128-'J; source de Djodore de Sicile : 127-8. A. Pnslumius Albinus, lieutenant de son frère Spurius : 170; entreprend une expédition contre la ville de Sulhul : 171; surpris par Jugurtha, doit capi- tuler : 171-2: le Séuat annule sa capitulation : 175. — probablement condamné à Rome : 177. Sp. PosLumius Albinus, consul en 110 av. J.-C. : 109; chargé de la guerre contre Jugurlha : 109, 170; revient à Rome : 170-1; proconsul en 109, consulte le Sénat sur la capitulation de son frère : 173, 175; retourne en Afrique : 176; remet l'armée à Métellus : 181; condamne à Rome : 177. Po eî'ies fabriquées dans la province d'Afrique : 105-0; importées d'Italie : 106-7. Précaristes (?) sur des terres publiques d'Afrique : 85-87, 97. Préteurs, proconsuls, propréteurs, gou- vernant la province d'Afrique : 18- 20. Publicani, adjudicataires des revenus de l'État : 89-91. Questeurs de la province d'Afrique : 26- 27, 30, 51, 53. Remparts autour des villes de la pro- vince romaine : 35 36. Rites funéraires indigènes dans la pro- vince : 197. Rubrius, tribun en 123. fait voter une loi créant une colonie à Carthage : 59. 64, 60, 74, 75. P. Rutilius Rufus, lieutenant de Métellus en Numidie : 179; son rôle à la bataille du Muthul : 187, 188, 189; remet en 107 l'armée romaine à Marius : 210. Auteur de mémoires : 126, 190. Sallustc, gouverneur de VAfrica nova : 124; auleur du Bellum Jugurthinum : 123-133. — , à propos de Sertorius: 270. Saltus, terrains couverts de végétation naturelle : 83 ; grands domaines : 94-95. Sanctuaires puniques dans la province romaine : 1 1 1-2. Sr.ipion Êmilicn règle la succession de Masinissa : 135; consacre l'emplace- ment de C.arthage : 58; organise la province d'Afrique : 1-2; en constitue les limites : 9; concède des terres publiques à des princes numides : 79-80; commande devant Numance et a Jugurtha sous ses ordres : 140. Scriptura pécaris. Voir Taxes de dépais- sance. ^ Sénat romain, ses droits dans l'admi- nistration provinciale : 28-29. — municipal dans des cités africaines: 42. 55, 57, 205. Sénateurs romains dans la province d'Afrique : 09-70; propriétaires fon- ciers : 93-94. Sépultures de type punique dans la province : 112-5. 5er la province d'Afrique : 79. Voir Déserteurs. Trois-Cents (les), assemblée de Romains à Ulique ; 71-72, 73. T. Turpilius Silanus, commandant de la garnison romaine de Vaga : 203; échappe au massacre des siens : 204; condamné à mort : 205. U Uclii Maius, colonie romaine, porte le surnom Mariana : 10, 204, Usilla, Usula, cité libre : 39. Utique, cité libre : 38. 39; son organi- sation municipale : 42; terres con- cédées par Rome à — : 43-44; — obtient, grâce à César, certains avan- tages [non le droit latin] : 44-45. Capitale de la province d'.Vfrique : 27-28, 252. Camp romain voisin d' — : 32, 34-35. Nombreux Romains établis à — : 71-73, 220. — est fortifiée : 35, 30. Temple de Jupiter à — : 109, 120 ;ihéiUre : 120. Jugurtha mandé à — par des commissaires romains : 151. Marius à — : 219, 222, 227. Pompée à — : 284, 287-8. Vaga (Béja), ville : 165. Métellus y met une garnison : 183; les habitants massacrent cette garnison : 20:î-4; — châtiée par Métellus : 20i-5. Vnlinius, son itinéraire en 62 à travers l'Afrique du Nord : 265, 273. Vecligal, revenu que Rome lire de ses terres africaines : 50, 67, 82, 87, 88. Vélites dans l'armée romaine lors de la guerre de Jugurtha : 228. Ventes de terres publiques d'Afriijue à Rome : 76, 77.81-82. rinsétrangers.imporlésen Afrique : 106. Viticulture dans la province d'Afrique : 104. Volax, fils de Bocchus l'Ancien, com- mande dos troupes : 24i. 246; va à la rencontre de Syllaet l'escorte jusqu'au camp de Bocchus : 253-4. Zama, ville, attaquée vainement par Métellus: 197-200; capitale de Jubal": 290, '293. TABLE DKS MATIÈRES LIVRE PREMIER LA PROVINCE D'AFRIQUE SOUS LA RÉPUBLIQUE ROMAINE Chapitre premier. — La province et le gouvernement de Rome. . . 1-37 I. Création de la province d'Afrique en 146 avant J.-C, 1-2. — Africa, adjectif dérivé i'Afer, 2. — Qu'étaient les Afri? 3. — Étymologies sans valeur du mot Africa, 3-4: du mot Afer, 4-5. — Extension du terme Africa, au sens administratif, 5-6; puis resserrement, 6. — L'Ifrîkiya des Arabes, 6. — Africa, terme géographique, désignant parfois le Nord du continent africain, 6-7 ; plus souvent le continent tout entier, 7. — AioCr,, nom de la province chez les Grecs, 8; quelquefois 'Açpi/.r,, 8. II. Faible étendue de la province d'Afrique en 146, 8-9. — Cette province n'est pas agrandie de 146 à 46, 9. — Leptis n'est pas annexée, à la fin du second siècle, 9-10: non plus que Thibaris et Uchi Majus, 10. III. Aucune preuve de cadastre sur le territoire carthaginois, 11. — Le cadastre des provinces africaines est d'origine purement romaine, 11. — Généralités sur l'arpentage chez les Romains, 11 ; decumani et cardines, 11-12; centuries, 12; subsécives, 12; cartes, 12. — Utilité de ces opéra- tions, 12-13. — Textes prouvant l'existence d'un cadastre dans la pro- vince d'Afrique, à l'époque républicaine, 13; sur le territoire de la colonie fondée à Cartilage en 122, 13.; ailleurs, 13-14. — Ce cadastre doit remonter à l'annexion, 14. — Preuves, dans VAfrica nova, d'une vaste mensuration, postérieure à 46 avant J.-C, 15-16. — On en trouve aussi des traces dans le Sud de VAfrica vetas, province créée en 146, 16. — Preuves d'une autre mensuralion dans le nord de VAfrica vêtus, 16-17. — Elle est de l'époque républicaine et date probablement de la constitution de la province, 17-18. IV. Gouverneurs de la province : préleurs ou anciens préteurs, 18-19; appelés uniformément praetores, 19. — Modifications introduites par Sylla, 19-20; par Pompée, 20. — h' Africa n'a jamais été province consu- laire, 21. — Autorité exercée dans la province par des consuls ou pro- consuls, chargés de faire la guerre à Jugurtha en ^unlidie, 21-22. — Commandement extraordinaire exercé en Afri(iue par Pompée, en 81, 22. 306 TABLE DES MATIEKES. — Autres commandemenls extraordinaires de Pompée, qui s'étendent sur la province d'Afrique : en 67, 22-2i; en 57, 2't. — Pompée n'a pas reçu le f:,ouvernemenl de cette province en 55, 25. V. Légats du gouverneur, 26. — Le questeur de la province, 26-27. — Amis et compagnons du gouverneur, 27; personnel subalterne, 27. — Utit|ue, résidence du gouverneur, 27-28. — Droits du Sénat dans l'admi- nistration provinciale, 28-29; il ne les exerce guère, 29. — Tribunaux pour juger des gouverneurs, 29; cette institution est peu efficace, 29 30. — Pouvoirs très étendus du gouverneur, 30. — Juridiction, 30. VI. Maintien de l'ordre et de la sécurité, 31. — Dangers qui menacent la province du côté de la Numidie, 31 ; du côté de la mer, 31 ; possiliilité de troubles intérieurs, 31-32; — Elîectifs des troupes d'occupation, 32 — Pas de preuves d'un recrutement en Africjue, parmi les citoyens, 32; ni dons les cités libres, 33; ni parmi les indigènes, 33-34. — Grand camp près d'Utique, .34-35. — Il y avait probablement des troupes ailleurs, 3.^. — Les villes libres sont fortifiées, 35. — De même, d'autres villes et bourgs, 36. — Les habitants sont sans doute autorisés à posséder des armes, 36. — Fermes fortifiées, 36. — Tours de guet, 37. — Sécurité précaire, mais non pas insécurité complète, 37. Chapitre II. — Villes libres, sujets, citoyens romains 38-73 L Rome concède la liberté à sept villes de VAfrica, 38. — Quelles sont ces villes? 38-40. — Leptis, cité amie et associée, 40. — En quoi consiste la liberté des sept villes? 40-41; leur territoire ne fait pas partie du domaine public de Rome, 41 ; elles sont exemptes d'impôts, 41-42; elles ont une pleine autonomie municipale, 42. — Ont-elles le droit de mon- nayage? 42-43. — Uome leur concède des terres publiques, 43-44. — Suppression probable des entraves commerciales, 44. — Protection de Rome, 44. — Lex lalia en faveur d'Utique, 44-45. — Les villes libres ne sont pas en dehors de la province; elles sont soumises à l'autorité du gouverneur, 45-46. IL Cités non libres et sujets indigènes, 46. — Condition des indigènes sous la domination carthaginoise, 46-47. — Mesures prises par Rome contre ceux qui sont restés fidèles à Carthage, 47. — Condition des autres, 47; Rome leur laisse une partie des terres qu'ils exploitaient, 47-48. — Elle élablil un slipendian sur les personnes et les terres. 48; d'où le nom de slipendiarii, donné aux sujets, 48. — Condition des terres des slipendiarii, 49. — Nature de l'impôt pesant sur ces terres, 49-50: c'est un impôt fixe, non une quote-part dos récoltes, 50. — Comment il est déterminé et réparti, 50-.-)l. — Pagi, circonscriptions financières, 51. — L'impôt foncier est peut-être perçu en nature, 51. — Impôt de capitation, 51-52. — Mode de perception, 52: vraisembla- blement affermage, avec adjudication en Afrique, 52-53: intervention du questeur, 53. — Administration des sujets, 53. — En 140, Rome ne recon- naît pas, semble-t-il, l'existence légale de communes en Afiique. 53-54. — Los pagi sont-ils des circonscriptions adniini.-tratives?54. — Nécessité d'autorités locales, 54-55. — Elles existent en fait, et Rom • a dû finir par les reconnaître officiellement, 55. — Que sont ces institutions? 55; sufètes, 56. — Juridiction, 57. — Sort matériel des sujets de Rome, 57. — Concession du droit de cité, sans doute peu fréquente, 57. III. Romains dans la province, 58. — C. Gracchus décide de fonder line colonie romaine à Carthage, 58; pourquoi? 58-59. — La lex Rubrin, votée en 123, 59-00; les Iriumviri coloniae deducendae, 00. — Préparatifs, TABLE DKS MATIERES. 307 (')(). — Nombre cl (|ualilé des colons, 60. — Foudiilion, en 122, de la colonia lunonia, 61-62. — Assignation des lois de terre, G2-63. — Hosti- lité de l'arislocratie contre cette colonie, 6.3. — Exploitation de présages défavorables, 63-64. — Suppression de la colonie, en 121, 64-65. — Commission sénatoriale en Afrique (?), 65-66. — Les colons re-tent en possession de leurs lots de terre, 66; ils peuvent les vendre, 66. — Ces terres sont assujetties à une redevance, 66-67. — Freseriptinns de la loi de l'année 111, 67. — Beaucoup de colons doivent vendre leurs terres, 67. — Assignations individuelles, 67-68; la lex Appuleia, 68. — Peu de Romains et d'Italiens dans les campagnes, 68-69. — Mercantis en temps de guerre, 69. — Romains et Italiens faisant des alTaires en Afrique, 69-7U; lettres de Cicéron les concernant, 70. — Us séjournent dans des vitb's, 70-71 ; surtout à Uiique, 71. — Les Trois-Cents d'Ulique, 71-72. — Ces Romains ne s'enracinent pas dans la province, 72. — Les conventus civiuin fiomanoram dans des villes libres, 72-73: ce sont «ans doute des corps ayant une existence cl une organisation officielles, 73. Chapitre III. — Condition des terres 74-98 I. Le sol de la province créée en 146 est domaine du peuple romain, 74. — Mesures prises alors au sujet de ce domaine, 74. — La loi de l'année 111, 73; création d'un duumvir pour Vager publicus d"Afri(iue, 73. Tâche de ce magistrat : vérification des droits de propriété, 73-76; compensations, 76-77; inventaire, 77. — Lois et conventions postérieures à l'année 111, 77. — Propositions de Rullus, 77-78. IL Terres assignées aux stipendiarii en 146, 78. — Cette part faite, ce qui reste du domaine public, 78-79. — Assignations faites en 146 aux cités libres et aux transfuges, 79 : terres concédées aux princes numides, 79-80. — Assignations faites après 146 à des citoyens romains, 80. — Venles de terres publiques à Rome, 80-81; ager privatus vectigalisque, 81-82. — Les terres assignées ou vendues sont des terres arables, 82. III. Terres sur lesquelles le peuple romain conserve une propriété réelle, 82-83; les unes cultivées, 83; les autres propres seulement à l'élevage, 83; aucune preuve de concession gratuite ou de vente de ces dernières, 83. — Les pâturages sont, non pas ouverts à tous, mais réservés à des particuliers, 84. — Cultivateurs sur le domaine public, Romains et Afri- cains, 84-83. — Ce ne sont pas des fermiers, 83; ni des gens exerçant un droit d'occupation, 83-86. — Ce sont probablement des précarisles, 86-87. — Ils doivent soit des parts de fruits, soit des taxes sur le bétail, 87-88. — L'État vend ces redevances aux enchères, à Rome, 88 : par le ministère des censeurs, 88-89; durée du bail, 8i>. — Adjudications supplémentaires, faites par d'autres magislrat-î, 89. — Conditions de ces ventes, 89. — Lespubli- cains, 89; constitution de grandes compagnies, 89-90. — Les publicains n'ont aucun droit sur les terres, ni aucun pouvoir sur ceux qui les exploitent, 90. — Ils s'acquittent en argent envers l'État, 90-91. IV. Gains et pertes de Vager publicus. 91. — Disparition de cet ager publicus, 91; il n'est pas tombé aux mains de l'empereur. 91-92. — Hypothèses sur les causes de cette disparition, 92. — Existence de grands domaines en Afrique à l'époque impériale, mais surtout dans VAfrica nova, 92-93. — Indices de domaines importants dans la vieille province, à la fin de l'époque républicaine, 93-94; comment ils ont pu se constituer, 94. — L'expression sallus, désignant de grands domaines sous l'Empire, ne prouve pas l'aliénation par TÉlat de vastes espaces incultes, 94-93. 308 TABLE DES MATIERES. V. Modes d'oxploitalion, 96. — A l'époque caithaginoise. 96. — A Tépoque romaiiK! : pelils cultivateurs indijçénes et romains ou ilaliens, 9(i; peut- être exploitation de grandes propriétés par la main-d'œuvre serviie, 96-97. — Autres modes possibles d'exploilalion de ces domaines, 97. — H serait imprudent d'utiliser, dans celte élude, des documents postérieurs, ne se rapporlaiit pas à la vieille province, en parti';ulier la lex Manciana, 97-98. Chapitre IV. — État matériel et civilisation 99-122 I. Prospérité, à l'époque punique, de la contrée (jui devint la province à'Africa, 99. — Emploi du traité d'agriculture de Magon à l'époque romaine, 99-100. — L'Afrique, terre de céréales, surtout le Byzacium, 100-1. — Nécessité pour Rome de recevoir des blés africains, lOi. — Le service de l'annone et les lois frumenlaires, 101-2. — Comment l'État se procure les blés d'Afrique destinés à l'alimentation de Rome, 102-3. — Arboriculture, 103-5. — Élevage, 10.3.— Pèche, lO.ï. — Pas d'exploitation de mines, 105. — Industrie, peu développée, 105-6. — Commerce : expor- tations et importations, 106-7; monnaies romaines dans la province, 107. II. La civilisation reste puni(]ue, 107; les indigènes sont qualifiés de Pocni, de Libyphéniciens, 107-8; ils parlent la langue punique, 108-9. — Ils gardent leurs dieux, 109; auxquels Rome ne témoigne aucune hosti- lité, 109-110. — Noms phéniciens de ces divinités, 110. — Noms que leur donnent les Latins et que, plus tard, les Africains eux-mêmes ont adoptés, 110-1. — Types divins, empruntés à l'art grec, 111. — Dieux qui gardent leur physionomie africaine, 111. — Formes puniques du culte, 111-2. — Persistance de l'architecture gréco-punique, 112-.3. — Sépultures de type punique, 11.3-4; à Carihage, après l'année 44, 114-5. — La civilisation latine se répand fort peu dans la province, 115; rareté des inscriptions latines, 115-6. —Quelque diffusion de l'hellénisme, 116-7; noms de lieux empruntés à la langue grecque, 117. m. Pourquoi Rome a constitué la province d'Afrique, 118. — Elle n'y trouve pas un accroissement de ressources, 118; dépenses et recettes, 119. — Profits que des particulieis tirent de la province, 119. — L'.Vfrique pourvoyeuse de Rome, 119. — Aucun désir de romaniser le pays conquis, 120. — État matériel de VAfrica, 120-1. — Abus dont elle souffre, 121. — La condition des provinciaux n'est peut-être pas trop mauvaise, 122. — Prospérité d'Ulique, 122. — Bourgeoisie dans quelques villes, petits cullivateuis dans les campagnes, 122. — Les grosses fortunes appar- tiennent aux Romains, qui restent des étrangers en Afrique, 122. LIVRE II ROME ET LES ROIS AFRICAINS Chapitre Premikk. — Jugurtha maître de la Numidie 123-152 I. Le Belliim hujwthinum de Saliusle, 123. — Pourquoi Salluste l'a écrit : raisons littéraires, 123-4; politiques, 124. — Ce qu'il connail de rAfri(|ue, l24-.j. — Ses sources : Hiempsal, 126; auteurs latins, 126-7; Posidouius, 127-9; ([uel(|ui'S récits détaillés de témoins oculaires, 129. — Sa documentation n'a pas été abondante, 129; Salluste n'est pas un érudit, soucieux de ne rien omettre, 129. — Sa conception TAiiLK DKS MATIÈHKS. 309 de l'histoire par rapport à lu polilitiuc, 129-130; par rapport à la morale, 130. — Pmir lui, l'histoire esl surtout une œuvre d'art, conçue à la façon d'un drame, 130. — Dédain de la chronologie et de la fréographie, l^iO; omissions, 131. — Acteurs du drame, 131. — Discours, digressions, prologue, 131-2. — .*^lyle de Sallusle, 132. — Valeur histo- rique de son livre, 132-3. — Pauvreté de nos autres sources, 133; Diodore de Sicile, 133; Tite-Live, 133-4; Dion Cassius, .\ppien, Plu- tarque, elc, 13i. II. Masinissa, puis ses fils, clients de la République romaine. 135-0. — Home ne souhaite pas annexer la Numidie, mais elle veut la m.iinlenir sous son protectorat, 136. — Micipsa, seul roi apiès la mort de ses deux frères, 136-7. — 11 est pour Rome un allié fidèle, 137-8. — Ses deux flls Adherhal et Hiempsal. 138. — Jugurtha, 138-9 : ses qualités et ses défauts, 139-140. — Juguriha devant Numance, 140. — Micipsa l'adopte, puis le désigne pour recueillir sa succession avec ses fils, 140-1. m. Après la mort de Micipsa, attitude ofiTensanle d'Hiempsal envers Jugurlha. 141-2. — Partage de la succession, 142-3. — Assassinat d'Ilieinpsal, 143. — Guerre entre Jugurtha et Adherbal, 143. — Recours d'.\dhcrhal au Sénat romain, 143-4. — Décision du Sénat, 144-5. — Partage de la Numidie entre Adherbal et Jugurtha par des commis- saires romains, 145-6. — Attitude de Jugurtha vis-à-vis de Rome, 146-7. — Nouvelle guerre entre Jugurtha et Adherbal, 147-8. — Défaite d'Adherbal, qui se réfugie dans Cirta, 148. — Siège de cette ville par Jugurtha, 148. — Députation romaine, sans résultat, 149. — Appel d'Adherbal au Sénat, 149. — Mission romaine en Afrique, 149-150: .Emilius Scaurus, 150-1. — Échec de cette mission, 151. — Capitulation de Cirta, exécution d'Adherbal, massacre d'Italiens, 151-2. Chapitre II. — Début de la guerre contre Jugurtha 153-177 I. Les Romains sont acculés à la guerre, que le parti démocratique exige^ 153-4. — Préparatifs, 154. — Refus d'accueillir une ambassade de Jugurtha, 154. — La guerre est déclarée, 154. II. Pourquoi cette guerre est inopportune, 154-3. — Elle sera très dure, 155. — Qualités militaires des Africains. 155. — Ils sont surtout propres à la guérilla. 155-6. — Leur tactique dans la bataille, 156-7; en cas d'échec, ils échappent à l'ennemi, 158. — Villes et bourgs fortifiés, 158. — La lutte que Rnme doit soulen r en Numidie exige des armées nombreuses, 158. — Comment elles sont composées, 138-9. — Comment elles font la guerre, 158-9. — L'organisation militaire romaine est mal adaptée à la guerre africaine, 159 : chaleurs pénibles, 160 ; embarras que causent les convois, 160: conditions défavorables dans la guérilla, 160-1 ; difficulté des sièges, 161. — Les batailles sont rarement décisives, 161-2. — Longueur nécessaire des opérations, 162. — Décadence d<'s armées romaines à cette époque, 162-3. — Rome n'a pas d'alliés africains contre Jugurtha, 163. — Comment cette guerre pourra finir, 163-4. III. Le consul Calpurnius Bestia en Afrique, avec .Emilius Scaurus, 164-5. — Courte campagne en Numidie, 163. — Conclusion de la paix et retour du consul, 105-6. — Raisons de cette paix, 106-7. — Protestations à Rome, 167. — Convocation de Jugurtha, 167-8. — Sa comparution devant le peuple, 168. — Assassinat du prince numide Massiva, 169. — Jugurtha sort de Rome, 169-170. 310 TABLE DES MATIERES. IV. La guerre est reprise par le consul Sp. Postumius Alhinus, 170. — Elle traîne, 170. — Retour du consul à Home, 170-1. — Campagne d'hiver du Icgat Aulus Postumius .\ibinus, 171; siège de Suthul, 171. — Capi- tulation de l'armée romaine, 171-2. — Question géographique : Suthul et Calama, 172-3. — Question chronologique : le désas're cul lieu en ' janvier 109, 173-3. — Le Sénat rejette le traité conclu par Aulus, 175. — Spurius Alhinus retourne en Afrique et n'y peut lien laire, 175-0. V. Vote de la lex Mamilia, 17(3. — Poursuites à Rome contre les prétendus complices de Jugurtha, 170-7. — L'aristocratie reste maîtresse de l'État; /Emilius Scaurus, 177. Chapitre III. — Les campagnes de Métellus 178-218 I. Métellus; son caractère, 178. — Il est chargé de la guerre en Numidie, 178-9. — Ses préparatifs, 179. — Ses lieutenants : Rulilius Rufus, 179; Marins, 179-180. — Métellus en .\frique, 181. — Il rétablit la discipline, 181-2. — Il entre en campagne, 182. — Olîres de Jugurtha, 182-3. — Accueil reçu par Métellus en Numidie, 183; occupation de Vaga, 183. — Nouvelles oITres de Jugurtha, 183-4. II. Jugurtha attend l'armée romaine près du Mulhul, 184-0. — Ordre de marche de Métellus; ses dispositions en vue de la bataille, 18()-7. — Attaque de Jugurtha, 187. — Péripéties de la bataille, 187-8. -^ Ruti- lius et Bomilcar, 188-9. — Questions topographiques relatives à cette bataille, 190. — Le Muthul est l'oued Mellègue, 190-1. — Métellus se rendait probablement dès Grandes Plaines vers Sicca, 191 — La bataille a été livrée sur la rive gauche du Mulhul, 192. — Hypothèse de Tissot, 192-3; hypothèse de Toussaint, 193-4. — Résultais de cette bataille, 194. III. Métellus change de méthode, 195; dévastation du pays ennemi par des colonnes mobiles, 195-0. —Jugurtha fait la guérilla, 196. — Théâtre de ces opérations militaires, 190-7. — Métellus se décide à une expé- dition contre Zama, 197. — Où était Zama'? 197-8. — Jugurtha à Zama, 198; puis devant Sicca, 198. — Les Romains devant Zama, 198. — Attaque de leur camp par Jugurtha, 199. — Nouvelle attaque de Jugurtha, 199. — Échec de Métellus devant Zama, 200. — II va prendre ses quartiers d'hiver dans la province, 200: son camp à Tisidiuin, 200. IV. Métellus corrompt Bomilcar. 201. — Soumission de Jugurtha, 201-2. — Il refuse de se livrer lui-même. 202. — Son activité. 202-3. — .Vu début de 108, Métellus est prorogé, 203. — Complot à Vaga; massacre de la garnison romaine, 203-4; le commandant Turpilius échappe à la mort, 204. — Marche de Métellus sur Vaga, 204. — Prise de la ville et exécu- tions, 204-5. — Condamnation de Turpilius, 205. — Conspiration de Bomilcar et de Nabdalsa, 205-6. — Défiances et terreurs de Jugurtha, 206. V. Campagne de l'année 108,207. — Bataille perdue par Jugurtha, 207. — Il se rend à Thala, 208. — Où était Thala? 208-9. — Marche de Métellus sur cette ville, 209-210. — Jugurtha en sort, 210. — Siège et prise de Thala, 210-1. — En quelle saison cette expédition eut-elle lieu? 211. — Occupation de Cirta par Métellus, 211. — Il prend ses quartiers d'hiver en Numidie, 211. — Requête de Leptis, 211-2. VI. Jugurtha lève des troupes chez les Gélules, 212. — Bocchus, roi des Maures, 212-3. — Ses relations antérieures avec Jugurtha et les Romains, 213-4. — Jugurtha s'allie à Borchus, 214. — Les deux rois marchent sur Cirta, 214-5. — Métellus n'engage pas les hostilités, 215. — 11 apprend TABLE DES MATIÈHES. 3H son romplncemoiil par Varius. 215. - Ses négociations avec Bocchus, 215-6. — Il iiiiiti.. l'Afrique, 2l(i. — Son triomphe esl retardé par l'oppo- silion d'un tribun, 216-S. — Il triomphe en lOG, 2IS. Chapipre IV. — Les campagnes de Marius et la fin de la guerre . 21'.)-2(j5 1. Dès la nn de 109, Marius désire se préseutf r au consulat. 219-220 — Il demande vainement un congé à Métellus, 220. — U se crée des par- tisans eu Afrique et à Home, 220-1. -Il se hrouille avec Métellus, 221-2. — Il obtient Tautorisalion de retourner a. Uome, quelques jours' a.vant les comices, 222. - Son élection, 223. - l'ne loi le charge de la guerre contre Jugurtha, 223-4. — Ses attaques contre la noblesse •?24 — Ses préparatifs de guerre, 224-5. - Pour les légions, il enrôle des volontaires sans conditions de cens, 225; raisons de sa conduite, 225-6: conséquences de ce nouveau mode de recrutement, 226-7. — A. Manlius lé^at de Marius, le précède en Afrique, 227. - Arrivée du consul en'Numidie, 227. — Il dispose de forces très importantes. 227; peut-être a-t-il accru' l'etTectifdes légions, 227-8. - Les autres réformes militaires de Marius ne paraissent pas dater du temps de la guerre de Jugurtha, 228-9. II. Bocchus et Jugurtha évitent une bataille, 229-230. — Marius entre en campa-ne, 230; opérations secondaires, 230. — Attilu^je de Bocchus, ■>30 — Par des prises de villes, Marius cherche en vain à contraindre Ju"ùrtha a une bataille, 231. - Il se décide à une expédition contre Cap^^a ^1-^ — Ses préparatifs, 232-3. - Sa marche, 23-3-4. - Prise et destruction d"e la ville, 234-5. m. Marius après l'expéditioa de Cap.^a. 2.35-0. - La prise d'un château voisin de la Mulucha, racontée par Sallusle, n'est .[u'un épisode d'une longue campagne dans la .Numidie occidentale, en 106, 236-7. — Raisons de cette campagne : il s'agit surtout d'intimider Bocchus 237-8 — Siè-^e du château, 238-9. — Prise de cette forter.-sse, 239-240. — Arrivée de Sylla à l'armée romaine, 240-1. IV. Les Romains perdent Cirta, 241-2. - Marius retourne vers cette ville 242. - Eûtrée en guerre de Boc-hus, 242. - Emplacement des deu.x batailles livrées à Marius par Jugurtha et Bocchus, 242-3 —Récit de la première bataille, 24.3-5. - Précautions de Marius contre une nouvelle attaque, 245-6. - La seconde bitaille, 246-7. - Récit, sans valeur de Paul Urose, 247-8. — Capitulation de Cirta, 248. V. Les grandes opérations militaires sont terminées, 248 — Bocchus entame des négociations, 248-9. - Conférence de ce roi avec Manliu'; et ^ylla, 249. — Sentiments du gouvernement romain vis-à-vis de Bocchus 2o0: sentiments de Bocchus, 250-1. - L'armée romaine en quartiers d hiver, 251. - Expédition de Marius en Gétulie. 251. -Députés envoyés par Bocchus, reçus par Sylla, 251-2. - Trêve accordée à Bocchus • ses députés vont à Rome, 252-3. - 11 demande à Marius de lui env'over Sylla, 2.^3. — Sylla en route, 253-4; il rejoint Bocchus dans la \umidie occidentale, 254-5. - Les Numides A.spar et Dabar au camp maure 055 - Entrevues de Bocchus et de Sylla, 255-6. - Négociations entre Rocchus et Jugurtha, 257-8. - Jugurtha livré à Sylla, 258- date de cet événement, 258-9. - Retour de Marius à Rome et son triomphe 259-960 — Rôle de Marius et de Sylla dans cette guerre, 260-1 — Mnrt'H^ Jugurtha, 261-2. " ^^ VI. Règlement des affaires d'Afrique, 262. - La province n'est pas a-randie 262. — Gauda devient sans doute roi de Numidie, 262-3. — P°eut-être TAI5LK DES MATIÈRES 312 .n .cond roy.u.n. nu.. . -- ^^ B^ »^s ^o.t une part.e de la Ter.es données à des ^f^^^fj'.^.^.ne fronlière. 264-5. Numidie. 264: on .^no.e on tut ^^^^^^ V L'Afrique septentrionale de Marms à César . • Chapitre V. - L Afrique v «occhus, roi de Maurelan.e, , on connaU fort mal cette ^'P-^"^,' f _'sel "aPP^^ts avec «o.n-, 268; Scrtorius en MaureUnie, 270-1. V^« ..^^^up on Espagne, 273. Vicloire deScrloriussur As.-al.., ^^^^^l^^^^^-^^r^^^^^nd. laMavuélame I bS.us et. Bogud conlernpora.u. ^«-J;,,.,,,,, ^e l'ACriaue. 27o. ca deux royavunes, 273-5. - Guerres d _^^ __ ^^^ 11 Gauda, pu.s son lUs l^-'-P- ViZ s en ï" que en 88 avant J.-C SlsoTle^^r^r:. ---r "^ " - M:naf ies en ACr.qne, Afrique, 280. - Oon..t.us M em>barb ^^^^^. .^^_ ,^^^.3. 280-1. -Hiarbas,ro, de Num.d'e, a „ , IHique et a ,, ..pedition^ Po.,^e S^; ^^2^28516. .' --"l^^^^ SS,^.-;..;nentd.^n.i.sd^^^^^^^ séjour de Pompée en 4fn<|iie. »i Son iriomphe, 28M. ,,..,„;, 4e Numidie, 289. - Étendue de •^- "'T,7'.?r4o - u, etyLmr:umide,U'OuesUup,e,u^.»- royaume est moins -P»'^" J,V, tastueu. et bell.queu. 2 «* Eoùtpour le» leltroa, i'H- - '"i," '293. _ Terres puldiques concédées Rapports de ces deux rois '^'■''Xi'' _\„,-,,e do Masinllm, 29W. - S„psal dans la P;»--' J„^^ ^ , , *Ltra,e ron.ain 2M. - P"po- 'is::^::i^^'<^^^^-''°'"'''''^ rr^.:c:::';orseWirVi;tud;d;i..uer;ede.u,ur.l,a T r. Paul BRODARD. — 10-'28- 10-266. - Coulommiers. Imp. Paul bt^ La B^bZyiotk^quQ. Tkz L^b^jO/Ly Université d'Ottawa Uni vers ity of Ottawa Echéance Date Due m 03 «59 i CE a39003 007036i402b CE OT 0198 .G8H 1913 V0C7 COO GSELL, STEPH ACC# 1085332 HISTOIRE ANC U D' / OF OTTAWA COLL ROW MODULE SHELF BOX POS C 333 07 02 06 18 06 2 mii'- ^^B<' ^^^■'■■'■-■■■■■'^ :■:--;': -:-/,;:'™ ^^^^^^^^^^B * ' ; . ' ■ ■' ,1 / y ■[.' : 1 ' ' ' ; / • ' V^' ■■''.'.''''■ '■. '■,' IbI ' ' ' ' ' '/, ' ii|HÉ|B£^^^H ^B[; •< >"/, ; H WMMk à /," /" :>)^'\':':^,i.ddiit